Cardin,
Maxim et Pékin
Evidemment quand je suis
arrivé, jeune Manceau frais, à Hong Kong-les-Oies, je n'avais qu'une
envie en tête, aller en Chine. Nous étions en 1983 et ça n'faisait
pas très longtemps que les touristes avaient le droit de s'y aventurer
seuls. Il a tout de même fallu que j'attende un peu vu ce qui me restait
de mon salaire de maître auxiliaire de l'Education Nationale à l'arrivée.
Mais l'Alliance Française est si bonne, tous les trois mois elle donne
un break de trois semaines à ses professeurs épuisés. J'aurais dû
être content, il faisait beau, exotique et je pouvais me faire un p'tit
voyage tous les trois mois. Ça me changeait de Bordeaux-Chesnel. Pourtant
je n'y suis pas resté longtemps. Ça devait être la régularité,
la répétition, ou alors la brièveté des trois semaines, ou la longueur
des trois mois, bref je ne suis jamais content, c'est mon unique qualité.
Il y a toujours une raison pour n'être pas satisfait, pour que tout
ne soit pas parfait. A l'époque cette simple constatation suffisait
à me plonger dans trois jours d'angoisse inactive parfois suivis de
trois jours d'inactivité pleine d'angoisse. Dans le genre lugubre et
auto-destructif ça valait son pesant de Valium m'enfin j'n'en faisais
pas exprès et ça tombait quand ça voulait, à Hong Kong comme au
Mans. Au moins je ne m'enlisais nulle part.
Le mois d'octobre arrive,
mon premier trimestre de prof de FLE s'est assez bien passé et l'Alliance
a décidé (un peu forcée par mes élèves tout de même) de ne plus
me virer pour refus d'obéissance (je rechignais opiniâtrement à me
couper les cheveux). Ce sont mes premières vacances depuis mon arrivée
et j'ai un peu de fric alors, pas d'hésitation, je fonce en Chine,
le grand bond en avant sur la capitale maoïste, je vais secouer mes
mèches dans la poussière jaune de Pékin, je vais comparer l'architecture
des temples à celle des pagodes, dénicher l'influence gréco-hindoue
dans les blocs griso-majestueux de style stalinien, bouffer du canard
laqué et prendre plein de photos invendables.
Brigitte, qui bosse aussi
à l'Alliance, vient avec moi. Er... non, c'est moi qui vais avec elle
plutôt; elle traîne en Asie depuis cinq ans déjà, elle a essayé
d'apprendre le mandarin en faisant langues-o mais comme c'est une pressée,
elle s'est dit que ça irait plus vite en faisant la boniche à Taiwan.
Brigitte a une copine qui travaille à Pékin et qui veut bien nous
héberger dans sa suite de l'hôtel de Pékin près de la place Tien
An Men. Bon plan pour moi qui débarque, je vais pouvoir parasiter des
initiés de premier ordre! De Hong Kong, il faut deux jours, en passant
par Canton, pour parvenir à Pékin par le train. En deuxième classe
les sièges sont très durs mais les voyageurs sont plus causants. De
toute façon nous n'avons jamais vu nos couchettes réservées ni le
mec qui était censé nous y amener. Elles ont dû partir en bakchich.
Brigitte discute le coup avec deux ouvriers agricoles en route vers
une nouvelle affectation. Elle ne me traduit que l'essentiel mais ça
suffit, leur masque de voyageurs anonymes s'est dissout dès les premiers
mots, le mandarin de ma copine a éclairé leurs yeux d'enthousiasme,
la communication s'est ouverte et ils deviennent tout de suite plus
chaleureux.
Au bout de 36 heures, nous
arrivons à la gare de Pékin, au petit jour, le visage couvert de suie.
Il ne fait pas très chaud mais il y a déjà foule devant la gare.
Pas facile de se frayer un chemin pour retrouver le trottoir. L'avenue
est incroyablement large, des groupes d'ouvriers pédalent mollement.
Ils ont tous les mêmes bicyclettes noires, le même costume gris-bleu,
ou kaki, la même casquette Mao et le même vide dans les yeux. D'emblée
je me retrouve dans une atmosphère à la Huxley. Ça ne me plaît pas
du tout. Brigitte et moi essayons de trouver l'hôtel de Pékin et c'est
assez loin. Quelque chose me semble bizarre, ça fait des kilomètres
que nous marchons et je n'ai toujours pas réussi à croiser un regard.
D'habitude, où que j'aille, les gens m'observent à cause de mes cheveux
longs et selon les pays que je traverse, j'ai droit à une réaction
différente. En Thaïlande je dois être un "Lady-Man", en
Indonésie je me prends pour Jésus, en Inde je suis un saddhu, aux
Philippines un hippie, à Hong Kong un clochard, en Chine rien! Pas
un regard, pas un rire, pas un haussement de sourcil. Fichtre, qu'on
se moque de moi, soit, qu'on me haïsse, soit, mais qu'on m'ignore alors
là dur ! Je sens que je vais encore angoisser dans l'inactivité si
ça continue! Je fais part de ma frustration à Brigitte qui décide
de marcher dix pas derrière moi histoire de vérifier un truc. Elle
revient à mon niveau deux minutes après, hilare.
