Le 1er juin...
A l'âge de treize ans,
mes parents ayant été avertis du complot par la télévision m'ont
immédiatement mis en garde contre l'existence de malfrats offrant des
cigarettes truquées aux jeunes enfants innocents à la sortie des écoles.
-"Avec des pétards
dedans?" demandais-je benoîtement.
-"Non, mon fils, bien
pire que des pétards, ils mettent de la drogue dedans et après t'es
obligé de prendre de la drogue tout l'temps en leur en achetant très
cher jusqu'à c'que tu deviennes pauvre et tout maigre et que t'en meures!"
Et de me promptement munir
d'un chef-d'oeuvre de la littérature des années 70 intitulé: "L'herbe
bleue".
C'était un roman censé
décrire de manière "réelle" les affres d'une adolescente
délurée sombrant tristement, malgré un avenir prometteur, dans les
griffes pointues et les dents acérées du démon de la drogue d'abord
douce puis de plus en plus dure. Mais le bouquin avait dû être écrit
par une vieille baudruche parce que tous les clichés s'y trouvaient.
La forte en math qui s'débauche
petit à petit après qu'on lui ait mis un acide dans son verre lors
d'une partie d'anniversaire, le rock avec "White Rabbit" de
Jefferson Airplane que la gosse était supposée écouter sans cesse,
les hippies, les jeans patte d'ef, les voyages, bref la zone. Elle finit
par crever d'overdose pour faire pleurer les mémères mais moi, tout
seul dans ma petite chambre meublée Louis XV d' un pavillon en bordure
du Mans, j'ai trouvé ça génial, les clichés de la vieille baudruche.
Putain ! Courir les rues,
passer ses nuits à écouter du rock avec des potes en fumant des pétards,
partir en voyage dans un mini-bus VW repeint par Merlin l'Enchanteur,
dire merde aux parents et s'tirer d'cet ennui humide et grisâtre, yeah
! Trois fois Yeah !
Seulement, à treize ans,
encore affublé des pantalons en tergal qui piquent les jambes et des
polos-polyester collants à col remonté de Pierre Cardin, le cheveu
court et bien peigné, le cartable noir et ciré, tu parles que les
dealers, ils m'évitaient comme la peste. J'avais beau fumer ostensiblement
mes gauloises vertes dans la rue, personne n'est jamais venu m'proposer
quoi que ce soit sinon des tracts gauchistes à la sortie d'mon école.
Quelle déception!
Les années passaient,
j'allais tous les ans en Allemagne dans des familles très cools, et
j'ai appris à jouer du tam-tam dans les rues, à voler dans les magasins,
à me rouler dans la paille avec Greta, à m'baigner tout nu dans la
Baltique, à sortir toute la nuit mais de joint point!
Il a fallu que j'attende
d'avoir 18 ans, bordel de misère, pour que j'aspire ma première bouffée!
Non mais t'imagines ça ?! Écouter les Stones pendant des années sans
comprendre de quoi ils causent ? Le Mans, quel patelin! Et encore, ça
a failli foirer.
A l'époque, je m'habillais
tout en noir, tous les jours, tout l'temps. Tant et si bien qu'à la
fac où je venais d'entrer, la plus nulle de France à l'époque: l'Université
du Maine, personne ne m'adressait la parole. Bon, étant né dans c'bled,
ça ne m'a pas étonné et je n'y prêtais guère attention, occupé
que j'étais à comparer la nullité de l'endroit à mes espérances
de la vie universitaire.
Puis un jour une nana s'approche
de moi, l'air un peu timide. Nathalie, badine, entame la conversation
sur un cours et me demande soudain si je suis en deuil d'un parent proche.
-"Tiens non, pourquoi?"
-"Ben t'es en noir
tout l'temps depuis que j't'ai vu!"
-"Ah oui, tiens, j'avais
jamais pensé que j'étais en deuil" que j'réponds en riant.
Du coup on a été à la
cafette ensemble boire un p'tit noir. Dans la conversation, voilà que
Nathalie mentionne une fête qu'elle vient de faire d'où elle est ressortie
complètement stoned.
