Ride the World in Style

Ride the World in Style
Kawasaki W650

Welcome to my nightmare

Oh moi je ne suis qu'un bouffon Messires !
Un acrobate verbal pour mieux vous faire rire,
Jongleur grammatical et n'étant pas bien né,
Je mendie les regards et fais des pieds de nez.
N'ayant que peu de foi en la nature humaine,
Je traque les fissures de ses allures mondaines.
Je dis les vérités que l'on déteste entendre
Et attire la haine quand je voudrais du tendre.
Mais mon vocabulaire est une bien piètre épée
Et je vous laisse Messieurs l'honneur de batailler.
Nish

samedi 30 janvier 2010

Nish Man - Manali



Manali 


Eddie s’était fait piquer
avec de la fumette par Number One avant même que je sois incarcéré;
c’est pas qu’il était le seul à se défoncer mais Number One avait
une dent contre lui; Eddie ne lui avait pas montré la déférence et
le respect craintif qu’il attendait de tous ses prisonniers.


Number One, comme son nom l’indique,
était le chef des “nagi” ou “nagi dai”, c’est à dire des
matons qui faisaient la loi dans la prison. Ils étaient tous eux-mêmes
prisonniers, et des plus coriaces, des récidivistes, des assassins;
il fallait voir cette bande de laids pillards ! Number One était le
plus affreux de tous. La peau luisant d’une sueur continuelle, le
front bas couvert de cheveux épais, la moustache large et touffue,
l’oeil torve, injecté, il était ivre à longueur de temps. C’est
qu’il avait le droit de sortir des écuries royales, l’affreux jojo,
et il ne se privait pas pour aller lever le coude entre deux traficotages.
C’était un ancien chauffeur d’autobus qui avait causé tout un
tas de victimes un jour qu’il avait foncé ivre dans la foule, comme
quoi son vice n’était pas lié à son crime. Bref, comme il avait
le droit de faire ce qu’il voulait, il avait ordonné une fouille
serrée sur Eddie et ils avaient trouvé un peu de shit qu’il s’était
fait passer grâce à un copain à l’extérieur. Depuis, il fallait
faire attention pour fumer. D’ailleurs on ne fumait plus, c’était
pas la peine, ça se sentait tout de suite et on avait droit à une
fouille de plus parce pratiquement n’importe qui se faisait mouchard
dans l’espoir d’un petit privilège, puisque dénoncer un blanc,
à leurs yeux, avait beaucoup plus de valeur que de moucharder un autre
Népalais. De toute façon on n’avait pratiquement rien. Ce qu’on
arrivait à récupérer, une fois divisé entre nous,car nous partagions
toujours la dope, équivalait à peine à une petite boulette de la
taille de l’ongle du petit doigt. On l’avalait avec une tasse de
thé et on passait la soirée à décompresser, plongés dans nos rêveries
personnelles et préférées. Un vrai nectar !


M’enfin là, on avait tous
des provisions. Plusieurs copains s’étaient dévoués pour nous ravitailler
en friandises et nous étions tranquilles, c’est le cas de le dire,
pour un bon moment. Seulement, il y en avait marre des boulettes à
mâcher, on se serait bien fumé un pétard plutôt par exemple. On
était en début d’après-midi et, comme d’habitude, tout le monde
avait déserté l’intérieur de l’écurie pour profiter des timides
rayons du soleil d’automne qui réchauffaient encore la cour surpeuplée.
Moi, je n’avais pratiquement pas bougé de sous ma couette de toute
la matinée, alternant lecture et rêveries. Une ou deux tasses de thé
et ça allait comme ça. Je bouquinais en laissant les heures s’écouler
sans moi. Tout à coup, Eddie a émergé avec deux sandwichs qu’il
s’était confectionné avec des tranches d’un pain allemand qu’on
lui avait apporté.


-“Tiens, t’en veux un ?
T’as rien mangé depuis ce matin, t’as pas faim ?” demande-t-il
avec un air détaché et un accent germanique.


-“Ben si, maintenant que
tu le dis, j’ai comme un creux, merci, c’est sympa !” dis-je en
prenant le sandwich.


-“Tu bouges pas beaucoup.”


-“Où veux-tu que j’aille
?” dis-je en rigolant “Vaut mieux voyager dans la tête.”


-“Qu’est-ce que tu lis
?”


-“Oh c’est un peu trop
mystique à mon goût mais il y a des bons trucs. C’est les “Lettres
de Bénares”. Je devrais lire autre chose, ça me donne envie de tirer
sur un shilom.”