-"Quoi, qu'est-ce
qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il ont dit ?"
-"Ah ben tu devrais
voir ça ! Ils ne regardent pas quand ils te croisent parce qu'ils sont
polis mais dans ton dos j'te dis pas..! Non seulement ils s'arrêtent
et se retournent mais ils s'attroupent, ils en discutent entre eux,
j'ai même entendu une vieille qui pensait que tu devais cacher une
maladie de peau gerbos sous tes cheveux! En tout cas ils se marrent
bien!"
Je grince.
La suite de Marie-Jo, au
Beijing Hotel, est très bien, très chinoise avec des p'tites broderies
sur les fauteuils, les gros caractères calligraphiés aux murs et la
thermos d'eau bouillante sur la table de nuit. Par la fenêtre on aperçoit
le ciel gris et les gros cubes barbants des bâtiments administratifs.
Marie-Jo nous explique que la suite au-dessus comme celle du dessous,
sont occupées par des Français. Celle d'à côté et toutes celles
en-dessous sont occupées par des Américains. Il paraît que c'est
plus pratique pour installer les écoutes téléphoniques. Quand elle
voit mon bout de shit elle me conseille de ne pas le laisser dans la
chambre car la femme de ménage est aussi chargée de sa fouille. Paranoïa
? Hum, vu l'ambiance je n'en suis pas trop sûr.
Elle est lourde l'ambiance,
il faut remplir des formulaires et montrer son passeport à chaque achat,
louer un vélo peut prendre une semaine, l'acheter prend un an et pour
parfaire le tableau, nous sommes en pleine fête nationale et nous n'arrivons
même pas à aller voir la grande muraille. On se venge sur les parcs
magnifiques et romantiques qui parsèment la ville, on visite les temples
que je trouve décevants, tous identiques, la cité interdite où les
Chinois viennent se faire photographier avec des appareils à cagoule
devant de fausses limousines mais en général on s'ennuie un peu. J'essaie
de m'occuper en prenant des photos mais même ça c'est la galère.
Moi ce sont les visages qui m'intéressent et ce n'est pas c'qu'il y
a de plus simple à photographier. En fait dès que le sujet s'aperçoit
qu'on le prend en photo, ça n'en vaut plus la peine. Ça peut être
assez dangereux comme sport aussi, surtout dans les pays musulmans,
surtout quand on cherche les visages féminins. Heureusement j'avais
trouvé un gadget sympa, un truc qui se visse au bout des objectifs
et qui permet de faire des photos dans les coins. Tu vises innocemment
devant toi et tu captures le beau visage dévoilé à droite.
Ça marche partout ce truc-là,
un vrai plaisir, partout sauf en Chine; toujours à cause de cette gêne
qu'ils semblent avoir à regarder les étrangers en face! Il n'y a rien
à faire, même si tu les zoomes en pleine poire ils regardent ailleurs,
l'air pas concerné. Par contre, comme pour mes cheveux, dès qu'ils
s'imaginent que je ne les vois pas, ils se mettent à me dévisager,
l'oeil fixe et écarquillé. Alors mon gadget, il me donne toujours
les mêmes expressions ébahies, c'est pas la peine de se fatiguer à
trimbaler ma sacoche d'objectifs.
L'ennui donc, jusqu'au
jour où nous rencontrons Philippe et Jean-Pierre dans le hall de l'hôtel
où, affamés, ils viennent vérifier le menu de la buvette. Ils ont
la pêche, ils sont sur la route depuis trois mois, y restent encore
six et ils ont plein de choses à raconter. Ils ont même trouvé un
bureau de location de vélos clandestin et nous partons bientôt nous
ravitailler en deux roues. Ah ils sont supers les vélos chinois, on
peut stopper net la roue arrière avec les pédales comme en Allemagne.
Ça vous donne des dérapages contrôlés de toute beauté cette option-là
! Du coup on s'amuse un peu; on fait la course en slalomant au milieu
des mornes pédaleurs pékinois, on s'arrête en travers aux feux rouges
dans de grandes stridences, on joue au Frisbee sous le portrait de Mao
en tournant à vélo à toute allure sur la place Tien An Men devant
les visages ébahis des gens qui s'arrêtent pour nous observer. Pour
une fois on rigole. Plus les jours passent plus nous apprenons de choses
sur Pékin à tel point que toujours prêt à écrire un article pour
mes copains du journal Viper, je pars enquêter sur mon sujet favori:
la défonce. Et j'en reviens bientôt avec cet article (paru dans le
No 9 de Viper en janvier 1984):
"Il y a du Haschisch
en Chine !
Quand, la tête enveloppée
d'un brouillard bleuté, vous délirez sur Hong Kong, à quoi pensez-vous
? Aux buildings et à l'opium je suppose. C'est bien connu, les uns
doivent tout à l'autre puisque HK a bâti sa fortune sur le trafic
du "dross". Aussi, dès que l'avion a entamé sa descente
sur les tours de Kowloon, je cherchais déjà les ruelles sombres et
louches susceptibles de camoufler quelques fumeries exotiques.
