Ride the World in Style

Ride the World in Style
Kawasaki W650

Welcome to my nightmare

Oh moi je ne suis qu'un bouffon Messires !
Un acrobate verbal pour mieux vous faire rire,
Jongleur grammatical et n'étant pas bien né,
Je mendie les regards et fais des pieds de nez.
N'ayant que peu de foi en la nature humaine,
Je traque les fissures de ses allures mondaines.
Je dis les vérités que l'on déteste entendre
Et attire la haine quand je voudrais du tendre.
Mais mon vocabulaire est une bien piètre épée
Et je vous laisse Messieurs l'honneur de batailler.
Nish

samedi 30 janvier 2010

Nish Man - Mauvaise graine



    Mauvaise
    graine
     


    Un gosse unique, c'est
    pas un cadeau, c'est le moins qu'on puisse dire, ni pour lui-même,
    ni pour les autres. Un gosse unique n'apprend pas à séparer le grain
    de l'ivraie, il chipote sur le grain. C'est normal, il n'est pas


    comme les autres, il est
    servi, ce qu'on lui présente a déjà été trié, vérifié, aseptisé,
    pas de problème, c'est bien pour lui, pas de concurrence, il ne reste
    plus qu'à faire la moue. Les mômes uniques sont spéciaux, des petits
    princes, des Siddharta plutôt snobs mais pas mal seuls. C'est incroyable
    ce qu'on s'ennuie quand on est l'unique gamin dans une famille de deux
    parents. On n'a jamais le dernier mot ou alors il faut avoir le temps
    de convaincre deux adultes et franchement, il y a des moments où ça
    n'en vaut pas la peine, un petit mensonge rapide en guise de raccourci,
    ça va plus vite et c'est plus sûr comme résultat. Le fossé des générations
    n'est pas tellement créé par le manque de communication que par le
    manque de compréhension que génére le manque de considération pour
    la personnalité du môme. L'enfant est un extra-terrestre dans le monde
    des adultes; il ne sait rien et ce n’est pas lui qui décide. Ce n’est
    pas une raison pour ne pas écouter son avis. Mais on ne l’écoute
    pas. Il fait ce qu'on lui dit de faire un point c'est tout.


    Ouais, ou bien il fait
    semblant…
     


    Je n'allais quand même
    pas m’échiner cent cinquante ans à expliquer que deux heures de
    colle n’étaient pas un drame, je n'allais pas non plus me prendre
    des engueulades chaque fois que j'avais un papier à faire signer. Restait
    plus qu'à ruser. Une petite fausse signature d'abord et puis, le jour
    de la colle, une excuse bien bidon pour expliquer le retard et voilà,
    ni vu ni connu.


    C'est pas moral ?


    Heu... Fallait bien survivre,
    je serai un saint quand je serai mort, en attendant, je me débrouillais
    avec ce que j'avais. J'aimais vraiment pas les adultes, j'aimais pas
    trop les autres mômes non plus d'ailleurs mais les adultes dépassaient
    tout à mon avis. J'avais l'impression de vivre dans une machine moche.
    Les gens réagissaient toujours selon des règlements et des lois bizarres,
    invisibles mais universelles. Je les haïssais. Je n’idéalisais que
    les animaux, les Peaux-Rouges et les Bohémiens. Ils étaient pas bidons
    ceux-là, ils cherchaient pas de midi à quatorze heures, ils se prenaient
    dans leurs bras, ils s'aimaient.


    Je me rappelle de la colère
    que j'ai piqué un jour après avoir lu "Le lion" de Kessel.
    J'étais devenu inapprochable ! D'abord j'ai chialé comme une madeleine
    à la fin du livre et quand ma mère a essayé de me consoler, je l'ai
    envoyée paître comme jamais je ne l'avais fait ! Dressé sur mes ergots
    je hurlais: "Vous êtes tous pareils les grands ! Vous écoutez
    jamais ce qu'on vous dit, c'est toujours vous d'abord, vous qui avez
    raison, et à la fin vous flanquez toujours tout par terre, j'en ai
    marre, je veux pas grandir ! Je veux pas devenir comme vous !"
    C'est aussi la première fois que j'ai vu la frayeur pâlir le regard
    de ma mère parce qu'elle n'y pouvait vraiment rien. M'enfin, ça n’empêchait
    pas, je pensais toujours que la race humaine ne valait pas bien chère,
    c’était même assez désolant de voir la lenteur de l’évolution,
    on se demandait si on allait arriver un jour à vivre intelligemment
    !


    Siddharta faisant face
    à sa première contrariété décidait de se réfugier sur sa propre
    planète en virant tout le monde sauf son nounours.
     


    Ah ce qu'il est vieux mon
    nuage maintenant ! J'y plane depuis tellement longtemps ! Il est toujours
    bien moelleux mais il tourne un peu grisâtre en ce moment forcément.
    Il y a une époque où il était superbe, tout caréné, tout customisé,
    flamboyant, chromé même ! Qu'est-ce je pouvais y faire d'autre dans
    le monde des adultes que d'y piloter mon nuage-gordini aussi adroitement
    que possible ? C’était pas très dur d'ailleurs, il fallait juste
    connaître la route. Ils sont tellement originaux, les routiers, qu'il
    suffisait d’être routard !
     