-“Tu es allé en Inde ?”


-“Oui, deux fois. J’y ai
passé six mois en tout, à me balader tout autour, et toi ?”


-“Oui, je suis passé au
Nord”


-“Tu as été à Manali ?”


-“Non, je suis resté dans
le Rajasthan, Goa et puis le Népal.”


-“Manali, c’est à la pointe
de l’Himalaya, au nord-est du Rajasthan. C’est une bourgade de légende,
on t’en parle partout quand tu voyages. Il y a encore de vieux babas
qui y habitent. Ils font du shit et quand l’hiver arrive, ils descendent
à Goa. Chaque fois, à Noël, les plages de Calangute, Anjuna et Colva
s’emplissent d’une foule de vieux hippies et d’une zone internationale
de défoncés pas possible. Ils font des fêtes craignos et il arrive
souvent qu’il y ait des morts. Une année, c’est un grand malabar
suisse qui s’est mal barré dans ses acides , il a fait un mauvais
trip et il s’est mis à attaquer les bungalows et leurs occupants
à coups de hache. Deux morts ! M’enfin, ça fait de la clientèle
pour les vieux babas de Manali. Faut dire, je les comprends ces mecs,
de rester là-bas. Je les envie presque s’ils ont vraiment trouvé
la paix des cimes. J’aime bien la montagne, j’adore ça même, mais
il y a toujours la putain de vallée qui m’appelle moi, je ne sais
même pas pourquoi. Pour aller à Manali, tu dois voyager en bus, très
très lentement, pendant des heures au bord d’un précipice vraiment
à pic et vraiment tout au bord de la route mais quand tu arrives là-bas,
c’est la montagne dans tout ce qu’elle a de plus magique. D’abord
tu es au bord des cimes couvertes de neige mais comme c’est encore
assez bas, il y a des sapins partout et le sol est couvert d’une sorte
de mousse si dense et si verte qu’on a envie de se transformer en
nain de pelouse. Mais surtout il y a des pieds de marijuana qui poussent
dans tous les coins, comme de la mauvaise herbe. SinWah et moi, on est
arrivés là-bas, l’année dernière en plein hiver; il s’est mis
à neiger le lendemain de notre arrivée et il y avait encore des pieds
debout, bien vivants sous les flocons ! C’était génial d’ailleurs
parce que c’était la première fois que SinWah voyait de la neige.
Eh oui, tu comprends, à Hongkong, il ne fait jamais assez froid. Et
là, on se lève le matin, on s’extrait difficilement de l’amoncellement
de couvertures, ponchos et pull-overs dont nous sommes recouverts vu
la température et tout à coup je vois SinWah qui s’anime, elle court
à la fenêtre, elle enfile ses chaussures au galop et elle sort du
chalet en claquant la porte. Moi, je n’avais encore rien remarqué,
je vais sur le balcon vitré de notre chambre et je l’aperçois en
bas, accroupie, en train d’écraser de la neige dans ses mains. Elle
était jolie comme tout quand elle s’est retournée vers moi, un grand
sourire dans les yeux, en tendant sa première boule de neige vers moi.
Elle avait les joues toutes rouges et le regard brillant et elle me
regardait comme si c’était moi qui lui avait offert tout ça.


On est resté une bonne semaine
à Manali. On gelait littéralement sur place mais on a fumé un shit
mon vieux, fallait voir ! Une fois, on a marché pendant toute la journée
dans la montagne avec un guide. On passait par des torrents à sec en
essayant de ne pas se planter sur les galets mais on avait beau marcher
et souffler comme des phoques, on ne se réchauffait pas. On a doublé
d’autres grimpeurs sur des sentiers couverts de neige et souvent,
c’était des vieilles femmes, toutes petites, brunies et ridées par
le soleil, et ces ancêtres étaient encore capables de trimballer un
tronçon d’arbre d’un bon mètre de long sur leur front ! Une simple
sangle à la base du tronc leur suffisait; elles posaient l’autre
bout de la sangle sur la racine de leurs cheveux et han, un coup de
reins en avant et en route ! Je n’aurais pas fait trois mètres comme
ça ! Plus tard on a traversé des villages collés à la montagne et
je me demandais bien de quoi ces gens-là pouvaient subsister. Leurs
maisons en bois étaient bâties sur pilotis et ils gardaient leurs
bêtes sous la maison. Ça les réchauffait toujours un peu. Les prunelles
noires des enfants et des femmes aux cheveux couverts d’un foulard
brillaient dans ces visages sombres et burinés de montagnards et nous
scrutaient des pieds à la tête avec une curiosité intense et naturelle. 
Lorsque le guide avait fini d’expliquer qui nous étions, on nous
faisait asseoir et on nous proposait du thé... au choix, avec ou sans
beurre de yack. On est loin du Lipton, il n’y a pas de sucre et les
feuilles de thé sont épaisses et fumées ce qui donne un breuvage
pour le moins champêtre mais c’est chaud, c’est toujours bon à
prendre; avec du beurre de yack, il vaut encore mieux geler raide tellement
c’est infect.  On a fini par acheter quatre ou cinq tholas (40
ou 50 grammes) de hasch dans un village perdu avant de redescendre ou
de glisser, c’est selon, vers la vallée. Il était tellement bon,
ce shit, que j’en ai envoyé un peu à mon ancienne copine et à un
bon pote, bien écrasé au rouleau, entre deux cartes postales…