Hélas, je n'ai pas tardé
à déchanter. HK a renié ses origines. Si les longues pipes sont toujours
tirées, sur les trottoirs, par des vieillards faméliques, elles ne
contiennent plus la plupart du temps que du tabac. Et du mauvais en
plus ! Il faut se faire une raison, ce n'est plus la peine d'espérer
goûter aux délices de l'opium à HK. S'il reste un certain nombre
de fumeries dans des quartiers de coupe-jarrets comme Kowloon City,
celles-ci sont protégées par les sociétés secrètes chinoises des
Triades et franchement, il vaut mieux ne pas s'y frotter, le blanc y
est plutôt mal vu.
Par contre la poudre abonde.
Elle coûte moins cher qu'à Bangkok: 80FF le gramme. Elle arrive en
général de Birmanie et du Triangle d'Or d'où elle est acheminée
par caravanes entières à travers la Chine. Les Chinois de HK ont oublié
l'opium et aujourd'hui, plus de 200 000 d'entre eux se défoncent à
la poudre ce qui commence à poser un problème aux autorités. Des
campagnes de mise en garde sont lancées à la télé. On y voit un
jeune drogué qui, pris de remords, va boire une mixture dans un centre
de désintoxication et se retrouve, le sourire aux lèvres, ouvrier
sur un chantier, marié et père de famille. Je doute des résultats
mais ça fait clean, comme tout le reste ici.
Et puis un jour, par hasard,
je rencontre un Italien qui, de retour du Népal, a quelques kilos à
vendre. Je ne me sens plus de joie: depuis l'Inde, je n'en avais jamais
refumé. On va le goûter dans les chiottes d'un hôtel crasseux de
Nathan Road et nous voilà bientôt assis, raides défoncés, à 2 sur
les W.C. Ce shit est très bon, très frais et très cher: 65FF le gramme.
Il délire un peu, cet Italien. Ça ne s'appelle plus un bénéfice
ça ! Écoeuré je vais pour refuser quand le prix descend de lui-même
à 35FF à condition d'en prendre un bon paquet. Je l'achète à 30
balles et à partir de ce jour, point de friandise ne manquerai!
Nous vivons à trois dans
un appartement cossu qu'on nous a prêté et chacun de nous a tant d'amis
et de relations qu'il ne désemplit pas. Or les routards ne se déplacent
jamais sans leur bagage de rêves, que ce soit dans leur tête ou dans
leurs poches. Aussi, nous partons chaque soir pour un nouveau pays aidés
en cela par les spécialités locales qu'ils en rapportent. Rien ne
manque: opium de Katmandu, Népalais pressé sur l'Himalaya au soleil
couchant, poudre pure et blanche du Triangle d'Or, ganja des Philippines
ou de Thaïlande, acides californiens, sans le moindre speed et même
un peu de coke de Bolivie vendue 5000 dollars HK le gramme tant elle
est rare ! Bref, l'ambiance est cool, la qualité est bonne et les pubs
des cow-boys Marlboro à la télé nous font bien planer. Mais il manque
encore une touche d'originalité, un zeste de nouveauté, un soupçon
d'inhabituel. La révélation nous vint alors sous les traits d'un dealer
sans frontière: il y a du shit en Chine! Ô vieux baba cool, rejoins
les rangs de la New Wave, sois in et va t'écrouler en Chine. L'Inde,
le Népal, c'est démodé, tu trouveras à Urumqui, au Nord-Ouest de
la Chine Populaire, un des meilleurs haschs du monde, le pollen le plus
parfumé et la défonce la plus rafraîchissante qui soit. De couleur
brun très clair il se presse facilement, se chauffe à peine et s'émiette
à merveille. On peut facilement le prendre pour du libanais très frais
mais le goût doux et parfumé et les effets n'ont rien à voir. Il
est aussi fort que le Manali, plus facile d'utilisation et donne une
petite pêche qui, tout en étant raide défoncé, permet tout de même
d'aller nager dans les îles ou de grimper dans les montagnes sous un
typhon! Enfin on le trouve à un prix ridicule car en Chine, où il
n'intéresse que les minorités musulmanes, il est vendu au prix du
thé...
La douane entre la Chine
et Hong Kong étant une vraie partie de plaisir, je décide d'aller
me rendre compte sur place. Je n'irai pas à Urumqui car il faut au
minimum une semaine pour s'y rendre. Pour un premier essai je m'en tiens
à Pékin. Mais là-bas, point de Muslims, point de shit. Heureusement
j'ai mes provisions et je m'amuse à slalomer sur la place Tien An Men,
au milieu des milliers de cyclistes en tenue Mao et sous l'oeil humide
du Grand Timonier.
Au bout d'une semaine cependant,
des informations intéressantes arrivent à mes oreilles. L'herbe pousse
paraît-il en toute liberté dans la nature. On peut trouver des pieds
en pleine maturité étalant leurs feuilles magiques en pleine rue et
sous les yeux indifférents des passants! D'abord je rigole: quoi ,
en Chine communiste !? C'est la folie ! Et puis comme ça a l'air sérieux,
j'enfourche mon vélo et je fonce à l'Université de Pékin et là,
effectivement, sous les fenêtres des piaules, pousse de l'herbe communiste
de belle taille! Marchais, qu'as-tu à répondre ?
