Le chat
Un jour, ma moitié jaune,
mes chipies et moi, nous sommes allés acheter des meubles d'occasion
pour remplir un peu l'immense maison que nous venions d'avoir la chance
de louer. D'accord c'était une vieille bicoque toute moisie mais quand
on trouve un grand espace couvert à Hong Kong pour le prix d'un manoir
sur la côte d'Azur, on ne fait pas la fine bouche, on s'y rue.
Nous faisons notre choix,
un sofa par ci, deux lampes par là, et un gros rouleau de moquette,
et un bidet fêlé, on s'en donne à coeur joie car ici les gens jettent
à tour de bras et le prix de l'occase bat tous les St Ouen du monde.
Soudain, derrière un gros
bureau rouillé, les gamines découvrent une portée de chats mignons.
Ils ont déjà bien un mois ou deux et ils sont très joueurs, tout
à fait adorables. Le marchand, devant l'amour que mes filles portent
illico à ses chats, nous propose d'en emmener un avec nous et moi,
bêtement, sans doute trop stoned pour ne pas me laisser aveugler par
ces peluches vivantes, j'accepte. Mais une fois arrivés à la maison,
nous déchantons tous très vite. Ce chat est un vrai sauvage. Il a
élu domicile en haut d'une armoire et il ne laisse personne s'approcher
sans chuinter comme un naja. Les filles se retrouvent bientôt avec
les bras couverts de coups de griffes et elles commencent à trouver
qu'il "n'est pas très gentil le chat".
Au bout de quelques semaines,
il semble s'habituer un peu, il consent à quitter son armoire, il habite
même dans le panier d'osier qu'on lui a donne mais c'est toujours un
caractériel qui n'a pas l'air d'apprécier beaucoup les enfants. Ça
ne m'ennuie pas trop d'ailleurs, je préfère les animaux un peu indépendants,
je me contente de mettre les filles en garde et de leur rappeler la
présence des griffes au cas où elles voudraient abuser de sa patience.
Par contre, le jour où je lui permets de monter à l'étage je ne peux
que constater chez lui un manque total de diplomatie de base puisque
dés que j'ai le dos tourné, il ne trouve rien de mieux à faire que
de flairer mon côté de lit conjugal, d'y pisser copieusement et, comme
si ça ne suffisait pas, de chier sa colique sur mon oreiller! A croire
qu'il le fait exprès. Il redescend darre darre, en piqué même, ça
va sans dire.
Quelques mois passent,
de temps en temps je remarque une estafilade sur une joue de mes poupées
mais bon, c'est la vie, elles ne sont pas très tendres non plus. Mais
un jour que je n'étais pas particulièrement de bon poil, je regarde
Sarah qui s'approche du panier, s'accroupit et presque aussitôt, sans
qu'elle fasse le moindre geste brusque, sans qu'elle l'aie seulement
effleuré, voilà la patte du sauvage qui jaillit comme une mâchoire
de crocodile pour venir griffer ma rejetonne juste en dessous de l'oeil.
Mon sang ne fait qu'un
tour, je pique une rogne comme seul un hérétique sait le faire et
j'attrape le premier bâton qui me tombe sous la main, en l'occurence,
une tringle à rideau. Le chat qui m'a vu faire n'attend pas son reste
et essaie de me filer entre les jambes. Moi, d'un réflexe malheureux,
je lui balance ma tringle au passage et voilà Minou qui s'arrête et
se met à faire des cabrioles sur lui-même en poussant des miaulements
de douleur. Mon dieu, qu'ai-je fait !? J'ai dû lui casser quelque chose
sans le faire exprès ! J'ai dû balancer ma tringle trop brutalement
! Oooh non ! Merde ! Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? C'est
visible, il souffre le martyr à gueuler comme ça ! Oooh fuck !
Et je me rappelle comment,
quand j'étais gamin, j'avais réussi à dégommer un moineau avec mon
lance-pierre. L'oiseau n'était pas mort mais trop salement amoché
pour vivre et mon père m'avait obligé à lui tordre le cou pour abréger
ses souffrances. Du coup j'avais jeté mon lance-pierre et je me souviens
encore du craquement des petits os sous mes doigts. Et voilà que ça
recommence ! Et un chat ce coup-ci !
Je suis blême mais la
pauvre bestiole continue à faire ses cabrioles en gémissant. Je respire
un grand coup et je ramasse la tringle. Je la lève, les yeux troubles,
et vlan, j'en assène un grand coup sur la tête du chat. Il a une dernière
cabriole et il tombe sur le côté, le museau plein de sang mais il
remue encore. Il est agité de soubresauts et il miaule encore quoique
plus doucement! C'est franchement dégueulasse et je sens la nausée
qui monte mais il n'est pas mort. Je lève encore ma tringle et je frappe
à nouveau en essayant de garder la main ferme. Mais je dois trembler
ou il a dû bouger et cette fois je lui ai cassé les reins. Il ne remue
plus et un peu de sang commence à s'accumuler sous sa queue mais il
respire encore! Les chats ont sept vies, va-t-il falloir que je frappe
sept fois ? J'ai l'estomac qui se retourne mais je frappe une troisième
fois. Ces yeux deviennent vitreux, il cesse de respirer, il meurt. Je
reste un bon moment debout devant sa dépouille, la tringle à la main,
l'esprit vide, je me fais horreur et j'ai envie de vomir. Les filles
n'ont rien vu heureusement. Je me secoue un peu et je cours chercher
un sac en plastique avant qu'elles ne viennent voir ce que je fabrique.
Je n'ai même pas le courage de ramasser le chat avec mes mains, je
crois que je n'aurais pas pu le toucher. Du bout de ma tringle, je l'introduis
dans le sac et je vais le jeter à la décharge du village.
Mais le pire n'était pas
encore arrivé. Lorsqu'encore tout bouleversé, j'ai raconté le drame
à ma femme le soir, elle m'a dit, en souriant doucement, qu'elle aussi,
une fois, avait voulu flanquer une raclée au chat et qu'elle s'etait
bien marré ce jour-là parce qu'à peine l'avait-elle touché qu'il
s'était mis à faire des cabrioles sur place en miaulant comme si on
l'écorchait...
Nish
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