Onanisme
Bon, c'est une chose entendue, les
frustrations ne génèrent pas un équilibre idéal, m'enfin, plutôt
que se pencher à en perdre l’équilibre sur les effets des envies
variées qui nous sont offertes dans une société spécialisée dans
leur fabrication, ne devrions-nous pas plutôt en sucer quelque-chose
de plus substantifique ?
J'ai eu l'occasion d’être frustré
moi-même, si si, lors de mon séjour obligé, forcé et contraint,
au sein des geôles équestres (c’étaient d'anciennes écuries) du
monarque népalais. J'y ai demeuré quinze mensualités, c'est dire
si je m’y connais en frustrations !
La clientèle carcérale que j'eus
le bonheur d'observer, était, comme partout je suppose, composée essentiellement
d'hommes dans la force de l’âge, tous célibataires donc.
La frustration sexuelle était palpable
! Un vrai brouillard de marécage dans l’atmosphère !
Ceux à qui la nation monte au front,
pourront toujours accuser les moeurs du tiers-monde pour expliquer l'usage
du petit prostitué de seize ans, les sévices subis par le vendeur
de femmes ou la présence d'une gamine de dix ans et d'une autre de
quatre ans dans le lit du chef-maton (un prisonnier lui-même condamné
à perpétuité). Je ne pense pas que ce soit très joli ni très Fleuri
à Merogis non plus.
Mais même sans s'occuper des égarements
propres aux Himalayens, la différence d’intensité des frustrations
sexuelles caucasiennes valait son pesant d’or aussi.
Nous étions dix blanchâtres en
tout et pour tout, du moins parmi les habitués. De vulgaires trafiquants
de dope qui passaient deux semaines ou trois mois, il y en a eu plein
mais c’était pas des gens sérieux, des désespérés injugés comme
nous autres qui avions commis le délit suprême d'avoir préféré
l'or à l’héroïne. Les trafiquants, le nez pale d'un smack népalais
pas laid, sortaient vite du Népal, à moins qu'ils n'aient pas la somme
demandée; mais ce n’était pas l'pal.
Le manque d'espace représentait
un excellent handicap à la bonne adaptation du nouvel arrivant. Il
était si restreint qu'il était hors de question de dormir allongé
sur le dos, position dite “deluxe”. On choisit pas son coté non
plus, on s’emboîte dans la foule, allongé du même coté que les
autres. C'est à peine s'il ne faut pas attendre que le mec devant vide
ses poumons pour pouvoir respirer !
Bref, le lendemain même de mon arrivée
j'ai pu me rendre compte de certaines conséquences de certaines frustrations
érotico-carcérales. C'est l’Américain derrière moi qui m'a réveillé
en me secouant. Lui dormait encore...
Heureusement que c'est solide les
jeans !
Ce n’était rien, les Américains
sont bien élevés et même lorsqu'il me faisait part de ses fantasmes
(bien hétéros d'ailleurs, on se calme), il n'y avait vraiment pas
de quoi choquer un prêtre. D'ailleurs j'ai pu constater que même en
rêves, il gardait le même rythme et la même position tout le temps...
Lorsqu'à force de ruses et de brailleries,
j'ai enfin pu élargir mon espace morpho-vital, j'avais un Anglais d'un
coté et un Hollandais de l'autre.
Nous faisions bon voisinage. A intervalles
matinaux et réguliers, ces messieurs se soulageaient fort simplement,
une main sous le duvet. Ils gardaient un équilibre mental peinard.
De temps en temps le Hollandais évoquait sa copine avec un soupir mais
jamais, pas plus que l'Anglais, il ne se serait laissé aller à me
raconter des détails croustillants et intimes.
L'Australien, toujours souriant et
prêt à rendre service, se servait, puisqu'il n'y avait pas mieux,
de quelques jeunes dealers népalais qui ne demandaient pas mieux. Aurait-il
été dans la nature avec une brebis pour seule compagne qu'elle aurait
fait l'affaire, j'en suis certain.
Le Suédois était si jeune qu'il
était vierge. Il l'avouait franchement mais ce qui m'intriguait le
plus, c'est qu'il parlait de sexe comme de football. Violemment.
Il semblait très ému par son fantasme
préféré: violer sa première femme.
L'Allemand était impénétrable.
Froid, peu communicatif, il ne participait jamais aux conversations
gauloises. Un Calviniste.