Je me fais un petit stick
pur. L'effet, gentil, est équivalent à une bonne française. En fait,
les Chinois cultivent le cannabis comme votre mère ses géraniums,
juste pour la beauté de la plante. Quand ils nous voient en cueillir
quelques feuilles, ils se marrent, s'imaginent qu'on croit cueillir
des feuilles de thé.
Mais il y a mieux: on peut,
pour un prix modique, acheter dans les pharmacies un médicament pour
dormir. Cela se présente sous forme d'infusion à boire avant d'aller
se coucher. Et qu'y-a-t-il dans les sachets ? De l'herbe... On peut
donc s'imaginer que les membres du parti se défoncent chaque soir en
toute légalité. La médecine chinoise est moins con que la nôtre
!
Alors, vous qui en avez
assez de payer 10 sacs pour un vieux bout de marocain coupé au caoutchouc,
vous qui connaissez Goa comme votre poche, ne sombrez pas dans le désespoir,
venez donc chercher votre visa à Hong Kong et allez vous acheter un
kilo de chinois que vous irez fumer dans les montagnes avec de vieux
musulmans qui se tapent du marxisme. C'est bon, c'est cool, c'est pas
cher et ça épatera vos amis. Nish"
Et maintenant, un message
subliminal de M. Davy Père:
"Le Saviez-vous?
- Une des toutes premières
plantes cultivées par l'homme fut le cannabis. - Pendant plus de 3500
ans, la marijuana fut la drogue la plus utilisée dans la médecine
orientale. - De 1631 jusqu'au début du 19e siècle, il était légal
en Amérique du Nord de payer ses impôts avec du chanvre.
- Toujours en Amérique
du Nord, au 17e et 18e siècle, refuser de planter du chanvre était
contre la loi. De 1763 à 1769, en Virginie, on pouvait même aller
en prison pour cette raison!
- Aux Etats-Unis, de 1842
à la fin du siècle, le chanvre indien était utilisé comme remède
pour des centaines de maux et maladies, autant pour les adultes que
pour les enfants, et cela sans crainte des effets psychotropes!
- Jusqu'en 1883, 75 à
90% de la production mondiale de papier provenait du cannabis.
- Un hectare de cannabis
produit autant de pâte à papier que quatre hectares et demi d'arbres.
- Jusqu'en 1937, toutes
les bonnes peintures et vernis étaient fabriqués à partir d'huile
de graines de cannabis. En 1935, 58 000 tonnes de graines furent utilisées
rien qu'aux Etats-Unis.
- En 1937, Harry Anslinger,
1er directeur du Narcotic Bureau proclamait:"Dans toute l'histoire
de l'humanité, la marijuana est la drogue qui engendre le plus de violence".
- En 1948, 4 ans après
le rapport de LaGardia (un des plus importants rapports à ce jour,
incontestable bien que contesté, réfutant à peu près 90% des "aspects
négatifs" du cannabis), le même Anslinger avouait, devant le
Congrès, qu'il ne croyait plus que la marijuana était cause de violence,
mais qu'elle était encore plus dangereuse que ça, parce qu'elle "rendait
ses usagers si tranquilles et si pacifiques que, dans le futur, les
jeunes Américains ne voudraient plus se battre dans nos guerres!!!"
- Si la marijuana était
légale, elle remplacerait aujourd'hui de 10 à 20% de tous les médicaments
et thérapies pharmaceutiques.
- Les graines de cannabis
contiennent plus d'enzymes et d'acides aminés que n'importe quel aliment
et peuvent produire de très riches récoltes sur des terrains jugés
improductifs. Préparées comme le soja, elles peuvent devenir un aliment
de base, pour un prix de revient inférieur de 10% à celui du soja.
- Et maintenant une belle
histoire: il y a de ça bien longtemps, arriva au Maroc un saint homme,
ermite de son état, appelé Sidi Hidi. Dans son sac, il avait une poignée
de graines: le cannabis. Vénéré depuis lors par tous les fumeurs
de kif (nchaiouis), sa tombe est devenu un lieu de pèlerinage. Avant
de mourir, il laissa aux générations futures cet adage irréprochable:"Le
kif est comme le feu. Un peu, ça réchauffe, trop brûle!"
Reprenons notre émission.
Un jour où, pour changer,
nous n'avions rien à faire, notre petit groupe décide de prendre les
bicyclettes pour aller voir le Palais d'Eté. C'est une magnifique mais
assez longue promenade que de pédaler le long des canaux jusqu'au lac
gigantesque où s'étale le Palais d'Eté. En hiver les Pékinois s'y
rendent en patins sur la glace de ces canaux et je me suis promis d'y
retourner juste pour ça. En chemin nous passons près d'une haute pagode.
Philippe s'arrête et, tous les cinq, nous nous approchons de l'édifice.
La porte est fermée à clé mais Marie-Jo rigole en montrant le câble
du paratonnerre qui s'enfonce dans la terre: -"Voilà l'ascenseur!"
