Ride the World in Style

Ride the World in Style
Kawasaki W650

Welcome to my nightmare

Oh moi je ne suis qu'un bouffon Messires !
Un acrobate verbal pour mieux vous faire rire,
Jongleur grammatical et n'étant pas bien né,
Je mendie les regards et fais des pieds de nez.
N'ayant que peu de foi en la nature humaine,
Je traque les fissures de ses allures mondaines.
Je dis les vérités que l'on déteste entendre
Et attire la haine quand je voudrais du tendre.
Mais mon vocabulaire est une bien piètre épée
Et je vous laisse Messieurs l'honneur de batailler.
Nish

samedi 30 janvier 2010

Nish Man - Naissance



Saleté de temps ! Comme d'habitude,
ce matin, la médiocrité de ce patelin ridicule est au rendez-vous
sous la forme d'une brume glacée. C'est le printemps parait-il et ça
l'est sûrement partout ailleurs qu'ici. Mais dans cette ville lamentable,
les arbres sont encore nus, des plaques de verglas couvrent encore le
pont Gambetta sous lequel la Sarthe coule; en fait l'eau, vert sombre,
parait immobile et l'on voudrait que les piliers du pont s'écroulent,
rien que pour créer des éclaboussures, des remous qui briseraient
la monotonie de l'ensemble. Espoir vain; ici, il ne se passe jamais
rien. La bourgade ne sort de son engourdissement que 24 heures par an
et encore, il y en a que ça dérange! Charmante ambiance, style sable
mouvant, où l'on vieillit facilement sans s'en apercevoir...


Une silhouette sombre, déformée
par la grossesse, presse le pas. C'est ma mère. La grossesse, c'est
moi et je suis en pétard. Bon, au moins je n'ai pas froid, seulement
il est sept heures et demie du matin. Je suis secoué comme un prunier
par la démarche alourdie et pressée de ma future mère qui, le cartable
sous le bras, se dépêche vers le collège où ses élèves l'attendent.
Cette saloperie de 4cv n'a pas démarré, une fois de plus, et ça fait
déjà deux bons kilomètres que je rebondis dans ma poche d'eau tiède.
Vous avouerez qu'il y a de quoi rouspéter d'autant que pour l'instant
je me sens assez peu concerné par la conjugaison des verbes au passé
et que j'aurais bien dormi quelques heures de plus. Elle aussi d'ailleurs,
je le sens, n'est pas très contente. Elle a froid, sommeil, et en plus,
depuis plusieurs mois déjà, je la sens soucieuse. Qu'est-ce à dire
? Ma venue n'est-elle pas souhaitée ? Si si, pour ça, c'est en règle.
Tant mieux; j'ai horreur de m'imposer. Non, c'est autre chose, un truc
mystérieux qu'elle appelle argent et qui a l'air de lui manquer. Je
ne sais pas trop de quoi il s'agit... Moi, ça va, j'ai toujours eu
tout ce dont j'avais besoin pour me faire des os en béton, des yeux
en parfait état et jolis en plus. J'ai le nombre de doigts voulus,
le volume réglementaire et j'ai pu choisir ce qui m'a semblé de mieux
comme accessoires parmi les catalogues d'hormones et de gènes qui m'étaient
proposés. Il n'y a que pour les cellules capillaires où j'ai dû prendre
ce qui restait.


Je ne sais pas trop dans quelle
galère je me suis embarqué quand j'ai semé les autres à la nage
et que je leur ai claqué la porte de l'Oeuf à la tête mais pour l'instant
je tiens la forme et j'en ai encore pour un moment à béatement barboter
là-dedans. Le plus gros est fait, il ne reste plus que les fignolages
et je vais pouvoir me reposer en attendant le jour J de la grande tempête.
Pourtant, alors que je pourrais tranquillement profiter des dernières
semaines de néant, ce corps-nid qui m'entoure m'envoie de sales vibrations
qui déjà me font faire connaissance avec un démon griffu qui ne me
quittera plus: le Flip. Mes chers géniteurs se sont prévus un bonheur
légèrement démesuré par rapport à l'état de leur bourse. A la
base de tout, il y a cet écriteau accroché en face de moi à l'entrée
de l'uterus qui dit: "Prière de laisser les lieux dans l'état
où tu l'as trouvé." Bon, j'ai vite compris! Si je suis le premier
à nageotter dans cette bienfaisante pénombre, je ne suis pas le dernier.
Quand j'aurai déguerpi, il y en aura encore deux à venir.