    Je devais avoir onze ans,
    j'étais au lycée, et j'avais déjà bien les boules à cette époque.
    A midi, je revenais de mon maudit bahut où je n’étais fort heureusement
    pas demi-pensionnaire et je remontais l'avenue en dribblant tranquillement
    avec ma balle rouge. A l'heure du déjeuner, le trafic était un peu
    plus dense que d'habitude mais au Mans, ça n'a jamais rien d’épique,
    je me rappelais encore l’éboueur et sa charrette à cheval il y avait
    seulement cinq ou six ans de ça et ici, la seule rue risquée à traverser,
    c’était la piste du circuit Bugatti une fois par an.


    On devait être au mois
    d'octobre, les caniveaux charriaient pas mal de feuilles de marronniers
    et de bogues vides. Forcément, les marrons, je me les étais pris dans
    la cour de l’école et dans ma pomme toute la matinée. Je ne sais
    pas ce qu'ils avaient les autres mais fallait toujours que ça tombe
    sur moi, les châtaignes. Ils faisaient chier vraiment, en plus on aurait
    dit que plus je gueulais, plus ils se fendaient la pêche. Et puis pas
    moyen de riposter, ils s'y mettaient à plusieurs et quand je faisais
    mine de leur rebalancer les marrons dans la poire, y'en avait toujours
    deux ou trois qui parvenaient à me chopper les miches et alors là,
    carrément je servais de cible à toute la classe et j'en sortais en
    compote. Bon une fois ou deux je ne disais rien mais là c’était
    tous les jours maintenant, je ne voyais vraiment pas ce que je pouvais
    y faire, à part attendre l'hiver. Encore heureux que je rentrais manger
    à la maison tiens, sinon qu'est-ce que j'aurais pris après la


    cantine ! C'est qu'ils
    avaient au moins une heure de libre dans la cour à ce moment-là, mes
    charmants copains; c’était mortel ! Pis c’était dégueulasse la
    cantine. Remarque moi je commençais à en avoir plein le dos de me
    taper le chemin à pied tous les jours. Une demi-heure de marche à
    l'aller, une demi-heure de marche au retour, j'en avais de la corne
    au creux des mains à force de porter mon cartable noir, comme si ça
    n’était pas plus simple de le laisser à l’école, mais non, vu
    l’état dans lequel je l'aurais retrouvé c’était pas la peine.


    Quelle bande de petits
    cons quand même ! Et mes parents, ça leur aurait fait mal de faire
    un petit détour et de me prendre au passage non ? J'en avais vraiment
    plein l'cul de cette vie de merde. Pis, s'ils voulaient pas


    faire le détour, pourquoi
    ne me laissaient-ils pas aller à l’école à vélo hein ? Ah ouais,
    c’était trop dangereux… Tu parles ! Qu'est-ce qu'il y avait de
    dangereux dans ce patelin, à part le lycée, dis ? Comme si je n'étais
    pas capable de conduire une bicyclette ici ! Tiens justement, regarde-moi
    un peu à quelle allure elle roule l’auto-école qui descend l'avenue
    là-bas ! Elle devait faire du trente à l'heure grand maximum !


    C'est vachement dur de
    conduire ici, ouais ! Oh, et la file de bagnole qui suivait derrière
    ! Ils devaient être furax les mecs, fallait voir comme ils collaient
    ! Quels cons ! Ils voyaient pas que c'était une auto-école non ? Remarque,
    il fallait être débile pour donner un cours à cette heure-là ! Punaise,
    c’était un vrai bouchon qu'il créait le mec !


    L’auto-école et moi
    arrivons ensemble au niveau de la caserne de pompier, nous allons nous
    croiser, elle sur la chaussée, moi sur le trottoir, quand soudain une
    idée gerbe littéralement sous mon crâne boudeur. Je n'ai même pas
    le temps d'y réfléchir parce qu'il faut que j'agisse tout de suite
    et que ça y est, mon geste est parti.


    Avec un mouvement pataud,
    j'envoie ma balle sous les roues de l’auto-école en faisant mine,
    au même instant, de me précipiter pour la rattraper.


    Fatalement l’auto-école
    pile net; fatalement la voiture qui suit derrière lui rentre dedans
    et forcément celle d’après aussi. Ouais, finalement c’était bien
    dangereux de conduire ici ! Hé hé...


    J'ai renoncé à récupérer
    ma balle. Je me suis enfui à toute allure, surpris moi même de mon
    idée soudaine et diabolique mais plutôt hilare. J'avais dû devenir
    mauvais avec l’âge.


    Jusqu’ici, mes petits
    larcins, mes mensonges éhontés, mes bêtises et mes cruautés m'avaient
    toujours plus ou moins laissé des remords. Lorsque je parvenais à
    convaincre ma petite voisine d'enfoncer un crayon de couleur dans la
    bouche de son poisson rouge pour voir si ça allait lui ressortir par
    le trou du cul; lorsque, sur mes conseils, elle cassait la carapace
    de sa tortue à coup de pierre pour voir ce qu'il y avait dessous, il
    m'en


    restait toujours un vague
    regret, même avec mes fesses toutes rouges et cuisantes, après tout,
    j'étais tout de même censé adorer les animaux...


    Mais là, non, pas de remords,
    rien. Assez content de moi même, un peu effrayé, me demandant si tout
    cela n'allait pas me mettre dans de sales draps, convaincu qu'il ne
    fallait plus passer par le même chemin pendant au moins trois mois
    mais plutôt satisfait de mon éclair de Machiavélisme.


