Sur les
routes de Thaïlande (1984)
"Ah la la, je vous
dis pas l'angoisse ! Je me croyais peinard, définitivement au chaud
sur mon île tropicale et puis voilà... Tout doucement, on a cessé
de transpirer sous le T-shirt, puis il a fallu mettre un blouson; une
couette est bientôt venue remplacer le drap-moustiquaire; bref, j'ai
préféré fuir avant d'avoir les doigts trop gourds pour rouler mes
tarpés.
J'ai déjà mon billet
pour Bangkok, il ne me reste plus qu'à faire provision de papier à
rouler et à sauter dans l'avion avec "Viper" pour passer
le temps (si, si, même les Chinois lisent "Viper", même
que c'est moi qui traduis). Ce mois-ci, Santi et sa bande subversive
ont déclaré la guerre à l'héroine: noble combat, mais je ne peux
pas en dire grand-chose, je n'ai jamais essayé, ou une ou deux lignes
comme ça par inadvertance. A première vue ça a l'air plutôt agréable,
mais je suis partisan de l'expérience directe. Avant de tirer des conclusions,
il faut essayer soi-même. Bon, tout le monde dit: "La poudre,
c'est pas bon." J'ai tendance à le croire aussi. Mais est-ce mauvais
pour tout le monde, à tout moment ? Ça fait un bout de temps que j'aurais
pu en prendre si j'avais voulu mais j'ai toujours pensé que c'était
du suicide. Il faut attendre d'être bien dans sa peau pour prendre
des trucs aussi puissants. En gros, je crois qu'il faut être, naturellement,
encore plus heureux que le bonheur (fugitif) procuré par la poudre.
Comme ça, quand tu t'arrêtes, tu ne renonces pas au paradis, tu y
retournes!
Alors, la morosité française
ne m'encourageait pas à l'expérience; ici, par contre, j'ai une bonne
pêche depuis un bout de temps, si bien que, coincé entre le dossier
et mon plateau-repas, une idée germe. J'ai le moral, la santé et quinze
jours à perdre sous les cocotiers. Ça me parait le moment idéal pour
tenter l'expérience. j'éclate de rire en traitant un gros nuage de
"crazy man" et c'est complètement speed que j'arrive dans
le funeste aéroport de Bangkok. Toujours aussi sinistre avec ses flics
aux quatre coins. "Mes jolis cocos, me dis-je en souriant au douanier
fouilleur, que ça me laisse accroc ou pas, il n'y a pas de danger que
vous trouviez quelque chose sur moi au retour!"
Le taxi pourri et rebondissant
fend l'air moite et vaguement écoeurant de la ville et me dépose chez
un copain chez qui je passe la nuit. Comme la plupart des Européens
vivant ici depuis un moment, le cocktail corrosif composé de nuits
blanches, d'alcool, de sueur, de femmes, d'herbe et de nonchalance l'a
marqué. C'est loin d'être un junk mais le besoin d'une petite ligne
se fait parfois durement sentir... Bientôt, les petits cristaux blancs
glissent doucement de la bouteille en plastique (500 baths=2,30gr.)
sur le miroir taché. Je roule un billet et vlan, un grand coup dans
la narine gauche. Je renifle deux, trois fois pour assurer le snif et
m'affale sur la banquette. Quelques couplets de Clash plus tard, une
vieille vapeur bienfaisante m'enveloppe des pieds à la tête, la sueur
dégouline sur mon visage mais je ne sens rien. Calme, la grande tranquilité,
il fait bon dans soi ! J'ai les yeux gonflés et puis... ça devient
de plus en plus... difficile de... se souvenir de ce que je voulais
dire. Du reste pourquoi parler ? On est suffisamment bien comme ça!
Dehors, le temps s'écoule; dedans, c'est l'arrêt complet du véhicule!
Ça ne pense pas beaucoup mais ça plane bien, ça grattouille un peu
aussi tiens, m'enfin qu'est-ce qu'on est bien ! Ah dis donc, ça me
démange un peu partout moi ! Ah oui, je me souviens des trois shootés
du camping d'Amsterdam, ils n'arrêtaient pas de se gratter non plus
! Bon, l'atterrissage paraissant imminent, je roule un gros spliff de
noir mais je le fume tout seul ! J'oubliais que pour les habitués de
la poudre, le joint ne fait pas plus d'effets qu'une clope. Une demie-heure
plus tard, complètement défoncés, nous partons faire la tournée
des boites jusqu'au lever du jour. Je me souviens juste d'avoir dansé
comme un fou au milieu des tables et d'un groupe de putes qui applaudissaient
en riant... La nuit, à Bangkok, il y a intérêt à surveiller son
fric et sa vertu, mais on s'éclate bien !