Il faisait un froid de canard,
on avait les pieds, les mains, les oreilles et le nez gelés mais au
moment où la nuit allait tomber, alors que seulement quelques kilomètres
nous séparaient encore de notre chambre glacée, notre guide a fait
une halte dans un village où coulaient des sources d’eau chaude.
La municipalité avait fait installer des salles de bain si gargantuesques
qu’on aurait dit que tout avait été conçu pour des êtres deux
fois notre taille, pour le yéti peut-être. L’immensité de la salle,
la dimension de la baignoire et jusqu’au jet d’eau qui pulsait par
un gros trou dans le mur, on aurait dit une lance d’incendie, tout
était démesuré ! L’eau sentait le soufre à en dégueuler sur soi
mais elle était chaude, mieux, elle était bouillante ! Je n’en suis
sorti qu’au bord de l’évanouissement.


Comme nous étions en dehors
de la saison touristique, nous étions seuls dans notre hôtel et la
direction nous avait fait la chambre à un prix ridicule. C’était
parfait pour notre budget mais ce n’était pas chauffé. Quand, malgré
nos nombreux shiloms, nous n’en pouvions plus de frissonner assis
sur notre balcon vitré, nous descendions au village pour nous réchauffer
dans les troquets. Nous avions de larges ponchos, comme les autochtones,
et, comme eux, nous pouvions nous servir des braseros posés sur le
sol de l’établissement. On nous en remplissait un de braises et,
alors que nous sirotions notre thé accroupis par terre à la manière
indienne,  nous glissions le brasero entre nos jambes sous les
pans de notre poncho. C’est ce que je connais de plus rapide pour
passer du stade  de cryogénisation à la grosse transpiration.
C’est peut-être aussi pour ça que je suis reparti de Manali avec
un début de pleurésie. On restait là une heure ou deux à discuter
avec les Indiens du coin en fumant la houkha.”


-“Qu’est-ce que c’est,
ce truc-là ?”


-“C’est une pipe à eau
comme un narguilé mais bâtie un peu différemment. Il y a un socle
en métal, en cuivre généralement, qui sert de vase dans lequel tu
mets la flotte. Le goulot a deux trous. Dans le trou latéral, tu enfonces
un tube en bois ou en bambou et dans le trou du haut, tu places un autre
tuyau en bois au sommet duquel tu coinces un large fourneau en terre
cuite peint en noir. Tu vois un peu l’engin ? On dirait une gigantesque
pipe à eau. Tu places un peu de braise au fond du fourneau. Eux, ils
utilisent une braise spéciale et parfumée. Ça donne un goût de caramel
qui couvre même celui du shit mais c’est pas dégueulasse. Si tu
es riche, tu peux carrément jeter des bouts de shit dans le fourneau
et le fumer quasiment pur ou bien, si tu n’as que ça à faire, tu
peux préparer un mega mélange avec un paquet de Drum et une thola
de hasch, de quoi bourrer la pipe et y passer la journée.


On mangeait hyper bien là-bas.
C’est plein de réfugiés tibétains, il y en a tout un campement
en bordure de la ville où ils vivent sous des tentes. Ils n’ont vraiment
pas grand chose pour subsister mais ils te préparent des bouffes royales.
On s’est gavés d’un truc qu’ils appellent des “momo”. C’est
un peu comme les dim sum chinois tu sais, avec un mélange de viande
hachée, d’herbes et d’épices, tout ça roulé dans de la pâte
de riz et frit dans l’huile à grandes poêlées. Ils te les vendent
à la douzaine comme les huîtres !