    De toute façon, il fallait
    bien se défouler comme on pouvait, c’était pas machiavélique, aussi,
    le fait que tout le bahut m'insultait et me crachait à la gueule en
    me traitant de "P.D" parce que j'avais eu le malheur de


    raconter mon histoire de
    colo et de moniteur pédéraste à mon soi-disant meilleur pote ? Je
    devais mal choisir mes amis, toujours est-il qu'il l'avait raconté
    à tout le monde, ma mésaventure et cela faisait bien deux


    ans maintenant que je m'en
    prenais plein la tête. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire,
    "PD", au début, mais  je subissais le sort charmant
    que les jeunes adolescents réservent à ceux qu'ils choisissent allègrement
    comme bouc-émissaires: bizutages en tout genre, éclatages de tronche
    et grosses cognes. Et ça durait parce que les pions regardaient ailleurs
    et que mes propres parents me disaient de me débrouiller tout seul.
    Et j’essayais de me débrouiller tout seul. Mais je ne devais pas
    m’y prendre comme il fallait, le type qui m’avait mis un pain sans
    raison un jour dans le couloir du gymnase, je l’ai traité de facho.
    Quand il m’a attrapé par les cheveux et qu’il m’a fait tombé
    dans les marches en ciment pour que je retire ce que j’avais dit,
    je l’ai envoyé se faire foutre. Quand il a commencé à me cogner
    la tête contre la marche, je lui ai demandé des nouvelles de sa soeur.
    Quand il a frappé si fort que j’en avais des éclairs dans les yeux,
    je lui ai conseillé de se regarder faire et de me dire s’il ne se
    trouvait pas un peu facho de comportement. Il a encore cogné une fois,
    il m’a craché au visage et il s’est relevé en haussant les épaules.
    J’avais une bosse comme ça et je ne comprenais pas pourquoi les autres
    disaient: “Mais il est con ! Pourquoi il a pas retiré c’qu’il
    avait dit ?”


    Ce qui me gênait le plus
    c’était pourtant cette incapacité que j’avais a riposter violemment.
    Mais qu’est-ce que j’avais, nom de nom, que je ne pouvais pas allonger
    mon poing dans la figure de ceux qui le méritaient le plus. D’abord
    j’avais cru que j’étais lâche et que les coups me faisaient peur.
    Ça m’avait ennuyé un moment cette idée-là d’ailleurs car si
    j’étais lâche, je ne serai jamais capable de vivre comme j’en
    rêvais.


    Il avait donc fallu que
    je me prouve le contraire. Un jour, le gosier un peu sec j’étais
    allé provoquer l’un des caïds en duel . “Pierre-Marie” lui avais-je
    dit “tu m’as fait assez chier comme ça, j’t’attends dehors
    après le lycée.”


    Il avait ricané et moi
    aussi. J’allais me le manger ce mec ! A peine rendu dans la rue j’allais
    lui en coller une entre les deux yeux et une autre en pleine gorge et
    si ça ne suffisait pas à l’envoyer au tapis, un coup d’boule dans
    les couilles et c’était bon. On allait me la foutre la paix !


    J’avais passé l’après-midi
    à me chauffer les sangs, ah ça allait faire du bien tiens !


    La fin des cours arrivée,
    j’avais retrouvé Pierre-Marie dans la rue derrière le lycée, j’avais
    jeté mon cartable dans un coin, enlevé ma veste que j’avais balancée
    sur le capot d’une voiture en stationnement et je m’étais approché
    de mon adversaire qui commençait déjà à mouliner des poings. J’avais
    pris mon élan, le bras droit en arrière et j’avais balancé toutes
    mes forces en avant. Mon poing était parti comme une fusée et… s’était
    arrêté net à deux millimètres de son visage. Je l’avais retenu.
    Pas d’erreur, j’avais freiné mon poing au dernier moment. J’avais
    regardé mon adversaire dans les yeux. Il était un peu pale mais il
    s’était vite repris. Il m’avait attrapé par le col, nous avions
    lutté, nous nous étions poussé, nous nous étions tiré, jusqu’à
    ce que nous tombions et que chacun essaie de coller l’autre au sol.
    Il y était parvenu finalement.


    -“Alors, t’avoues-tu
    vaincu Leclerc ?” 

    -“Hmmm, je ne crois pas, tu l’as emporté mais je n’ai pas été
    vaincu.”


    -“Tu dis n’importe
    quoi !”


    -“Ouais, si tu veux.
    N’empêche que je ne me sens pas du tout vaincu. Je ne suis pas fait
    pour cogner les gens, ça je m’en aperçois mais je n’ai pas peur
    non plus. C’est tout ce que je voulais savoir.”


    Restait à trouver un moyen
    de se protéger sans violence… Je ne pouvais même pas en causer avec
    des copains, je n’en avais pas ! Il y avait bien eu Brice qui avait
    accepté un moment de m’inviter chez lui de temps en temps mais c’était
    terminé, les autres l’avaient prévenu que s’il continuait à me
    fréquenter, il subirait le même sort que moi et il avait préféré
    m’envoyer paître.


    La situation devenait intenable
    ! Jusqu’à de complets inconnus qui se permettaient de me baffer au
    passage dans les couloirs de l’ancien monastère qu’était mon lycée
    !