Moi ? Ben j'ai résolu le problème
à ma manière, j'ai acheté un cahier et je me suis écrit une histoire
de cul bien assaisonnée dans le style des "Onze mille verges"
d'Apollinaire en moins sanguinolent quand même. Lorsque mon cerveau
me semblait un peu trop friand de testostérones malgré les endorphines,
j'allais m'isoler un peu mieux que sous un sac de couchage quand même,
avec mon cahier sous le bras. Heureusement pour la concentration d’ailleurs
parce que qu'est-ce que ça puait !
Le Portugais était très barré
mais de temps en temps, il semblait se souvenir qu'il aimait bien les
nanas et pour un bref instant, une lueur de gaudriole étincelait dans
sa cornée mais très vite il replongeait dans ses délires vaudous
mélangés de kung-fu et d’acuponcture.
J'ai gardé le mec de Nouvelle-Zélande
en dernier parce que lui, il faisait fort quand même. Sa frustration,
il en faisait une vision, une religion ! Non content de nous décrire
en détail les maladies vénériennes de ses prouesses pré-carcérales
(et de nous les prouver d'ailleurs par les tonnes de lettres qu’il
recevait de ses copines du Japon, de Corée, de Singapour, de Hong Kong
et de Thaïlande principalement puisque c'est là qu'il travaillait),
il fallait qu'il manifeste sa tension phallique en public. Il avait
encore la lucidité de ne pas se masturber devant tout le monde. Il
est certain que toute la prison serait venue voir mais il lui est arrivé
de se balader en rond dans la cour, le sourire en coin et la bitte dodelinant
devant son short. Ses orgasmes, eux par contre, étaient pratiquement
retransmis dans toute le capitale. Il avait un don certain pour attendre
l'assoupissement des murmures vespéraux et commencer son concert de
gémissements qu'il terminait en général en râle bientôt imité
par tous les râleurs de la chambrée qu'il empêchait de dormir.
Il me faisait mourir de rire ce mec,
du moins tant que j'ai pensé qu'il en faisait exprès pour emmerder
le monde. J'ai commencé à douter le jour où il s’est mis à prendre
l’apéro avec nous. Nous arrivions à nous procurer une sorte
de tonique médicamenteux dont le goût et la teneur en alcool n’était
pas sans rappeler le Porto. Lui trouvait de bon goût de se masturber
dans sa tasse avant de venir trinquer avec nous. Je rigolais moins.
Que les forts en math cessent sitôt
de s'esbaudir ! J'avais promis dix Caucasiens! Nous n'en sommes qu'à
neuf. Soit !
La dixième personne était caucasienne.
Eh oui, de l'autre coté du mur,
il y avait l’écurie - pardon, la prison des femmes où une jolie
Suisse toute blonde et toute bouclée s’était laissée enfermer.
Sa frustration, elle l'exprimait
un peu différemment. D'abord ses cycles menstruels ont cessé. Puis
elle s'est mise à se maquiller, à s'habiller et à se coiffer même
pour aller au magasin de la prison, un boui-boui minuscule pourtant,
sombre et lamentable, et servi par un affreux borgne à croupetons.
Que s'est-il passé quand tout le
monde a été relâché ? Quelle est l'histoire de chacun ? Moi j'ai
attendu trois semaines encore, le temps de faire sortir ma copine. (Ben
quoi j'en ai pas parlé !? Elle n’est pas caucasienne de toute façon
!) Mais je suis un saint, c’est bien connu…
Ah oui, j’avais promis une super-morale
en plus en conclusion !! Pourquoi je m'avance comme ça moi !?
Bon...
Peut-on reprocher quoique ce soit
à l'attitude d'aucun des dix incarcérés face à sa frustration ?
Bien sûr que non, tout est resté
parfaitement compréhensible et dans les limites du tolérable.
L'un d'eux aurait-il tenté de violer
un Nep ou un autre blanc qu’il se serait fait arrêter par les autres
immédiatement.
Ce qui prouve bien qu’il vaut mieux
se faire embastiller dans un pays défavorisé plutôt que dans nos
contrées civilisées et on est en droit de se demander pourquoi.
Serait-ce que quelque-part dans notre
morale judéo-chrétienno-populaire et répandue, le mauvais ne mériterait
même pas le respect dû à l’être vivant ?
Serait-ce l'influence apocalyptique
des menaces sataniques, ou un fond de reste de goût pour l'art de la
lapidation, ou encore un remugle d’arène néronesque où l'on tolère
n'importe quoi dans la fosse ?
Mais surtout, surtout, pourquoi laisser
planer une ombre pareille dans nos sociétés ?
Nish
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