Ouais, c’était sympa Manali.
On se les est trop caillées mais j’y retournerai. J’aimerais bien
avoir le temps d’y passer un an ou deux, à écrire un bouquin par
exemple, mais j’aimerais au moins y revenir une fois au printemps,
à la fonte des neiges parce que justement, tout ce qui manquait au
tableau, c’était des torrents et des petits ruisseaux. Avec ça,
on doit facilement se prendre pour un Hobbit dans une histoire de Tolkien.”


Je soupire.


-“Ah la la ! Qu’est-ce
que je fumerais bien un joint moi !”


-“Pourquoi, t’as plus rien
à fumer ?” me demande Eddie, l’air étonné.


-“Si mais j’ai la chiasse
en ce moment, j’ai pas envie d’avaler une boulette, alors qu’un
bon pétard, tiens, ça ferait du bien.”


-“Eh bien, fais un pétard
!”


-“Non, ça sent trop fort,
on est jamais tranquille ici, même aux chiottes !”


Eddie me regarde avec cet air
songeur qu’il a chaque fois qu’une idée lui vient; c’est un bricoleur
mon voisin de planche hollandais. Un économe et un bricoleur. Je peux
m’attendre à tout; je le contemple avec espoir.


-“Tu as un tube de comprimés
?” me demande-t-il tout à coup.


-“Gros comment ?”


-“Comme pour les vitamines
C, tu sais ?”


-“Oh oui, j’en ai un comme
ça, j’y mets mes pièces de monnaie.”


-“Tu peux me le donner ?”


-“Tiens. Qu’est-ce que
tu veux en faire ?”


Il se lève pour fouiller entre
les briques qui soutiennent les planches de son lit et il en extirpe
la lame de métal qui planque dans ses ustensiles de cuisine puisqu’il
est interdit de posséder quoique ce soit de tranchant - c’est à
tel point que nous sommes obligés de garder les couvercles des boites
de conserve que nous ouvrons pour avoir de quoi couper notre pain ou
notre saucisson. De la pointe de son couteau improvisé Eddie perce
un trou dans le fond métallique de mon tube puis dans le bouchon en
plastique.


-“Tu fais un joint Pascal
? Gros comme la moitié du tube et avec un filtre en carton assez long.”


-“OK mais je comprends pas
très bien ce que tu vas faire.”


J’arrange ma couette de manière
à ce qu’on ne puisse pas me voir rouler et cinq minutes plus tard,
j’ai confectionné un petit stick bien lisse et bien droit que je
passe à Eddie.


-“Tiens mais si tu le fumes
comme dans un “bhang” avec ton tube, ça va sentir un max,”


-“Ouais, mais regarde, le
pétard, c’est dans le tube qu’on va le fumer, pas hors du tube
!”


Il sort le bouchon pour fixer
le filtre en carton du joint qu’il allume. Puis, rapidement, il enfonce
le pétard à l’intérieur du tube qu’il referme aussitôt. Le joint
se consume dans le tube et juste un peu de filtre en carton dépasse
du bouchon. Eddie me fait signe de regarder; son doigt bouche le trou
à l’autre extrémité du tube. Il le débouche lorsqu’il prend
une taffe et il le rebouche quand il a fini. Aucune fumée, aucune odeur
ne sort du tube. La fumée qu’il aspire, il la garde si longtemps
que lorsqu’il doit vider ses poumons, elle n’existe plus, dissoute,
ça ne sent plus rien, le truc parfait !


-“Génial Eddie ! Alors ça
c’est une invention valable ! On va pouvoir fumer sous la couette
sans rien brûler et sans que personne ne se rende compte de rien !
Ça c’est du confort ! Merci !”


Il me plaît bien ce mec-là.
Il a pas l’air commode comme ça mais il est sympa. Je prends le tube
que je fais disparaître sous mon écharpe en laine; il me suffit de
baisser la tête pour tirer une taffe. Je garde la fumée le temps qu’il
faut et j’ai des étoiles dans les yeux quand je relâche la pression.
L’effet est instantané surtout que j’ai eu la main lourde en roulant.
Je vois d’ailleurs que les yeux d’Eddie se rétrécissent aussi.


-“Ça fait du bien hein !?”


-“Oui, juste ce qu’il fallait
!” dis-je en lui repassant l’oinj. Je me laisse retomber sur mes
oreillers, apaisé.