C'est programmé comme ça
et je n'y peux rien. D'ailleurs, puisque je ne peux pas rester éternellement
dans cette mi-conscience confortable - ce qui est regrettable d'ailleurs
car ça m'étonnerait que je retrouve mieux - autant avoir des successeurs
avec lesquels je pourrai reparler du bon vieux temps. De plus, comme
j'aurai au moins un an d'avance sur eux, ça me donnera l'avantage physique
de leur faire mettre la table à ma place. En attendant, par pure gentillesse,
j'évite de flanquer des coups de pied dans tous les os et je respecte
le mot d'ordre. L'endroit est net si ce n'est une légère griffure
commise par le pouce de mon orteil gauche alors que je ne m'étais pas
encore rendu compte que des ongles m'avaient poussé. Rien de grave.


Toujours est-il que cet écriteau
appelant au respect et à l'entretien du nid m'a mis sur la voie, ça
et quelques indices. Ben oui, si ma mère travaille alors qu'elle devrait
être au lit, si mon père rentre à des heures impossibles, si au lieu
de se payer une Aronde neuve mes bons parents s'échinent à tourner
la manivelle d'une 4cv poussive, ce qui d'ailleurs ne sert à rien,
j'en suis, moi et mes successeurs, le coupable involontaire. C'est qu'ils
veulent faire les choses bien, mes parents, tout en fignolage! Les enfants,
ça ne se fait pas sur un coup de tête, c'est pas du gadget! La chose
a pris pour eux l'importance d'une affaire d'état. Faut tout prévoir,
jalonner l'itinéraire de l'enfance pour arriver à l'accomplissement
de l'Adulte Parfait. Leur responsabilité, ils en sont convaincus, pénétrés
et les obstacles ne leur font pas peur. Seulement comme tous les gens
responsables, ils ne croient pas au destin, erreur commune, mais fatale!


Donc, ils ont installé la
base de leur plan. Plus concrètement, ils ont bâti une maison; une
assez grande pour y mettre trois enfants. Ah, super! Un jardin avec
des arbres fruitiers, une grande cuisine, une grande salle à manger,
deux étages, quatre chambres, toilettes à chaque palier, une cave
immense comme le grenier... de quoi rêver! Avec une mère intello et
un père manuello-artiste, que voulez-vous de mieux ? Si un des gosses
se révèle bricoleur, Papa s'occupera de son évolution; si un autre
passe son temps à lire des B.D, Maman l'orientera habilement vers des
lectures plus édifiantes. Bref, voilà le But, le Karma, la Voie et
en attendant, tout le fric économisé, gagné, emprunté est englouti
dans ces quatre murs. On rogne, on jeune, on se passe de meubles, on
économise l'essence, le tabac, les patates, l'encre des stylos, la
lame du rabot, pour construire, ériger, le Nid. Et malgré tout, on
n'y arrive pas; d'où soucis, stress, hypertension, surmenage, nuits
blanches, nervosité et pour finir: l'Accident, l'Imprévu évident,
le coup du sort à coup sûr.


La silhouette sombre et pressée,
la femme enceinte et préoccupée n'a pas vu le léger scintillement
du noir destin posé devant ses pas. Elle avance, rapidement, les yeux
fixés sur l'intérieur caverneux de ses soucis. Et soudain, c'est trop
tard. Le pied ganté de vilaines chaussures dérape sur la plaque de
verglas. La main dérisoire griffe la mousse du parapet. Le macadam,
durci par le froid, cogne le corps alourdi comme une masse démoniaque.
L'adrénaline poussée par les vagues de douleur monte au cerveau et
s'y transforme en panique. Longtemps ma mère, étourdie, raidie par
la peur, la douleur et le froid, n'ose plus bouger. Elle se refuse à
comprendre, à accepter la fêlure qu'elle sent de toute son intuition.
Quelque chose s'est brisé en elle. Pas dans son corps, non, dans sa
vie, dans son destin, dans ses plans. Elle s'observe. Rien de cassé
et pourtant elle sait. Les automobilistes passent, indifférents; "bah,
une chute dans la neige, pensent-ils, l'avait qu'à prendre le trolley."
Quelqu'un enfin se penche et l'aide à se relever. "Qu'elle est
lourde! se dit-il, on dirait qu'elle résiste à mes efforts."
Et c'est la vérité, en ces instants comme lors d'une catastrophe soudaine,
on cherche à arrêter le temps comme si c'était l'ultime moyen de
revenir en arrière pour pouvoir affronter un autre avenir. On cherche
la mort comme refuge à sa peine, l'oubli bienfaisant. On refuse la
vérité de toute son âme, de toutes ses forces. On se blottit dans
ce qui était par peur de ce qui sera.