Moi, toujours un peu stoned, je la prends au mot, j'empoigne le câble,
assure mes semelles sur la façade de la pagode vieillie par l'érosion
et j'entame mon escalade suivi de près par Philippe, Jean-Pierre et
Brigitte. De là-haut la vue est magnifique et nous éclatons de rire
en nous apercevant que dans les champs voisins, tout le monde s'est
arrêté de travailler pour nous regarder. Décidément, on se sera
vraiment fait remarquer dans la région!
Après avoir visité les
différentes salles et jardins du Palais d'Eté en compagnie d'une foule
de touristes chinois, nous repartons sur nos vélos vers Pékin. La
nuit tombe mais il fait encore assez clair pour que nous stoppions tout
net, ébahis, devant un bâtiment au carrefour de deux larges avenues.
L'entrée du bloc grisâtre est surmontée d'un store rouge qui n'était
pas là ce matin. Non, rien à voir avec la fête nationale, notre stupeur
n'est pas due à la couleur mais aux lettres d'or qui y brillent: Maxim.
Hein ? Qu'est-ce que c'est
qu'ça ? On se regarde tous éberlués, mais qu'est-ce que ça fout
là ??? On gare les bicyclettes contre le mur du bâtiment et on s'approche
de l'entrée. Mais un garde chinois nous barre le chemin. Une bonne
quinzaine de curieux rigolent. Bon, comme dans "Le Club des Cinq"
d'Enyd Blyton (collection rose) mais sans Dagobert, nous nous réunissons
pour une mise au point commune. Merde si Maxim est à Pékin, on veut
savoir pourquoi et comment! Z'avez vu la petite entrée là-bas sur
l'côté? Avec un peu d'chance il n'y aura pas de gardes. On y va ?
On y va. Tiens il y a un ascenseur, allez on s'l'prend. Ding, 1er étage,
la porte s'ouvre mais le passage est bloqué par une palissade de bois.
Merde ! On redescend et on essaie l'escalier. Arrivés au premier, même
chose, le passage est bloqué. Crénom ! Attendez, j'ai une idée! On
monte au second et on redescend d'un étage, j'vous parie qu'ils n'y
ont pas pensé. On essaie, gagné ! On arrive au 1er étage. Rien, juste
un palier, puis dans l'ombre on remarque une petite porte de service
sur ressort. On pousse un peu pour regarder. C'est le bar du Maxim !
Putain les mecs, c'est le bar du Maxim ! Shhh ! Ouais, putain ! T'as
vu, y'a même les Toulouse Lautrec sur les murs ! Mais qu'est-ce que
c'est qu'ce délire !?
On referme la porte tout
doucement. Les deux garçons chinois, derrière le bar ne nous ont pas
remarqués, ils astiquent des verres, l'air absent et la veste blanche
immaculée.
Bon ben qu'est-ce qu'on
fait maintenant ? On entre ? Ouais mais on va s'faire virer tout d'suite
! Attends, on a nos appareils photo, on se les met en bandoulière et
on dit aux Chinois qu'on est journalistes. On a juste qu'a éviter d'foutre
la zone. Ok, allons-y!
On pousse la porte, c'est
à peine si les garçons lèvent un oeil. A part eux nous sommes seuls
dans le bar. Il n'y a pas à dire, c'est la même chose qu'à Paris,
même déco, mêmes cendriers, mêmes bougies, même mobilier, jusqu'aux
panneaux d'acajou sur les murs, c'est pas croyable mais surtout, qu'est-ce
que ça fout là ??? Même pour un film, ils n'iraient pas peaufiner
les détails à ce point-là, ça doit coûter une fortune !
On s'installe au bar et
un garçon vient prendre nos commandes. Merde, on est obligé de consommer
? Non parce qu'on est chez Maxim là les mecs, pas chez McDo ! Brigitte
discute avec le barman, les boissons sont gratuites. Aaaah booonn !
Bon ben une petite coupe de champagne, moi, ça me ravigoterait bien
un peu! On s'entend sur le champ et bientôt cinq coupes arrivent. Yummy
le champagne au Maxim, surtout après une journée à pédaler dans
la poussière jaune! Du bar on aperçoit la salle de restaurant au fond
de laquelle une trentaine de personnes discutent en dégustant des petits
sandwiches. On pourrait essayer de se mêler à eux mais avec nos jeans
et T-shirts, ca va pas être du gâteau pour passer inaperçus, laissons
tomber.
Nous savourons notre deuxième
coupe de champagne lorsqu'un grand type de style méditerranéen entre
dans le bar avec une pleine brassée de pieds d'appareils photo et de
lampes de projecteurs. Il s'installe, je l'observe puis il se tourne
vers moi et me dit avec un accent italien que l'on va faire une interview
du patron et que si je veux profiter des projecteurs pour faire des
photos, je suis le bienvenu. Là- dessus deux mecs bien sapés entrent
et vont s'asseoir à l'une des tables du bar. L'interview est en italien.
Effectivement j'en profite pour faire quelques photos et je remarque
que le journaliste commence toutes ces questions par: "Pietro Cardini...
nia nia nio gni ?" Pietro Cardini ? J'traduirais ça par Pierre
Cardin moi si j'm'écoutais. Qu'est-ce que c'est encore que ce micmac?