Je reprends :


“Pour en revenir à Manali,
j’ai eu une drôle d’histoire en partant. L’Inde, je l’avais
toujours connue plutôt tolérante sur la fumette entre les gros délires
de Goa et les vendeurs de dope officiels et gouvernementaux que j’avais
vus à Jaipur lors de mon premier voyage en 1981. J’avais toujours
fumé le shilom ou le pétard ouvertement que ce soit dans les magasins
avec les marchands, dans les restaurants ou dans la rue. Pas de problème.
Je me souviens d’une fois, dans un train, j’avais du m’insérer
sur le porte-bagages avec mon copain Luc tellement il y avait de monde.
Tu ne pouvais plus poser un pied sur le sol tellement c’était bondé.
Au bout d’un moment, mon pote et moi, on s’est dit que le meilleur
moyen de passer le temps et notre inconfort, c’était encore de se
préparer un vieux shilom bien tassé. On sort la boulette, on chauffe
le mélange qu’on verse sur la pierre, dans le fourneau du shilom
en terre qu’un saddhu nous avait offert à Hospet dans le sud, on
entoure le bec avec un bout de tissu et zou, j’allume le phénomène.
Personne ne bronche dans le wagon. Quelques-uns se marrent c’est tout.
Puis Luc remarque un saddhu justement qui nous fait signe. Ah ! Il voudrait
fumer aussi mais comment lui passer le shilom ? On allait pas le lui
lancer quand même !? Non, non, un bras s’est tendu vers nous pour
le prendre et le passer de mains en mains jusqu’à ce que le saddhu
se retrouve la pipe au bec. Puis il nous l’a repassé par le même
chemin sans que ça dérange personne. Te dire si c’était cool comme
ambiance ! Bref, je fumais mon petit stickos avec confiance ce jour-là,
en montant dans le bus avec SinWah. Nous partions plus au nord, vers
le Cachemire. Nous quittions la vallée de Kulu, paradis du haschich,
le coeur lourd, la respiration sifflante mais la conscience en paix
car quoi de plus naturel que de fumer un pétard à Manali ? Bref, le
joint au bec, je pousse les sacs dans les filets et, tirant sur les
deux dernières taffes, je m’installe sur mon siège en remarquant
que mon voisin, de l’autre coté de l’allée, a l’air incommodé
par la fumée. Qu’à cela ne tienne, mon stick est fini de toute façon,
je le balance par la fenêtre.


Mais j’avais dû beaucoup
l’incommoder car ça lui a pas suffit, à l’autre rouspéteur. Il
s’est mis à prendre le monde à témoin, en hindi. Je ne comprenais
pas un mot mais ça n’avait pas l’air gentil. Moi, je me dis que
bon, ça va pas dégénérer pour un peu de fumée, je fais pas attention
et je me concentre sur le paysage qui est franchement époustouflant.
La nuit tombe, le bus arrive à Kulu où il s’arrête pour laisser
les passagers se rafraîchir un peu et pisser beaucoup. Je me dis que
tiens, puisqu’il fait nuit et que la route est longue, j’en profiterais
bien pour somnoler un brin et que ma foi, un de ces petits sticks que
je me suis préparé à hôtel avant de partir m’y aiderait certainement.
Je laisse SinWah garder les bagages et je file dans le parking d’autobus
où nous sommes garés. L’endroit est à peu près désert à part
quelques chauffeurs qui discutent dans un coin. J’allume mon pétard
sans m’inquiéter davantage et cinq minutes plus tard, j’écrase
le carton dans la neige fondue avant de remonter dans mon autocar. Là,
une surprise m’attend. Le râleur de tout à l’heure a semble-t-il
été chercher les flics et il est apparemment parvenu à en émouvoir
au moins trois qui m’attendent de pied ferme près de mon siège en
causant avec SinWah. A peine arrivé, ils me font lever les bras et
commence à me fouiller les poches. J’avais une petite bourse accrochée
à ma ceinture et dedans, il y avait une toute petite boite en cuivre
contenant une minuscule boulette de shit, ce qui me restait d’une
thola. Je me sens un peu flageolant quand le keuf qui m’ausculte s’empare
de la bourse pour la secouer. Mais, miracle, la boulette dans la boite
fait le même bruit qu’une clochette et le flic n’essaye pas d’aller
voir plus loin. Mais restent les sacs. Là, je panique un peu intérieurement
en songeant à la trentaine de grammes qui y est planquée. Un des flics
est particulièrement agressif, il est sûr de son coup. Bon, je sais
bien qu’ici on peut toujours s’en sortir en arrosant les fonctionnaires
mais je n’ai pas la moindre idée de ce que je suis censé leur donner
et puis nous n’avons pas beaucoup d’argent de toute façon. Pas
de précipitation, ils n’ont encore rien trouvé.