Et puis tout reprend. Le ronflement
des moteurs, les voix, le bourdonnement de la ville, elle les perçoit
à nouveau. Le froid glace son corps, elle le sent à présent. La vie
continue, elle doit y revenir et l'affronter quelle qu'elle soit. Un
frisson la saisit, elle ne répond pas aux questions, son âme bouillonne
et des éclairs déchirent ses idées. Elle voudrait revenir aux temps
de son enfance, elle se sent seule et vulnérable dans ce corps d'adulte
dont elle ne veut plus. Vite, chasser cette faiblesse et retrouver la
dignité de celle qui s'assume depuis si longtemps, de celle, responsable
d'elle-même et des autres aussi, qui n'a jamais paru faiblir. Pourtant
cette fois elle se sent blessée. Elle retrouve sa face, son rôle,
son costume, mais pas sa certitude! Elle se laisse emmener dans un magasin
où on lui fait boire un p'tit r'montant. Bon, ça va aller maintenant
? Faut point vous en faire, vous avez rien d'cassé, vous tracassez
donc point pour l'petit. L'a l'air déjà ben gras! C'est déjà ben
solide à c't'age-là vous savez. Allez! Bon courage, faut qu'j'me sauve...
Et il part, soulagé de ne pas avoir eu à payer pour les verres. Il
se dit:"qu'ma foi y'a un Bon Dieu, j'porte secours à c'te p'tite
dame et pas cinq minutes après voilà t'y pas qu'on m'offre la goutte
à l'oeil. J'te l'dis, l'monde, dame, il est ben fait, ça...!"
Et sa face rougeaude de paysan sarthois s'éloigne dans la brume, épanouie.


En attendant, le p'tit, il
est un peu sonné. Je me suis pris quelque-chose de dur dans la tempe,
peut-être l'os de la hanche que j'avais toujours considérée comme
une bonne copine pourtant, et puis la poussée d'adrénaline m'a fait
l'effet d'un coup de fouet. Encore un peu jeune pour la dope! Heureusement
le cordon ombilical me filtre un peu d'alcool, et ça me remet d'aplomb.
Je regarde autour de moi de mes gros yeux globuleux. Aie, il y a du
changement dans le décor, des meurtrissures bleuâtres, rougissantes,
là où mes talons, mes genoux et mes coudes ont dû cogner. L'écriteau
est de travers. Nom d'une vertèbre, tout cela ne me dit rien qui vaille!
La température s'élève aussi et j'ai l'impression que les parois
se rapprochent; ça enfle de partout! J'ai un peu peur mais à part
ces changements de décor, tout fonctionne normalement. Par contre,
j'ai de moins en moins envie de sortir d'ici.


Pensez donc, si l'extérieur
qui m'attend est assez violent pour que moi-même, bien protégé, bien
blotti, bien amorti par l'eau chaude qui me baigne, j'en ressente les
répercussions, je préfère de loin en rester à l'indirect! Et pour
la première fois , je prends une décision, oh foetale seulement, qu'on
pourrait traduire par: "J'y suis, j'y reste, même si ce n'est
pas génial de temps en temps." Et sur ce, je boude.


Dehors, c'est plus calme. Je
flotte au gré des cahots du taxi qui ramène ma mère à la maison.
Nous revoilà au lit. J'avais bien dit qu'il ne fallait pas en sortir!
Maintenant c'est l'immobilité la plus totale. Maman a l'air tendue.
Un peu plus tard, je la sens qui se relâche. Des mains ont essayé
de me palper mais je me suis réfugié près de la colonne vertébrale.
J'aurais bien allongé un coup de pied à l'intrus mais l'état de fragilité
de l'environnement m'a retenu. Puis j'ai entendu, assourdi, un bourdonnement
monocorde, un toubib sans doute; la vibration caractéristique qui m'agite
quand Maman parle m'a semble plus aiguë qu'à l'ordinaire. Maintenant
c'est le calme total. Une piqûre sans doute. Bientôt, en différé
ombilical, le tranquillisant agit à son tour sur moi. Je m'enroule
en boule et j'aurais ronflé si la chose était possible.


Quelques heures plus tard je
m'éveille. Tout aurait été oublié si mon horizon n'avait pas été
si accidenté; ça ne s'arrange pas, dirait-on ! Les parois se sont
encore rapprochées et les grosses veinules m'impressionnent. J'approche
doucement la main pour en toucher une et je sens un tressaillement dans
tout l'être de ma mère. Bon, je me place bien au centre de la poche,
attentif à ne rien toucher. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est
un éléphant ni un magasin de porcelaine mais, d'instinct, je sais
qu'il vaudrait mieux ne pas faire le pitre: les conséquences sont trop
incertaines !


