La pelle
de l'inconnue
Ce matin, je marchais peinard
dans l'avenue bondée de Nathan Road, concentré sur mes problèmes
conjugaux, familiaux, pécuniaires, professionnels et existentiels (pour
vous dire si j'étais pris), quand deux chevilles, prisonnières d'une
paire de boots Camel, vinrent se placer dans le viseur de mon regard
perdu. Là, bien centrées, elles forcèrent le focus de mon attention
à passer du flou artistique original et naturel à une définition
d'image aussi précise que l'abus quotidien de fumigènes exotiques
puisse le permettre. La démarche était intéressante, assez lente
elle se balançait en avant avec un enlevé léger en bout de semelle
donnant à toute la silhouette une allure détachée quoique décidée.
Le grain de la peau me
fit d'abord croire à la présence malvenue d'une paire de bas couleur
perle. Il n'en était rien. La douceur élastique et doucement scintillante
qui, de façon rythmique, s'étirait gracieusement et souplement devant
moi était toute naturelle et ne devait sa soyeuse consistance qu'à
la fraîcheur de sa jeune propriétaire. Un pas sur deux, le mollet,
tendrement arrondi, laissait à peine saillir un muscle qu'on sentait
ferme et chaud et qui, remontant vers le genou, s'affinait encore en
une courbe promptement ébauchée.
Ah que c'était charmant!
Hélas, alors que je me
demandais comment entamer la conversation puisqu'elle me tournait le
dos, je butai soudain, et malencontreusement, sur la laisse réglementaire
d'un berger aussi allemand que policier qui, avec cette fulgurance pénible
et caractéristique des canins musclés, s'était faufilé entre moi
et l'objet de mon enjouement visuel, en entraînant son maître, un
grand flic dégingandé qui suait abondamment. Le temps que celui-ci
parvienne à calmer suffisamment son molosse pour qu'il consente à
desserrer les dents et à me lâcher la cuisse, j'avais déjà perdu
mes perles en boots de vue. Me concentrant brièvement quoique mentalement,
je rassemblai alors tout mon "Chi" dans mes pupilles et scannai
à la fois la foule, l'horizon et les fourmillants trottoirs de l'avenue
hongkongaise. Tel Robocop, mon regard quadrilla le paysage de lignes
vertes et soudain, ma neuro-fouine fit clignoter l'un des espaces surveillés.
Un zoom rapide de l'iris, un flash imperceptible de la prunelle et les
mollets nacrés revinrent en focus. Ma réaction fut si prompte que
mes semelles en crissant, laissèrent deux marques noires sur le bitume
du trottoir.
Le temps de l'écrire et
j'étais déjà sur les talons desdits mollets tentateurs où mon regard
allumé put enfin réatterrir.
La sirène nacrée déambulait
toujours du même pas léger dont l'insouciance tranquille et balancée
attisait l'attention des tailleurs indiens qui rameutent les touristes
sur le pas de porte de leurs petites échoppes.
La belle était en short.
Pas un vulgaire short de sport, pas une petite culotte moulante non
plus, non, elle avait enfermé son fessier remarquable et charmant dans
un short des plus exotiques pour la région puisqu'il n'était pas sans
évoquer l'Oktoberfest et sa Bavière. Imaginez-vous ça! Une petite
Asiatique, belle comme la lu ne des Mille et Une Nuits, douce comme
une mangue, menue comme une bouteille de Coke et enveloppée dans ces
culottes de cuir rude, épais et germanique. J'en bavais quasiment tant
le contraste était saisissant d'érotisme pur!
Et bien sûr, c'est exactement
à ce moment-là que je me suis senti saisi, par le cou aussi bien que
par derrière, et le tout par un bras musclé quoique non velu.