    Alors j'en avais eu marre.
    Au lieu d'abuser n'importe qui de plus petit que moi puisqu’à mon
    avis c’était à cause de mon année d’avance sur les autres que
    je morflais, je m’étais mis à gifler les filles du Surveillant Général
    du lycée parce que c’était lui que je finissais par trouver responsable
    de ne rien faire. Eh bien il m'avait laissé les tabasser sans rien
    dire pendant 15 jours cet enfoiré ! Je lui giflais ses deux filles
    devant sa porte et il ne disait toujours rien. Finalement il m'avait
    convoqué dans son bureau et menacé de renvoi en me disant qu'il comprenait
    bien mon problème mais qu'il ne pouvait pas me laisser taper sur ses
    propres gamines. Comme je me serais retrouvé chez les Jésuites si
    j'étais viré, j'avais arrêté de m'en prendre à elles. Je sentais
    vaguement que les Jésuites signifiaient ma perte. J'allais fuguer et
    je ne serais jamais revenu. Mieux valait tout de même limiter les dégâts.
    Bon, puisqu’il n’y avait rien à faire d’un coté ou de l’autre
    que je me tourne, j’allais simplement me défouler, ce serait toujours
    ça de pris.


    Or il y avait un petit
    garçon sur le chemin de la maison et les jours où je m’étais fait
    tabasser, je l'attendais dans un coin, le petit mec et il y passait
    aussi, à grands coups de beignes, jusqu'au jour où son père l'avait
    accompagné. Il m'avait coursé et je l'avais emmené droit chez moi
    parce que je pensais qu'il irait gueuler chez mes parents et qu'on écouterait
    peut être enfin ce que j'avais à dire. Mais je ne savais pas pourquoi,
    il s’était débiné, il n'avait pas osé rentrer et tout continuait
    comme avant. Lorsque les abus de mes petits camarades s’arrêteraient,
    ben le petit mec n'aurait plus les joues rouges non plus.
     


    Je me sentais froid au
    monde réel, je m’étais mis à le regarder de chez moi, par ma fenêtre
    et je l'avais quitté. A partir de ce jour, j'allais essayer de faire
    absolument tout ce que je voulais et j’éviterai de faire tout ce
    qui me déplaisait, du moment que je trouve le moyen de ne pas me faire
    chopper. Je détestais qu'on me donne des ordres, je n'y obéissais
    plus et en même temps, j'avais cessé de respecter qui ou quoi que
    ce soit.


    La seule chose que je me
    suis mis à respecter, c'est le secret. Il ne fallait pas, quoique je
    fasse, que mes parents l'apprennent. Le temps passait et mon cocon devenait
    de plus en plus solide et étanche. Au bout


    d'un an ou deux, toutes
    les fissures étaient closes, je vivais dans mon monde et mes parents
    n'en  connaissaient rien parce que tout ce qui m’intéressait
    semblait leur faire horreur. Je vivais dans et par mes livres et ma
    musique. Dans mon univers, j'étais sauvage comme Hendrix, comme Keith
    Moon, ou Alice Cooper; tendre et givré comme Jim Morrison, j'enviais
    le charme insolent des Stones que je révérais en brûlant des photos
    de ces mignards de Beatles devant un poster de Mick Jagger à Hyde Park
    après la


    mort de Brian Jones. J'avais
    treize ans et je pleurais d'amour pour la femme idéale en écoutant
    "Angie". Mes livres ne parlaient que d'aventures et de voyages
    dont les héros étaient rebelles, justes, fiers et bordéliques. Même
    Corto Maltese, je le trouvais trop sévère à l’époque, il portait
    l'uniforme malgré sa boucle d'oreille, une faute de goût que je ne
    pardonnais pas à Hugo Pratt.


    Seulement, mes aventures,
    elles restaient dans leurs pages, au Mans, elles ne survivaient pas
    à la morosité du quotidien. Il y a longtemps que je le savais, depuis
    le jour où, à l’école primaire, impressionné par mes


    lectures du "Club
    des Cinq" j'avais essayé de former une petite bande de redresseurs
    de tort. A part pour les gâteaux secs que je promettais de fournir
    lors de nos futures hypothétiques réunions, je n'avais pas réussi
    à


    rameuter des foules de
    volontaires. Allons, jusqu’à ce que je puisse quitter cette ville,
    je ne serai que l'aventurier des rêves que je ferai en douce et puisqu'on
    m'obligeait à avoir l'allure si propre et si honnête,


    j'allais en profiter. L'habit
    ne fait pas le moine, c'est dans La Fontaine mais les adultes oublient
    tout le temps.


    Un petit gars si bien élevé
    ! Qui l'aurait cru !?


    M'enfin je n'allais pas
    provoquer des accidents de voiture tous les jours.


    Après une courte passion
    pour les explosifs et autres facéties pyromanes, je m’étais passionné
    pour ma raquette de tennis qui m'avait servie à démolir quelques pare-brise.
    J'avais aussi remarqué qu'un grand coup de raquette dans une grosse
    bille l'envoyait assez loin pour que le bruit de carreau cassé ne m'arrive
    que très faiblement. Toute ma réserve de billes y était passée sans
    qu'aucune plainte n'arrive jamais chez moi. Je me lançais des défis
    d'honneur débiles comme remonter toute une rue en rayant toutes les
    voitures les unes après les autres avec ma clé et sans m’arrêter
    de marcher une seule fois ou regarder en arrière.


    En général j'y réussissais,
    sauf la fois où je n'avais pas remarqué ce mec au volant...


    Là, j'avais dû courir
    vite.