Et ça dure comme ça des jours
et des jours. Maman ne bouge quasiment pas. Moi non plus. Je continue
à recevoir tout ce qu'il me faut pour terminer ma croissance mais l'étroitesse
de plus en plus inquiétante du lieu me fait faire connaissance avec
la claustrophobie. Pourtant, rien au monde ne pourra me faire sortir
d'ici. Dans toute ma vie, je n'ai pris qu'une seule décision et je
m'y tiendrai! A tout prix ! Jusqu'à l'autre jour, je ne connaissais
que la béatitude et une vague mauvaise humeur de temps en temps. Maintenant,
je sais que l'extérieur recèle une violence inouïe à laquelle je
ne tiens pas à prendre part. Plutôt crever ! Je regrette déjà ma
course poursuite avec les autres spermatozoïdes. Qu'est-ce qui m'a
pris de prendre part à cette idiotie ? A présent je comprends pourquoi
j'ai gagné. je n'ai pourtant rien d'une anguille ! Les autres, pas
fous, se sont sûrement laissés distancer. Sage politique ! Finir dans
un grand mouchoir à carreaux ! Ils sont peinards ceux-là maintenant
! J'avais bien besoin de me faire remarquer, tiens ! Oui, vraiment,
il y avait de quoi être fier ! Quand je pense que je ricanais d'orgueil
au seuil de l'oeuf ! Tu parles, dés qu'ils m'ont vu disparaître, englouti
pour la vie, qu'est-ce qu'ils ont dû se foutre de moi ! Et se sentir
soulagés ! Alea Ejaculata Est ! Fichue comédie !


Le 5 avril, c'est carrément
le grand flip. J'étais sur le point de m'enrouler chaudement dans mon
placenta, certain de ne pas avoir à affirmer ma décision de ne pas
naître avant encore un bon moment quand, soudain, accompagné d'une
explosion assourdissante, les parois de mon univers qui jusque-là étaient
bien sagement restées immobiles à leur place, se sont mises à m'écraser
littéralement l'une contre l'autre pour rapidement reprendre leur position
initiale. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Au-dessus, Maman
s'agite salement. Ses vibrations passent au suraigu. Je reconnais le
bourdonnement de Papa et je sens bien qu'il flippe même s'il se veut
apaisant. Bientôt voilà le bourdonnement du docteur aussi, plus oppressé
qu'à l'ordinaire. Paf ! Une autre contraction ! Cette fois, je ne me
laisse pas surprendre et j'écarte les coudes pour protéger mon visage.
Une belle petite gueule comme ça, même si elle n'est pas entièrement
au point, ce serait dommage de se la faire aplatir. Une sirène dans
le lointain. L'ambulance. Pas génial comme musique. Jusqu'ici je préfère
le tam tam du coeur de Maman auquel j'ai fini par répondre par le tap
tap du mien. Quelle ambiance là-dedans ! je n'aime pas trop les craquements
des articulations qui font assez sinistre mais les gargouillements épisodiques
chez l'estomac du dessus ou dans les reins voisins me tordent de rire
à chaque fois. Mais cette sirène ! J'en ai froid dans le dos. Pourtant
il me faut bien la supporter au-dessus de ma tête jusqu'à l'hopital.
D'ailleurs j'ai trop à faire pour me défendre contre les contractions
qui se font de plus en plus fréquentes et plus violentes. J'en ai les
coudes et les genoux en compote. Tout est trouble et je n'y vois quasiment
rien. Trop à faire pour avoir peur.


