La prostituée
vierge
Je traîne à Patpong dans
le quartier rouge de Bangkok depuis 1982 mais la dernière fois je me
suis rageusement dit que je n'y mettrais plus les pieds. La rue est
devenue un marché aux puces de plus du piratage vidéo et de la copie
gadget. Seulement depuis, un ami qui habite à Hanoï m'a parlé d'un
petit bar où l'on peut se laisser gâter (dans tous les sens du terme)
d'alléchante façon alors j'y retournerais peut-être y faire un saut
mais en général le quartier a perdu l'ambiance extrême et luxurieuse
de l'époque où tout restait ouvert toute la nuit. Je sais bien que
ça peut paraître choquant dans nos contrées mais il y avait à Patpong
une atmosphère de liesse, de débauche et de libertinage bien agréable
que je n'ai jamais retrouvée nulle part sauf il y a longtemps, dans
les pavillons de chasse de Louis XV.
J'avais 23 ans en 1983
et j'adorais ces nuits de démence où l'on commençait la soirée par
un petit sniff de poudre et quelques pétards. Puis on prenait un tuk-tuk,
sorte de scooter-tricycle couvert, et sur le coup de 9 heures du soir
on fonçait, dans les pétarades et la fumée de l'échappement, vers
Patpong. Là, on allait droit sur la pharmacie du quartier pour acheter
du Captagon qu'on s'enfilait avec une pinte de bière glacée. Ensuite,
histoire de rester lucides en évitant les mélanges trop lourds, on
ne marchait plus qu'au Mekhong-Coke. Le Mekhong est soi-disant du whisky
thaï mais en fait c'est un infame tord-boyau dans lequel on a même
paraît-il rajouté de la nicotine pour multiplier les alcooliques jusqu'à
ce que le roi s'en soit ému. Pourtant, avec du Coke et de la glace,
c'est délicieux. On allait de boîte en boîte, du Pink Panther au
SuperStar, on faisait un petit saut au Rome pour aller voir un show
de travestis, et inévitablement on se retrouvait galamment accompagnés
qu'on le veuille ou non. On ne savait jamais très bien comment mais
il y avait toujours des filles accrochées à nos basques. On avait
pourtant pas l'air très riches. Un soir, y'en a une, moulée dans un
fourreau léopard, qui a trouvé mes cheveux (de l'époque) très heavy
metal, ça a suffit pour qu'elle danse avec moi toute la nuit puis soudain,
elle m'a annoncé abruptement que ses règles venaient juste de commencer
et elle s'est barrée. Ces nanas n'étaient pas vraiment, à proprement
parler, précisement, des prostituées. Elles suivaient des "farangs",
des étrangers, couchaient avec eux, prenaient l'argent qu'ils leur
offraient ou rien s'ils n'offraient rien, volaient un peu ce qu'elles
pouvaient, survivaient. Des zonardes thaïes. Mais ce n'étaient pas
des paumées dans le style de nos paumées qui font la manche dans le
métro avec les yeux noirs et caves. Elles gardaient leur amour propre
et il n'était pas question de leur manquer de respect. Une nuit, au
petit matin, je me suis écroulé, en nage, sur une banquette du Grace
Hotel, près de l'avenue Sukumvit, après avoir dansé sur une table
au milieu d'une quinzaine de nanas méga-fardées vu que le Grace reçoit
en général des clients du Moyen-Orient qui préfèrent leurs copines
pas trop bronzées. L'ambiance était chaude et on avait eu tellement
de monde entre nos bras cette nuit-là qu'on perdait un peu l'respect.
J'ai laissé une fille boire un peu de bière de la choppe près de
la mienne en ayant complètement oublié que je l'avais offerte à une
autre nana et je me suis fait incendier comme pas permis. Mon pote qui
s'est laissé aller à en traiter une de "bitch" s'est fait
attendre à la sortie par trois Thaïs et ça s'est terminé en sang
et au commissariat. Non, non, on garde le respect les p'tits pères!
En échange, on obtient ce qu'on ne trouve nulle part ailleurs avec
des prostituées, l'illusion d'une passion exotique. J'ai vu des mecs
passer, des routards, et s'arrêter en Thaïlande pour une quinzaine
de jours sur une plage cocotière. Au passage, ils emmenaient une petite
de Bangkok et trois semaines après leur retour en France, j'ai reçu
des lettres de ces mecs, pleines de flammes et de passion, où l'on
se clamait prêt à affronter l'opprobe et les ricanements, prêt à
reprendre l'avion pour sauver la belle enfant des griffes de la prostitution
patpongaise et tout et tout! En général je recevais une seconde lettre
un mois plus tard, m'annonçant leur douloureuse expérience de la chaude-pisse
et des shoots de pénicilline dans le gland, la belle étant, dans leurs
propos, devenue soudain "une belle salope". Passons sur les
lendemains qui chantent faux, c'est quand même époustouflant, les
petites Thaïes qui servent de joujous aux touristes font leur métier
avec une grâce estomaquante. C'est vraiment votre copine, qui vous
masse, vous sert à boire, à manger, à fumer, qui vous branlotte,
qui vous suçotte, qui vous saute dessus comme un Zébulon, qui va chercher
des copines pour qu'ça soit plus drôle, qui s'marre, qu'est là, qui
s'investit et qu'est triste quand on a été un peu gentil et souriant
et qu'on s'en va. Ça fait assez Diabolo Menthe pour adultes, ces histoires.