Qu'est-ce qu'il foutrait là ? Il fait de la mode pour homme que je
sache que j'm'électrocufiais tous les soirs quand j'enlevais ses saloperies
de polos collants en polyester que ma mère m'obligeait à porter dans
les années 70 et qui n'arrangeaient pas ma réputation d'pédé à
l'école. Pourtant l'autre a dit qu'c'était lui l'patron de Maxim.
Je retourne au bar faire part de ma découverte aux copains et Philippe
se rappelle avoir lu quelque part qu'effectivement Cardin avait racheté
Maxim. Ben oui mais de là à l'déménager à Pékin quand même ???
Soudain, grosse gêne,
l'interview est terminée et Cardin nous fonce droit dessus. Il se commande
une coupe de champagne, se tourne vers nous et demande de manière exquise:
-"Mais enfin, qui
êtes-vous ? Que faites-vous chez moi ?"
Court silence, Brigitte
nous sauve:
-"Eh bien nous sommes
français, nous étudions le mandarin à Taiwan et nous sommes en vacances
à Pékin. Nous avons été très étonnés de voir Maxim écrit sur
un bâtiment et nous sommes venus voir."
-"Ah vous étudiez
le chinois ? Voilà qui m'intéresse beaucoup. Écoutez cela va sans
doute vous paraître un peu abrupt mais j'ai un besoin urgent de gens
qui sachent parler aussi bien le français que le mandarin alors c'est
vraiment une chance que vous soyez là! Il faut absolument que nous
nous revoyions! Comme vous le constatez, je suis très pris en ce moment
mais peut-être aurez-vous l'occasion de repasser demain? Où logez-vous?"
-"Er.. au Beijing
Hotel."
-"Moi aussi mais je
suis souvent ici. Comment vous débrouillez-vous avec la langue ?"
Ahem, oui, er... bonne
question ! Brigitte ne se démonte pas.
-"Marie-Jo et moi
nous parlons couramment, les garçons viennent de commencer."
-"Oui, nous, on n'est
pas très bons." renchérît Philippe.
-"Mais tout de même,
vous avez dû faire des études avant?"
-"Oui, de la comptabilité,
on vient de finir nos études à Paris."
-"Ah mais c'est merveilleux!
J'ai justement besoin de deux comptables ! L'un pour s'occuper des arrivages
et l'autre pour les affaires du restaurant! Venez me voir aussi demain.
Et vous, quelle est votre spécialité?" demande-t-il en se tournant
vers moi.
-"Oh moi je voyage,
je fais des photos et j'écris des articles que j'essaie ensuite de
faire publier en France."
-"Ahah, ça par contre
j'ai tout ce qu'il me faut. Des photographes, dans la mode, il y en
a un paquet."
-"Je comprends bien
et je ne cherche pas d'emploi. Cependant je vous serais très reconnaissant
si je pouvais accompagner mes amis ici demain pour prendre quelques
photos du restaurant et peut-être m'accorderiez-vous une interview?"
-"Mais oui, certainement,
venez quand vous voulez."
Et il retourne vers l'autre
groupe qui s'empiffre dans la salle de restaurant. On se regarde, on
a tous une lueur dans les yeux et un petit sourire au coin des lèvres.
La magie des voyages !
Nous passons la soirée
à bâtir des châteaux andalous mais les mêmes questions subsistent.
Que fait Maxim ici ? Pourquoi ? Qui peut s'offrir ça à Pékin ? Ca
me fait penser au film "Fitzgaraldo" avec Klaus Kinski quand
il essaie de faire passer un bateau sur la montagne pour construire
un opéra en pleine jungle amazonienne. C'est à peu près aussi logique.
Basta ! On s'en roule un petit dernier pour se calmer et on verra bien
demain.
Le lendemain matin je pars
assez tôt avec ma sacoche d'objectifs mais j'y vais tout seul. Les
autres veulent absolument repasser leurs robes et costards pour assurer
davantage ce soir. Ils sont invités en effet à la première soirée
d'ouverture que Cardin donne pour ses amis personnels. Cette fois le
garde me laisse entrer et je me promène dans les salles du restaurant.
A la lueur du jour on s'aperçoit vite que les panneaux d'acajou ne
sont en fait que de la peinture sur du contre-plaqué. Les bougies sont
fausses aussi, il y a des piles dedans. Bon Toulouse-Lautrec je me serais
douté que c'était de la reproduction mais tout de même, remplacer
les vitraux par des bouts de plastique colorés, c'est un peu gros!
Je prends des photos. Tiens, Cardin donne une autre interview. Allons
voir. Cette fois-ci ce sont des Canadziens du Québec qui posent des
questions, j'vais pouvoir comprendre.
-"Monsieur Cardin,
une question que tout le monde se pose, c'est de savoir pourquoi il
vous a semblé important d'ouvrir un nouveau restaurant Maxim dans la
capitale du monde communiste chinois. Pourriez-vous nous en expliquer
les raisons ?"
-"Oh mais c'est très
simple! Le monde chinois a toujours été une grande fascination pour
moi. J'admire ce peuple et dans la mesure de mes modestes moyens, j'aimerais
pouvoir lui apporter un peu de la culture de mon propre pays. Or la
cuisine est l'un des éléments les plus agréables de la culture française.