    Je bouchais les pots d’échappement,
    je chewingumais les serrures, je cassais les miroirs, bref j'emmerdais
    le peuple du mieux que je pouvais mais ce que je préférais, ce en
    quoi je me sentais naturellement progresser


    et évoluer, c’était
    le chapardage. Là, je trouvais qu'il y avait un vrai danger et une
    vraie récompense en cas de réussite. Ça valait vraiment le coup.
    De toute façon, ce n’était pas avec les trente francs par mois


    d'argent de poche que mes
    parents me donnaient que je pouvais faire quoique ce soit alors autant
    se servir directement chez le fournisseur. Pour la musique, je ne piquais
    rien chez mon disquaire parce qu'il était le seul avec qui je pouvais
    causer de Rythm&Blues et qu'il me faisait écouter plein de nouveaux
    trucs. Je lui achetais donc ses 33 tours avec des billets de dix francs
    chipés en douce dans le porte-monnaie de ma mère. Pour les livres
    par contre, je me servais directement dans le magasin. Pas tous les
    livres d'ailleurs, j'allais plutôt les emprunter à la bibliothèque
    et puis mes parents n'avaient jamais refusé de m'acheter ce que je
    voulais, à part des B.D. Or moi, je les collectionnais les B.D ! Blueberry,
    Gaston, Gai Luron, La Rubrique à Brac, et même Astérix, j'étais
    un fan ! Il me les fallait tous !


    J'avais divisé mon territoire
    en plusieurs quartiers. Les petits chapardages de sucreries et de fruits
    frais, je les gardais pour mes trajets scolaires. On me reconnaissait
    facilement sur cette route, cela faisait des années que j'y passais
    et certains jours, c’était l’épicier lui-même qui, me voyant
    arriver, sortait de sa boutique sur le trottoir pour me donner une pomme
    ou une grappe de raisin en me disant:


    -"Tiens, je préfère
    te la donner que de te voir la voler".


    Je disais:


    -"Merci M'sieur !"
    et je m'en allais, satisfait d'avoir été si bien compris, en croquant
    à pleines dents dans mon fruit que je considérais comme volé quand
    même.


    Je réservais mes gros
    larcins pour un autre quartier où je passais moins souvent. Là, j'embarquais
    des barquettes entières de Malabar ou des boites à peine entamées
    de bâtons de réglisse dans les boulangeries mais surtout, j'y faisais
    mes virées B.D. Il y avait une petite papeterie au coin d'une rue,
    fort bien achalandée en parutions Dargaud, et dont la caisse avait
    été placée, de manière fort peu efficace, tout près de l’entrée.
    Les piles de B.D se trouvaient de l'autre coté d'un haut rayon d'ustensiles
    scolaires, hors de vue du propriétaire-caissier qui somnolait en général
    derrière son comptoir.


    Je n'y allais pas plus
    d'une fois par semaine, parfois moins. Je choisissais un jour où je
    finissais tôt pour pouvoir être dans la boutique pendant la digestion
    du bonhomme. La disposition de l'endroit était parfaite, il suffisait
    de se servir. Je faisais mine de lire une B.D pendant dix minutes, au
    cas où le proprio serait venu faire un tour derrière le rayon et le
    temps de m'habituer aux bruits de la boutique. Dés que tout me paraissait
    calme et serein, j'entrouvrais doucement mon cartable posé entre mes
    jambes et, tenant un livre ouvert d'une main, je faisais mine de me
    gratter le tibia tout en glissant, de l'autre, deux ou trois B.D dans
    mon sac. Je ne faisais pas un bruit, retenant mon souffle, tous mes
    sens en affût, prêtant attention au moindre couinement de semelle,
    à la moindre page tournée, prêt à faire machine arrière au moindre
    raclement de gorge.


    J'attendais encore deux
    ou trois minutes, le temps de calmer mes pouls puis je sortais, benoîtement,
    avec un: "Au revoir M'sieurs-dames !" des plus dégagés.


    Les affaires marchaient
    si bien que je m’étais mis à revendre mon butin. Ma collection de
    B.D augmentant plus vite que ma collection de disques, il fallait bien
    que je contrebalance. Mes prises augmentaient, mes visites se multipliaient
    et même si je sentais l'imminence d'un vague danger, il n'y avait plus
    moyen de s’arrêter, l'habitude était prise et j'y trouvais même
    un plaisir certain.


    Ah ce lundi-là, j'allais
    faire une vraie razzia, il me fallait au moins six Lucky Luke, ils étaient
    déjà commandés, pratiquement payés et déjà virtuellement dépensés
    sur l'album "No.4" de Black Sabbath qui était vraiment génial
    !


    J'avais intérêt à assurer
    sec !
     


    Comme d'habitude, en arrivant
    devant la boutique, je défais le loquet de mon cartable pour que ça
    ne cliquette pas dans le magasin et j'entre. C'est pratiquement désert,
    le proprio fait ses comptes sur son comptoir pendant qu'une vieille
    dame feuillette un magazine de tricot, tout est tranquille, le silence
    n'est dérangé que par quelques gargouillis gastriques. Je m'avance
    et je passe derrière le rayon papeterie. Les B.D sont toujours là.
    Je pose mon cartable sur le sol entre mes jambes en ayant soin de l’entrebâiller
    et je pioche lestement dans l'attirante pile où je repère rapidement
    les six volumes convoités. Je les rassemble dans ma main droite et,
    de la gauche, je m'empare d'un septième bouquin que j'ouvre n'importe
    où. Je suis prêt à l'action, en position. Je fais semblant de lire
    en écoutant les bruits qui m'entourent. Tout va bien, je n'entends
    rien de suspect. D'un geste rapide que je camoufle de mon livre ouvert,
    ma main droite plonge la brassée de B.D dans l'ouverture de mon sac.
    Une demie-seconde et je me redresse. Je serre les jambes pour refermer
    mon cartable, le tour est joué. Je m’apprête à passer encore deux
    ou trois minutes à lire dans le magasin quand, soudain, le type de
    la caisse émerge de derrière le rayonnage. Il me regarde, l'air en
    rogne.