-"Hein? Stoned t'as
dit ? Pas bourrée ?" m'exclamai-je aux aguets.
-"Ben oui, on avait
fumé tellement d'pétards, mon copain Thierry qu'il faut que j'te l'fasse
rencontrer, enfin c'est pas mon copain, c'est juste un pote, enfin bref,
il a toujours du shit, j'sais pas comment il fait. Il doit en vendre
aussi un peu."
-"SeigneurJésusMarieJoseph!"
dis-je d'une traite "et tu crois qu'tu pourrais m'en avoir ? Ça
fait des années qu'j'ai envie d'essayer et je n'ai jamais eu l'occasion!"
-"Non ! Arrête !
Tu vas pas me dire qu't'as jamais fumé ? Avec ton look et tes cheveux
!? On dirait qu'tu fumes depuis longtemps! Enfin j'croyais."
-"Ben non, c'est terrible
! Je n'ai jamais rencontré personne qui en avait!"
-"Ah ben j'vais d'mander
à mon pote, j'pourrai peut-être t'en ramener demain."
-"Wow, ça s'rait
génial! Merci!"
Et je repars en gambadant:
"J'vais pouvoir m'droguer-euh! J'vais pouvoir m'droguer-euh!"
Le lendemain, Nathalie
me rejoint dans les couloirs sombres de la faculté d'histoire et me
tend un étui à cigares.
-"Tiens, Thierry il
a dit qu'tu pouvais fumer çui-là à sa santé, cadeau!"
-"Putain merci ! T'es
d'enfer !" et je lui fais un bisou sur la joue (quel con!).
Le soir, habitant encore
pour six mois chez mes parents, je les laisse s'installer pour le rite
télé et je monte me barricader dans ma chambre. L'épagneul gratte
un peu mais je l'envoie paître. Si j'partage pas avec Nathalie, que
j'suis sûr qu'j'ai l'ticket avec, c'est pas pour filer une taffe au
clebs! Dehors!
Je commence par ouvrir
la fenêtre et je fais brûler du papier histoire que ça sente fort.
Mes parents ne s'étonneront pas, je joue souvent à brûler des trucs
hé hé hé.
Ensuite je bourre ma pipe
d'Amsterdamer et je fais de gros nuages parfumés. Enfin, je pose Sticky
Fingers des Stones sur la platine, je m'allonge sur mon lit et je sors
l'étui à cigares de mon slip. Je retire le joint. Bien roulé, bien
lisse, bien conique avec son petit bout d'carton comme filtre. A l'autre
bout, le papier est enroulé sur lui-même comme un bonbon. Yummi!
Je donne un coup d'pouce
à mon Zippo et j'allume. Première taffe, je sais comment on fait,
j'ai tout lu sur le sujet puisque je ne pouvais pas expérimenter moi-même:
"Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée", "Les
Chiens de Bangkok", "L'influence du tétrahydrocannabibol
sur les pingouins d'Antarctique-Sud", "J'étais un opiomane
heureux", suivi de: "Je suis un opiomane désabusé",
"Do it", "Do it again", "Do it more",
"Don't ever stop doing it" et "Do it, le Retour",
"La culture du cannabis sativa chez les Mongols d'Amérique de
l'Ouest en prenant la deuxième porte à gauche", les bouquins
du cerbère Olivenstein de Marmottan et j'en oublie et des plus nuls.
C'est paradoxalement incroyable le nombre de renseignements qu'on obtient
des ouvrages qui se veulent contre la dope.
Bref, je savais fumer un
joint comme un bébé qui vient d'naître sait nager. Petite taffe d'abord
pour juger si c'est pas trop fort à avaler comme ca. Non, tiens ça
passe bien. C'est pas un goût génial mais c'est pas pire qu'une Gitane.
Je reprends une longue bouffée, j'aspire bien à fond, je l'y laisse
jusqu'à l'asphyxie, pfffffff, wow, rien qu'd'avoir gardé la fumée
si longtemps j'en ai des étoiles dans les yeux ! Ça commence pas mal,
me dis-je en souriant.