Comme vous le savez, j'ai récemment racheté Maxim et je me suis dit
que ce serait bien si je pouvais offrir la chance au Chinois qui ouvre
sa boîte de sardines tous les jours dans sa rizière, de goûter un
peu des produits de mon pays."
Le journaliste en arrête
net sa caméra.
-"Monsieur Cardin!
Pourriez-vous s'il-vous-plaît faire preuve d'un peu plus de franchise
!? Il lui faudrait dépenser six mois de salaire au paysan chinois pour
payer l'addition d'un dîner chez vous !"
Cardin ne s'est pas démonté,
il s'est fendu de son plus beau sourire et lui a répondu:
-"De la franchise
? En Chine Populaire ? Vous plaisantez mon ami!"
Et il est reparti dans
son bureau.
A un moment, j'ai eu peur,
j'étais dans une petite salle pleine de vitraux en plastoque, en train
de faire une photo vachement artistique, quand Cardin est entré soudain,
avec l'air d'un conjuré, en refermant la porte derrière lui ! Être
seul dans une petite pièce avec lui n'était pas du tout le genre d'interview
que j'avais en tête mais j'ai été vite rassuré.
-"Je voulais juste
vous dire rapidement là comme ça, ne le répétez pas mais c'est un
scoop ! Vous tenez un scoop là ! Imaginez un peu ! Maxim à Pékin
! Un symbole capitaliste de cet acabit au sein de la capitale communiste
! Haha !"
Et il sort aussi vite qu'il
est entré me laissant un rien éberlué. Cardin, un roi d'la provoc
? Hmmm ! Mouiiii... L'a tant d'fric que ça ? Étrange...
Le soir, ne faisant pas
partie des amis personnels du couturier, je reste dans ma chambre à
bouquiner. Philippe et Jean-Pierre sont très beaux, en costards et
cravate, les deux filles assurent bien mais lorsqu'ils reviennent ils
sont déçus. Cardin n'a pas eu le temps de leur parler, occupé qu'il
était à recevoir chaleureusement de très franches félicitations.
Ils ont bien mangé malgré tout, les chiens ! Ils n'ont pas pu parler
d'affaires mais Cardin les a conviés le lendemain soir pour la cérémonie
d'ouverture dédiée cette fois aux gros hommes d'affaires et aux diplomates
de la ville. Cette fois, j'y vais. Je ne m'y plais pas mais j'arrive
à prendre quelques photos marrantes comme le grand reporter de Paris
Match obligé, pour être aimable, de prendre un couple de petits vieux
avec un minuscule instamatique de quatre sous. En général ce genre
d'ambiance où la prunelle de chacun reste froide malgré les sourires
radieux m'horripile rapidement. Je rentre.
Mes potes me rejoignent
un peu plus tard, fumasses, eh oui, ils n'ont toujours pas pu parler
à Cardin. Il leur faudra réintégrer leurs jolis atours une fois encore
demain soir. C'est plus des vacances ! Cette troisième et dernière
soirée d'inauguration est cette fois dédiée, c'est la moindre des
choses me dis-je, aux officiels chinois. Mon flash s'en donne à coeur
joie. Ils sont venus en habits Mao ! Avec la casquette et l'étoile
rouge ! Sur fond de Toulouse-Lautrec ! Assis devant des petits cendriers
en porcelaine de Limoges ! Ah que c'est beau ! Ils boivent du champagne
dans des flûtes ou du cognac dans de larges verres comme n'importe
quel notaire du 16e arrondissement. Je jubile. C'est vrai qu'il est
marrant le plan Cardin. Il manque pas d'espace ce type-là ! Mes amis
ont disparu, Cardini aussi. Ils doivent être ensemble finalement. Marrant
ça qu'Cardin s'sente moins occupé quand c'est la soirée des Chinois...
Bon, je les retrouverai à l'hôtel. Ils arrivent une heure après,
la mine longue et défaite. Ben quoi, qu'est-ce qui vous arrive ?
-"Pff, c'est tombé
à l'eau! Cardin prétend que l'gouvernement chinois ne veut pas le
laisser employer davantage de personnel français. Ils ne donneront
pas les visas d'travail. Il faut qu'il emploie des Chinois, ce qui l'fait
bien chier apparemment."
-"Merde! Dur dis-donc
!"
-"Boh, on est en voyage
de toute façon, pis c'était pas banal comme aventure, pis on a pas
tout perdu, on est tous invités à dîner demain soir. Cardin s'en
va après-demain et il veut régaler tout son personnel avant son départ."
-"Chouette ! On va
bouffer chez Maxim ! Ça va m'changer du riz frit et du canard laqué
spongieux !"
-"Pff, tu parles,
moi j'marche au Mars et au yaourt depuis une semaine !"
-"Ouais, ras le bol
du riz au sable!"