    Mais ! Il était impossible
    qu'il m'ait vu ! Je devais garder mon air innocent. Mais ! Le voilà
    qui plongeait sur mon cartable à présent !


    -"Si ça ne t'ennuie
    pas, j'aimerais bien voir ce qu'il y a là-dedans."


    Merde ! Panique à bord
    ! Je ne comprenais pas pourquoi mais il devait avoir un sérieux doute
    ou alors il me faisait un contrôle de routine là ! Oh la la ! Galère
    !


    -"Mais qu'est-ce que
    vous voulez qu'il y ait dans mon sac ! Mes livres et mes cahiers, voilà
    !"


    -"Oui, ben tu vas
    venir avec moi, on va vérifier ça." me balance-t-il en se dirigeant
    vers la caisse.


    Intérieurement je suis
    assez effondré. Putain comment j'allais me sortir de ce merdier maintenant
    ! Il fallait absolument que je trouve un truc sinon, c’était la grosse
    grosse galère ! J'étais bon pour les Jésuites ce coup-là, bordel,
    ça ne rigolait pas !


    Le proprio était passé
    derrière sa caisse avec mon cartable qu'il avait posé sur le comptoir
    devant lequel je me tenais, les jambes un rien flageolantes. Il l'ouvrait
    et moi je ne trouvais toujours rien à dire, aucune excuse, pris la
    main dans le sac c’était le cas de le dire !


    -"Ha ha ! Et qu'est-ce
    que c'est que ça ?" me demande le bonhomme en retirant les bandes
    dessinées de leur cachette définitivement bien ridicule.


    Bon, c’était le moment
    de trouver quelque chose d'intelligent à dire... euh, ils avaient dû
    tomber dans mon cartable par mégarde ? Fallait pas pousser quand même...
    euh... Merde, allez, il devait bien y avoir une


    explication plausible...


    -"Ooohhh, un charmant
    petit gars comme ça, il pourrait pas penser à mal, n'est-ce pas mon
    petit ?"


    Ah ça c’était la grand-mère
    qui émergeait de ses patrons de tricot. Je la regarde. Etait-elle ma
    planche de salut ? Elle avait l'air bien brave en tout cas. J'allais
    la décevoir...


    -"Oh mais j'allais
    vous payer tout ça vous savez ! J'les avais mis dans mon cartable parce
    que je ne savais pas où les poser en attendant..."


    Bravo Pascal ! Ça tenait
    debout, tiens, une histoire pareille ! N'importe quoi !


    Je regarde le type, c’était
    à lui de répondre maintenant.


    -"Ooohh" fait
    la grand-mère "ça, je crois pas que ce soit vrai !"


    -"Moi non plus !"
    fait le bonhomme.


    -"Et pourtant ça
    l'est !" je réplique. Au point où j'en étais, autant s'en tenir
    au même mensonge.


    -"Bon arrête de te
    fiche du monde. C'est pas la première fois que tu viens ici pour voler
    mes livres."


    -"Mais j'vous les
    volais pas ! J'voulais les payer, j'vous ai dit !"


    -"Ah oui !? Fais voir
    ton portefeuille. Parce que là il y en a pour voyons voir, six volumes
    à dix huit francs pièce, ça nous fait euh... 108 francs. Et tu as
    ? 20 francs ! Oui, comme tu dis, tu comptais bien me les acheter hein
    ? Tu n'es peut-être pas très bon en calcul ?"


    -"Oui, c'est vrai"
    je lui réponds "je suis nul en math, d'ailleurs j'ai toujours
    zéro de moyenne."


    -"Ooohh ! Moi je ne
    veux plus m'en mêler !" fait la vieille dame "C'est abominable
    de voir des choses pareilles !"


    Le proprio, rusé, profite
    qu'il a mon portefeuille entre les mains pour en visiter tous les compartiments;
    m'enfin, j'avais lu des romans policiers, il ne fallait pas qu'il espère
    trouver mon nom ou mon adresse sur moi.


    Déçu, il me rend mon
    bien.


    -"Bon, eh bien tu
    peux me dire ce que tu veux mais moi je voudrais bien parler à tes
    parents. Je ne pense pas qu'ils seront très satisfaits de leur garçon
    aujourd'hui et ça va sûrement les étonner et leur faire beaucoup
    de peine mais qu'est-ce que tu veux, il faut bien qu'ils sachent ce
    que tu fabriques derrière leur dos. Et vous savez Madame, je suis certain
    que ce n'est pas la première fois ! On le voit assez souvent ici, ce
    petit voyou et j'avais tellement de livres qui disparaissaient que j'ai
    été obligé d'installer un miroir !


    Ah ah ! Tu ne t'y attendais
    pas hein !? C’était bien monté ton petit coup mais mon miroir, tu
    ne l'avais pas vu aujourd'hui hein ?!"


    Mais il se foutait de moi
    en plus !