Deuxième taffe, troisième
taffe, j'engloutis la fumée comme une bouche de métro, je la garde
au fond d'mes poumons comme Y Croûton dans "Asterix en Hispanie"
et le pétard y passe. Wow! J'adore ça! J'ai les jointures des coudes
et des genoux toutes chaudes, je sens à quel point je suis crispé
naturellement et je me décrispe. Mes jambes, sans cesse agitées, se
calment et s'arrêtent de trépider. Mes yeux sont un peu troubles,
humides. Je m'allonge complètement et je ferme les yeux. J'essaie de
me couler dans la musique mais ça tourne trop vite, ça marche trop
bien et je préfère rester en surface. J'ouvre les yeux un instant
et le disque s'arrête sous mon crâne. Je me lève et j'arrête la
musique.
Je me recouche et je ferme
les paupières. Souvent dans mes insomnies, je passais le temps en m'appuyant
fort sur les yeux dans l'obscurité pour voir jaillir des étincelles
et des feux d'artifice. Là je les appelle comme je veux. Ce ne sont
pas des hallucinations du tout, c'est juste le produit de mon imagination,
des couleurs qui tournent, se rapprochent, éclatent, un peu comme ces
économiseurs d'écran VGA qu'on trouve à la pelle maintenant. Mais
surtout je me sens tellement calme et détendu.
De temps en temps pourtant
j'ai un sursaut, est-ce que j'entends toujours la télé en bas ? Ouais
ça va. je replonge. Puis j'entends le chien qui remonte, signe du coucher
imminent de mes vieux. C't'enfoiré d'épagneul, à peine rentré dans
ma piaule, il lève le nez et se met à sniffer dans le vide. Bien !
Rassurant! Moi, j'sens rien pourtant...
Bon, je vais m'coucher
avant qu'ils montent. Aaahhh l'obscurité ! Je n'bouge pas, allongé
sur le dos dans mon lit. Le lendemain matin, je me réveille, ébahi,
dans la même position. Ébahi parce que d'habitude il me faut entre
deux et quatre heures pour trouver le sommeil et que là, je ne me souviens
de rien, j'ai sombré comme ça tout seul. Et je me sens super bien
ce matin, humeur au beau fixe.
Je prends ma 2CV vert-pomme
et je retrouve Nathalie à la fac. Elle fait un peu la gueule quand
elle apprend que j'ai fumé l'joint tout seul mais elle ne m'en veut
pas longtemps quand elle lit sur mon visage le bien-être que j'en ai
ressenti. Quelques jours plus tard j'achetais ma première barrette
de libanais et c'est à peu près à partir de ce moment-là que des
trucs, dans ma vie, ont commencé à être vécus autrement que par
auteur interposé. J'ai essayé pas mal d'autres dopes par curiosité
mais aucune n'a semblé être constructive comme le cannabis. L' opium
est très agréable mais trop addictif. Les champignons, les acides,
l'ecstasy, ça allait quand j'avais vingt ans, c'était bien marrant
et tout mais bon, ça fatigue vite. La coke, ca me rend complètement
parano quelle que soit la qualité, l'héroïne, j'en ai eu besoin une
fois, pendant quinze jours, pour passer un moment moralement intenable
mais sinon, c'est vraiment d'la merde. Sinon, les médicaments comme
le Valium ou les speeds sont à traiter exactement comme le reste des
drogues dures: à ne prendre que lorsqu'il n'y a vraiment rien d'autre
à faire. Je déteste à peu près tout ce qui est alcoolisé à part
le Ricard qui m'colle la chiasse pendant deux jours.
Chacun sa dope hein. Souvent
l'herbe me donne l'impression de regarder le monde de derrière une
cloche de verre, de manière cynique et détachée. Je trouve ça passionnant.
Qu'est-ce que ça change que tu croies ou non en tout ce fatras de crédos,
de principes, de morales et surtout de magouilles en tout genre ? Ne
s'étonner de rien protège des accidents. Relativiser évite de se
prendre trop au sérieux. Lire l'autre te garde de l'idéaliser. Et
puis garde le même regard pour te regarder toi-même, t'en as pour
un moment aussi...
Nish
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