Je venais de passer devant
une bijouterie, ce qu'on ne devrait jamais faire sans se méfier et
comme de bien entendu, deux malfrats, chinois sinon populaires, venaient
juste d'en rafler tout l'or, d'en braquer tous les bijoux et de s'en
faire la caisse. Mais ils auraient mieux fait de se faire la caisse
hier, puisqu'à peine sortis, ils durent poser sacs à terre pour pouvoir
sortir leurs revolvers.
Sur le trottoir d'en face,
une bande de keufs, assis, semble-t-il, dans le vide, les bras en avant
comme s'ils allaient plonger, pointent leurs armes de fonctionnaires
dans nos directions. C'est à dire, dans ma direction et dans celle
de la vieille dame que le complice de mon enfoiré d'étrangleur est
également parvenu à prendre en otage. Eux sont planqués derrière
nous, les sales lâches !
J'aimerais bien informer
mon enlaceur du fait qu'un otage mort ne servant pas à grand-chose,
il peut, éventuellement voire graduellement, desserrer son étreinte,
qui, pour touchante qu'elle soit, n'en reste cependant pas moins étouffante.
-"Ng...ng...ng!"
parvins-je à exprimer.
-"Sau sing!"
qu'il me répond grossièrement! "Ta gueule ! Et pis comment tu
sais comment j'm'appelle ?"
Et il desserre le bras
pour que je lui réponde.
Mais moi, avec ma pomme
d'Adam proéminente, qu'est-ce que vous voulez, je me suis mis à tousser.
Du coup, l'autre enfoiré m'a resserré le cou; moi, ca m'a fait qu'empirer
ma toux; tellement fort que par réflexe, en m'agrippant à son biceps,
je l'ai obligé à me desserrer pour pouvoir tousser, mais alors quand
je dis tousser, j'en avais les deux pieds qui décollaient du sol! Ma
toux, c'est dans l'intestin grêle que j'allais la chercher! Tant et
si bien qu'au bout d'un moment je me suis mis à gerber. Eh oui, je
sais, c'est pas très héroïque, m'enfin c'est comme ça. La franchise
est une qualité plus noble que l'héroïsme de toute façon.
Bref, je gerbais et mon
étrangleur gueulait. Faut dire que c'est jamais agréable de sentir
du dégueuli chaud dégouliner sur son bras, j'aurais été à sa place,
j'aurais rouspété tout autant. Ce qui n'est pas banal dans tout ça,
c'est qu'j'avais pas mal abusé du milkshake à la banane, dont je suis
gourmand, à l'heure du déjeuner et que donc l'odeur de mes vomissures
n'était finalement pas si désagréable qu'on aurait pu le penser.
Le problème, c'est qu'à
Hong Kong, les gens sont tous tellement speedés qu'ils flanquent carrément
des bananes toutes entières dans les mixeurs sans même se donner la
peine de les peler. Ça donne une petite odeur de chlorophille amidonnée
aux milkshakes qui n'est pas désagréable.
Enfin pour mon preneur
d'otage, il aurait mieux pas fallu parce qu'entraîné par mes spasmes
de déglutition, il fit un pas, oh un tout petit pas mais ça a suffit,
en avant et il marcha dans mon dégueuli de milkshake à la peau de
banane et s'affala immédiatement sur le dos. Dans la chute, il fit
deux choses:
1. Il me lâcha.
2. Il crispa la gâchette
de son revolver qui, bien huilée, réagit au quart de tour. La balle
alla se loger dans l'orbite gauche de la vieille dame qui était enlacée
dans les bras de l'autre bandit chinois.
Aussitôt, sur le trottoir
d'en face, un vacarme de crépitations m'obligea à me couvrir les oreilles
et à fermer les yeux, entouré que j'étais par les sifflements de
balles.
Quand je les rouvris, intrigué
par le silence soudain, j'étais debout au milieu de trois morts et
tout le monde me regardait.
Sensation bizarre, j'vous
jure, que d'être le seul à bouger dans une rue bondée mais silencieuse,
avec une foule devant soi qui vous regarde sans remuer un cil et sans
même éternuer.