    Je me retourne et effectivement,
    dans le coin près du plafond, pratiquement au dessus des B.D, il y
    a maintenant un grand miroir convexe qui permet, de la caisse, de surveiller
    l’allée derrière le rayonnage de fournitures scolaires. Je m’étais
    fait avoir comme un bleu, bon sang, comme un vrai débutant !


    Je me serais envoyé des
    baffes ! Mais bien sûr ! Il fallait vérifier ce genre de truc à chaque
    visite quoi, c’était pas bien futé ! Surtout, en plus, que je me
    doutais bien qu'il allait finir par se méfier le mec ! Ah quel con,
    bordel, quel con !


    Ah ça m'en fichait un
    coup de m’être laisse blousé aussi facilement. J'étais vraiment
    bon à rien, nul comme mec ! Il n'y avait plus qu'à laisser faire,
    j'étais cuit maintenant.


    -"Bon," reprend
    le taulier, "écoute, tu as le choix, tu me donnes ton nom et ton
    adresse ou moi, ben j'appelle les flics."


    -"Ah ça non ! Pas
    question ! Je ne veux pas que vous alliez voir mes parents !"


    -"Tu préfères que
    j'appelle la police ?"


    -"Non mais je ne veux
    pas que mes parents soient au courant."


    -"C'est simple, tu
    me donnes ton adresse et je n'appelle pas la police."


    -"Mais vous voulez
    aller voir mes parents n'est-ce pas ?"


    -"Tu crois pas que
    c'est ce que je dois faire non ?"


    -"Bon, ben je vous
    donne pas mon adresse alors."


    -"Comme tu voudras,
    moi, j'appelle."


    Il s'empare de son téléphone,
    fait mine d'appeler un numéro, mais des numéros à quatre chiffres,
    moi, je n'en connaissais pas. J'attends; il me regarde, il fait semblant
    d'attendre que ça décroche, moi aussi. Il me jette un nouveau coup
    d'oeil, repose le combiné et, avec un soupir d'agacement, il me dit:


    -"Bon écoute, si
    j'appelle les flics, ce sont eux qui vont te ramener chez toi ou alors
    ils vont t'emmener en prison et tes parents seront obligés d'aller
    te chercher au commissariat. C'est ça que tu veux ? Tu crois pas


    que tu leur en as assez
    fait pour aujourd'hui, non ?"


    -"Je ne veux pas que
    mes parents le sachent. Vous vous rendez pas compte, mon père c'est
    pas une fessée qu'il va me donner, c'est des coups de cravache et après
    je serai envoyé comme pensionnaire chez les Jésuites dans la Creuse."


    -"Ton père te donne
    des coups de cravache ?"


    -"Ouais."


    -"C'est peut-être
    que tu le mérites, qu'est-ce que tu en penses ?"


    -"Ce que j'en pense,
    c'est que ça fait mal !"


    -"Alors pourquoi tu
    fais des conneries comme ça ?"


    -"C'est pas avec l'argent
    de poche qu'ils me donnent que je peux faire grand-chose."


    -"Tu n'as qu'à le
    gagner ton argent !"


    -"Ils me laissent
    pas sortir."


    -"Oh écoute, tout
    ça, c'est pas mes affaires. Tu vas me la donner ton adresse ou il faut
    vraiment que j'appelle la police ?"


    Moi aussi j'en avais marre,
    on allait pas passer l’après-midi à ça ! Il était hors de question
    que je lui donne mon adresse de toute façon alors autant lui en refiler
    une fausse tout de suite, ça le calmerait. Il n'avait


    pas l'air bien méchant,
    ce type, après tout.


    -"Bon d'accord, mais
    ne dites pas à mon père que j'vous ai dit pour la cravache."


    -"Pourquoi, c'est
    des histoires hein ?"


    -"Non, parce que ce
    sera encore pire s'il apprend que je vous l'ai dit."


    Hmmm, je sentais que l'argument
    avait fait mouche. Ce mec était un brave type, je le sentais qui chancelait
    déjà dans sa décision. Il me donne un bloc-notes et un crayon et
    sans la moindre hésitation j’écris:


            Philippe
      Jacobot


                                       
     138, rue des Maillets


                                       
     72 Le Mans.


    -"Tu as le téléphone
    ?"


    Je mens:


    -"Non, mes parents
    n'en veulent pas."


    -"Bon très bien,
    je passerai voir tes parents ce soir en faisant ma tournée de journaux.
    En attendant, réfléchis bien à ce que tu viens de faire, c'est pas
    pour t’embêter mais tu comprends bien que tu ne peux pas continuer
    à voler comme ça dans les magasins. Il faut qu'ça change ! Tiens,
    voila ton cartable."


    -"Au r'voir M'sieur"
    dis-je en tirant la porte vitrée de sa boutique. Ding !


    -"Dis-moi, juste avant
    que tu ne partes... tu es certain que c'est la bonne adresse que tu
    m'as donnée là ?"


    Je suis déjà à moitié
    dehors, je pourrais courir et le temps qu'il fasse le tour de son comptoir,
    je serai déjà loin. D'ailleurs j'aurais pu m'enfuir n'importe quand,
    j'étais con ! Il suffisait de ne pas repasser dans ce


    quartier pendant un an
    ou deux. Pourtant j’hésitais à dire oui. La poignée de la porte
    dans la main et presque comme dans un rêve je me suis retourné pour
    m'adresser au libraire.