Soudain, la stridence régulière
s'arrête. Mouvements incompréhensibles suivis de claquements rapides
du brancard à roulettes sur le dallage de l'hôpital. Enfin Maman ne
bouge plus. Pour moi, c'est diffèrent. Les parois me cognent sans arrêt.
je suis balloté dans tous les sens. J'enserre ma tête dans mes bras
car les coups se font très durs à présent et je n'ai pas la force
d'y résister. Tout à coup je comprends ce qui m'arrive. Ma naissance
est imminente ! Non, non et non ! Un claquement effarant, tonitruant,
semblable à une gigantesque ventouse qu'on arracherait d'un coup sec
me fait soudain trembler des pieds à la tête. Au même instant, je
me sens irrésistiblement attiré vers le bas. Non ! J'ai dit non, quoiqu'il
arrive, je reste ! Un gouffre s'ouvre devant moi à l'entrée. Je m'arquebouque
des coudes et des genoux, le nez collé contre l'écriteau. Contre mon
dos, un torrent d'eau me pousse violemment et m'entraîne presque. Les
contractions m'aplatissent et rendent mes prises incertaines. Et en
plus ça glisse ! Heureusement, bientôt la poussée de l'eau s'affaiblit
et cesse. Mon coeur bat à toute allure. Entre deux contractions, je
m'efforce vite fait de reprendre ma place et j'y parviens à peu près.
Mais je ne retrouve plus mon confort habituel. Je ne flotte plus ! Mon
corps me parait terriblement lourd. A chaque contraction, les parois
de mon nid me giflent cruellement. Le bruit est assourdissant, éclatements
et claquements en tout genre. De plus, peu à peu, une sourde douleur
oppresse ma poitrine. Quelle galère ! Jamais je n'aurais cru qu'il
était si difficile de ne pas naître ! J'avais cru pouvoir dire non,
simplement, et rester ad vitam eternam dans mon cocon d'eau douce. A
présent, plus d'eau, plus de confort, et je ne suis même pas vraiment
terminé. Une évidence me fouette l'esprit:"Mon bébé adoré,
me dis-je, soit tu nais, soit tu meurs !" Très vite deux idées
me font choisir. "D'abord, tu t'es fait avoir avec cette nage à
l'oeuf. Toutes les baffes que tu te ramasses viennent de cette erreur
monumentale. D'autre part, tu peux être sûr que si tu acceptes de
naître, les petites gifles que tu reçois en ce moment ne seront rien
à côté des bourre-pifs que tu vas devoir te manger. C'est une question
d'échelle. D'ailleurs si tu acceptais de naître, où irais-tu ? Qu'est-ce
que tu y feras sur terre hein ? Tu t'y sens une place en particulier
? Un rôle à jouer ? Y seras-tu en paix, y vivras-tu éternellement
? Non. Alors, à quoi bon naître ? Pourquoi affronter tous les ennuis
possibles et imaginables si en fin de compte tu dois mourir, peut-être
de manière fort désagréable, sans que cela modifie quoique ce soit
ou change qui que ce soit ? Vaudrait mieux mourir avant de naître,
c'est peut-être pénible mais que de problèmes, de batailles, de souffrances
et de désillusions tu t'épargnes ! A la limite, tu meurs beaucoup
moins maintenant qu'après une longue vie humaine."


Le bon sens de ces réflexions
me frappe, je ne me croyais pas si sage, si jeune. Le monde, tant pis
pour lui, ne saura jamais à côté de quel esprit il est passé...
En tout cas, voilà une bonne chose de faite, me voici déterminé à
rester où je suis. Je n'ai plus assez de place pour faire un bras d'honneur
aux infirmières, aux toubibs et aux nurses qui s'échinent autour de
Maman, alors je dessine sur mes lèvres translucides un petit sourire
narquois propre à les intriguer lorsqu'il me découvriront mort. Je
ne le conserve pas très longtemps. Une douleur atroce, un sentiment
indescriptible de déchirure intérieure élargît mes mâchoires d'un
hurlement silencieux. Mes poumons viennent de s'épanouir et mon premier
cri de nouveau-né vient de se perdre dans le vide.


A présent tout va très vite;
ici, pas d'oxygène ! Ma poitrine aspire goulûment et ne reçoit rien.
J'asphyxie. Mon sang tambourine mes tempes. Un carcan insupportable
enserre mon cerveau. Mon corps se convulse. Mes yeux se révulsent.
Une pensée apaise la panique qui monte: Ce n'est rien, juste la mort.
Alors, je laisse mon corps s'agiter puisqu'il ne fait qu'accomplir mon
agonie. Mais tout à coup, l'horreur, l'air, la vie, viennent de pénétrer
dans mon cocon, dans mes poumons, dans mon refus. La fine lame d'un
scalpel entame d'un effleurement la cloison de chair de mon emmurement
volontaire. L'évidence est là, je ne suis déjà plus maître de mes
décisions; l'oeuf était ma dernière chance de fuir et naïvement,
je me suis laissé prendre. On m'oblige à vivre à coups de couteau
! C'est l'engrenage déjà, quelqu'un s'est arrogé le droit de décider
pour moi. Sa main en caoutchouc plonge vers mon visage et je n'ai même
pas encore de dents pour mordre, je n'y peux rien, je suis vaincu. Lorsque
ses doigts me touchent, je comprends que tout est terminé. Je tente
de communiquer ma détresse par une affreuse grimace mais tout le monde
s'en fout. Ça y est, je vis.


Nish





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