J'sais pas pour vous mais
moi, tout ce que j'ai trouvé à faire, c'est de me retourner et de
dire pardon à mon agresseur vu que j'avais pas eu le temps de le faire
de son vivant et que vraiment, il avait le bras tout dégueulasse.
L'ange est passé et la
foule s'est réveillée, les flics ont rengainé leur artillerie et
se sont avancés en gueulant, les badauds se sont approchés d'un pas
hésitant et se sont faits encadrer en un instant puis les flashes des
photographes ont commencé à crépiter. Pour l'instant c'étaient les
cadavres et les sacs qui occupaient toute l'attention et j'en ai profité
pour m'esquiver, n'ayant guère envie de passer le reste de la journée
à faire des dépositions au poste de police.
Seulement j'ai eu beau
rameuter tout mon "Chi", invoquer Vishnou et léviter en position
du lotus pour avoir une meilleure vue, rien à faire, impossible de
mettre la main sur mes mollets nacrés nulle part.
J'étais tellement désappointé
que j'ai failli réatterrir sur un bus à impériale qui attendait le
feu vert!
Bon, j'allais me faire
raison et profiter d'être dans le quartier pour aller voir chez Tom
Lee Music si ma guimbarde avait été réparée quand je l'ai vue sortir
d'une librairie. Miracle! Et en plus elle savait lire! Je lui ai alors
réemboîté le pas, qu'elle avait, l'ai-je mentionné, chaloupé.
Mon regard fébrile a rapidement
remonté le chemin déjà parcouru avant mes deux mésaventures. Ses
chevilles prisonnières du cuir noir et luisant surgissaient étonnamment
douces et préservées, ce coin tendre et chaud juste au creux de ses
genoux où l'on devinait une légère sueur, ces cuisses d'enfant, fines
mais dures et musclées et ces petites fesses mignonnes sur lesquelles
flottait le cuir rugueux de sa culotte bavaroise.
Je me suis demandé quel
genre de sous-vêtement elle portait... J'espérais qu'elle aimait les
petits slips de coton blanc des écolières japonaises. C'est ceux que
je préfère.
Et cette taille! Mes deux
mains en auraient fait le tour! Je la voyais bien sa taille parce qu'elle
portait un de ces T-shirts trop courts qui laissent voir le nombril.
Je les adore d'ailleurs, ces T-shirts et il y a vraiment toutes sortes
de nombrils, ca doit être comme les empreintes digitales ça, y'a pas
un nombril pareil.
Le creux de ses reins m'inspirait
des caresses légères et pénétrantes quand la paume de ma main m'obligea
à fermer les yeux pour mieux goûter la saveur du grain d'une peau
féminine. La courbe de ses hanches et ses flancs étaient un sentier
que mon regard longeait et refaisait pour un plaisir qui ne me lassait
pas.
Je m'échinais aussi à
déterminer si elle portait un soutif ou pas. Elles en ont toutes ici
mais on ne sait jamais. Je n'arrivais pas à m'en rendre compte à cause
des bretelles de son short et de ses cheveux qu'elle avait longs dans
son dos.
Tiens, Mac Donald... Avait-elle
faim? Ah non, elle s'est dirigée vers le fond de la salle du restaurant.
J'espérais qu'elle n'allait pas retrouver son petit copain!
Enfin, on allait bien voir,
j'irai m'asseoir derrière elle.
Où en étais-je? Ses cheveux!
Hmmm, ils étaient d'une abondance! Lisses, épais mais soyeux et réguliers,
ils formaient une masse attirante où la lumière se reflétait dans
des ombres un peu rousses. Elle a rajusté sa sacoche sur son épaule
et j'ai aperçu ses mains longues et menues que j'imaginais si bien
glisser derrière mon cou. Et lorsqu'elle a poussé cette porte, son
bras fin et bronzé aux muscles longs et bien dessinés m'a transporté
d'émotion, j'aurais voulu l'enlacer et sentir sous ma joue la fraîcheur
de ce bras de jade.