    -"Ecoutez, je vous
    l'ai déjà dit. Je ne veux pas que mes parents le sachent, tout ce
    que je peux faire c'est vous promettre de ne plus voler, de ne plus
    remettre les pieds dans votre magasin mais je ne vous donnerai pas ma
    véritable adresse."


    Je ne savais pas ce qui
    me prenait. J'étais revenu en arrière et je me tenais à nouveau devant
    le comptoir, très calme. Je n'avais plus peur.


    Le type m'a fixé des yeux
    en silence. La colère s'en évapora assez vite pour faire place à
    une expression bizarre, un peu surprise, un peu amusée.


    J'attendais sa réaction
    sans le quitter du regard. S'il appelait la police, je n'aurais qu'à
    m'enfuir en courant.


    -"Ecoute, je comprends
    bien, moi aussi à ta place j'aurais tout fait pour que mon père ne
    sache pas les bêtises que je faisais mais essaie de te mettre à ma
    place aussi, je ne peux pas te laisser voler ma marchandise


    comme ça."


    -"Mais je vous le
    promets, je ne reviendrai jamais, d'ailleurs ce serait débile non ?"


    -"Est-ce qu'on peut
    faire confiance à la parole d'un voleur dis-moi ?"


    -"Moi je sais que
    je ne reviendrai jamais chez vous, j'ai pas intérêt."


    -"Bon écoute, on
    va faire un marché toi et moi. Tu vas me donner ton vrai nom et ta
    véritable adresse et en échange, moi, je te promets de ne pas aller
    voir tes parents. Je garde juste ton adresse au cas où tu reviennes


    me voler quelque-chose,
    qu'est-ce que tu en penses ?"


    Je n'en croyais pas mes
    oreilles ! Oui mais est-ce que je pouvais lui faire confiance ?


    A mon tour je le fixais
    des yeux à l’affût de cette lueur d'innocente ironie qu'ont les
    pupilles des adultes lorsqu’ils font une fausse promesse aux enfants.
    Pourtant non, il avait l'air franc, il y avait même un peu de défi
    dans son regard. Il finissait par m'intriguer ce mec. Par bien me plaire
    aussi.


    Gravement, je lui demande:


    -"C'est vrai ? C'est
    promis-juré ?"


    -"Je suppose que tu
    es obligé de me faire confiance, comme moi avec mes clients qui viennent
    consulter mes bandes dessinées."


    Je le regarde encore. Il
    me faisait concrètement sa morale en fait. Il essayait de me prouver
    la valeur de la confiance en espérant que ça me servirait de leçon.
    Donc je pouvais le croire.


    Hmmm... je ne faisais guère
    confiance aux adultes moi en général, celui-là serait-il différent
    ? C’était pas un salaud ça c’était sûr, m'enfin quand même...
    Je lui jette un long regard droit dans les pupilles.


    -"Je crois que c'est
    d'accord."


    -"Mais je ne veux
    plus te voir dans mon magasin c'est compris ?"


    -"C'est compris, si
    je reviens vous piquer quelque chose, vous pourrez vous servir de l'adresse."


    -"Très bien, en échange,
    moi, je te promets de ne rien dire à personne."


    J'ai pris son bloc et j'y
    ai écrit mon adresse et même mon numéro de téléphone parce que
    je pensais qu'en lui donnant une petite preuve de franchise, j'allais
    l'encourager un peu plus à tenir sa promesse.


    -"Vous avez bien de
    la chance, jeune homme, si c’était moi, je ne vous aurais pas laissé
    partir à si bon compte ! J’espère que ça vous servira de leçon
    !" hoquette la grand-mère qui s’était tue jusqu’à présent.


    Je ne lui réponds pas;
    rêveur, je lui accorde un hochement de tête; ma foi, si elle aussi
    avait confiance en la parole du marchand, mon intuition devait être
    bonne.


    Au moment de sortir, le
    libraire m’arrête encore:


    -"C'est bien la bonne
    adresse cette fois ?"


    L’éclair de frayeur
    qu'il a du voir passer dans mes yeux a dû le rassurer plus que mon:


    -"Oui, c'est vraiment
    mon adresse mais vous avez promis de ne pas venir hein ?!"


    -"Oui, oui..." 


    Ce devait être sa façon
    de me faire sentir une dernière fois la flamme du chalumeau avant mon
    départ et effectivement, ce soir-là, je suis resté longtemps aux
    aguets, plein d'angoisse et prêt à bondir dehors et à partir en fugue
    si quelqu'un avait frappé chez moi. Mais il a tenu sa parole, il n'est
    jamais venu, il n'a pas téléphoné, rien. Bien entendu j'ai tenu ma
    promesse aussi et bien qu'il fasse toujours semblant de ne pas me reconnaître
    lorsque je le croisais par hasard dans la rue, je n'ai jamais manqué
    de le saluer ou de lui faire un sourire en passant parce qu'il était
    bien l'un des rares adultes qui, me connaissant pour ce que j'étais,
    n'en avait pas profité pour me casser les reins.


    Bien entendu j'ai continué
    à chaparder tant et plus; je ne me suis plus jamais fait attraper mais
    surtout, je m’étais fixé une règle fondamentale: laisser les petits
    commerçants tranquilles. Je ne volais plus que dans les


    grands magasins. D'ailleurs
    c’était bien plus facile, le personnel sous-payé des grandes surfaces
    n'en a jamais rien à foutre !


    Nish





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