Bon, un Diabolo Menthe qui peut tourner assez salace quand même:)
M'enfin c'est pas encore
l'paradis pour l'idéaliste... On va pas vouloir m'croire encore mais
pourtant c'est vrai, je n'ai jamais craqué, encore, pour une Thaï.
Une nuit j'ai failli, j'étais décidé, fuck, à quoi bon se faire
la morale hein ? On a qu'une vie et franchement, il y a une sacrée
différence entre les putes de la rue St Denis et celles de Patpong.
M'enfin jusque là, je m'étais contenté d'observer, de discuter avec
les filles et j'étais presque convaincu qu'elles la prenaient plutôt
du bon côté, leur galère. Elles se faisaient bien plus de fric que
n'importe qui en Thaïlande, certaines parvenaient même à se caser
et à quitter le pays. Nous voilà donc assis en compagnie d'une fille
chacun, dans une disco de Patpong en train de siroter un Mekhong, nous
levant de temps en temps pour aller nous trémousser avec nos compagnes
au son de "She's a man eater" et autre "Beat it!"
avec les basses des enceintes qu'aident l'estomac à digérer tellement
ça résonne. Ma compagne était un peu bizarre, tantôt tristounette,
tantôt souriante mais comme je l'ai dit, j'étais décidé ce soir-là
à mettre du sexe dans mon fun. On danse, j'arrive à la faire se marrer
une ou deux fois mais elle reste plutôt distante, sombre, renfermée,
ce qui m'étonne un peu. Ses copines, par contre, ont l'air plutôt
voraces mais elle, non. Et puis soudain, la voilà qui fond en larmes.
Merde! Ah ben vraiment, y'a qu'à moi qu'ça arrive des plans comme
ça. Évidemment mes potes n'en peuvent plus, comme quoi j'ai vraiment
pas la cote, et qu'est-ce que tu lui as fait, et vas-y-console-la-fais-lui-un-gros-calin
et tout et tout, bien fins, bien légers. Bien sûr, ma sangloteuse
reste muette à mes questions et au lieu de me répondre, elle a même
eu ce geste affreux de jeter ses bras autour de mon cou et de presser
ses lèvres mouillées sur les miennes avec une sorte de rictus qui
se voulait enjôleur, provoquant, mais qui s'est noyé dans un sanglot.
Je la repousse doucement, je ne sais plus où me foutre, je tente une
caresse gentille sur sa joue qu'elle rejette avec un geste de rage.
Alors je me tourne vers l'une des voraces, sa copine et je lui demande
ce qui se passe. -"Ah qu'est-ce que tu veux, lui en veux pas, c'est
sa première nuit, elle voulait pas commencer mais ça fait trois jours
qu'elle n'a pas bouffé alors bon." Charmant! Bon, ben j'aurais
mieux fait d'pas changer d'vice moi encore quoi... Les boules! Je regarde
vaguement la fille. Une gamine pas si belle bien qu'exotique, coincée
dans une vie de merde. Peut-être que c'est vrai c'que l'autre m'a raconté,
peut-être que non, mais la lourdeur sur les épaules de la fille est
bien réelle. Je ne sais pas c'qu'elle est venue foutre avec moi ce
soir, je sais pas c'que j'fabrique en sa compagnie mais voilà, c'est
fait, on s'est rentré dedans. Pour elle je représente une étape vraiment
pénible à franchir et ça la fait chialer. Une prostituée vierge
de client, ça doit pas souvent arriver mais bon, ok, ça tombe sur
moi, bon. Moi, j'suis désolé mais qu'est-ce qui m'oblige à le jouer,
ce rôle d'étape dans sa vie hein? J'avais vraiment pas envie de vivre
avec un souvenir pareil sur nos dos respectifs alors, tout en sachant
bien que ça ne servait strictement à rien, je lui ai donné de quoi
être en sursis un moment, le temps d'acheter un peu d'bouffe, de prendre
un taxi pour rentrer chez elle, et le temps pour moi aussi de me défiler,
la conscience pas trop crade, un autre se chargera du boulot, sans l'savoir
cette fois sans doute. Et la dérision de la situation m'a fichu suffisamment
le bourdon pour que, jusqu'à ce jour, je reste vierge moi-même de
prostituées thaïes. Décidément, c'est pas l'genre de rapport que
j'ai envie d'avoir avec les dames. Par contre, une 'tite nonnette bouddhiste,
toute mignonette et toute rasée... Elle irait bien parmi mon harem
de bonnes soeurs.
Nish
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