Les bonnes
rillettes sarthoises...
Je viens du Mans (72),
ville réputée non seulement pour ses passionnantes courses de voitures
mais aussi pour ses spécialités culinaires raffinées comme, par exemple,
les rillettes sarthoises. Un été qu'une maîtresse allemande m'avait
laissé tomber, m'ôtant du coup toute chance d'aller jouer les DJ dans
une boîte de nuit de Kiel, j'ai dû me rabattre sur ce qui restait
des jobs d'été, en l'occurence faire des rillettes à l'usine Bordeaux-Chesnel.
Déjà, commencer à 5
heures du matin à trente bornes de chez moi, c'était pas trop l'pied
m'enfin bon, il fallait absolument que je répare mon 103 Peugeot fraîchement
endommagé lors d'une course-poursuite effrénée dans le centre-ville
qui s'était terminée sous l'attache de caravane d'une grosse berline.
On m'a donc affublé de bottes en caoutchouc, d'un bonnet blanc style
apprenti-boucher, d'une blouse en plastoque et zou, aux grands fourneaux
!
Je n'y fis pas long feu.
Imaginez une immense salle avec quatre rangées de 50 marmites. C'était
là que j'étais censé passer l'été. Aller dans la salle réfrigérée,
se coltiner des bacs de saindoux et de bidoche, enfoncer les mains dans
la graisse figée pour décoller les bouts qui ne veulent pas se détacher,
balancer tout ça dans chaque marmite, ne pas s'apercevoir qu'un connard
vient d'ouvrir tous les robinets de gaz à la fois, se prendre une grande
flamme dans les guibolles en guise de signal qu'il faut s'emparer de
la pelle à charbon et commencer à touiller jusqu'au fond le mélange
lourd, infâme et fondant. J'sais pas si elles étaient bonnes mes rillettes
mais j'y ai mélangé pas mal de gouttes de sueur. Mais le pire, c'est
de nettoyer les marmites encore brûlantes après pour pouvoir plus
vite refaire une autre tournée. Bref à la fin de la journée, j'étais
sur les genoux. Je passe donc voir le chef de service et j'arrive à
me faire changer de service.
Cette fois, je serai à
la triperie, là où les patrons casent tous ceux qui se sont déglingués
à bosser pour eux contre le SMIG. Tassement de la colonne vertébrale,
oeil crevé, doigt coupé, ivrogne, c'était la zone de l'usine. Ils
ont été contents de voir un p'tit jeune de l'école arriver. Je m'en
suis nettoyé des kilomètres d'intestins de porcs ! Ah que ça puait
! Pis fallait pas laisser d'trous hein, que l'sang du boudin passerait
à travers !
Je me vengeais en dessinant
des grosses bites avec des bouts d'légumes sur les plats préparés
et mes collègues étaient déjà si nazes à 11 heures du matin qu'ils
n'y voyaient que du feu. Des durs c'étaient ces gens-là. Quatre litrons
de rouge par personne sans parler du pichet du déjeuner à la cantine.
Ça mangeait l'boudin sur l'pouce à 6 heures du matin et ça aimait
ça !
C'est pratique le porc,
tout s'mange. Même la tête. Même les yeux. Et qui c'est qu'on avait
préposé à l'extraction des yeux de porc ? Bingo ! Les moitiés de
têtes sortaient toutes bouillantes des cuves de cuissons et moi, avec
mon gant en caoutchouc, je te leur enfonçais trois doigts dans l'orbite,
je t'arrachais l'oeil d'un coup sec slackk, mais attends, gerbe pas
tout d'suite, car tout ne se mange pas dans l'oeil porcin, la pupille
est trop dure, trop cartilagineuse, il faut l'ôter. Pour ça c'est
assez simple, il suffit de fermer le poing en ayant soin de pointer
la pupille vers le haut et on presse fort. Splingg, la pupille saute
en l'air! On peut même s'en servir comme projectile, c'est hilarant...
Je faisais donc des tas
d'yeux tous les jours après mon lavage d'intestins. Après j'nettoyais
les cuves chaudes. Ah et puis je débarrassais les ossements aussi.
Ils avaient une grande benne dans une autre salle pleine de mouches
où ils jetaient les restes. Ça s'décomposait là-d'dans pendant un
bon mois avant qu'elle soit pleine alors il fallait que j'emploie tous
mes dons de plongeur d'os troubles pour arriver à entrer, vider ma
poubelle et ressortir sans respirer. Ben même comme ça, l'odeur restait
accrochée j'sais pas comment et il fallait une bonne heure pour arriver
à ne plus la sentir.
Un jour mes collègues,
sentant que j'm'habituais, m'ont envoyé aider dans un autre service.
J'aime le changement et là, promotion, on m'a confié la responsabilité
d'une machine. Une laveuse de têtes. Mignon comme tout, avec des brosses
tourniqueuses un peu partout et des petits jets à pression multiple.
A côté d'moi, il y avait une autre machine, un gigantesque hâchoir
à moteur pour couper les têtes de porc en deux. Mon travail consistait
à attraper une des têtes fraîchement coupées, encore chaudes et
amassées derrière moi dans un chariot et de la nettoyer aussi bien
qu'possible avant de la balancer sur le comptoir voisin à mon collègue
pour qu'il se la tranchât.
Moi, perfectionniste, je
prenais mon temps avec chaque tête, j'leur lavais les oreilles, le
groin, le coin des yeux, bref je leur redonnais forme humai... euh porcine.
Ils étaient tout roses quand j'les passais, avec regret, à mon voisin.
Bon, ça lui plaisait pas mes simagrées, il gueulait qu'j'allais pas
assez vite alors en bon ouvrier consciencieux j'en ai mis un coup comme
ils disent. Ah fallait voir ça, ça défilait, finis les Coton-tige,
tant pis pour les cervicales sanguignolentes et les crottes de groin,
zoum, je lui balançais les décapitées à vitesse grand V. L'autre
grand trancheur, il était tellement con que ça lui a pas plu d'être
obligé d'arrêter d'gueuler pour travailler alors il s'est mis à trancher
à vitesse supersonique.
A ce moment-là je m'suis
emparé d'une tête de cochon pas très catholique. Pas de doute, il
avait la joue enflée çui-là. Mais alors quand je dis enflée, ça
lui remontait jusqu'à l'oreille! L'infection balaise! On lui voyait
l'reflet d'la fenêtre dans la joue! Il devait pas souvent s'laver les
dents çui-là! Bref je n'dis rien, je brosse la bosse comme si de rien
n'était et zoum, je la balance sur le comptoir du coupeur de têtes
en deux. Lui, parti dans un délire de 24-heures de l'équarissage,
ne remarque rien, coince l'enflée sous l'couperet et schlackkk, la
lame tombe.
Ça a éclaté, que dis-je,
explosé en une grande jaillissure malodorante ! Du pus partout mais
surtout plein sa gueule! Ça lui dégoulinait sur le front, sur les
joues que si j'l'avais pas tant détesté ce con-là, j'en aurai vomi
sur ses bottes. Aaaah tiens j'en rigole encore!
J'y suis pas reste longtemps
chez Bordeaux-chose, ils ont tenu quinze jours et ils m'ont viré. Mais
j'aurais dû les poursuivre pour blessure mentale parce qu'il m'a bien
fallu cinq ans pour recommencer à bouffer des rillettes et que donc,
c'est à c'moment-là qu'j'ai arrêté d'grandir!
Nish
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