Ils ont fouillé le sac de
SinWah, en vain naturellement puis ça a été le tour du mien. Ils
ont tout vidé systématiquement et lorsqu’ils sont tombés sur les
serviettes éponge qui enveloppaient la houkha que nous nous étions
offertes, il aurait fallu pouvoir faire une photo des expressions sur
leurs visages avant et après; ils s’attendaient à la grosse prise,
ils ont été déçus. Visiblement ils avaient perdu espoir, je n’étais
pas le gros trafiquant qu’ils espéraient si bien que lorsque mon
fouilleur est arrivé à la trousse à pharmacie, il s’est vite laissé
décourager à la vue du bordel de pilules et de tubes qu’elle renfermait
et il l’a rezipée bien vite sans la vider. Nous étions sortis d’affaire.
Mes trois tholas se trouvaient au fond. L’agressif, vexé, m’a apostrophé
en me disant que j’avais bien de la chance que leur personnel féminin
soit déjà parti. Autrement dit, il restait convaincu que nous étions
des trafiquants et que c’est SinWah qui avait la dope et il rageait
du règlement qui l’empêchait de fouiller les femmes.


Ils m’ont laissé ranger
mon sac et ils sont redescendus de l’autocar en me lançant des regards
noirs. Le vieux bonhomme, le rouspéteur qui m’avait dénoncé et
que je m’étais mis à regarder songeusement m’a dit d’un ton
rogue :


- “Vous avez eu de la chance
cette fois mais ils seront peut-être un peu moins bêtes au prochain
arrêt à Mandi !”


Incroyable ! Mais qu’est-ce
que je lui avais fait à ce mec ? Je lui demande si c’est son idée
du sens de l’hospitalité ce qu’il me fait là et de fil en aiguille,
je finis par comprendre qu’il en a ras le bol de tous ces hippies
qui viennent prendre de la drogue dans son pays et abîmer sa vallée.
Alors je lui ai raconté la première expérience de SinWah avec les
flocons de neige et la ballade qu’on avait faite dans la montagne,
le bain dans les eaux sulfuriques et lui ai-je avoué, bien que nous
ayons largement profité aussi du hasch local, je n’avais pas le sentiment
d’avoir abîmé quoique ce soit et qu’en fait, la première mauvaise
impression que j’avais eue dans cette région, c’était lui qui
me l’avait donnée. Autour de nous, quelques voyageurs qui écoutaient,
se mirent à hocher la tête d’un air approbateur. Le vieux rond de
cuir à la retraite n’a plus desserré les dents mais à l’étape
suivante, il est sagement resté assis sur sa banquette.


C’est la première fois de
ma vie que je passais si près de l’arrestation et j’ai remercié
ma bonne étoile. Mais peut-être que c’était le signe que tout était
en train de se détraquer parce que regarde ce que j’ai reçu aujourd’hui”
dis-je en tirant une enveloppe des “Lettres de Bénares”.


-“Qu’est-ce que c’est
?” demande Eddie


-“Une lettre de la soeur
de Joseph, le pote à qui j’avais envoyé ce petit bout de shit depuis
Manali.”


-“Et alors ?”


-“Alors, elle me raconte
qu’un jour, son frère et mon ancienne copine ont été convoqués
à la poste et qu’on leur a demandé s’ils me connaissaient. Apparemment
ils ont trouvé le tosh dans mes cartes postales. D’habitude c’est
le genre de plan qui peut pas foirer mais moi, dés le premier coup,
je me fais gauler ! Tiens la copine de Joseph, elle m’en avait envoyé
une de carte surprise aussi, eh bien je l’ai reçue à Hongkong sans
problème, mais avec moi forcément, il faut qu’ça tourne au vinaigre
!”


-“Ils s’en sont bien tirés
?”


-“Oh oui, ils ont prétendu
qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je leur envoyais ça et ils ont
pu rentrer chez  eux peinards. M’enfin ils doivent être contents
du cadeau ! Ce genre de plan, c’est cool quand ça marche mais qu’est-ce
que tu te sens con quand ça rate ! J’ai une putain d’poisse moi
alors en ce moment !


-“Allez, pleurniche pas va
! On s’refait un petit tube de vitamines ?”


-“Ouais tiens, c’est encore
ce qu’il y a de mieux à faire pour se remonter !”





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