Le lendemain, un peu pâteux,
je m'installe dans le bus face au coucher de soleil. Direction Phuket
et la petite plage peinarde dont on m'a causé et dont je ne communiquerai
l'adresse que si vous m'y invitez. Je m'endors si bien que la panne
de trois heures m'est passée totalement inaperçue, ce qui a permis
à d'obscurs malandrins de me braquer mon zoom dans le coffre du bus!
Hey man, on est en Thaïlande, ne l'oublie pas... A Phuket, c'est la
galère, "ma" plage est complète et je suis obligé de me
rabattre sur une plage paradisiaque comme on en trouve depuis Goa jusqu'à
Bali. Je demande pardon à ceux qui ont passé Noël en HLM mais retrouver
la même bouffe sinon les mêmes gens qu'à 10000 bornes de là, ça
a un côté décevant. Le paradis, ça doit être ça, le même bonheur
partout et pour tout le monde! Bref, je m'installe dans mon bungalow
et repère les figures sympathiques susceptibles de partager la saveur
d'un bon tarpé.
Mon voisin, un Suisse-Allemand
(les langues, ça sert des fois j'vous jure) a une longue mèche blonde
dans le dos et un air vaporeux qui me met en confiance. On cause, il
roule le premier joint et on délire sur les voyages en écoutant Manfred
Mann. L'herbe et la poudre sont en vente discrète au restaurant du
coin. Ça tombe bien, j'ai faim et il me tarde de regoûter aux délicieux
milk-shakes à la banane, à la mangue ou à tout ce que vous voulez
du moment que vous attendez que le générateur soit en marche! Effectivement,
le serveur a les yeux plutôt rétrécis et la démarche un rien traînante.
C'est lui qui vient me brancher. Qu'on le veuille ou non, pour ce genre
de transactions, les cheveux longs, ça facilite la communication. Hélas,
je commets l'erreur de demander d'abord le prix de la poudre ce qui
fait que je devrais aller acheter mon herbe ailleurs. Car, comme par
hasard, le serveur aura toujours de la poudre à me vendre mais l'herbe
n'arrivera jamais ! Je suppose que c'est ce qu'on appelle un pusher...
Mille baths la bouteille mais elle pèse lourd. Il me l'apporte à domicile
avec des airs conspirateurs, me dit de la planquer sérieusement et
de n'acheter qu'à lui, ceci par pure amitié de sa part! Et c'est parti!
Un sniff et je vais voir l'Allemand. Nous parlons de l'Inde et des ashrams,
de sa copine, morte d'overdose, des boulots et de la zone en Suisse.
L'herbe tourne mais ne m'atteint pas vraiment. Je laisse mon voisin
dormir et je retourne me faire une ligne. Je dors plutôt bien. Le lendemain,
je me prends un gigantesque petit-déjeuner, une ligne, et je pars sur
la plage. J'ai l'esprit absent. Je me sens bien mais vide. Le temps
est comme arrêté, je regarde les couchers de soleil comme un spectacle
télévisé sans vraiment me rendre compte qu'il s'agit de la fin du
jour. Noël passe et je réveillonne dans un nuage. Les événements
se déroulent autour de moi mais ne me touchent pas. Je me souviens
qu'un soir, j'ai été surpris de voir ma main stoppée en l'air, tenant
un paquet de cigarettes. J'avais oublié depuis un long moment que je
voulais en griller une. Ça m'a rappelé Bloodi" (un personnage
d'une des BD de Viper, un junkie), "raide, sa clope se consumant
en lui brûlant les doigts! Pendant ces quelques jours, il me fallait
allumer un pétard tous les quarts d'heure pour en ressentir les effets.
Bref, la situation commençait à devenir craignos mais je ne me rendais
compte de rien. Je me disais bien de temps en temps qu'il y avait peut-être
quelque chose d'autre à faire que de rester écroulé toute la sainte
journée, mais un petit sniff venait bientôt m'en dissuader.
Et puis une nuit, je me
réveille en pleine forme comme ça m'arrive depuis que j'ai commencé
à sniffer. J'allume une cigarette et change de position. Un moment
plus tard, une furieuse douleur au bras me fait sursauter. C'est toujours
l'obscurité. Je me retourne, oubliant déjà la raison de mon réveil
quand je me trouve le nez pratiquement plongé dans une flaque lumineuse,
orange et mouvante! Je mets un moment à réaliser mais quand c'est
fait, je fais un bond en l'air! Le feu ! Mille shilums, il y a le feu
dans mon lit ! J'inonde à grande eau, j'allume et regarde les dégâts.