Nous avons droit à l'apéritif,
tout le monde est très jovial ce soir-là dans la salle du bar. Cardin,
un peu éméché, nous présente le directeur de la succursale pékinoise
de Maxim, un bourguignon au nez pivoine, j'aperçois le sommelier qui
roule une pelle à un cuistot derrière un pilier en "acajou",
on rigole et on passe à table. Hmmm, c'est pas mauvais chez Maxim dis-donc
! Le pain est frais comme la rosée mais en moins humide, les entrées,
les viandes, les petits légumes et les pommes-four succulent à qui
mieux mieux et le pinard est tout à fait à la hauteur. Les bouteilles
dégringolent dare-dare d'ailleurs et le directeur bourguignon n'y est
pas pour rien. Ses blagues tournent au pesant, son timbre s'élève,
son nez luit dans la lumière jaune, je commence à l'observer avec
intérêt et alors qu'il vient de sortir une boutade relevée sur la
sexualité des Chinois mâles, je balance:
-"Oui hein, heureusement
qu'Cardin est là pour les aider à grandir ! C'est quand même pas
croyable qu'il ait réussi à ouvrir Maxim ici, quel culot!"
-"Hein, Cardin ? Du
culot ? Qu'est-ce qu'il a pu t'raconter encore ?"
-"Ben il m'a dit que
j'tenais un scoop et qu'il avait réussi à installer le symbole du
capitalisme culinaire en Chine communiste."
Il se fend la pêche.
-"Qu'est-ce qui vous
fait rire ? C'est pas comme ça qu'les choses se sont passées ?"
-"Ah non, ça, c'est
pas comme ça qu'les choses se sont passées ! Cardin a été forcé
d'ouvrir cette connerie. Il sait bien qu'ça peut pas marcher ici mais
il pouvait pas faire autrement."
-"Comment ça ?"
-"Tout est en toc
ici t'as pas remarqué ? On a mis une semaine à tout installer et ça
prend trois jours pour tout remballer. Tu comprends, Cardin a onze usines
de confection en Chine. Les ouvriers, ils les payent même pas. Il paye
le gouvernement qui, lui, paye les ouvriers. Alors quand le parti a
décrété qu'il fallait s'ouvrir au commerce extérieur, ils se sont
dit merde, on a même pas d'restaurant d'affaires. C'est là qu'ils
ont téléphoné à Cardin à propos de son Maxim tout neuf. Ils se
rendent même pas compte que Maxim n'a rien d'un restau d'affaires.
C'est trop cher, ça va être un flop abominable mais Cardin ne pouvait
pas refuser alors tout ce qu'il espère, c'est qu'en montant un Mini-Maxim
en-dessous il arrivera à limiter les dégâts mais c'est pas encore
prouvé."
Ben finalement je l'ai
mon article, me dis-je en rentrant au Beijing Hotel, avec des photos
sympas en plus... Arrivé dans la suite, je prends un bloc et je commence
à rédiger mon papier. Je n'ai pas le temps de le terminer mais Philippe
et Jean-Pierre doivent passer par Hong Kong après deux semaines de
déambulations chinoises. Brigitte et moi reprenons bientôt le train
pour Canton. Cette fois nous refusons de quitter le wagon-restaurant
si ce n'est pas pour rejoindre nos couchettes réservées. Le restaurant
se vide, le personnel essaie de nous flanquer dehors mais nous nous
installons sur les tables avec nos sacs de couchage alors ils craquent
et deux minutes plus tard nous sommes sur nos couchettes.
Quinze jours plus tard,
à Hong Kong, je remets l'article et les photos à Philippe qui rentre
sur Paris dans pas longtemps. Il a bien essayé de contacter Libé d'abord
mais ils lui ont dit que le sujet n'était pas tellement publiable dans
un journal de gauche. Il a demandé pourquoi. Il paraît que c'était
pas convenable comme histoire, que ça allait choquer les lecteurs,
déplaire à l'ambassade de Chine. Enfin quoi, Pékin, réclamer un
restaurant Maxim ? C'est le monde à l'envers! Philippe m'appelle et
me demande ce qu'il doit faire. Ben va voir les journaux de droite,
va voir le Figaro, du moment qu'c'est pas Minute je m'en fous.
Il y est allé, il a vu
les gens du Figaro et ils ont lu mon papier mais pas question de le
publier non plus. Mêmes raisons, ça n'entre pas dans le champ d'intérêt
des lecteurs, enfin quoi, le parti communiste chinois serait capable
d'obliger l'un de nos capitalistes les plus respectés, un homme qui
connaît le succès, un couturier, un homme de goût, homosexuel de
surcroît, à trahir notre belle identité nationale en déposant traîtreusement
aux pieds de la racaille rouge le plus beau, le plus réputé fleuron
de nos loisirs culinaires, un symbole du luxe et de la richesse hexagonale:
le restaurant Maxim !? Jamais Monsieur, jamais ! Pourquoi pas la Tour
d'Argent aussi pendant que vous y êtes !? Sortez faquin ! L'article
n'a jamais été publié. Le reporter de Paris-Match a réussi à faire
passer le sien dans la rubrique mondaine je crois mais c'est moi qui
avais les photos les plus chouettes.
C'est comme ça que j'ai
compris que le journalisme ne tracerait pas le chemin de ma liberté.
D'un seul coup j'ai pris ce métier en horreur puisqu'il semblait impliquer
une certaine prostitution de l'écriture, en tout cas en France. Désormais
je n'écrirai plus que pour Fluide Glacial ou Hara Kiri... s'ils veulent
bien de moi.
Nish
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