Et c'est à ce moment précis
qu'intriguée sans doute par les visages indignés des mégères présentes
aux robinets, qui tous pointaient, semblait-il, dans sa direction, que
ma douce Chinoise bavaroise, de surprise, se retourna d'un coup sec.
L'univers entier s'effaca
à cet instant! Mon cerveau, trop occupé à concevoir tant de beauté,
ne pouvait simplement pas accepter présentement d'autres informations
du monde vulgaire et extérieur. Son visage était pur, pas un bouton,
pas un furoncle, pas une cicatrice, pas un point noir, pas une ride,
aucun point de beauté, lisse comme une statue de glace, doux comme
une souris Microsoft. J'imaginais poser les lèvres sur le lobe de son
oreille finement ciselée; son nez était petit, mutin et joli, ses
lèvres pulpeuses étaient un peu humides mais c'étaient surtout ses
yeux en amandes qui m'hypnotisaient.
Peut-être portait-elle
des lentilles de contact, sûrement même, mais ses yeux étaient noisettes
au lieu d'être noirs. Fasciné par leur clarté, je ne réalisais même
pas qu'ils étaient écarquillés d'horreur.
-"Lei ho lingaaaa!"
dis-je dans un souffle d'un air soufflé, "Qu'est-ce que vous êtes
belle!"
Et c'est là qu'elle s'est
mise à hurler, bientôt imitée par toutes les autres mémères.
Ça m'a étonné sur le
coup, je l'ai regardée crier sans trop comprendre, puis j'ai baissé
les yeux sur mes vêtements et c'est là que j'ai compris que je n'avais
pas une chance avec elle parce que mon T-shirt était plein de dégueuli
de milk shake à la banane et que mon jean troué était plein de sang
qui avait coulé sur mes Caterpillar couleur daim. Puis j'ai regardé
les gravosses qui gueulaient toujours et qui s'étaient rassemblées
en troupeau au fond de la salle et c'est là que j'ai pigé que j'étais
dans les toilettes pour dames. Ça m'a fait sourire sur le coup mais
pas longtemps car quelque chose m'a soudain frappé violemment derrière
la nuque et je perdis conscience, sans pour autant, dans ma chute, pouvoir
détourner le regard de ma jolie poursuivie.
Quand je me suis réveillé,
il y avait plein de flics autour de moi. Ils m'avaient mis sur un banc
en plastique mauve clair et ça m'a encore donné envie de gerber.
J'aurais pas dû me gêner
d'ailleurs vu l'état dans lequel j'étais. Apparemment après m'avoir
assommé à coup de sac de viande surgelée, le personnel du restaurant
m'avait bombardé de hamburgers et de gobelets de milkshake à la fraise
et au chocolat.
J'avais même des brûlures
de frites sous l'oeil et du ketchup dans ma braguette!
La fille que j'avais adoré
du regard était en larmes, en train de raconter je ne sais pas quoi
à une policière qui avait l'air de compatir. Les quatre cerbères
qui m'encadraient me regardaient d'un oeil noir et une foule d'environ
556 personnes s'amassait derrière eux.
On m'a emmené au poste
et ça m'a pris un moment pour que je parvienne à convaincre les flics
de prendre ma température afin de pouvoir prouver par là que je n'étais
qu'une victime de plus de la fièvre asiatique qui atteint ici tant
d'innocents mâles blancs. Puis il a fallu que je dépositionne encore
sur l'incident de la bijouterie ce qui a pris un moment vu qu'ils étaient
en pétard que je me sois tiré et finalement il a fallu que j'explique
que je n'étais pour rien dans la mort subite qui avait paraît-il frappé
mon berger allemand dans les dix minutes qui avaient suivi sa morsure
! Bizarre... Peut-être que je devrais arrêter de fumer autant?
Encore une sale journée
donc et je viens tout juste de rentrer.
Mais qu'est-ce qu'elle
était mignonne quand même...
Nish
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