Le matelas est complètement noirci, le drap a subi un nettoyage au
napalm et j'ai le bras brûlé en plusieurs endroits. Alors là je reste
un moment, les bras ballants, à contempler le spectacle. Dans ma tête,
les choses reprennent contact avec la réalité. D'abord j'aurais pu
y passer. Ensuite d'autres bungalows en bois touchent le mien. Je flippe
en pensant à ce qui aurait pu arriver si je ne m'étais pas réveillé!
J'ai envie de me coller des baffes. Bon, je me réinstalle comme je
peux et j'essaie de faire le point. Ok, je me suis laissé aller un
peu loin, j'ai perdu le contrôle sans même m'en rendre compte, mais
là, brutalement, je remets les pieds sur terre. J'ai envie de continuer
l'expérience et je ne vais pas jeter ce qui me reste, mais cette fois
je reste vigilant.
Il y a des tas de choses
que j'ai envie de faire ici avant de partir pour Bangkok. Je me fais
un programme pour la journée, me réservant la soirée pour la poudre.
Une fois à Bangkok, j'arrête. Le lendemain, je me refuse la petite
ligne matinale et je descends manger. Au bout de quelques heures, je
suis d'une humeur massacrante, j'ai des crampes dans la mâchoire et
dans le dos. Les brûlures de mon bras me font mal. Il faut se faire
une raison, je suis en manque ! Pas beaucoup, je ne sniffe pas depuis
assez longtemps, mais assez pour que je me sente mal physiquement et
moralement. Le pire, c'est le côté moral parce qu'il serait si simple
de remonter se faire un sniff! Au lieu de ça, je me force à bouger
de mon banc. Je vais prendre une douche froide qui me redonne un peu
la pêche et je descends louer un masque et des palmes. A 100 mètres,
il y a une avancée de rochers dans la mer. Il parait qu'il y a des
poissons et des coraux magnifiques. Je plonge et c'est mieux qu'un trip
d'acide. Des bancs de poissons rouges, bleus, oranges, verts, passent
près de moi. Le soleil se reflète sur les écailles. En dessous, les
coraux forment une exposition de formes et de couleurs. Je reste des
heures à nager d'un bout à l'autre en découvrant de nouveaux coins
et de nouvelles espèces. En sortant, j'ai une faim et une pêche de
tous les diables. J'avale des litres de milk-shakes et dévore des tas
de choses lourdes et sucrées. Ensuite, je me fais une ligne avec mon
voisin et nous nous écroulons bientôt. Mais ce n'est plus la même
chose. Quelque chose s'est brisé. Je ne me laisse plus aller avec autant
de confiance qu'avant. Tout en étant incapable de bouger, j'ai une
énergie intérieure qui aimerait bien se libérer.
Ainsi, les jours suivants
ont été plus constructifs. Faire du cross dans la jungle ou foncer
dans les dunes est nettement plus excitant que fixer le plafond les
yeux vides. Pourtant chaque soir, je me suis repris un sniff qui toujours
me donnait l'impression de rester sur ma faim. Et puis un matin, il
a fallu reprendre le bus pour Bangkok, histoire d'aller fêter le Nouvel-An
entre copains. Il me reste de quoi faire un gigantesque sniff. Ça tombe
bien puisque c'est le dernier de l'expérience. C'est bizarre car cette
idée a débloqué ma méfiance, cette dernière ligne m'a procure un
intense plaisir et, tout en ne m'écroulant pas, elle m'a fait faire
un voyage (au propre et au figure) dans une gaieté joyeuse.
Cela ferait une jolie fin,
mais, dés le lendemain, je reprenais un sniff! Et cette fois-ci sans
esprit de défonce mais pour apaiser une rage de dent du genre cisaillant!
Charmant 1er janvier! Je suis resté trois jours dans le coltard avec
la fièvre mais en prenant des Glifanans! La poudre était-elle pour
quelque chose dans cette histoire? Je préfère continuer à y croire
car dans les moments les plus jouissifs de ma douleur, je me suis juré,
en me traitant de tous les noms, de ne plus jamais m'enfoncer une paille
dans le nez!
Enfin, avec du recul, je
trouve que l'expérience a été globalement négative tout simplement
parce qu'elle m'a apporté moins de plaisirs que de problèmes. Je reste
sur l'impression d'avoir perdu mon temps avec la poudre. Contrairement
à la fumette ou aux champignons qui laissent quelque chose de constructif"
(?:) "dans la tête, dans les faits ou dans l'amour, l'héroine
ne laisse qu'un vide désespérant. Aucune lumière ne s'y reflète,
rien ne s'y crée. On utilise la morphine pour les mourants et je crois
qu'ainsi la poudre trouve sa meilleure utilisation."
Nish
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire