Ride the World in Style

Ride the World in Style
Kawasaki W650

Welcome to my nightmare

Oh moi je ne suis qu'un bouffon Messires !
Un acrobate verbal pour mieux vous faire rire,
Jongleur grammatical et n'étant pas bien né,
Je mendie les regards et fais des pieds de nez.
N'ayant que peu de foi en la nature humaine,
Je traque les fissures de ses allures mondaines.
Je dis les vérités que l'on déteste entendre
Et attire la haine quand je voudrais du tendre.
Mais mon vocabulaire est une bien piètre épée
Et je vous laisse Messieurs l'honneur de batailler.
Nish

mardi 1 décembre 2020

 - Opium -


Après avoir extrêmement fêté Noël et le jour de l'an avec

Michel et nos amis lors de nuits folles à PatPong, nous allons

passer les quinze premiers jours dans une tribu Moussur au

nord de Chang Mai à deux journées de marche dans la jungle.

Notre guide, un vieil opiomane français, habite à Bangkok

mais, tous les six mois, il remonte dans le nord pour

s'approvisionner.

Nous passons par des pistes pleines de lianes sous une voûte

végétale qui laisse à peine filtrer la lumière du jour et nous

passons la première nuit dans une tribu Karen.

Pas très cools, les Karens d'ailleurs, l'opium qu'ils nous vendent

est franchement nul et ce n'est pas la chaude ambiance.

Bruno nous explique qu'il était très amoureux d'une petite

Karen mais comme elle n'avait que treize ans, il a préféré

attendre trois ans pour s'en approcher. Hélas, lorsqu'il est

revenu, la fille était déjà mariée avec un enfant et elle en

attendait un autre.

Nous passons une nuit humide allongés par terre sur une natte

de paille de riz. Le lendemain matin, je me réveille à l'aube et je

pars visiter le village qui s'allonge sur le terrain accidenté de ce

bout de jungle. Je tombe en arrêt devant la terrasse d'une hutte

sur pilotis.

Assis sur une chaise, un des hommes de la tribu a retroussé son

pantalon et, à l'aide d'un couteau à pavot à la lame recourbée, il

a entrepris de trancher dans le vif un abcès sur sa jambe gros

comme mon poing. La plaie est pleine de pus et c'est

franchement vomitif m'enfin puisque je suis là, puisque j'ai de

quoi nettoyer les plaies, allons-y du bon Samaritain !

J'y passe ma bouteille d'eau oxygénée et tous mes cotons-tige

mais à la fin je suis fier de mes talents d'infirmier. Le type n'a

pas bronché une seule fois. Soit il est sous opium soit il est

insensible à la douleur, ce n'est pas croyable.

Pendant tout ce temps, sa femme continue à tisser à l'autre bout

de la terrasse. Elle est très belle dans son costume Karen. Je

pars chercher mon appareil photo, m'approche d'elle et je lui

fais signe que j'aimerais la pentaxer.

"Cinquante baths" qu'elle me répond !

Non, pas sympa ces Karens !

Nous repartons sur la piste en compagnie d'un Karen armé d'un

fusil datant de la guerre de Sécession, de ceux qu'on arme avec

de la poudre sortie d'une petite bourse et d'une bille en acier

qu'on pousse dans le canon avec une tige en fer; je le sais parce

qu'il s'est senti obligé de tirer sur un oiseau, qu'il a raté

d'ailleurs.

Bientôt et de manière complètement soudaine, la jungle

s'arrête. Les collines en face de nous et jusqu'à l'horizon sont

couvertes de pavots. C'est le mois de janvier, les fleurs sont

tombées mais les bulbes sont pleins. Au milieu de toute cette

verdure battue par le soleil, on aperçoit , ici et là, les taches

sombres des cultivatrices locales dans leurs costumes noirs

Moussur ou Lahu décorés de larges pièces d'argent. Elles

travaillent très vite; elles incisent, autour d'elles, les bulbes des

pavots mûrs avec un petit couteau à trois lames recourbées.

Puis, s'emparant d'un petit seau en plastique et d'une spatule,

elles décollent, d'un geste rapide et relevé, le liquide blanc

visqueux qui dégouline lentement le long du bulbe puis elles

raclent leur spatule contre le bord du seau avant de

recommencer à inciser plus loin.

Finalement, après avoir marché toute la journée au milieu des

champs d'opium, nous arrivons en fin de piste dans un village

Moussur posé au creux d'une haute vallée. En fait les Moussurs

n'y vivent pas seuls, quelques maisons Lisoux se dressent à

l'entrée du village. Le costume bleu brillant orné de torsades de

fils multicolores des Lisoux fait contraste avec celui des

Mussurs et comme ils viennent de la Chine du sud, SinWah

rencontre un vieux qu'elle parvient à comprendre.

Le chef des Moussurs nous installe dans une des huttes sur

pilotis et nous invite à partager son dîner avec sa famille. Dans

sa hutte, la première pièce est assez enfumée, c'est là qu'on

cuisine au feu de bois et que l'on mange, sobrement. Ils vivent

et dorment, en famille, dans la pièce du fond qui est beaucoup

plus spacieuse. Ils ont trois enfants et le petit dernier est encore

un bébé. Leur fille aînée est infirme, paralysée. Elle a glissé sur

le tronc d'arbre découpé en marches grossières qui sert d'accès

à la hutte et elle a fait une mauvaise chute. Son père, voyant ça,

a pris son plus beau cochon sous un bras, sa gamine sous l'autre

et il a traversé la jungle, il s'est rendu à l'hôpital de Chang Mai

où le docteur a pris le cochon, déclaré la gamine incurable et

renvoyé le père dans sa tribu.

Le dîner terminé, nous réintégrons notre hutte éclairée avec une

lampe à pétrole. Bientôt le chef du village frappe à la porte de

bambou. Il entre accompagné d'un malabar taciturne à l'air rude

et montagnard.

Bruno échange quelques mots avec eux et les voilà qui

déballent une énorme boule noirâtre: la récolte d'opium de la

journée. Je suis surpris que l'opium, qui est blanc à la sortie du

pavot, devienne aussi noir après une seule journée en plein

soleil. Je la prends dans mes mains et elle est toute molle et

froide.

Bruno nous annonce qu'on va l'essayer cette récolte du mois de

janvier. Le grand montagnard s'assoit en lotus devant la natte et

il sort d'un sac en toile l'attirail nécessaire: une lampe à pétrole

minuscule, la pipe et les outils servant à la préparation de

l'opium. Bruno s'allonge sur la natte, la tête calée sur une

brique et nous éteignons la grosse lampe histoire d'être

visuellement plus à l'aise. La hutte est plongée dans l'obscurité

si ce n'est la lampe à opium qui n'éclaire plus que les grosses

mains aux ongles carrés qui s'affairent sur la pâte noire.

Il en détache d'abord un grosse boulette qu'il pose sur une

feuille de bananier. Puis avec des gestes rapides il la malaxe de

sa spatule. Finalement, il colle la boulette autour du petit trou

surmontant le foyer en cuivre de la pipe et il la passe à Bruno

dont les yeux brillent dans la clarté de la lampe.

Bruno, aidé du montagnard, approche la boulette de la flamme

de la lampe tout en prenant soin de ne pas la poser directement

dessus. La chaleur suffit à faire grésiller la boulette qui gonfle

et commence à produire de la fumée dont Bruno, d'une lente et

longue aspiration, se remplit les soufflets. La boulette est

tellement grosse qu'il doit s'y reprendre à trois fois ! La boulette

durcit, diminue et finalement le montagnard la détache du

fourneau.

Ça va être mon tour. Je n'ai pas encore beaucoup touché à

l'opium et je sens que cette fois-ci je vais avoir droit à un stage

sérieux car nous avons l'intention de passer une quinzaine de

jours dans le village.

Je suis fasciné par le travail de ces grosses mains dans la lueur

jaune de la lampe. Le bec de la pipe m'est tendu, les mains

m'aident à approcher ma boulette de la flamme et je commence

à aspirer doucement. La fumée est à la fois sucrée et

légèrement amère avec un goût de caramel. Elle ne donne pas

envie de tousser bien que je la sente s'engouffrer dans chaque

alvéoles de mes poumons. Je l'y garde aussi longtemps que

possible mais vu la taille de ma boulette, je me remets bientôt à

aspirer.

C'est tellement bon, tellement frais qu'après seulement deux

taffes, je me sens tout léger. Tout mon corps s'enroule dans de

l'ouate tiède, ma vision devient plus scintillante mais plus floue,

un peu comme ces photos d'Hamilton. Un grand calme un peu

détaché m'envahit la tête. Je regarde SinWah en lui faisant un

large sourire, vas-y ma douce, tu vas aimer ça je crois ! Elle

s'allonge sur la natte, les mains reprennent leur fébrile labeur.

SinWah tousse un peu puis elle s'allonge et faisant: "Wow!".

Bruno et le chef du village sont en plein palabre. Ça marchande

dur mais la discussion les laisse tous les deux souriants. Le deal

est fait, Bruno récupère le reste de la boule et m'annonce qu'il

repartira le lendemain matin.

-"Tu ne restes pas plus longtemps ?"

-"Non, il faut que je sois à Bangkok après-demain pour

reprendre mes cours à l'Alliance."

-"Ah c'est vraiment dommage. Mais en tout cas merci, c'est

vraiment d'enfer ce que tu nous à fait découvrir, la jungle, les

Karens, les collines d'opium, ce village, cette fumée, vraiment,

j'apprécie !"

-"Bah, je suis content que ça te plaise. Moi tu sais, j'habite ici

depuis si longtemps..."

Nous avons passé deux semaines au village. Plus les jours

passent plus le nombre de pipes augmente. Chaque soir, le

montagnard revient nous voir, nous fumons jusqu'à ce que nous

sentions que c'est assez. D'ailleurs le chef et le montagnard ne

nous laisseraient pas exagérer; ils savent nos limites mieux que

nous.

SinWah, comme moi, adore l'effet bienfaisant, apaisant,

éclaircissant de l'opium. De temps en temps, au milieu de la

nuit, nous devons interrompre nos discussions de vieux sages

pour aller rapidement dégueuler dehors. C'est normal avec l'op,

ça tape pas mal sur le foie mais ce n'est pas pire que d'aller

pisser. SinWah est assez bruyante et le chef, qui a le sommeil

léger, vient nous apporter des tranches de papaye pour faire

passer l'indigestion.

Il est d'un maternel ce chef d'ailleurs! Lorsque nous émergeons

assez vaseusement vers midi, il arrive avec un plateau pour

nous apporter le petit déjeuner auquel il n'oublie jamais

d'ajouter ma ration quotidienne d'herbe. Il me la donne, petit

cadeau quotidien !

Le deuxième jour, il nous a annoncé qu'il nous invitait à dîner

et que nous aurions de la viande ce jour-là. Les Moussurs, à

l'origine une tribu de chasseurs, sont armés d'arbalettes qu'ils

fabriquent eux-mêmes. Le chef m'en fabrique une en ce

moment mais elle ne sera pas prête avant demain car il faut que

la corde de l'arc, faite de liane, sèche un peu avant. En attendant

il me taille des flèches dans un bambou et fait durcir les pointes

dans les braises.

Il m'invite à la chasse au poulet. Avec cinq hommes, il descend

l'allée en pente de son village à la recherche d'une poule

étourdie. Mais elles ont l'oeil les poules; dés qu'elles voient

notre petit groupe armé d'arbalettes, elles se débinent sous les

huttes et on en voit plus nulle part. Finalement nous parvenons

à en coincer une vers le bas du village et à l'entourer. La pauvre

ne sait plus où donner des ailes, elle se sauve dans toutes les

directions comme si on lui avait déjà tranché la tête. Une flèche

part et va se ficher dans le sol à deux bons mètres de la poule.

Puis une autre, ratée aussi, une autre encore, toujours manqué.

Tout le monde rigole. Une flèche balancée carrément n'importe

comment va toucher une vache à cinq mètres de nous. Du coup

tout le troupeau qui jusque-là ne se sentait pas trop concerné, se

dit que c'est peut-être une ruse et qu'en fait la battue est pour

elles. Affolement général chez les beuglantes, elles décampent

au galop ! Tout le monde éclate de rire et la poule en profite

pour disparaître à toute allure sous la hutte la plus proche. Nous

remontons bredouilles !

Malgré tout, nous avons du poulet au dîner et nous remercions

vivement nos hôtes parce qu'ici, on ne sert de la viande que

lorsqu'on a quelque chose à fêter.

Le lendemain, mon arme blanche est terminée et j'ai même un

carquois en bambou pour mettre mes flèches. Je pars dans le

verger du village pour m'entraîner sur les troncs d'arbre. Ça me

permet de découvrir le système d'irrigation du village: des

piquets terminés en fourche supportant des bambous fendus en

deux forment une canalisation que je suis des yeux jusqu'en

haut de la vallée, vers une source perdue dans la jungle. Les

journées passent à toute allure, l'opium ne quitte plus nos

cerveaux et nous flottons à longueur de temps.

Un après-midi, alors que je suis en train d'assassiner mes

troncs, j'entends un bruit de moteur venant de la piste en bas de

la vallée. Oh, un petit moteur, style Flandria 50cc sans pot

d'échappement. Les pétarades se rapprochent et j'aperçois

bientôt un type en uniforme qui émergeant d'un nuage de fumée

et de poussière s'arrête au beau milieu du village. On dirait bien

un flic mais vu d'ici je ne suis pas sûr. Peut-être un militaire en

permission. SinWah est restée au village cet après-midi, cuvant

les excès de la nuit passée. Je retourne jouer à Guillaume Tell

sur mes souches sans plus m'en occuper mais lorsque je rentre

au village à la tombée du jour, SinWah m'attend, le visage

fendu d'une sourire ironique. C'était bien un flic et il venait

pour nous ! Il a fouillé la hutte mais il n'a rien trouvé. Nous ne

gardons pas d'opium et je planque toujours mon herbe entre les

"tuiles" d'herbes séchées du toit. Le chef nous dit que le flic a

dû entendre parler de notre présence au village et qu'il venait

chercher son backshich. Comme il n'a rien pu trouver, il a fini

par repartir bredouille sans ennuyer personne.

De nouveau nous dînons avec la famille du chef puis c'est la

cérémonie quotidienne de l'opium préparé comme d'habitude

par les mains expertes du montagnard silencieux. Soudain,

alors que je suis en train de tirer une bouffée interminable, la

pétarade recommence. Diantre, revoilà le flic ! Sans paniquer,

le chef s'excuse de devoir quitter notre hutte tout en nous

expliquant qu'il va falloir interrompre notre plaisir. Le

montagnard range tout l'attirail dans son sac en un tour de main

et ils sortent.

Nous sommes bien amochés déjà. J'arrive tout de même à

glisser mon herbe dans le foin du toit mais je me raffale

aussitôt. Hmm, SinWah, je crois qu'on ferait mieux de faire

semblant de dormir, au moins on aura l'air moins louche

lorsque le flic se pointera chez nous.

Un quart d'heure passe, nous entendons causer dehors mais

personne n'a l'air de vouloir venir inspecter notre hutte.

Finalement, le chef, suivi du montagnard, revient et tout

reprend comme avant. Le chef explique que le flic voulait

encore venir nous fouiller mais qu'un peu d'opium a suffit à le

satisfaire. Il ne reviendra pas.

Lorsque nous sommes arrivés, le premier soir, j'ai fumé trois

pipes, neuf longues bouffées et j'étais défoncé comme jamais.

Le dernier soir, j'ai fumé quinze pipes, quarante-cinq taffes et je

n'étais pas dans un état vraiment pire qu'à l'arrivée. SinWah et

moi sommes un peu inquiets, nous partons demain matin, que

va-t-il se passer ? Il n'est pas question d'emporter de l'opium

avec nous, nous devons mettre fin à l'expérience en quittant le

village mais nous espérons que nos corps ne vont pas en faire

une maladie. Je fais une grosse provision d'herbe tout de même;

si ça ne va pas, elle devrait nous calmer un peu les nerfs,

surtout qu'elle est très bonne l'herbe du nord de la Thaïlande !

Le chef se fait photographier avec moi puis, le sac sur l'épaule,

nous reprenons, un peu tristes, la piste vers Chang Mai et de là,

nous repartons sur Bangkok. Peut-être grâce à l'herbe du chef

du village moussur, nous n'avons ressenti aucun symptôme de

manque, comme quoi on peut se permettre de déconner un peu

sans systématiquement s'esquinter la santé...


lundi 30 décembre 2013



I know that secretly, deep inside, you've always wanted to help Abby and me get back on our wheels for another trip but were too shy to ask how. You can relax, that's it, you can give us a hand now by purchasing our book: "Biking the Dream" (Kindle edition) which is just now online on Amazon at:http://getbook.at/BikingTheDream

Should you need a Kindle reader, you can download a free one for any device here:
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Now you can read the stories that hide behind all these films and photos I've shared with you so far. A ride a day keeps winter away  takes a new dimension!

Ah, this year ends well... or is it 2014 that begins great? Dunno but I'm a happy dude! 

Cheers and Happy New Year!

dimanche 31 janvier 2010

L'Albatros

L'Albatros
Scénario Nish Man



1. EXTÉRIEUR - JOUR - SARTHE - SORTIE D’UN LYCÉE

Luminosité: début d'été français. C'est la fin juin, dernière sortie des classes.
Lieu: Petit bourg campagnard de la Sarthe. Sortie des bâtiments d'un lycée d'études professionnelles.
Des lycéens plutôt rustres et mal habillés, sortent en se bousculant/beuglant par les grilles verdâtres de l'établissement. On entend des "Bonnes vacances" et autres "Salut, à dans deux mois !"...


2. EXTÉRIEUR - JOUR - TROTTOIR

La caméra suit un couple qui sort de l'école. Justin, le prof, 23 ans, cheveux longs, bruns, Levi's noir, sweat-shirt noir, longue écharpe noire. Elle, l'élève, 15 ans, blondasse, cheveux bouclés, l'air délurée, jeans trop serrés, sweat-shirt noir "Motorhead", tennis. Zoom pour s'en rapprocher.

ÉLÈVE
Bon, voilà, j'crois pas qu'on s'reverra.
C'est pas la peine qu'tu m'donnes ton adresse là-bas parce que moi, t'as vu, j'écris pas bien mais j'voulais quand même te dire merci avant.
C'était vraiment cool c'que t'as fait pour l'avortement.

JUSTIN
Laisse tomber, essaie surtout qu'ça t'arrive plus hein ?
En marchant, ils s'avancent vers deux hommes. L'un d'eux est le proviseur du lycée, l'autre a le même genre.

PROVISEUR 1
Ah, cher Monsieur, voulez-vous venir un instant ?
JUSTIN (à l’élève)
Bon ben, salut. Et bonne chance !

ÉLÈVE
(désabusée)
Ouais... Toi aussi !
Justin rejoint les deux proviseurs.
Celui qui l'a appelé lui lance en montrant son collègue:

PROVISEUR 1
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous présenter ?

JUSTIN
(ton glacé)
Non, c'est pas la peine.
Ils se serrent la main, tout de même, comme s'ils allaient se mordre.

PROVISEUR 2
(enjoué)
Votre séjour aux Philippines, je crois, s'est bien passé ? Vous avez eu beau temps ?

PROVISEUR 1
Je faisais part à mon collègue du plaisir que j'ai eu à vous avoir parmi notre équipe enseignante et de l'efficacité avec laquelle vous avez su dominer la situation.

JUSTIN
(un peu intimidé)
Je vous remercie.

PROVISEUR 1
Mon collègue n'en a été qu'à moitié surpris, voyez-vous, lorsque vous étiez surveillant, il vous soupçonnait de fumer des joints avec certains élèves ce qui, vous l'avouerez, n'est pas une méthode pédagogique très répandue... une méthode réprimée même, aussi efficace soit-elle !

Il fait à Justin un sourire éclatant.

JUSTIN
(narquois)
Vous savez, que ce soit en tant que surveillant ou en tant qu'prof, mon boulot, officiellement, c'était surtout de faire le flic...De toute façon, moi, demain soir, je suis dans l'avion pour de bon alors tout ça ne me concerne plus et tant mieux ! Je plains juste les élèves. C'est tout !
Justin les plante là. Il se dirige vers sa 2CV vert-pomme, suivi du regard désapprobateur des deux proviseurs. Il s'installe au volant, allume le moteur en appuyant sur le champignon comme si c'était une Porsche, enfonce une cassette d'AC/DC (Hell's bells) dans l'autoradio, sort un gros joint de la "boîte-à-gants", l'allume en faisant de gros nuages de fumée et démarre en trombe, pneus crissants, fenêtres ouvertes, le poing tendu dehors, en hurlant "Hell's bells" en chœur avec la chanson.

3. EXTÉRIEUR - JOUR - ROUTE DE CAMPAGNE
On le retrouve plus tard sur la route, autoradio éteint, avançant au pas, la voiture fait un drôle de bruit, un des deux cylindres est mort. Dehors un panneau indique "Le Mans" 5 KM. Justin, complètement raide, murmure:

JUSTIN
Tiens bon cocotte, on y est presque... me lâche pas maintenant, on arrive et tu peux t'reposer pour toujours, meurs pas encore, tire-moi encore un peu, roule ma chérie, roule pour ton papa !

4. EXTÉRIEUR - JOUR - RUE
On retrouve la voiture en ville, en bas d'une petite côte. En arrière-plan, on voit des petits immeubles de quatre ou cinq étages. La 2CV hoquète. Zoom et dans la 2CV. Justin penché sur le volant comme si ça aidait. Le pied enfoncé à fond sur l'accélérateur.

JUSTIN
Vas-y cocotte ! M'oblige pas à t'pousser, encore cinq mètres, c'est tout ! Tiens bon !


5. EXTÉRIEUR - JOUR - HAUT D’UNE COLLINE
Devant la 2CV. La voiture parvient à grimper la petite colline, elle monte sur le trottoir, elle a un dernier hoquet et elle cale. Le moteur est mort.

Panoramique. On s'aperçoit que derrière la petite colline, il y a une descente qui se termine par des garages. L'un des garages est ouvert.

Retour sur la 2CV qui, profitant du dernier élan, passe tout doucement le sommet de la colline, silencieusement. Justin est dedans qui "pousse" en se balançant d'avant en arrière. Ça y est, la voiture commence à dévaler la pente, elle entre dans le garage. Justin ressort, ferme la porte du garage et s'en va, le sourire aux lèvres, en longeant les autres portes de garage.


6. INTÉRIEUR - JOUR - AVION
On récupère Justin dans un avion, on regarde par le hublot et on voit la baie de Hong Kong. Archives d’atterrissages sur l’aéroport de Kai Tak pendant que le générique et le titre s'affichent... (frôlement de buildings, vue rapprochée des fenêtres depuis l'avion, plans de l'avion survolant les toits, virage serré en fin d'atterrissage, etc...)

De temps en temps, retour sur Justin, tout excité, qui prend des photos par le hublot avec une antiquité d'appareil, probablement d'origine russe (on peut changer les mentions du générique au rythme des clichés de Justin)


7. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - AÉROPORT - COULOIR

Justin avance en portant son sac de voyage rouge. On le sent assez faible, c'est lourd... enfin pour lui. Il met la bride du sac à l'épaule, fait cinq pas, prend le sac par les poignées, refait cinq pas, change de main et pourtant, bien qu'il peine, le sac n'est qu'un bagage à main. Il finit par s'en faire un sac à dos avec les poignées mais doit dès lors avancer torse bombé, les épaules tirées en arrière.

Justin est toujours habillé en noir mais cette fois, ses vêtements contrastent avec ceux des gens qui l'entourent. Son pantalon à grosses côtes fait assez paysan comparé aux costumes portés par les autres voyageurs, en majorité asiatiques, et son sweat-shirt usé fait négligé à côté des chemises blanches et des magnifiques cravates.

Justin transpire, il n'est pas habitué aux climats tropicaux, il pose son sac et remonte les manches de son sweat-shirt qui retombent dès qu'il se baisse pour reprendre le sac. Finalement il enlève son écharpe noire, la plie en deux et la passe dans les poignées du sac qu'il tire ainsi sur la moquette. Il s'essuie le front avec une de ses manches, jette un regard furtif aux alentours et fait mine de soulever ses testicules à travers son pantalon qu'il tâtonne. Il y a caché quelque chose. Le geste n'attire pas l'attention des gens, vu l'allure provinciale du bonhomme. Il jette un oeil préoccupé sur son entrejambe, se redresse, jette un autre regard furtif autour de lui et repart en écartant vaguement les jambes comme pour décoincer son fond de culotte.


8. INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT - SALLE DE CONTRÔLE D 'IDENTITÉ

Il y a plusieurs comptoirs. Justin se plante derrière la queue la plus courte. C'est son tour. Le douanier chinois le regarde, prend un air surpris, empoigne le passeport français de Justin et demande:

DOUANIER
Are you a Hong Kong resident, Sir ?

JUSTIN (accent français épais)
Hein ? I mean euh, wouatte ?

DOUANIER (interloqué)
What ?

JUSTIN (surpris)
Euh, do you speak English ?

DOUANIER (sourire retenu)
Do you ?

JUSTIN
What ?

DOUANIER (articulant)
Do you speak English ?

JUSTIN (avec un petit mouvement de redressement sec et indigné)
Yes, I speak English !
(se dégonflant devant l'énormité de ce qu'il vient de dire)
Euh, but not very good.

DOUANIER (Petit soupir. Parlant lentement)
Ok. Do you live here ?

JUSTIN
What ?

DOUANIER (fatigué)
Do you live in Hong Kong ?

JUSTIN (son visage s'éclaire)
Oh ! I understand ! No, no, no ! It is ze first time !

DOUANIER (faussement calme, sans émotion)
You're in the wrong lane then.

JUSTIN/DOUANIER (ensemble)
What ?

DOUANIER (avec malice. Se soulève de son siège, pointe le doigt vers la gauche)
You go there, next lane.

JUSTIN (pointant dans la même direction)
Oh, it is ze next line ?

On suit son regard, il y a une queue énorme.

JUSTIN (montrant la queue, pas amusé du tout)
Oh la la ! But it is crazy !

DOUANIER (pointant au-dessus de sa tête)
Here is for residents only.

Zoom sur l'écriteau : « HONG KONG Permanent Residents ».

JUSTIN (rebaissant la tête, vaincu)
Thank you very much !

DOUANIER (aimable et souriant)
You're welcome.

Justin va se placer derrière la queue, il se tourne un instant vers le guichet qu'il vient de quitter comme pour demander confirmation au douanier qu'il se trouve à la bonne place, mais celui-ci est déjà occupé avec une jeune et jolie Hongkongaise que Justin observe des pieds à la tête, en tortillant ses cheveux, tout en poussant son sac du bout de sa tennis usée, au fur et à mesure que la file avance.

Un autre guichet venant d'ouvrir, la queue devant Justin s'amenuise en un clin d'oeil, c'est enfin son tour. Il s'avance, tend son passeport. Le douanier s'en empare, tourne les pages, vérifie les tampons qui y sont semés, regarde la photo, dévisage Justin, s'attarde sur les cheveux longs et finit par demander.

DOUANIER
What is the purpose of your visit ?

JUSTIN (souriant)
What ?

DOUANIER
Do you speak English ?

JUSTIN (avec un air battu)
Not very good.

DOUANIER (détachant chaque mot)
Why you come here ? You tourist ? You go China ?

JUSTIN (content d'avoir compris)
Non ! I come here for working !

DOUANIER (soudain sérieux)
I’m sorry but you can not work here. You can only come as a tourist or for business purposes. Are you a businessman ? (nouveau regard sur les cheveux de Justin)

JUSTIN (concentré sur l'anglais, ne comprenant pas la gravité de la situation)
No, I am not a businessman, I am a teacher. I come here to teach French.

DOUANIER (qui visiblement n'en croit pas un mot)
You are a teacher ?

JUSTIN (surpris, presque blessé)
I am a teacher in France.

DOUANIER (agacé)
Then why do you come here to teach ?

JUSTIN
What ?

DOUANIER
Anyway, you cannot come here to work.

JUSTIN (ennuyé)
But I have sign a contract with ze school ! They wait for me ! I start 2 days after !

DOUANIER (conciliant)
Do you have this contract ?

JUSTIN (soulagé)
Yes, wait ! I have here ! I give you !

Il fouille dans une pochette qu'il tire de sous son sweat-shirt. Il en sort une feuille qu'il déplie et tend au douanier.

JUSTIN (empressé)
You see !?

DOUANIER (perplexe)
Yes. But you better follow me.

JUSTIN
What ?

DOUANIER (lentement)
Come with me. This way.

JUSTIN (inquiet soudain)
Where we go ?

DOUANIER (n'ayant pas la patience d'expliquer)
You'll see.

Tirant toujours son sac au bout de son écharpe, Justin contourne le guichet, finit par prendre son sac dans ses bras et suit le douanier.


9. INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT - BUREAU DE DOUANE

Justin est assis sur une chaise devant un bureau plein de paperasses. Il se tortille les cheveux. Son sac est posé à côté de lui. La pièce sans fenêtre est éclairée par un néon. Il y a deux douaniers chinois. L'un, assez jeune, est assis derrière un autre bureau plus petit et il tape sur une machine à écrire. L'autre, plus vieux, plus gradé, a posé ses fesses sur le bord du bureau devant Justin. Il tient le passeport qu'il consulte et le contrat de travail. Un silence puis:

DOUANIER (s'adresse à Justin en souriant)
You like Hong Kong ?

JUSTIN (souriant de même, il n'a toujours pas compris ce qu'on lui veut)
I don't know ! It is ze first time.

DOUANIER
You never came here before ?

JUSTIN (honnêtement)
Non.

DOUANIER
But this year you’ve been to Manilla and Jakarta and Bangkok ! Why didn't you come to Hong Kong ?

JUSTIN (comme si on lui en faisait le reproche)
But I come now ! And also I want to go to China !

DOUANIER (un peu plus bonhomme)
You like China also ?

JUSTIN (enthousiaste)
Yes ! It is a big country ! Like India ! I want to see !

DOUANIER (perdant son sourire)
It is big but it is not like India !

JUSTIN (comme pour s'excuser)
I don't know, me, I never go before. I will go soon but I must make money first then I will tell you what I think.

Le douanier rigole de bon coeur.

DOUANIER (prenant sa décision)
Ok, well, you are not a criminal ?

JUSTIN (surpris)
Of course !

DOUANIER
You don't take drugs ?

JUSTIN (rougissant)
Non !

DOUANIER
And you come here only to teach French ?

JUSTIN (qui s'imagine toujours qu'on l'a pris à part à cause de son look)
Oh yes ! I have long hair but I am teacher !

DOUANIER (rigolard)
Then I will let you go and wish you good luck. It's been nice meeting you. Have a good trip !

JUSTIN
Thank you very much !

DOUANIER
Did you book a room in a hotel yet ?

JUSTIN
What ?

DOUANIER (lentement)
Do you have a hotel ?

JUSTIN
No.

DOUANIER
Where do you plan to stay ?

JUSTIN (tirant une feuille de papier de sa poche)
Chung King Mansion.

DOUANIER (qui n'a rien compris)
Show me.

La caméra suit le geste de Justin qui lui tend la feuille et cadre à la fois le douanier qui lit le bout de papier et le bord du visage de Justin, flou, à gauche de l'écran.
DOUANIER
Oh yes ! Chung King Mansion. It’s in Kowloon, it’s cheap.

JUSTIN
It is far away ? Can I take bus ?

DOUANIER
Take a taxi. It’s cheap here.

La caméra fait un travelling vers la gauche, en très gros plan derrière les cheveux sombres de Justin, qui finissent pas envahir l’écran.

JUSTIN (off)
Can u make cheaper ?


10. INTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - NATHAN ROAD - TAXI

La caméra est passée de l'autre côté de la tête de Justin, maintenant assis dans un taxi. Le bord de son visage est à droite de l'écran, en gros plan flou comme dans la séquence précédente. Le taxi est arrêté le long d'un trottoir bondé, juste devant Chung King Mansion. Justin doit payer la course. Le chauffeur se retourne. Chinois au visage un peu huileux, quelques poils sur le menton et sous le nez.

CHAUFFEUR DE TAXI (terrible accent chinois)
Sorry, fixed price !

JUSTIN (qui se croit en Inde, avec l'accent)
Oh, come on, Baba ! Give me good price !

CHAUFFEUR (indigné)
NO ! Here is fixed price !

JUSTIN
You don't give me discount, I don't give you backshich !

CHAUFFEUR (énervé)
And I call police !

JUSTIN (battu)
Ok, ok ! Pas la peine de s'fâcher ! Putain !

(Il tire sa pochette de sous son sweat-shirt, fouille dedans, en sort un billet qu'il tend au chauffeur)

JUSTIN
Voilà ! Give me ze change !

Justin remet la monnaie dans sa pochette qu'il replace sous son vêtement, sous le regard impatient du chauffeur qui marmonne des injures en cantonais. Il attrape son sac et sort du taxi rouge qui redémarre en trombe.

11. EXTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - NATHAN ROAD - TROTTOIR
PLAN LARGE
Justin est dans une avenue hongkongaise. La foule est dense. Son premier réflexe est de regarder autour de lui. Il est assez grand mais pas trop, ce qui fait que son visage émerge à peine de la marée de têtes aux cheveux noirs. On le bouscule. Les gens qui se prennent dans son sac le font pivoter sur lui-même malgré lui. Les néons et les enseignes lumineuses sont partout autour et au-dessus de lui. Série de petits zooms sur les enseignes, toutes en caractères chinois. Il est complètement perdu, il souffle en gonflant ses joues. La foule commence à l'énerver, il résiste plus sèchement aux bousculades, il arrache son sac de la masse mouvante, fini le tourisme, il faut qu'il se dégage. Il fronce les sourcils, pensant distinguer une enseigne en anglais de l'autre côté de la rue, il essaie de la lire mais un bus à double étage vient stationner juste devant lui, lui bloquant le paysage. Il change d'avis, il va demander son chemin.

12. EXTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - NATHAN ROAD - TROTTOIR
PLAN RAPPROCHÉ
Voici une personne qui le regarde en passant:

JUSTIN
Excuse me !

PASSANT (qui passe sans s'arrêter)
Excuse me.

JUSTIN (levant le doigt pour arrêter un seconde personne)
Excuse me !

PASSANT (contournant Justin)
Sorry !

JUSTIN (laissant retomber son bras)
Mais merde !


13. EXTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - NATHAN ROAD - TROTTOIR

Un jeune homme d'allure indienne se dégage de la foule et s'approche de Justin qui se tortille les cheveux, l'air perplexe.

JEUNE PAKISTANAIS (tendant une carte de visite)
Hello, Sir, you want tailor ? Very good, very cheap ! Ready tomorrow !

JUSTIN
What ?

JEUNE PAKISTANAIS
New suit for you, new shirt, very good, very quick !

JUSTIN
No, thank you.

JEUNE PAKISTANAIS
I give you best price !

JUSTIN
No thank you but do you know where is Chung King Mansion ?

JEUNE PAKISTANAIS
Good discount for you my friend !

JUSTIN
I don't like suit !

JEUNE PAKISTANAIS
I show you good shirt ! Very nice ! Silk !

JUSTIN
No ! Thank you ! I have no money !
I just want to know where is Chung King Mansion

JEUNE PAKISTANAIS
Where is what ?

JUSTIN (tendant son bout de papier)
Here, where is it please ?

JEUNE PAKISTANAIS
Oh, this is Chung King Mansion ! It is here !

Il pointe vaguement le doigt vers la gauche.
Justin essaie de distinguer un hôtel ou un signe. Il ne voit rien. La foule l'empêche de voir quoi que ce soit de toute façon, il est obligé de se tordre le cou dans tous les sens et ne voit rien.
Le jeune Pakistanais le prend par le bras.


JEUNE PAKISTANAIS
Come with me. I show you.

JUSTIN (soulagé)
Thank you very much !


14. EXTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - NATHAN ROAD - CHUNG KING MANSION - LARGE PORCHE D'ENTRÉE

Ils arrivent devant la large entrée d'un bâtiment qui ressemble à la Babylone de Fellini. C'est immense, rien que le hall pourrait contenir un marché couvert, il y a des échoppes partout, la plupart d'entre elles vendent des produits d'Inde ou du Pakistan. Certains boutiquiers portent le turban afghan, de grosses femmes portant sari passent devant les yeux de Justin qui en salue quelques-unes en joignant les deux mains ouvertes devant son front, à la manière hindoue. Le sourire lui revient, on sent qu'il préfère cette ambiance plus indienne que chinoise. Au loin, le hall se sépare en allées toutes aussi passantes.

JEUNE PAKISTANAIS
You go, you turn left, you will see, have lift there. You go up. Many many hotel !

JUSTIN
Thank you, baba. You are very gentleman ! Bye bye my friend !

JEUNE PAKISTANAIS
If you need suit, just ask me !

JUSTIN (rigolant)
OK !


15. INTÉRIEUR - NUIT - CHUNG KING MANSION - HALL PRINCIPAL

Justin regarde son bout de papier sur lequel est inscrit « Lotus Hostel ». Il s'avance vers deux ascenseurs côte à côte, le mur qui les jouxte est couvert de pancartes de guesthouses. On repère rapidement celle du Lotus Hostel, l'étage est le 7e. Une queue attend devant les ascenseurs, Justin est bien obligé de la faire lui aussi. L'endroit n'est pas conditionné et Justin transpire à grosses gouttes. Une fois de plus on l'observe essayant de décoller son fond de pantalon. À côté de lui, une vitrine de baladeurs attire son attention. Il tire une calculette de la poche de son sac et commence à convertir les prix affichés en francs.

L'ascenseur arrive enfin. La porte coulisse. On dirait une boîte de sardines tellement la cabine est pleine. Elle se vide et la queue dans laquelle se tient Justin avance. Justin est littéralement poussé puis compressé dans l'ascenseur, pourtant son visage émerge du magma humain, luisant de sueur. Il tient son sac à bras le corps.


16. INTÉRIEUR - NUIT - CHUNG KING MANSION - ASCENSEUR
La porte de l'ascenseur se ferme et l'engin s'ébranle lourdement, avec un soubresaut élastique. Justin ne sait pas où poser les yeux, il a l'impression que tout le monde le dévisage. L'ascenseur s'arrête à tous les étages.

1er étage
La porte s'ouvre sur la salle d'un restaurant chinois typique, très décoré dans les tons rouges et ors, de grandes tables rondes avec des nappes blanches et le grand plateau circulaire qu'on fait tourner, au dessus. Les tables sont toutes occupées pour le dîner. Il y a un vacarme infernal de vaisselle entrechoquée et, à chaque table, le niveau sonore de la conversation semble vouloir couvrir celle de la table voisine. Un Chinois habillé en cuisinier, mal rasé, l'oeil torve, la cigarette au coin des lèvres avec une cendre sur le point de tomber, portant un long tablier maculé de taches et un grand tiroir en aluminium, essaie d'entrer dans l'ascenseur en poussant les gens avec son tiroir. L'alarme se met en marche. C'est trop lourd. Le cuisinier ressort avec une bordée d'insultes exaspérées.

2e étage
Sweat shop. Un atelier dans le fond. Vacarme des machines. Des cartons partout posés en désordre près de la porte de l'ascenseur, il fait assez sombre. On aperçoit deux coolies en maillots de corps, luisants de sueur, la cigarette au coin des lèvres. L'un d'eux est assis sur un gros carton, il se gratte entre les orteils. Comme s'ils avaient dû attendre un long moment, ils interpellent bruyamment et de manière désagréable les deux personnes qui sortent de l'ascenseur et répondent aux invectives en gueulant haut et fort en cantonais.

3e étage
Karaoke. Un couple sort de l'ascenseur en se tenant par la main, c'est le garçon qui porte le sac à main de la fille. Le niveau du vacarme qui s'engouffre dans l'ascenseur est, une fois de plus, surprenant. Le tintamarre vient du mélange des musiques qui s'échappent, assourdies, de box privés mal isolés. On aperçoit la réception en avant-plan. Derrière le comptoir, un jeune Chinois aux cheveux teints en blond, lit un magazine de bd de kung fu. Un écran de télévision luit derrière lui, c'est un dessin animé japonais. La porte d'un des box s'ouvre et un groupe de cinq filles en sort, excitées comme des puces, en poussant des cris stridents. Les filles bloquent un instant l'ascenseur, toujours en piaillant, puis décident de laisser la porte se refermer sans entrer puisqu'il monte et qu'elles veulent descendre.

4e étage
La porte s'ouvre. On ne voit qu'un couloir d'immeuble avec sur le mur, juste devant l'ascenseur, un écriteau sur lequel est inscrit "Taj Mahal Restaurant". Au-dessous, un autre écriteau: "Punjab Guest House". On entend une musique indienne provenant d'un poste qui sature. Trois jeunes Indiens sortent de l'ascenseur avec deux valises. On commence à pouvoir respirer mais un énorme Musulman, portant petit chapeau rond, barbe blanche et djellaba blanche tendue sur un ventre respectable, reprend à lui tout seul, la place laissée par les trois autres. Il se cure les dents et rote un bon coup. Justin prend un air malheureux.

5e étage
La porte s'ouvre sur un véritable fracas. Ici, on joue au « mahjong », sorte de domino chinois auquel on participe en frappant ses dominos sur la table. Quinze tables et c'est le champ de mitrailleuses ! Trois Chinois sortent de l'ascenseur en silence. Un retardataire essaie d'attraper l'ascenseur mais le gros Musulman, qui l'a pourtant vu, appuie sur le bouton de fermeture des portes. L'ascenseur repart. On entend un grand boum dans la porte plus bas comme si quelqu’un y avait lancé un bon coup de pied.

6e étage
La porte s'ouvre sur une série d'écriteaux de guesthouses. Deux routards entrent dans l'ascenseur et gratifient Justin d'un "G'day Mate !" très australien. Justin répond par un timide "Hello!" mais avec un grand sourire. Le gros Musulman fait des bruits de succion avec son cure-dent.

7e étage
Justin attrape son sac par les poignées et sort de l'ascenseur avec un signe de tête et un sourire vers les deux Australiens.


17. INTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - COULOIR

Sur le mur, en face de l'ascenseur, il y a plusieurs écriteaux de guesthouses, comme à l'étage précédent. Justin s'arrête pour les lire. Il repère "Lotus Guesthouse", sous lequel une flèche pointe vers la droite. Justin s'éloigne dans le couloir. Il fait assez sombre, les murs ont vraiment besoin d'une bonne couche de peinture. Des deux côtés du couloir, pratiquement chaque porte est ouverte et donne sur une guesthouse d'où s'échappe le son des chaînes de télévision cantonaises. De temps en temps, la caméra "jette un coup d'oeil" : beaucoup de désordre de cartons et de valises, ventilateurs, aquariums, décoration envahie de plastique et de vinyle aux teintes criardes, un vieillard devant la télé est en train de se racler la gorge, le linge est en train de sécher au milieu de tout le bazar. Bref, ce n'est pas reluisant...

Devant Justin, un petit néon de couleur fuchsia annonce la "Lotus Guesthouse". Justin passe la porte.


18. INTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - PIÈCE COMMUNE

La réception est juste devant la porte, contre le mur gauche. Ce n'est pas un comptoir, c'est un quart de comptoir, un mini-guichet ouvert, couvert de plastique couleur crème et marron. Sur le mur, les clés sont accrochées à côté d'un grand calendrier. Sur le guichet lui-même, c'est un bric-à-brac sans nom, allant de la bouteille d'eau en plastique au lunch-box en polystyrène, en passant par le magazine de BD de kung-fu, la mini-radio allumée, le téléphone et le journal des courses hippiques.

À droite de la porte d'entrée, il y a le meuble rouge traditionnel, l'hôtel des ancêtres, avec trois niches. Celle du bas, la plus haute, contient un pot rempli de cendres d'encens dans lequel se consument trois bâtonnets épais et jaunes. La niche du milieu, la plus petite, renferme des boîtes de gâteaux de lune, des paquets d'encens et un briquet en plastique. La niche supérieure abrite la statuette en faïence brillante et bigarrée d'un dieu taoïste à la longue barbe noire et au costume chatoyant. Devant la statuette, il y a une soucoupe avec quatre oranges. Une petite ampoule rouge surmonte la statuette. À côté de ce meuble, le mur se prolonge par un couloir sombre.

Derrière la réception, il y a une salle de taille moyenne, meublée de trois tables rondes en formica, chacune d'elles entourée de tabourets pliants ronds, recouverts eux aussi de formica en simili bois. Sur l'une des tables, le couvert n'a pas été débarrassé, le "rice-cooker" est posé sur un des tabourets. Au milieu de la table, recouverte d'un large sac poubelle noir éventré en guise de nappe, il y a trois soucoupes contenant encore des sauces noirâtres, la tête et le squelette d'un poisson. Les baguettes sont posées sur les bols, dans lesquels il reste encore un peu de riz taché de sauce au soja. À côté des bols, directement sur la "nappe", on remarque (à regret) les petits bouts d'os et les arrêtes de poisson que les convives y ont crachés.

Au fond de la salle, il y a une fenêtre qui prend toute la largeur. Les vitres sont ouvertes, mais elles sont protégées par des grilles pour empêcher les cambriolages commis par des voleurs acrobates.

Le mur droit est occupé par une télé allumée et par un aquarium. Une croûte immonde représentant des lotus est accrochée au mur. Il y a aussi une grosse horloge de cuisine hexagonale à bord doré. Il est 21:52.

Le mur gauche, derrière la réception, est percé d'une porte. Une grosse femme, probablement la domestique philippine de l'hôtel, en sort avec un seau rouge et un balai-toile. Elle a les cheveux noirs, gras, tirés en queue de cheval, un gros bouton noir sur la joue, elle est assez courte, en sueur. Elle porte des gants de vaisselle en plastique rose. Elle fait mine de ne pas voir Justin.

JUSTIN
Euh... Excuse me, Miss !

LA BONNE (air torve, posant son seau par terre et regardant Justin en dessous)
Yesss...

JUSTIN
Do you have room free ?

LA BONNE (répétant sur le même ton)
Do you have room free ?

JUSTIN (une lueur de malice au fond du regard)
Yes !

LA BONNE (haussant les épaules)
Lau Ban ! (S-T : Patron !)

JUSTIN (surpris)
What ?

La domestique commence à laver le sol sans s'occuper de lui. Rapidement, un petit homme chinois d'une cinquantaine d'années arrive du couloir. Il porte une moustache grisonnante, un maillot de corps pas très net, un pantalon noir retroussé à mi-tibia et des « thongs » en plastique vert qu'il fait traîner par terre à chaque pas. Il a les jambes arquées et le dos voûté. Avant qu'il ait pu dire un mot, la bonne philippine l'apostrophe:

LA BONNE
So I must do everything here ?! I cook food, I wash floor and I must take care customers also ? Maybe I must sleep with them also ? Ah ! Better than sleep with boss !

LE PATRON (s'adressant à Justin d'un air un peu gêné mais plutôt las)
Never mind her ! Ayaaah ! Long time no boom boom ! Ahahah !

LA BONNE (horripilée)
Better no boom boom than boom boom with you !!!

LE PATRON (lui tournant le dos, face à Justin qui ne sait plus où se mettre, mais la surveillant du coin de l'oeil)
Before she has husband but she so bad, husband send her here ! Ahahah !

LA BONNE (ironique)
Me have husband, you have only hands ! That's why I do all work here ! Your hands too busy ! Ahahah !

LE PATRON (l'ignorant, à Justin qui attend)
You want room ?

JUSTIN (se tortillant les cheveux)
Yes. How much ?

LE PATRON
You want bathroom ?

JUSTIN
How much with bathroom ?

LE PATRON
75 dollars with bathroom, 45 dollars no bathroom.

JUSTIN (un peu inquiet)
45 dollars for one night ?

LE PATRON (âprement)
Yes !

JUSTIN
Can you make cheaper ?

LE PATRON (fermement, l'air de celui à qui on a fait le coup mille fois)
No !

JUSTIN (plus inquiet)
But I stay long time ! I stay one month !

LE PATRON (insolent)
How I know ? Maybe you go better place after one day !

JUSTIN (distant)
Can I see the room ?

LE PATRON (décrochant une clé sur le mur)
Follow me.

Ils s'éloignent dans le couloir sombre. La bonne balance son balai-toile sur le pied nu du patron au passage. Il jure.


19. INTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - COULOIR

Au bout du couloir, le patron ouvre une porte à droite et dit:

LE PATRON
Here is bathroom.

Il ouvre la porte en face de la salle de bain, à gauche et dit:

LE PATRON
Here is room. Check out time, eleven a.m.


20. INTÉRIEUR - NUIT - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - CHAMBRE

Justin passe la porte et pénètre dans sa chambre, à peu près de la taille d'un placard à balai. On dirait une cellule de monastère: un lit étroit contre le mur en face de la porte et qui l'empêche de s'ouvrir entièrement. Près du lit, il y a une table de nuit minuscule couverte de formica décollé dans les coins, avec une méchante lampe de chevet et un cendrier en plastique jaune, noirci d'anciennes brûlures. Dans le coin près de la porte, on remarque un tabouret en plastique rose posé devant une tablette étroite et un miroir ciselé de mauvais goût. Le sol est revêtu de carrelage à petit carreaux noirs et gris. Les murs sont pisseux et dénoncent l'humidité du lieu. Au dessus de la table de nuit, il y a une petite fenêtre dont les vitres sont protégées par les mêmes barreaux que dans la salle commune. Au milieu de la pièce, un ventilateur sur pied est censé aérer l'endroit.

Justin est visiblement fatigué. Il pose son sac au pied du lit et regarde le patron:

JUSTIN (l'air morne, soupire)
What to do !?

LE PATRON (petit sourire comme pour s'excuser)
Better than nothing ! Ahahah !

JUSTIN (fatigué)
Ok ! I stay tonight, I see tomorrow.

LE PATRON (ferme)
You pay money now.

JUSTIN (sortant des billets de sous son sweat-shirt)
Sure you can not make cheaper ?

LE PATRON (soupirant)
45$ ! Very cheap ! Ayaah !

JUSTIN (donnant l'argent)
Ok, ok !

LE PATRON
Thank you, Sir !

Le patron sort de la chambre.


20A. INTÉRIEUR - NUIT - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - CHAMBRE

Justin ferme le loquet derrière lui, revient vers le lit et entreprend aussitôt d'ôter ses tennis et d'enlever son pantalon. Il tourne le dos à la caméra pour le poser sur le lit. A-t-il trop chaud ? Non, il soulève le devant de son slip pour regarder dedans. Il y plonge la main et en retire un bout de hachisch qu'il pose sur la table de nuit.

Il s'asseoit, prend sa trousse à pharmacie, en retire une boîte métallique manifestement faite pour contenir des pansements, l'ouvre, soulève les pansements et retire un joint qu'il pose dans le cendrier. Il retire son sweat-shirt (il porte un t-shirt noir dessous) et la petite sacoche en cuir qui contient son argent et ses papiers qu'il porte autour du cou. Il la glisse sous son oreiller.
Il fouille dans son sac et en sort une petite statuette de Ganesh, le dieu hindou à la tête d'éléphant. Il la pose sur la table de nuit. Il prend aussi un livre de poche dans son sac qu'il pose près de l'oreiller. Il place son sac de voyage sur le sol. Il s'allonge, attrape le joint et l'allume.


20B. INTÉRIEUR - NUIT - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - CHAMBRE

Justin, allongé sur son lit miteux, fume son joint en lisant "L'automne à Pékin" de Boris Vian. Soudain, comme pris d'un doute, il se met à feuilleter le roman en lisant quelques passages au gré des pages, puis:

JUSTIN (à la statue de Ganesh, en éteignant son joint à moitié terminé dans le cendrier)
Putain, même Vian il s'fout d'ma gueule ! Ça s'passe pas du tout en Chine, ce bouquin !

Justin s'endort, la lumière allumée, en slip et en t-shirt, sur le dessus de lit en tissu éponge bleu pâle. Fondu de l'image sur le t-shirt noir...

...qui redevient nette, en très gros plan, sur un cafard qui avance sur le tissu bleu pâle. Il grimpe sur le bras poilu de Justin et passe sur sa montre. Il est 4:30 du matin. Au moment où le cafard va redescendre de la montre, Justin, mal ajusté au décalage horaire, se réveille et a le réflexe de regarder l'heure. Le cafard tombe sur sa poitrine. Justin sursaute et fait un geste brusque de la main pour balayer le cafard de son t-shirt et le projette contre le mur. L'insecte retombe sur le sol et court se cacher sous le lit.

JUSTIN
Putain !

Justin s'asseoit sur le lit en lotus, il jette un coup d'oeil circulaire à sa chambre. Il fait la tête, on sent que ça le déprime. Il se lève, tente d'ouvrir la fenêtre, parvient à la décoincer. Il la soulève et jette un oeil plus bas. Il n'y a rien à voir, juste un toit de tôle ondulé couvert d'ordures. Ça fait carrément bidonville et le bourdonnement des ventilations, mêlé à celui de la circulation pourtant plus rare, est intenable. Justin referme la fenêtre. Il s'asseoit sur son lit en tenant ses tempes, huileuses de sueur, à deux mains. Il regarde la statue de Ganesh.

JUSTIN (à la statue)
Eh ben c'est pas Goa ici ! Quelle galère !

Justin rallume son joint à peine entamé. Il finit par se rallonger, termine le joint, l'écrase et se rendort.


21. INTÉRIEUR - JOUR - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - SALLE COMMUNE

Justin est à la réception. Il attend que ça réponde en jouant avec le cordon du téléphone. Un bout de papier posé devant lui porte un numéro de téléphone. Il a sa sacoche en cuir autour du cou. Mêmes vêtements, le sweat-shirt en moins, il fait bien trop chaud. Au mur, l'horloge indique 10:10 comme dans les pubs pour montres. La bonne philippine est occupée à frotter les carreaux des vitres de la salle commune. La télé est ouverte, le volume est trop fort. Le patron est attablé, un journal et un stylo posés devant lui, en train de regarder une émission sur les courses de chevaux dont l'indicatif est celui de Guillaume Tell. Un client, visiblement originaire du Moyen-Orient, sort du couloir avec une mauvaise valise. Il quitte l'hôtel sans piper mot. Personne ne le remarque.

JUSTIN (au téléphone)

Allô, Francophonia !? (Rassuré/enjoué) Bonjour ! Je suis Justin Francoux, je viens d'arriver à Hong Kong pour prendre mon poste. Est-ce que je pourrais parler à monsieur le Directeur, s'il vous plaît ?

Il écoute.

JUSTIN
Merci !

Il attend.

JUSTIN
Allô !? Bonjour, monsieur. Je suis Justin Francoux, j'arrive tout juste de Paris pour prendre mon poste. Est-ce qu'on pourrait se rencontrer ?

Il écoute.

JUSTIN
Oui, je suis libre tout de suite, si vous voulez. Je suis à Chung King Mansion, je saute dans un taxi et j'arrive.

Il écoute.

JUSTIN
Oui, je trouverai bien ! Merci ! À tout à l'heure.

Il raccroche, suspend ses clés au mur et sort de l'hôtel.

22. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - FRANCOPHONIA - BUREAU DU SOUS-DIRECTEUR

Le sous-directeur est un gros homme d'une trentaine d'années qui cache son double menton sous une grosse barbe. Il est assis derrière son bureau encombré de dossiers, d'un téléphone, d'une lampe, etc... Derrière lui se trouve un grand panneau d'affichage avec des signets de toutes les couleurs pour indiquer les heures de classes et les niveaux. L'homme se soulève à demi lorsqu'il entend qu'on frappe à la porte. Justin entre. Son sourire se fige un peu, il se rasseoit.

LE SOUS-DIRECTEUR (d'un ton distant)
Bonjour, monsieur Francoux. Asseyez-vous, je vous en prie. Je suis monsieur Christoff, le directeur des cours. Monsieur Brouillat, le directeur, ne pourra pas vous recevoir : il est en vacances. C'est moi qui le remplace pendant son absence. Vous venez d'arriver à Hong Kong, m'avez-vous dit ?

JUSTIN (enjoué, on sent qu'il est heureux de retrouver ses points de repère)
Oui, hier soir au coucher du soleil ! J'ai juste eu assez de clarté pour voir l'atterrissage. C'était drôlement impressionnant, à un moment je me suis demandé si tout était bien en ordre tellement on volait près des immeubles.

SOUS-DIRECTEUR (toujours distant)
Oui, l'aéroport de Hong Kong est connu pour ça. Vous n'avez pas eu de problèmes à la douane ? Vous avez dû rentrer avec un visa de touriste, n'est-ce pas ? Vous savez, vous n'avez pas le droit de travailler avec ce visa-là. Je ne sais pas si ça va marcher. Je suis désolé.

JUSTIN (d'un ton rassurant)
Oh mais ne vous en faites pas. Ils m'ont demandé si je venais en tant que touriste, mais je leur ai bien dit que je venais pour travailler ! Je leur ai même montré mon contrat de travail avec Francophonia et ça n'a pas fait de problèmes.

SOUS-DIRECTEUR (pratiquement l'air dégoûté)
Vous leur avez dit que vous veniez travailler et ils vous ont laissé entrer quand même ?

JUSTIN (qui vient de remarquer le ton désagréable de son interlocuteur et dont l'enthousiasme refroidit d'un coup. Il se tortille les cheveux)
Ben oui, la preuve : je suis là. Heureusement, non ?

SOUS-DIRECTEUR (prenant l'air faussement ennuyé)
Oui mais justement, je crois qu'il va y avoir un problème quand même, je ne pense pas que vous puissiez travailler ici.

JUSTIN (tendu, sur le qui-vive)
Ah !? Et pourquoi ?

SOUS-DIRECTEUR (du bout des lèvres)
Je pense que votre allure va poser problème.

JUSTIN (qui tente de ravaler ses vapeurs)
Non mais là, le t-shirt, c'est les vacances. J'ai quand même apporté quelques chemises.

SOUS-DIRECTEUR (jubilant intérieurement)
Oui, mais la boucle d'oreille...

JUSTIN (voix blanche, regard noir)
Ça s'enlève...

SOUS-DIRECTEUR (lâchant son joker)
Et les cheveux, vous allez les couper aussi ?

JUSTIN (soudain calme et froid)
Pourquoi, qu'est-ce qu'ils ont, mes cheveux ? Il y a trois jours, je finissais l'année scolaire dans un établissement de l'Éducation Nationale. Mes cheveux n'y ont jamais causé le moindre problème. Au contraire, j'y ai été très bien noté.

SOUS-DIRECTEUR (sèchement)
Je n'en doute pas mais ici, c'est différent. Les Chinois sont des gens très portés sur les traditions, très conservateurs. Les étudiants n'accepteront jamais que leur professeur ait les cheveux aussi longs. Je comprends bien que ça vous ennuie, mais il va vraiment falloir faire quelque chose si vous voulez travailler ici.

JUSTIN (petit sourire, ton insinuant)
Les étudiants n'acceptent pas les professeurs aux cheveux longs, mais quand ils portent une longue barbe, il n'y a pas de problème ? Pourtant ils sont quasiment imberbes alors que, traditionnellement, ils portaient de longues nattes. Je ne comprends pas très bien la logique.

SOUS-DIRECTEUR (moins sûr de lui)
Euh.. ben oui, faut pas chercher à comprendre. Ils sont comme ça.

JUSTIN (d'un ton décidé)
Peut-être, mais je ne vais pas couper mes cheveux pour trois mois de travail. Il faudra bien qu'ils s'y fassent.

SOUS-DIRECTEUR (faussement torturé)
Écoutez, non vraiment, ça ne va pas être possible.

JUSTIN (sèchement)
Je ne suis pas venu de France pour rien. Je n'ai même pas de billet retour. Francophonia a signé un contrat de trois mois avec moi, c'est pour ça que j'ai fait le voyage. Et maintenant, vous voudriez que je rentre chez moi pour une histoire de capillarité mal placée ? Vous pensez bien que ça ne va pas se passer comme ça. Vous n'aviez qu'à me demander une photo !

SOUS-DIRECTEUR (s'emportant à moitié)
Je suis sûr à... 70% que si vous allez en classe comme ça, le soir même j'aurai les trois-quarts de vos élèves dans mon bureau pour demander de changer de professeur.

JUSTIN (qui saute sur l'occasion)
Vous n'êtes sûr qu'à 70% ? Eh bien, je suis prêt à prendre les 30 qui restent. Voulez-vous avoir la gentillesse de me laisser essayer au moins ?

SOUS-DIRECTEUR (faisant marche arrière)
Bon, moi, je veux bien, mais vous allez voir que j'ai raison.

JUSTIN (levant un peu le menton)
On verra bien ! Comment fait-on pour mon emploi du temps ?

SOUS-DIRECTEUR (ton professionnel)
Je vais vous donner les méthodes et pour votre emploi du temps définitif, rappelez-moi demain matin, je serai plus en mesure de vous dire. Mais normalement, vous devriez commencer après-demain.

Le sous-directeur se lève, ouvre une armoire et en sort quelques livres qu'il tend à Justin.

JUSTIN (se levant et attrapant les livres)
Entendu, je vous appelle vers 10 heures comme aujourd'hui ?

SOUS-DIRECTEUR (froid)
Oui, je devrais être là. À demain.

JUSTIN (sans sourire)
Merci. Au revoir.


23. EXTÉRIEUR - JOUR - AVENUE CENTRAL - TROTTOIR

Justin marche sur un trottoir large, le long d'une avenue qui mène au centre de la ville. Sa démarche rappelle un peu celle de Jacques Tati dans "Les vacances de Monsieur Hulot". Il se trouve entre Admiralty et Central, devant les bâtiments de la magistrature, un des rares trottoirs où l'on peut marcher 300 mètres sans qu'il y ait la foule. Il fait beau, le soleil brille en cette fin de matinée mais Justin, qui sort de l'entretien avec le sous-directeur de Francophonia, a l'air soucieux. Il transpire. Il marche vite et prête assez peu attention à ce qui l'entoure. Sur le trottoir, une femme avance dans sa direction. Il ne la voit pas mais elle le regarde.
Au moment où elle le croise, elle décoche:

LA PASSANTE (agressive)
Go cut your hair !

JUSTIN (surpris, fait encore un ou deux pas, pivote sur lui même et lui fait un doigt d'honneur)
Fuck you !

La passante, qui s'est retournée en même temps que Justin, a vu le geste. Elle a un hochement de tête, un haussement d'épaules et elle poursuit son chemin.

JUSTIN (pour lui-même, encore plus assombri)
Tu vas voir qu'elle va être dans ma classe, celle-là !


24. EXTÉRIEUR - JOUR - AVENUE CENTRAL - STATUE SQUARE

Justin marche toujours du même pas sur le trottoir qui borde Queen's Road à gauche et Statue Square à droite. Au prochain croisement, sur le trottoir, un Chinois vend des glaces et des boissons fraîches. Son Vespa side-car lui sert de stand. Justin, qui a très chaud, s'arrête devant le type, regarde son étalage et pointe le doigt vers un jus de mangue vendu dans un petit carton-brique avec une paille.

MARCHAND
Sei man laa ! (S-T: 4 dollars)

Justin tend une pièce, le marchand lui en rend une autre. Justin jette un regard aux alentours. Il repère une volée de quelques marches en marbre à l'entrée d'un immeuble et se dirige vers elles.


25. EXTÉRIEUR - JOUR - AVENUE CENTRAL - STATUE SQUARE - ENTRÉE D'IMMEUBLE

En avant-plan, en bas à gauche, Justin s'asseoit sur les marches de l'immeuble le plus naturellement du monde et, enfonçant sa paille dans le carton-brique, il commence à déguster son jus de mangue.

En arrière-plan, plus haut à droite, l'entrée de l'immeuble est composée de deux larges portes vitrées, au travers desquelles on aperçoit deux types en uniforme, portant casquette, près d'un guichet-réception. Visiblement les deux gardes l'ont remarqué, ils hochent la tête d'un air désapprobateur, ils ont l'air de s'encourager l'un l'autre à intervenir. Finalement, l'un d'eux pousse la porte droite. Elle a l'air lourde et se referme derrière lui. Il descend les quelques marches qui le séparent de Justin.

LE GARDE (avec un hochement de tête qui se veut un salut)
Excuse me, Sir !

JUSTIN (étonné)
Hello !

LE GARDE (froid)
You can't sit here, it is private.

JUSTIN (scié)
What !?!

LE GARDE (froid)
No sitting on the stairs

JUSTIN (qui n'a pas envie de faire un esclandre, se levant)
Ok, ok.

Justin, debout, s'adosse alors à la rampe qui longe les marches et porte la paille à ses lèvres. Il regarde le garde.

JUSTIN (ironique)
Happy ?

LE GARDE (rapide sourire)
No, sorry, you can not stay here.

Justin vient de terminer son jus de mangue, ça fait un bruit de succion avec la paille. Il la retire de sa bouche, regarde le garde dans les yeux et, glacé, en s'en allant, il jette le carton-brique aux pieds du type en disant:

JUSTIN (secouant la tête de droite à gauche en signe d'incompréhension désapprobatrice)
Fuck you !!!

JUSTIN (continuant son chemin, à une inconnue)
J'vais faire des progrès en anglais ici, moi, c'est clair !

Derrière lui, le garde s'est penché pour ramasser le carton-brique avec deux doigts. Il regarde Justin s'en aller, en secouant la tête de droite à gauche en signe d'incompréhension désapprobatrice.

Justin continue son chemin. Il y a une bouche de métro devant lui, c'est la station de Central. La caméra le laisse y descendre.


26. INTÉRIEUR - STATION DE MÉTRO ADMIRALTY

Cette station est assez simple. On descend. Il y a des machines distributrices de tickets, des distributeurs de billets de banque, quelques guichets de métro, des guichets de banque, quelques magasins (une boutique Délifrance qui fait boulangerie, mais où il n'y a (en général) que trois ou quatre vieilles baguettes de pain en vitrine) et une cabine de photomaton. Les Hongkongais étant des gens sages et disciplinés, personne ne resquille dans le métro, ça ne leur viendrait même pas à l'idée. La caméra est postée devant les tourniquets. Elle laisse passer un bon nombre de passagers. Lorsque Justin rapplique, de sa démarche à la Tati, il saute par-dessus le portillon à la manière des titis parisiens. Il est le seul à faire ça mais ça lui est tellement naturel. D'ailleurs personne ne le remarque. Il faut que le contraste entre les deux comportements soit net.

Justin poursuit sa route tout à fait naturellement et descend à l'étage inférieur où se trouvent les quais.

27. INTÉRIEUR - STATION DE MÉTRO ADMIRALTY - QUAIS

La station de métro d'Admiralty est celle où les passagers quittent l'île Victoria pour rejoindre Kowloon, plus large territoire de l'autre côté de la baie et surtout plus populeux.

La ligne de métro de l'île se trouve d'un côté de la station, la ligne qui mène vers Kowloon, de l'autre. Souvent il arrive que deux métros arrivent à quai simultanément des deux côtés. Ils n'y restent pas très longtemps. Donc, quand les portes s'ouvrent, la foule se met à foncer pour parcourir les cent mètres qui séparent les deux quais et arriver dans les wagons du métro en face avant que ses portes ne se referment. La cohue que cela provoque, surtout aux heures de pointe, est alors inimaginable.

Justin se retrouve pile là où il ne faut pas, juste avant la sortie des bureaux pour l'heure du déjeuner. Il arrive donc, par un escalier, dans une station pratiquement déserte, il regarde d'un côté, puis de l'autre, il sort un plan du métro de sa poche et s'arrête en plein milieu de la plate-forme pour le consulter. La caméra part en tornade autour et au dessus de lui. (NON.)Bruit de métro entrant en station, zoom plongeant direct sur les phares. Redoublement du bruit. Zoom arrière style dragon qui se recule, survol de Justin toujours plongé dans son plan. Zoom sur le deuxième quai où entre le deuxième métro. On s'attarde à peine sur les phares. Bruit de portes de métro qui s'ouvrent. Retour en arrière vif de la caméra, façon serpent qui se retourne et gros plan sur les portes qui s'ouvrent. Deuxième série de bruits de porte de métro qui s'ouvrent. Même effet de serpent de la caméra qui revient en arrière. La caméra reste cadrée sur ces dernières portes. Amplification du bourdonnement de foule progressif, rapide et tonitruant. Mixer la même musique de Guillaume Tell que pour l'émission de courses hippiques mentionnée dans la scène 21 (volume à fond). On laisse la masse sortir des wagons jusqu'à ce qu'elle forme une mer compacte qui court vers Justin. La caméra plonge sur lui de la hauteur d'un homme et très vite. Gros plan mais pas trop, il faut laisser de l'espace sur les côtés pour qu'on voit la foule qui s'avance derrière lui à la vitesse de la marée sur le Mont Saint-Michel. Justin relève la tête d'un coup, les yeux écarquillés, passant de la surprise à l'horreur, il se retourne, a juste le temps de réaliser que c'est la même chose derrière, pousse un petit cri, tend le dos en se protégeant la tête et se retrouve englouti par la crue soudaine. Le tout dure dix secondes entrecoupées de quelques gros plans, directement dans la foule, de Justin bousculé dans toutes les directions mais qui parvient à rester debout tant bien que mal.

Soudain, silence. La caméra est tout près de Justin, comme dans la dernière série de gros plans mais sans la foule, mi-cuisses, mi-visage penché vers le bas, en sueur, cheveux pendants, un bras recroquevillé sur le ventre, une main posée sur la tempe, de la poussière se redépose autour de lui. Ça dure trois secondes. Le plan, qu'il tient encore entre les mains, tombe.

Gros plan sur une porte de métro qui se ferme. Plan bas, on ne voit que les jambes des passagers mais elles sont très, très nombreuses et arrivent au ras du pas de porte.

Dernier plan, Justin est toujours debout à peu près à la même place, un rien ébouriffé, le plan de métro est tombé à ses pieds. En arrière-plan, on voit la lampe rouge du dernier wagon de métro qui s'éloigne.

28. INTÉRIEUR - JOUR - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - LOTUS GUESTHOUSE - SALLE COMMUNE

Justin vient d'arriver dans sa guesthouse, en sueur, il est en train de décrocher ses clés. La bonne est en train de récurer l'aquarium. À l'horloge au dessus d'elle, il est 14:40. La télé est toujours allumée. Le patron est installé dans une chaise longue de jardin au milieu de la pièce, en maillot de corps blanc et en short tergal gris, les orteils (sales) en éventail, un journal à la main qui lui cache le visage, une cigarette dans l'autre main.

LE PATRON (écartant soudain son journal)
Eh, you stay here ?

JUSTIN (surpris de la question)
Yes, today I stay.

LE PATRON (pas aimable)
Yesterday, I tell you check out time, eleven a.m. If you stay, you must pay !

JUSTIN (que plus rien n'étonne)
Sure !

Justin sort 45 dollars de sa poche. Il fait mine de les tendre au patron toujours allongé, puis à la bonne, toujours occupée, puis de nouveau au patron qui, en poussant un gémissement de fatigue, daigne enfin se redresser sur son séant, mettre sa cigarette entre ses lèvres, tendre la main et attraper l'argent qu'il plonge dans la poche de son short en se remettant à l'horizontale. Il rote en guise de remerciement, rien d'insultant ou de provocateur, juste naturel.


29. INTÉRIEUR - SOIR - FRANCOPHONIA - SALLE DES PROFS - HONG KONG

La salle des profs est une salle assez petite, avec une grande table ronde au milieu et des casiers pour les enseignants au fond. Un tableau d'affichage couvert de notices couvre une partie d'un mur ; sur un autre, il y a une affiche de cinéma encadrée ("À nous la Liberté" de René Clair) et un poster pour le spectacle du Mime Marceau en noir et blanc. Sur la table, il y a des magazines français et des dossiers de classes. Deux personnes sont assises autour de la table. L'une, Brigitte, la vingtaine, cheveux châtains mi-longs, tâches de rousseur, sourire en coin, yeux verts brillants d'intelligence, t-shirt blanc, corrige des copies. L'autre, une prof chinoise, la quarantaine, lunettes, cheveux noirs aux épaules, habillée de façon stricte, est en train de manger une barquette de riz au poulet avec des baguettes. Un prof, Norbert, cheveux grisonnants, polo Lacoste rayé dans les tons bordeaux, pantalon de flanelle grise, mocassins, est debout, le dos un peu voûté, près des casiers, en train de feuilleter un livre de classe.

NORBERT (en cours de conversation, s'adressant à la prof chinoise)
Moi, je mets jamais de sauce au soja, je trouve que ça couvre toutes les autres saveurs.

Son regard se détourne de la prof chinoise qui a la bouche pleine et ne peut répondre illico, et se dirige vers la porte. Le sous-directeur, assez ample, costume/cravate, la bloque presque entièrement de sa carrure. Une fois qu'il est bien cadré, il pivote à moitié pour laisser Justin apparaître, le bras chargé de livres de classe et de listes d'étudiants. La caméra se retourne sur Norbert et les deux autres profs qui ont également levé les yeux vers l'entrée.

SOUS-DIRECTEUR (voix off)
Je vous présente notre nouvelle recrue, M. Justin Francoux, qui vient tout juste d'arriver de France, si j'ai bien compris.

JUSTIN (souriant)
Bonjour !

BRIGITTE (gentille)
Salut ! Ça va ?

LA PROF CHINOISE (accent chinois mais s'appliquant)
Bienvenue à Hong Kong alors ! C'est votre première visite à Hong Kong ?

JUSTIN (souriant aimablement)
Oui, je suis arrivé avant-hier soir !

NORBERT (extraverti)
Alors, quelles sont les nouvelles en France ?

JUSTIN (souriant)
Il fait froid, comme toujours ! À l'ouest, rien d'nouveau !

SOUS-DIRECTEUR (quittant la pièce)
Bon, je vous laisse faire connaissance... (à Justin) Bon courage !

JUSTIN (voix off)
Merci

La caméra filme le départ du sous-directeur ce qui permet d'apercevoir quelques étudiants chinois, de tout âge et de tout milieu, qui passent dans le couloir pour rejoindre leur classe.

BRIGITTE (voix off)
T'as trouvé à te loger facilement, Justin ?

JUSTIN (qui s'assoit en face d'elle)
J'ai un placard à balai plein de cafards à Chung King Mansion. C'est pas génial. (à tous les présents) Et vous, vous faites comment ?

NORBERT (presque supérieur)
Oh moi j'habite ici, je suis marié avec une Chinoise, alors j'ai pas ce genre de problème.

BRIGITTE (gentille)
Ben moi j'habite chez une copine en ce moment, mais il va falloir que j'trouve quelque chose d'autre.

JUSTIN (se sentant plus à l'aise)
Ça a l'air cher, ici. J'suis allé demander les prix dans d'autres guesthouses, mais j'ai rien trouvé d'moins cher.

BRIGITTE (curieuse)
Pourquoi, tu payes combien là, si je peux te d'mander ?

JUSTIN (avec un plissement du coin des lèvres)
45 balles la nuit.

BRIGITTE (haussant les sourcils)
Ouais, ça doit pas être génial ! Remarque, Chung King Mansion, c'est c'qu'il y a de moins cher, c'est vrai. Mais y'a des bons restaurants indiens et népalais là-bas, t'y es allé ?

JUSTIN (intéressé)
Non, pas encore. Tu m'diras où, j'essaierais bien ! J'adore l'Inde, j'y ai voyagé 3 mois, y'a deux ans. J'suis resté 1 mois à Goa, en plein paradis !

BRIGITTE (souriant)
Je t'emmènerai un de ces jours, tu verras, c'est délicieux et pas cher du tout. C'est tout petit, t'as trois tables maximum, c'est de la cuisine familiale mais ça vaut l'déplacement !

JUSTIN (séduit)
C'est sympa ! J'veux bien. J'viens d'arriver, j'connais rien encore. Ni personne.

BRIGITTE (presque amicalement)
Tu veux aller boire un pot après les cours ? Y'a des pubs derrière l'école. À quelle heure tu finis ?

JUSTIN (acceptant avec reconnaissance)
À 9:30, et toi ?

BRIGITTE (cool)
Pareil. On s'retrouve ici ?

JUSTIN (enthousiaste, sincèrement content)
D'accord !


30. INTÉRIEUR - NUIT - PUB ANGLAIS - WANCHAI - HONG KONG

Brigitte et Justin avancent l'un derrière l'autre, entre les tables en bois d'un vieux pub anglais aux lumières tamisées. Brigitte ouvre la marche. La clientèle attablée est presque exclusivement de souche britannique, australienne, canadienne et irlandaise. Il y a un ou deux Chinois et une poignée de jeunes filles un peu trop maquillées d'origine philippine. À côté de la porte d'entrée, il y a le coin des fléchettes. Un Australien aux cheveux gris, vêtu d'un costume mais à la cravate défaite, est en train de viser tandis qu'une femme le regarde en riant. Des pintes de bière luisent sur toutes les tables. Le bar est au fond de la salle. Brigitte et Justin s'avancent vers les tables qui se trouvent à côté du bar. La porte des toilettes est au fond. Sur les tabourets, accoudés au bar, de vieux poivrots conservent le style colonial en conversant du passé et en sirotant leur énième pinte près de la cloche qui pendouille au dessus d'eux. Le serveur porte une veste blanche, il est fort occupé. Dans le coin derrière lui, il y a une porte qui donne sur les cuisines. De temps en temps, un cuisinier chinois apporte des plats chauds et fumants (saucisses et baked beans, sheppard pies, saucisses purée, toasts) qu'il posera sur le coin du bar où une serveuse viendra les prendre pour les emporter.

Les murs du pub sont couverts de cadres de toutes les tailles. Au plafond, il y a de grosses poutres et elles aussi sont couvertes de petits cadres. On trouve de tout, de vieilles photos sexy, des bateaux de guerre, des voiliers, des portraits d'inconnus, des photos d'anciennes fêtes célébrées dans le pub, des petits fanions, des équipes de foot ou de rugby, des pubs de bière, près de la cible de fléchettes, il y a une vitrine avec des coupes dorées et d'autres fanions, bref, ce pub existe, c'est le Old China Hand dans le quartier de Wanchai, le domaine de "Suzie Wong".

Brigitte et Justin s'installent à leur table. Justin prend la banquette contre le mur sur lequel il y a un cadre assez large représentant une énorme femme nue allongée sur un sofa rouge. Il y jette son sac à bandoulière style armée maoïste. Brigitte s'assoit en face de lui sur la chaise. La table est pour quatre. Sur la table, il y a un cendrier en verre, des cure-dents, un petit porte-menu et une bougie que Justin, fouillant dans son sac, allume immédiatement avec son briquet. Il en profite pour sortir aussi son paquet de Benson & Hedge et pour en offrir une à Brigitte en reposant son sac à côté de lui, à sa gauche.

JUSTIN (aimable)
T'en veux une ?

BRIGITTE (naturelle)
Non, merci, j'ai les miennes.

Elle sort son propre paquet de cigarettes chinoises. Sur le paquet, il y a un grand caractère chinois doré sur fond rouge.

JUSTIN (avec un enthousiasme enfantin)
Wouah ! Des clopes chinoises ! Elles sont bonnes ? J'peux essayer ? J'en ai jamais goûté !

BRIGITTE (avec une petite moue blasée)
Bien sûr, vas-y, sers-toi.

JUSTIN (toujours jovial, allumant la cigarette)
J'ai essayé les cigarettes indonésiennes, cet hiver, quand j'étais à Yogjakarta, tu sais, avec des clous de girofle dedans. Au début, c'est cool, c'est un peu douceâtre mais au bout d'une clope, j'avais envie d'gerber. Par contre, à Sumatra, j'étais dans un endroit sublime, j'sais pas si tu connais, le lac Toba, complètement dingue, imagine un peu, un lac pur comme t'as jamais vu, en pleine jungle, avec des maisons sur pilotis qui ressemblent à des arches de Noé montées sur échasses, bref, le paradis, enfin là-bas, j'allais au marché pour acheter mon tabac direct dans des grands sacs, tout frais, un vrai régal, tu pouvais faire ton propre mélange avec des qualités différentes, c'était d'enfer !

Regardant soudain la cigarette chinoise qu'il est en train de fumer.

JUSTIN (en gonflant les joues)
Euh... ça par contre, c'est pire qu'une Gauloise !

Rigolant.

JUSTIN (ricanant)
Excuse-moi d'te faire le coup d'l'auto-stoppeur de Coluche, mais là, j'peux pas !

Il écrase la cigarette, en sort une de son paquet et l'allume à la flamme de la bougie en se relevant à demi. Il se rassoit assez lourdement. Entre temps, une serveuse philippine s'est approchée, sourire aux lèvres.

SERVEUSE (professionnelle)
Good evening ! What would you like to drink ?

BRIGITTE (à Justin)
Qu'est-ce que tu prends ?

JUSTIN (hésitant niaisement)
Euh... j'sais pas... Un coca ?

BRIGITTE (rigolant)
Tu vas pas prendre un coca dans un pub anglais, le soir où tu fêtes ton arrivée ! Prends une bière !

JUSTIN (gêné, tortille ses cheveux)
Tu sais... j'ai pas tellement d'fric...

BRIGITTE (gentille)
Laisse tomber, ce soir, c'est moi qui offre !

JUSTIN (toujours embêté)
J'te revaudrai ça.

BRIGITTE (à la serveuse)
Give us two pints of Calsberg, please.

SERVEUSE (s'en allant)
Ok.

JUSTIN (continuant sur sa pensée)
En c'moment, c'est la zone. Je sais pas comment j'vais faire. J'suis v'nu avec un billet aller simple et 1500 francs d'argent d'poche, c'est tout c'que j'avais. La piaule me coûte 45 balles par jour, ça fait 1400 balles par mois et j'ai déjà dépensé plus de 400 balles en bouffe et en transport. Je sais pas comment j'vais faire.

BRIGITTE (réfléchissant, après un court silence)
Ecoute, j'ai peut-être une solution, j'sais pas. J'ai dit à deux collègues de venir nous rejoindre ce soir, j'espère que ça t'ennuie pas. Ils sont sympa, tu verras. Y'en a un, il a loué un grand appartement sur une île. Je crois qu'il voudrait partager avec quelqu'un. On va lui demander. On verra bien.

JUSTIN (touché)
Ça serait génial mais… et toi ? Tu disais pas que tu cherchais quelque chose aussi ?

BRIGITTE (riant, en détournant les yeux)
Oui, mais moi, je n'ai pas envie d'habiter avec Michel.

Elle relève les yeux en regardant vers l'entrée du pub. Deux jeunes étrangers sont en train de s'avancer vers eux. Une femme, Suzanne, d'environ 23 ans, petite, cheveux bouclés aux épaules, brune, les yeux bleus, ouvre la marche. Elle est suivie par Michel, un grand blond aux yeux bleus, la trentaine bronzée, beau garçon, athlétique, sourire carnassier de vainqueur rappelant la légion étrangère et le sable chaud d'Edith Piaf.

BRIGITTE (voix off)
Ah tiens, les voilà justement ! Quand on parle du loup...

SUZANNE (s'asseyant près de Justin)
Bonsoir, j'peux m'asseoir là ?

JUSTIN (écartant son sac pour lui faire de la place)
Oui, bien sûr ! Bonsoir.

Brigitte fait les présentations pendant que Michel tire sa chaise et s'assoit près d'elle.

BRIGITTE (à Justin, montrant Suzanne de la main droite, cigarette dans la main gauche)
Voilà Suzanne. En ce moment, j'habite dans un petit village à la campagne avec elle et son mari Olivier, qui est prof à Francophonia aussi.

Justin serre la main de Suzanne.

JUSTIN (un peu timide)
Moi, c'est Justin, je bosse à Francophonia depuis ce soir seulement. Je viens d'arriver.

MICHEL (aimable)
On fête ton premier cours alors ? Salut, moi, c'est Michel.

Il tend la main vers Justin qui la serre.

JUSTIN (souriant)
Oui, c'était ma première leçon avec des étudiants chinois.

BRIGITTE (polie)
Ça s'est bien passé ?

JUSTIN
En tout cas, personne n'est parti en courant à cause de ma coiffure comme l'avait prédit le sous-directeur.

BRIGITTE
Christoff ? Pff, laisse tomber ! C'est un gros con !

JUSTIN (d'un ton de soulagement)
J'ai eu du bol, n'empêche !
Sur le dossier d'inscription qu'ils m'ont envoyé, en France, ils demandaient pas d'photo !
Sinon, j'serais pas là !

Suzanne et Brigitte acquiescent en ricanant. La serveuse philippine rapporte les consommations pour Justin et Brigitte.

LA SERVEUSE (s'adressant à Suzanne, puis Michel)
Would you like a drink too ?

MICHEL (en levant brièvement les yeux vers la serveuse)
Yeah, give me a pint of St. Miguel.

SUZANNE
Me too, please.

LA SERVEUSE (souriant)
I'll be right back.

SUZANNE (à Justin)
Tu viens d'arriver de France ? T'es de quelle région ?

JUSTIN
J'arrive du Mans.

SUZANNE
Du quoi ???

JUSTIN (moqueur)
Le Mans, tu sais, un patelin dans la Sarthe, les 24 heures, les rillettes.

SUZANNE (pas souriante)
Ah oui, tu viens du Nord.

JUSTIN
Et toi ?

SUZANNE (blasée)
De Toulouse.

JUSTIN (se tournant vers Michel et Brigitte)
Et vous deux ?

BRIGITTE
Oh moi je suis originaire de Bretagne mais je viens de Tahiti et avant, j'ai passé deux ans à Taïwan.

MICHEL
Ben moi je suis d'origine pied-noir et je viens de Bangkok, j'bossais là-bas pour Francophonia.

JUSTIN
Sans blague ! Tu connais Léonard Dubroc alors ?

MICHEL
Et sa copine Fabienne ??

JUSTIN (heureux)
Ouais ! C'est grâce à Léonard si je suis ici maintenant !

MICHEL
Comment tu le connais ?

JUSTIN
Ben, euh, l'hiver dernier, j'ai laissé tomber mon poste de pion pour faire un petit trip de Manille à Bangkok en passant par l'Indonésie. J'espérais trouver un job en chemin mais j'ai pas eu d'bol, j'ai chopé la fièvre à Bali, mon fric a fondu, bref trois mois plus tard j'ai dû rentrer en France. Là on n'a pas voulu me reprendre comme pion, j'me suis donc retrouvé prof. Seulement j'avais vraiment les boules. Un jour je vois une petite annonce dans le journal local comme quoi il y a une expo photos dans un bled pas loin du Mans. J'y vais, j'y rencontre le photographe...

MICHEL (claquant des doigts, l'air illuminé)
Léonard !

JUSTIN
Exactement ! Je lui raconte mon dernier voyage, je lui avoue que j'ai envie de quitter l'pays et je lui demande comment il fait, lui, pour vivre en Asie. Là, il me raconte qu'il est sur le point de repartir avec sa copine. Il m'a dit qu'il avait écrit au Francophonia de Bangkok et au centre de Hong Kong. Comme les deux voulaient l'embaucher, il a choisi Bangkok et il m'a donné l'adresse en me disant d'essayer Hong Kong. C'est ce que j'ai fait et ça a marché. Enfin, heureusement qu'ils ne m'ont pas demandé de photo d'identité parce que sinon...

SUZANNE
Le monde est petit. Moi je l'ai rencontré quand je suis arrivée ici avec Olivier, il y a trois ans. C'est vrai qu'il avait l'air sympa comme type... mais alors, où est-ce que t'es allé quand tu as débarqué ici ? Tu connais personne ?

JUSTIN
Ben non. J'ai regardé dans le Guide du Routard et ils indiquaient Chung King Mansion comme l'endroit le moins cher de la ville… mais même si c'est vrai, c'est encore trop cher pour moi. En plus c'est vraiment crade.

BRIGITTE
Au fait, Michel, tu as trouvé quelqu’un pour partager ton appart ?

MICHEL (de marbre)
Ben non. (à Justin) Pourquoi, ça t'intéresse ?

JUSTIN (tortillant ses cheveux, timide)
Ben ça dépend. C'est combien ?

MICHEL
Bah, j'paye 1200 balles de loyer, y'a trois chambres. Ça te fait 400 balles par mois.

JUSTIN
Putain oui, ça m'intéresse ! Ça t'dérange pas, t'es sûr ?

MICHEL (souriant)
Ben tant que tu mets pas d'la musique à fond la caisse en pleine nuit... Par contre, c'est au bout d'un village sur l'île de Lantau, faut bien marcher dix minutes depuis l'embarcadère.

JUSTIN
Il faut longtemps pour aller dans l'île ?

BRIGITTE
Ça prend une heure environ mais la traversée est superbe. Par contre, y'a pas d'bateau après minuit. Si tu l'rates, faut qu'tu trouves un coin où dormir en ville, c'est ça la galère. Sinon, l'île est jolie.

MICHEL
Viens voir l'appartement ce week-end, si tu veux.

JUSTIN
Ben avec plaisir ! Si ça ne t'ennuie pas.

MICHEL
Pas du tout, j'te montrerai les alentours, la plage, le village, tu verras, c'est peinard. Apporte ton maillot d'bain.

BRIGITTE
Si tu veux, j't'accompagne. On a qu'à s'retrouver dimanche midi et j't'emmène à Lantau.

JUSTIN
Merci ! C'est vraiment cool ! D'accord pour ce week-end.


31. EXTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - CENTRAL - SOUS LA HK & SHANGHAI BANK

Le dimanche, la large esplanade qui se trouve sous l'imposant bâtiment de la Hong Kong & Shanghai Bank, est le lieu de rendez-vous des domestiques philippines. C'est leur jour de congé. Or, il y a 250 000 domestiques sur le territoire. Le bruit généré par les milliers de conversations en tagalog sous un toit plus ou moins voûté est unique.

Justin attend devant les lions de pierre qui se tiennent devant l'immeuble. Brigitte arrive, un peu essoufflée, sourire aux lèvres.

BRIGITTE
Salut ! Ça va ? Je suis pas trop en retard ?

JUSTIN (souriant en balançant la tête du côté des domestiques)
Non, ça va, j'écoutais les conversations...


32. EXTÉRIEUR - JOUR - SUR LA MER - BAIE DE HONG KONG

Justin et Brigitte sont sur le pont arrière d'un ferry, les mains sur la balustrade. Ils fument une cigarette en regardant les immeubles qui bordent la baie. D'autres passagers sont assis sur les chaises qui traînent un peu partout. Certains prennent des photos de groupe, d'autres sirotent un jus de fruit, on joue aux cartes, on profite du soleil.


33. INTÉRIEUR - JOUR - SUR LA MER - DANS LE FERRY.

La salle dite "de luxe" se trouve en haut du ferry. Par les larges fenêtres, on distingue les îlots qui passent. Des tables et des chaises se trouvent contre les fenêtres. Justin et Brigitte prennent place, chacun de chaque côté d'une table, près de la fenêtre. Justin contemple un instant le paysage, puis:

JUSTIN
Tu comptes rester longtemps ici ?

BRIGITTE (en faisant la moue)
À Hong Kong tu veux dire ? Non, je cherche du travail en Chine.

JUSTIN (admiratif)
Tu parles chinois ?

BRIGITTE
Mandarin, oui, j'ai habité à Taipei après avoir fait Langues Orientales à Paris pendant un an. Mais ici, ils parlent cantonais, je n'y comprends rien, sauf les caractères.

JUSTIN
Ah oui, ce sont les mêmes ?

BRIGITTE
Oui, et puis je préfère le mandarin de toute façon, c'est plus joli. J'ai une copine à Pékin, j'espère trouver quelque chose là-bas grâce à elle. En attendant, j'essaie d'économiser un peu d'fric ici mais c'est pas facile. C'est cher, Hong Kong.

JUSTIN
Ben oui, j'sais pas comment vous faites. Avec c'que Francophonia nous paie, comment on arrive à s'en sortir ?

BRIGITTE (réfléchissant)
Ben tu peux donner des cours privés, ça marche bien, ou bien tu peux essayer de trouver des traductions...

JUSTIN
Tu parles, j'parle anglais comme une vache espagnole !

BRIGITTE (souriant)
Y'a aussi les "milk run"...

JUSTIN
Les quoi ? J'connais les milkshakes...

BRIGITTE (riant)
Non, les "milk run" ! Comment j'vais t'expliquer ça, moi... Euh, tu sais que Hong Kong est un port franc ?

JUSTIN (un peu gêné)
Oui, mais je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire.

BRIGITTE
Ça veut dire qu'il n'y a pas de frais de douane. Tu peux sortir tout ce que tu veux de Hong Kong, des montres, des bijoux, des parfums, des articles de luxe, de l'or, autant que tu veux : rien n'est taxé.

JUSTIN
Et alors ?

BRIGITTE
Ben, voilà, les milk run, c'est ça. Tu apportes des montres au Japon, de là tu vas en Corée du Sud avec des parfums et des produits de luxe, quelquefois à Taïwan et voilà.

JUSTIN
Mais tu les achètes, ces montres ?

BRIGITTE (amusée)
Non, tu contactes quelqu’un qui s'occupe de tout. Toi, t'as juste à passer la marchandise. Là-bas, on a graissé la patte du douanier, y'a pas d'problème.

JUSTIN
Ça rapporte bien ?

BRIGITTE
C'est pas la fortune mais enfin c'est pas négligeable, ça dépend de ce que tu transportes. Quelques centaines de dollars américains.

JUSTIN
Ouah ! Pas mal quand même ! Et tu l'as déjà fait, toi ?

BRIGITTE
Ouais, deux fois, avec Suzanne et sa soeur. C'était une bonne occasion pour aller faire la fête à Tokyo ! Pourquoi ? Ça t'intéresse ? Tu veux que je te branche ?

JUSTIN
Hmm, non merci ! Déjà que je flippe juste pour un petit bout d'shit !

BRIGITTE
Tu as ramené de quoi fumer ?

JUSTIN (franc)
Oui, oh, juste de quoi faire quelques pétards. Pourquoi ? Tu fumes ?

BRIGITTE (coquine)
Oh, de temps en temps, quand ça passe bien avec les gens.

JUSTIN
J'ai préparé deux petits joints tout à l'heure, on pourra s'les fumer sur la plage.

BRIGITTE
Ouais ! Cool !


34. EXTÉRIEUR - JOUR - LANTAU ISLAND - SILVERMINE BAY - EMBARCADÈRE

Le ferry accoste au quai de l'embarcadère, on descend la passerelle, Justin et Brigitte descendent du bateau. Michel est là qui les attend, en short bleu et t-shirt blanc, sourire éclatant.

MICHEL
Ça va ? C'était pas trop long ?

JUSTIN
Non, c'est une belle ballade. On a été sur le pont, c'était sympa.

MICHEL
On va tout d'suite chez moi ou vous voulez manger quelque chose dans un restau avant ?

BRIGITTE (un peu distante)
Moi, j'me suis bourrée de dim sums tout à l'heure, j'ai pas faim.

JUSTIN
Moi non plus. (à Michel) On va chez toi ? J'ai hâte de voir ton appart mais j'aime déjà bien ton île. C'est vachement plus sympa que la ville ici !

MICHEL
Ah oui, tu vas voir, c'est carrément deux mondes différents. Ça fait du bien de revenir ici après une journée en ville !


35. EXTÉRIEUR - FIN D’APRÈS-MIDI - LANTAU ISLAND - SILVERMINE BAY - PLAGE

Brigitte, Michel et Justin sont assis en maillot de bain sur des serviettes de plage. Michel est entre les deux. Justin lui passe discrètement un joint, souffle la fumée de ses poumons et dit.

JUSTIN (sérieux)
Et je peux emménager quand ?

MICHEL
C'est comme ça t'arrange. T'as beaucoup de bagages ?

Michel prend une bouffée et passe le joint à Brigitte.

JUSTIN
Juste un sac de voyage.

MICHEL
Eh ben apporte-le à Francophonia demain et prends le ferry avec moi après les cours. J'ai un lit de camp supplémentaire pour quand mon frère vient me rendre visite. Tu peux l'prendre en attendant.

JUSTIN
C'est génial ! Merci !
(se tournant vers la mer)
Ahh, ça va déjà mieux, moi ! Vous êtes vraiment sympa tous les deux !

BRIGITTE
Bah, c'est normal qu'on s'rende service !

MICHEL
Pis, moi, ça m'dépanne bien qu'tu loues la chambre !


36. INTÉRIEUR - MATIN - CHEZ MICHEL - SALON - LANTAU

Musique reggae sortant d'un lecteur portable, ni trop fort ni trop bas.
Une des portes donnant sur le salon s'ouvre. Justin, tout ébouriffé, vient de se réveiller. Il est en slip, t-shirt noir, pieds nus. Il entre dans le salon.

MICHEL (voix off)
Salut ! T'as bien dormi ?

JUSTIN (voix blanche de sommeil)
Ouais, la vache ! On dort bien à la campagne !

MICHEL
Tu veux du café ?

JUSTIN
Ouais, j'veux bien, merci ! J'vais pisser un coup, j'arrive.

Il disparaît par la porte de la salle de bain pendant que Michel verse du café dans une tasse. Il est assis sur un tabouret en formica. Dans le salon, il n'y a strictement rien sauf un lit pliant de camping, un tabouret où se trouvent les deux tasses et l'autre tabouret où Michel est assis. Il y a un lecteur de cassettes par terre, une pile de cassettes piratées posées à côté. Les murs sont vides de décoration. Justin revient dans la pièce. On entend la chasse d'eau quand il ouvre la porte qu'il referme derrière lui. Il va s'installer sur le lit de camp et attrape sa tasse.

JUSTIN (moins pâteux)
Merci pour le caouha. T'as bien dormi, toi ?

MICHEL (souriant)
Ben, t'as pas entendu ? J't'ai pas trop réveillé ? J'ai ramené une petite, hier soir.

JUSTIN (goûtant son breuvage)
Ah, Tammy ?

Regardant sa tasse avec une grimace.

JUSTIN
Putain ! Y'a pas d'sucre !

MICHEL (évasif)
Y'en a dans la cuisine.

Justin disparaît par une autre porte en emportant sa tasse. Michel parle plus fort.

MICHEL (faussement gêné)
Non, Tammy, c'était l'autre jour. Là, c'était une nouvelle.

JUSTIN (riant, voix off)
Mais, Tammy, c'était pas déjà une nouvelle ?

MICHEL
Ben si mais bon, tu sais c'que c'est, elles sont toutes à croquer !

JUSTIN (rieur, voix off)
Mais quand même, tu fais fort. Comment tu les attires ?

MICHEL
Ah ben celle-là, c'est incroyable. J'avais jamais vu ça. Je l'ai juste regardée dans le bus.

JUSTIN (revenant dans la pièce)
Quoi !

MICHEL (plus bas)
J'te jure ! Je l'ai repérée parce qu'elle était mignonne. Elle a vu que je la matais, j'lui ai souri, elle m'a souri, je me suis approché d'elle, j'ai lié conversation, on a été boire un pot et voilà.

JUSTIN (légèrement agacé)
Mais qu'est-ce que tu as trouvé à lui dire, comme ça, de but en blanc, dans le bus ?

MICHEL
Ben la vérité, que je la trouvais jolie et que j'avais envie de l'emmener boire un verre pour faire connaissance avec elle.

JUSTIN (pas convaincu)
Ben oui, vu comme ça, ça a l'air assez simple.

MICHEL (riant)
Va vivre quelques années à Bangkok et tu verras ! Là-bas, c'est tous les soirs que tu reviens avec une petite différente. (Se rappelant soudain) Tiens, tu sais qui c'est qui m'a appelé hier soir ?

JUSTIN
Non !?

MICHEL (gentiment triomphant)
Léonard ! Il m'a demandé de tes nouvelles. Il était bien content pour toi que ça ait marché et que tu sois là.

JUSTIN
Il va bien ? Il bosse à Bangkok ?

MICHEL
Oui, il vient de louer une maison avec un petit jardin, il me téléphonait pour m'inviter et du coup, quand il a su que tu étais là, il t'invite aussi.

JUSTIN
Ah il est vraiment sympa, c'mec-là ! Faudra qu'tu m'passes son adresse que j'lui envoie un mot. J'aimerais mieux y aller remarque, mais j'ai pas d'fric pour le billet. Déjà je suis sûr que Francophonia va me flanquer dehors dans trois semaines. Mon contrat s'termine, ils vont jamais vouloir me garder, c'est joué... comme j'ai pas voulu m'couper les cheveux. Bref j'ferais mieux d'économiser pour rentrer en France. Et puis il va falloir que je reprenne mon poste dans l'Education Nationale.

MICHEL (provocant)
T'as envie d'rentrer ?

JUSTIN
Tu parles ! Ça me fout les boules ! Y'a qu'à l'étranger que j'me sente bien. Alors tu penses si j'préfèrerais aller voir Léonard plutôt qu'rentrer au Mans !

MICHEL
Tu sais, le billet pour Bangkok est assez bon marché d'ici. Pour 700 balles, tu devrais pouvoir trouver un aller-retour. Tu veux que j'me renseigne ? J'suis pas encore sûr d'y aller mais au cas où... Tiens, tu roules un pet ? Les tiens sont plus beaux qu'les miens.

Justin va chercher le matos dans sa chambre, revient et roule.

JUSTIN
Mais enfin, pour moi, Bangkok, ça dépendra si Francophonia me garde ou pas. C'est con, maintenant, j'gagne assez d'fric avec mes cours particuliers (quoi?? On peut PAS imaginer qu’il s’est passé tout ce temps!) , j'pourrais m'passer d'eux à la limite mais j'en ai besoin pour le visa d'travail et s'ils me reprennent pas, c'est rapé, faut qu'je quitte la ville dans les trois mois.

MICHEL (rigolant)
T'as qu'à faire un milk run tous les trois mois et tu récupères trois mois d'visa d'touriste quand tu reviens.

JUSTIN
Tu parles ! J'ai pas envie d'me retrouver en taule !

MICHEL
Bah, un peu d'contrebande, ça va pas chercher loin.

JUSTIN
T'en as déjà fait ?

MICHEL
Nan ! Les p'tits trips sur la Corée ou Tokyo, ça paie que dalle, ça vaut pas l'coup. C'est juste bon pour aller faire la fête gratoche. Y'a qu'l'or qui rapporte mais là tu risques la taule.

JUSTIN
Ouais, laisse tomber ! On est pas des gangsters !

MICHEL
Tiens, tu sais qu'ils prévoient un typhon pour c'week-end ?

JUSTIN
Tu déconnes ?

MICHEL (riant)
Non, mais fais pas une tête comme ça, c'est pas comme une tornade !

JUSTIN (pas rassuré)
Mais c'est dangereux ?

MICHEL
Ben ça dépend mais ici, c'est la région. À Taïwan, c'est encore pire, en plus des typhons, ils ont des tremblements de terre. Ici, en général c'est pas bien grave.

JUSTIN (fronçant les sourcils)
Ça fait chier, j'devais aller voir Brigitte chez ses copains, à Discovery Bay, y'aura pas d'bateau.

MICHEL
Eh ben vas-y à pied. C'est pas si loin par la montagne, c'est une ballade que j'me suis promis d'faire depuis longtemps. J'viens avec toi si tu veux.

JUSTIN
Sous un typhon ??? T'es dingue !

MICHEL (amusé)
Non, sérieux, c'est juste un peu d'vent quelquefois et les collines ne sont pas boisées du tout, donc y'a pas d'danger d'se prendre un truc qui vole dans la gueule. On verra comment ça souffle.

JUSTIN
Bon, on verra mais j'sais pas...

MICHEL (souriant finement)
Ben j't'oblige pas à me suivre de toute façon, s'il t'arrive un truc, faudra pas t'plaindre à moi non plus.


37. INTÉRIEUR - JOUR - CHEZ MICHEL - SALON - LANTAU

Un jeune Chinois vient s'encadrer derrière la porte d’entrée vitrée, il a les cheveux noirs évidemment mais longs, ce qui est plus rare pour la région. En fait, à part Justin, c'est le premier type chevelu qu'on voit dans le film.
Il frappe.

MICHEL
Tiens, mais c'est Kwan !

JUSTIN
Tu le connais ? Il a l'air cool.

MICHEL (se levant pour aller ouvrir)
Il habite pas loin, dans la montagne.

Michel ouvre la porte.

MICHEL
Kwan ! My friend ! Come on in ! How are you ?

Kwan entre. Il est assez grand, assez mince et carré de visage, aux pommettes très saillantes. Il porte des lunettes, un t-shirt blanc, un jean, des tennis et un sac en plastique du supermarché Park'n'Shop.

KWAN
Good morning !

MICHEL (pointant Justin)
That's Justin, my new tenant. He just moved in.
(À Justin) This is Kwan, our next door neighbour and a good friend of mine.

JUSTIN
Euh… Sorry ?

MICHEL (à Kwan)
Take a sit, Mate !
(à Justin) Justin, tu veux pas aller faire chauffer d'l'eau pour le café ? Ce serait sympa.

Justin acquiesce d'un hochement de tête et se lève pour aller dans la cuisine. Kwan s'assoit à sa place.

KWAN
So, how's life ?

MICHEL
Pretty cool, my friend, pretty cool ! I just got back from Pukhet, did some scuba diving there, very nice !

KWAN (vérifiant du regard que Justin est bien sorti de la pièce)
Did you get it ?

MICHEL (se levant avec un clin d'oeil et se dirigeant vers sa chambre)
Hold on a sec...

Il disparaît un moment dans sa chambre. Justin est toujours dans la cuisine, Kwan se lève à demi pour attraper le boîtier de la cassette qui joue en sourdine. Il regarde la couverture du boîtier, le retourne pour lire les titres. Michel réapparaît.

MICHEL (jetant un coup d'oeil vers la cuisine en tendant un petit paquet rond)
There you go, Mate. I tried it, it's really good.

MICHEL (montrant la cuisine du menton, en souriant finement)
Don't show it around though, I don't know this guy, he just arrived from France. I'll come and see you tonight for the money, ok ?

KWAN (plongeant le paquet dans son sac en plastique)
No problem.

Justin arrive de la cuisine, prend les deux tasses vides sur le tabouret et repart. Kwan sort un paquet de Drum du sac en plastique.

MICHEL (tout bas à Kwan)
He's a good maid so far.

KWAN (ricanant)
And cheap too ! Don't fire him too soon !

Kwan et Michel rigolent. Kwan s'empare de son paquet de papier à rouler (Riz-la-+), il en sort une feuille. Justin réapparaît, porteur de trois tasses de café qu'il pose tant bien que mal sur le tabouret. Il tourne la tête vers Michel. Kwan roule sa cigarette.

JUSTIN
Qu'est-ce qui s'passe ?

MICHEL
Non, rien, tu sais que Kwan est un grand fumeur ?

Justin regarde Kwan qui fume. Il n'est pas sûr de ce Michel veut dire.

MICHEL (à Kwan)
I say, you like to smoke a little joint ?

KWAN
Sure, why not !

MICHEL (à Justin)
Tu veux pas t'en occuper ? Tu roules mieux qu'moi.

JUSTIN (comprenant soudain)
Ben j'ai plus beaucoup d'matos. T'en as, toi ?

MICHEL (inspiré, à Kwan)
Oh, yeah, you haven't tried that one ! I brought a little grass from Pukhet, yummi !

JUSTIN (à Michel)
What ? Qu'est-ce t'as dit ?

Michel disparaît dans sa chambre sans répondre, revient et tend une ou deux têtes de marijuana à Justin. Pendant ce temps, Kwan a pris sa tasse, la cigarette coïncée entre deux doigts et il s'est replongé dans la lecture des titres de la cassette.

MICHEL (à Justin)
Tiens roules-en un avec ça, tu m'en diras des nouvelles.

JUSTIN (soudain rayonnant)
Whouah génial ! De l'herbe ! Elle vient d'où ?

MICHEL (souriant finement)
Ben... de ma chambre.

Justin commence à rouler.

MICHEL (à Kwan, désignant la cassette du menton)
You like that band, Mate ?

KWAN
Yeah, they're pretty good. I saw them play live in Denmark once.

MICHEL
It's the perfect music around here. I bought the tape on the street in Bangkok, it's pretty cheap over there.

KWAN (détaché)
You know, I started writing for a music magazine. Well I'm gonna be covering a free concert on the beach, here, in two weeks time, during the weekend. Lots of local bands, should be pretty cool. You wanna come ?

MICHEL (à Justin)
Wow ! Dis-donc, y'a un concert de rock sur la plage dans 15 jours !

JUSTIN (l'oeil allumé)
C'est vrai !? C'est qui qui joue ?

MICHEL
J'sais pas, des groupes du coin, j'pense.

JUSTIN
Génial ! Bien stoned, on va s'éclater ! J'vais préparer plein de p'tits sticks pour le concert, on aura pas à rouler, ce sera plus discret.

MICHEL (souriant)
C'est ça, finis celui-là, déjà...

JUSTIN (sérieux)
Faut pas qu'j'sois trop stoned, j'ai rencard avec Brigitte pour bouffer au Mac-Do.

MICHEL (insinuant)
Ah ouais !? Ça marche avec cette petite ?

JUSTIN (d'abord surpris par la question un court instant puis sincère, un rien nerveux)
Tu veux dire... pour sortir avec elle ? Non, non, c'est juste une copine, Brigitte, c'est comme une grande soeur. J'pourrais pas sortir avec elle, ça serait d'l'inceste. Mais j'l'aime vraiment bien. Elle est super comme nana.

MICHEL (à Justin avec une sorte d'amusement incrédule, puis se reprenant)
Ouais, c'est vrai, elle est super gentille.
Dis-moi, excuse-moi si c'est indiscret, mais t'avais des copines en France, avant d'venir ?

JUSTIN (rougissant)
Des copines ? Non ! J'ai UNE copine depuis bientôt sept ans.

MICHEL (incrédule)
Vraiment ? Pourquoi elle est pas venue avec toi ?

JUSTIN
On avait pas assez d'argent. Moi, c'est mes parents qui m'ont payé le billet aller. Elle est restée dans notre appart, mais je lui ai promis de la faire venir si j'arrivais à lui trouver quelque chose ici. Elle trouve pas d'boulot là-bas.

MICHEL
Et... tu vas le faire ?

JUSTIN (haussant les épaules)
Faudrait déjà que j'trouve un moyen de rester moi-même !


38. INTÉRIEUR - JOUR - FRANCE - LE MANS - GARAGE À 2CV

La 2CV est dans la même position où l'a laissée Justin, le nez devant le mur du fond du garage. Son capot est relevé. Appuyée des deux mains sur l'aile gauche de la voiture, une jeune fille aux cheveux longs brun foncé, d'environ 22 ans, habillée d'un t-shirt sans manche et d'une légère jupe d'été à mi-genoux, regarde le moteur. La caméra s'approche d'elle, en longeant l'auto. Alors qu'elle s'approche du capot relevé, un jeune homme, qui était penché sur le moteur, se redresse. Il est grand, jeune, trop mince et porte une fine moustache sous une mèche de cheveux noirs qui lui cache les yeux.

LE JEUNE HOMME (relevant sa mèche d'un mouvement de tête)
On va voir mais ça m'étonnerait qu'ça marche...

Alors qu'il passe derrière la jeune fille, il l'embrasse dans le cou. Se laissant faire, elle lui adresse un sourire de tendresse. Il s’installe au volant, met le contact. Rien.

LE JEUNE HOMME (avec un rictus exaspéré)
Ah ça ! Il l'a complètement flinguée, ton mec ! T'as plus qu'à aller récupérer ta mobylette.

LA JEUNE FILLE (les mains aux tempes)
Merde ! Ah mais quel con, c'est pas vrai ! Il fait chier !


39. INTÉRIEUR - SOIR - HONG KONG - FRANCOPHONIA - CLASSE

Une classe de français typique, avec des chaises munies d'une tablette pour prendre des notes, un tableau derrière le mini-bureau du professeur, des affiches de peintures ou de châteaux français au mur. Une vingtaine d'étudiants de toutes sortes et tous âges sont éparpillés dans la salle, avec, devant eux, le même livre ouvert à la même page. Ils regardent tous Justin, debout devant le tableau, un feutre noir à la main.

JUSTIN (horrible accent français)
Well, I think we learn everything for the examination. You have question ?

Une étudiante d'une quarantaine d'années lève le doigt.

ÉTUDIANTE (français très lent et hésitant)
Est-ce que vous serez notre professeur après encore ?

JUSTIN (parlant lentement en détachant les syllabes)
Non, je ne crois pas.

ÉTUDIANTE (déçue)
Vous retourne à France ?

JUSTIN (tristement)
Eh oui. I must. Il le faut.

ÉTUDIANTE
Why ? You don't like Hong Kong ?

JUSTIN (surpris et horrifié qu'on puisse penser une chose pareille)
Oh no ! I love Hong Kong ! I want to stay !

ÉTUDIANTE (compréhensive)
So why you go ? Your family ? Your wife ?

JUSTIN (souriant, se dirigeant vers son mini-bureau)
Oh no. This is no problem. It is because this school don't like me.

ÉTUDIANTE (indignée)
Why !? You are good teacher ! Why not keep you ?

Approbations dans la salle.

JUSTIN (embêté, rangeant ses livres dans son sac)
Because I don't want cut my hair.

ÉTUDIANTE
What ???

Remous parmi les étudiants.

JUSTIN (écartant les bras)
They say students don't like teacher with long hair. So I must go.

ÉTUDIANTE (insistant)
But you like to stay in Hong Kong ?

JUSTIN (pauvre sourire)
Oh yes ! Me, I don't want to go back in France !

Et Justin se dirige vers la sortie. La caméra balaye la classe où les étudiants semblent vivement commenter la nouvelle.

JUSTIN (sortant de la classe)
Au revoir ! Bye bye ! Study good for the examination ok !?

CLASSE (chaotique)
Bye bye ! Au revoir !


40. INTÉRIEUR - SOIR - HONG KONG - FRANCOPHONIA - SALLE DES PROFS

Justin entre dans la salle des profs où se trouve Brigitte, debout, occupée à ranger ses livres dans son casier.

JUSTIN (enjoué)
Tiens ! Salut Brigitte, ça va !?

BRIGITTE (un beau sourire aux lèvres)
Salut ! T'as l'air en pleine forme, dis donc !?

JUSTIN (riant)
Eh oui, ça doit être la plage tous les jours, ça m'réussit bien.

BRIGITTE (regard plus appuyé)
Tu te plais toujours bien chez Michel ? Ça s'passe bien ?

JUSTIN
Ouais ! Très bien, pas d'problème.

BRIGITTE (souriante)
Il ramène pas trop d'nanas, ça va ?

JUSTIN (riant)
Ah ça ! C'est un vrai Don Juan, c'mec-là ! Il arrête pas !
(plus sérieusement)
Et toi, à Discovery Bay, ça boume ?
(se rappelant soudain)
Au fait, ça marche toujours pour demain ? T'as vu, il va y avoir un typhon, il paraît !

BRIGITTE
Oui, il a l'air de vraiment s'diriger vers Hong Kong et, t'as vu, il a déjà fait des siennes aux Philippines ce matin, ça a l'air d'être un gros.

JUSTIN (ennuyé)
Ben oui et du coup j'sais pas si j'pourrai venir te voir. T'as déjà vu des typhons, toi ?

BRIGITTE (blasée)
Ben oui, deux ou trois, à Taipei.

JUSTIN
C'est dangereux ?

BRIGITTE
Ben, les gens collent du sparadrap sur les carreaux des fenêtres pour éviter qu'elles cassent. Sinon le vent s'engouffre et il aspire tout chez toi, même les meubles. Enfin, c'est pas toujours comme ça, quelquefois c'est juste un peu d'vent. (Avec un petit sourire) Pourquoi, tu flippes ?

JUSTIN (détaché)
Non, c'est juste que je me demande s'il y aura des bateaux pour Discovery Bay.

BRIGITTE
Ben c'est pas grave, on peut remettre ça un autre dimanche.

JUSTIN (avec un rien d'angoisse)
Non, c'est pas ça, s'il n'y a pas d'bateau, Michel, il propose qu'on vienne à pied, en passant par la montagne. Qu'est-ce que t'en penses ?

BRIGITTE (piquée)
Ah bon, parce que Michel vient aussi ?

JUSTIN (dans ses petits souliers)
Ben j'sais pas, c'est lui qu'a eu c't'idée. Tu crois que c'est risqué ?

BRIGITTE (calmée)
Ben ça dépend de la force du typhon mais moi, j'me risquerais pas dehors quand ça souffle trop fort. Et pourtant, je suis bretonne ! En plus, il pleut à torrent !

JUSTIN (avec précaution)
Michel dit que la montagne est pelée et qu'on ne risque pas de se prendre des trucs volants dans la gueule ?

BRIGITTE
Ah ça ! C'est sûr qu'il n'y a pas beaucoup de végétation. Mais tu sais, méfie-toi de Michel un peu quand même, il est sympa comme ça mais bon... Enfin, tu fais c'que tu veux, c'est pas mon rôle de te dire ça.

JUSTIN
On verra bien mais j'ai envie d'essayer. De toute façon, tu restes à Discovery Bay c'week-end ?

BRIGITTE (avec un brin d'irritation)
Ben avec le temps qu'il va faire, oui sans doute.

JUSTIN
Bon, ben peut-être à demain alors ! Si j'm'envole pas en chemin.
Qu'est-ce que tu fais, là ? On va au ferry ensemble ?

BRIGITTE (souriante)
Non, j'ai rencard avec des amis au pub, on va dîner quelque part ensemble.

JUSTIN (saluant de la main en s'en allant)
Ok, ben bonne soirée ! Salut !

BRIGITTE (gentiment)
Salut... et fais attention à toi.

JUSTIN (la main sur le cadre de la porte, même sourire d'amitié)
No problem.


41. INTÉRIEUR - MATIN - LANTAU - CHEZ MICHEL - SALON

Justin et Michel sont assis dans le salon, buvant du café, comme précédemment. La lumière est allumée. Il n'y a pas de musique. Dehors il fait mauvais. Le ciel est plombé. Il fait très sombre. Il pleut mais pas trop. Il n'y a pas beaucoup de vent, juste des rafales de temps en temps. Rien de bien catastrophique.

JUSTIN (rigolant)
C'est ça, un typhon ? Ben alors Le Mans vit en temps de typhon toute l'année !

MICHEL
Ça, c'est le calme avant la tempête. Tu veux toujours aller à Disco ?

JUSTIN (hésitant)
Ben j'sais pas. Est-ce qu'il y a des bateaux d'abord ?

MICHEL
Attends, j'vais mettre la radio.

Il disparaît dans sa chambre et revient avec un petit appareil à pile. Il l'allume. Un son nasillard en jaillit.

RADIO
Service on some bus routes may vary according to demand, road situation or weather condition.
Ferry services may be suspended at a short notice, irrespective of issue of typhoon signal No 8. Ferry passengers are requested to listen to radio forecast...

JUSTIN (interrompant le message)
Qu'est-ce qu'ils disent ?

MICHEL
Ben en gros, il doit encore y avoir des bateaux, mais ils sont sur le point d'arrêter les services. À mon avis, c'est même pas la peine d'essayer, le temps qu'on se prépare et qu'on y aille, on arrivera trop tard.

JUSTIN (angoissé)
Alors tu veux vraiment y aller par la montagne, c'est ça ?

MICHEL
On est pas obligé d'y aller mais si on y va, faut s'dépêcher, le vent va pas tarder à s'lever.

JUSTIN
T'as envie d'y aller ?

MICHEL
Ah moi j'vais aller y faire un tour, de toute façon, c'est sûr !
(charmeur)
Allez quoi, viens ! À deux, ça sera plus sympa !

Justin jette un oeil dehors. Le temps n'a pas l'air bien terrible.

JUSTIN
Bon, d'accord. J'm'habille et on y va.


42. EXTÉRIEUR - FIN DE MATINÉE PLUVIEUSE - LANTAU - LE LONG DE LA BAIE "SILVERMINE BAY"

L'horizon est complètement bouché, le ciel et la mer se rejoignent dans les mêmes tons gris plombés. Il y a quelques bourrasques de vent qui se font de plus en plus fortes, au fur et à mesure qu'on avance dans la scène. La pluie augmente aussi graduellement. Pour l'instant, les vagues n'ont rien de particulier. Justin et Michel, en cirés jaunes, capuchon sur la tête, avancent d'un pas normal, l'un à côté de l'autre sur le chemin qui longe la plage. Michel tient un grand parapluie noir. Ils avancent, en discutant, vers la montagne au bout de la baie.

MICHEL
Ben oui, j'suis né en Algérie. Mon père était conducteur d'autobus à Alger et ma mère était couturière, alors tu parles qu'on avait pas d'fric quand il a fallu aller vivre en France. Là, on a vite vu qu'on était pas les bienvenus... La seule chose qu'on nous ait donnée, j'me souviens, c'est un panier de pommes. J'étais tout môme et j'me rappelle qu'j'avais l'impression qu'on nous avait arnaqués, tu vois, comme si on m'avait pris l'soleil en échange d'un panier d'pommes. J'avais envie d'les balancer à la gueule de tous les gens que j'croisais, ces pommes !

JUSTIN
T'es jamais retourné à Alger ?

MICHEL (dans ses souvenirs)
Ben non, qu'est-ce que j'y ferais ? J'connais personne là-bas. J'te dis, j'étais tout môme. J'me rappelle surtout la lumière.

Justin et Michel sont presque arrivés au bout de la baie. On distingue un chemin, grimpant vers la montagne.

MICHEL
(pointant son doigt vers la montagne)
Tiens, tu vois la maison, là, dans la montagne ? C'est là qu'habite Kwan.

JUSTIN
Ah ! C'est bien cool ! Il est tranquille ici !

Justin et Michel empruntent le chemin et disparaissent derrière la végétation. Le vent souffle de plus en plus fort. On entend un chien aboyer. Il pleut. Les bourrasques commencent à faire changer la pluie de direction.


43. EXTÉRIEUR - FIN DE MATINÉE PLUVIEUSE - LANTAU - CHEMIN DE MONTAGNE

Justin suit Michel qui avance, le dos rond, sur le chemin boueux. La végétation a disparu, si ce n'est l'herbe et quelques ronces. Il y a des bourrasques toutes les vingt secondes à présent. L'une d'elle rebrousse les baleines du parapluie de Michel qui s'arrête pour les remettre à l'endroit. Il replie son parapluie en disant:

MICHEL (criant pour couvrir le vent)
Bon, j'crois qu'c'est plus trop la peine, hein !?

Justin va pour répliquer quelque chose, mais une bourrasque le freine brusquement en lui repoussant la capuche en arrière. Il plie du jarret pour avancer et remonter à côté de Michel.

MICHEL (sourire resplendissant)
Ça commence à souffler, hein !?

JUSTIN
Ça commence à mouiller surtout !

MICHEL
Eh ouais ! J'suis désolé pour le parapluie hein, mais y'en avait qu'un.

JUSTIN (faisant la grimace)
Ouais, faudra qu'je pense à m'en acheter un !

MICHEL (riant)
De toute façon, parapluie ou pas, maintenant, les gouttes arrivent à l'horizontale alors...

JUSTIN (riant aussi)
Ouais, allez ! En route ! À la douche !


44. EXTÉRIEUR - FIN DE MATINÉE PLUVIEUSE - LANTAU - CHEMIN DE MONTAGNE

Justin et Michel, trempés par la pluie, sont arrivés sur la crête d'un mont dominant une vallée étroite. Le vent s'engouffre directement dans la vallée qu'il remonte comme un toboggan, projetant la pluie dans le visage des deux promeneurs qui avancent sur le chemin escarpé. Plus ils avancent vers le centre de la crête, plus le vent devient fort. Bientôt, ils doivent avancer en crabe pour lui faire face et mieux lui résister. Impossible de garder la capuche sur la tête, la pression est incroyable, à faire sauter les boutons du ciré.

MICHEL (hurlant)
Regarde !

Michel, posant son parapluie par terre, s'approche du bord du chemin et de la crête, il se penche un peu, s'arc-boute, écarte lentement les bras en se laissant tomber en avant. Quand ses bras sont complètement tendus, Michel est quasiment porté, à l'horizontale, par le vent. L'impression que cela lui donne est visible sur son visage déformé par le vent, sa bouche est grande ouverte, il hurle de joie.

Justin, d'abord inquiet pour son ami, observe sa jubilation et on comprend, à son regard qui change de l'inquiétude au pétillement, que la contagion est foudroyante. Il s'avance aussitôt vers le bord, à côté de Michel. Il le regarde en souriant et se place en position. Justin fait mine de plonger dans le vide. Ce simple geste lui fait perdre à moitié l'équilibre. Il se replace.

MICHEL (hurlant dans le vent)
Fais attention !

Justin se penche plus doucement dans le vent en écartant progressivement les bras, comme il a vu faire Michel. Au début tout va bien et lui aussi se met à hurler de joie. Mais Justin n'a ni la carrure, ni le poids de Michel. Soudain, une bourrasque plus forte arrache littéralement ses pieds du sol et l'emporte de l'autre côté du chemin. Justin s'abat sur la terre boueuse, de l'autre côté de la crête qui dévale jusqu'au fond de la vallée. Il s'accroche à une racine mais le terrain est trop glissant, il n'arrive pas à reprendre son équilibre. Il lève la tête.

JUSTIN (hurlant)
Michel !

Mais le vent emporte ses mots. Michel apparaît cependant, à quatre pattes. Justin essaie encore une fois de reprendre son équilibre des pieds et des genoux, ça glisse, il fait une grimace à Michel pour indiquer la situation. Michel disparaît un court instant et réapparaît, à plat ventre, avec son parapluie au bout du bras. Il le tend à Justin qui, de son bras libre, en attrape l'extrémité. Michel tire sur le parapluie. Justin tire sur sa racine, son pied trouve une prise, il remonte et s'affale enfin près de Michel pour reprendre son souffle quelques secondes. Il se retourne. Michel lui tend la main. Justin tape dedans.

JUSTIN (hurlant dans le vent)
Merci !

MICHEL (en riant)
C'est utile, les parapluies, hein !?

JUSTIN (hochant la tête)
Heureusement qu't'étais là aussi !

MICHEL
Hé ! J'crois qu'on ferait mieux de finir cette crête en rampant !
Y'a trop d'vent ! Là-bas, ça a l'air mieux protégé !

JUSTIN
D'accord !

MICHEL
Passe devant !

La caméra les observe un moment. Justin rampe sur le chemin en se servant de ses coudes. Michel suit derrière, son parapluie fermé dans une main.


45. EXTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - ENSEMBLE DE PETITS IMMEUBLES

Discovery Bay est un site balnéaire destiné à la classe moyenne aisée, formé de petits immeubles et de quelques tours au bord d'une plage artificielle. L'endroit est flambant neuf. La moitié des appartements sont encore vacants. Pour l'heure et vue la météo, le lieu est désert. Tout le monde se terre à la maison pendant que les rafales de vent ramassent tout ce qui peut traîner du chantier à peine terminé. Heureusement, les ouvriers chinois sont méticuleux et il ne reste pas grand-chose à nettoyer. Les rues et les trottoirs, les façades d'immeubles sont battus par la pluie. Les rares arbustes qu'on vient de planter n'ont pas résisté aux assauts du vent. Ils gisent à terre, leurs branches secouées et martyrisées, achevées par le vent. Les lampadaires eux-mêmes sont secoués. Justin et Michel avancent en titubant au gré des rafales dans ce décor lugubre.


45. EXTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - PORCHE D'IMMEUBLE

Ils pénètrent sous le porche d'un petit immeuble et secouent leurs vêtements dégoulinants d'eau.

JUSTIN
Putain ! Je suis mort !

MICHEL (regardant sa montre)
La vache ! Tu sais combien de temps on a mis ?

JUSTIN
Non, dis voir !

MICHEL
Il est quatre heures et demie ! On a mis six heures, à peu près !

JUSTIN (scié)
Wow ! Et faut combien d'temps d'habitude ?

MICHEL (soupirant)
Bah environ deux heures !

JUSTIN
Ah ben d'accord ! Bonjour la ballade !

MICHEL
C'était quelque chose quand même, non ?

JUSTIN (ne sachant trop qu’en penser)
Ouais, comme tu dis !

MICHEL
Et attends ! C'est pas fini ! À mon avis, ça ne fait même que commencer...
Bon, elle habite à quel étage, Brigitte ? J'me les caille maintenant !

JUSTIN
Attends, j'l'appelle, y'a un bigophone.

Justin appuie sur une sonnette.

VOIX
Allô ?

JUSTIN
Brigitte ?

BRIGITTE
C'est toi !? Putain, vous êtes venus quand même !? Ils sont fous ! Entrez !

On entend le déclic de la porte d'entrée de l'immeuble. Justin et Michel entrent et disparaissent dans le vestibule.


46. INTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - APPARTEMENT D'IMMEUBLE - DEVANT LA PORTE

La porte est ouverte, Brigitte est à l'intérieur. Justin et Michel sont en train d'ôter leur ciré.

JUSTIN
J'suis même trempé en dessous !

BRIGITTE
Enlevez vos chaussures aussi, vous serez gentils. J'suis pas chez moi ici !

MICHEL (ôtant ses chaussures et ses chaussettes dégoulinantes)
Tu crois que j'pourrais prendre une douche ? J'ai besoin d'me réchauffer un peu.

BRIGITTE (sans le regarder)
Ben entrez déjà, il fait meilleur à l'intérieur.


47. INTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - APPARTEMENT D'IMMEUBLE - SALON

Michel et Brigitte sont assis dans le salon. Michel est dans un fauteuil, en peignoir, les cheveux encore mouillés du bain, ramenés en arrière. Il sirote une tasse de thé bouillante. Brigitte est assise sur le canapé face à lui et fume une cigarette. Une tasse de thé est posée devant elle sur la table basse. Le salon est assez bourgeois mais jeune, agréable. Une baie vitrée, derrière laquelle se trouve une terrasse, prend toute la largeur d'un mur. Justin sort de la salle de bain. Son peignoir est trop court, ses cheveux sont encore mouillés.

JUSTIN
Aah ! Ça fait du bien ! Une bonne douche brûlante après six heures de déluge glacé, y'a rien d'tel pour fortifier son homme !

BRIGITTE
Vous êtes complètement malades ! Vous savez qu'on est passé au signal 10 ?

JUSTIN
Qu'est-ce que c'est, "signal 10" ?

BRIGITTE
Ben pour te donner un ordre d'idée, au signal 8, tout ferme. Les écoliers rentrent chez eux, les bureaux se vident, tout l'monde se barre. Bientôt, il y a plus d'bateaux, plus d'bus, plus d'minibus et pour finir plus d'taxis. Signal 10, c'est rare, c'est pour les gros typhons. En plus, ils disent que ça va encore augmenter ! Le pire, c'est pour dans les quatre ou cinq heures à venir.

MICHEL
Ben on est coincés là, alors.

BRIGITTE
Y'a pas d'problème, y'a à manger dans le frigo. Moi j'prendrai la chambre de mes copains, ils sont allés passer le week-end à Macao. L'un de vous deux prendra la chambre d'ami et l'autre pourra dormir ici, sur le sofa. De toute façon, vos fringues sont encore toutes mouillées.

JUSTIN (pointant du menton vers un coin du salon)
En attendant, on a qu'à regarder les infos à la télé.

Brigitte attrape la télécommande et allume le téléviseur. Elle zappe. On finit par apercevoir quelques images de rues désertes battues par l'averse, une enseigne chinoise à moitié détruite, pendouillant dans le vide, un arbre renversé, etc. ...


47A. INTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - APPARTEMENT D'IMMEUBLE - SALON

…La caméra retourne sur la table où se trouvait la télécommande. La table est maintenant pleine de victuailles, le cendrier est plein, la lumière a changé, dehors, il fait nuit. On aperçoit à peine le halo des lampadaires. Retour sur la télé où l'on voit des images de navires amarrés mais durement secoués par les flots. Le son de la télé est pratiquement couvert par le hululement du vent.

MICHEL (mordant dans une tartine)
Brigitte, tu veux pas couper le volume de la télé qu'on n'entende que le vent ?

JUSTIN (inquiet, regardant la baie vitrée)
C'est p'têt juste moi mais, vous trouvez pas qu'la vitre s'arrondit vers l'intérieur ?

BRIGITTE (se lève, avance vers la baie vitrée pour l'effleurer de la main)
Ouais ! T'as raison ! C'est la pression du vent ! Tu t'rends compte !

Juste à cet instant, une lourde poubelle de rue, en métal jaune, s'abat avec fracas sur la terrasse de l'appartement. Elle vacille une seconde à vingt centimètres de la baie vitrée avant qu'une nouvelle rafale de vent ne la soulève pour l'emporter plus loin. Brigitte, Justin et Michel poussent des exclamations d'horreur.

MICHEL (panique amusée)
Je sais pas pour vous, mais moi, j'préfère m'tirer dans la chambre du fond, au moins on y sera mieux protégés.

BRIGITTE (s'activant)
Ouais, on sait jamais. Prenez vos clopes et barrons-nous du salon.

Ils se dépêchent d'attraper leur verre, leurs cigarettes, leur briquet et un cendrier sur la table basse et disparaissent dans le couloir.


48. INTÉRIEUR - JOUR PLUVIEUX - LANTAU - DISCOVERY BAY - APPARTEMENT D'IMMEUBLE - CHAMBRE

Un lit "queen-size", même style de décoration et d'ameublement que le salon, mais la touche européenne y est plus flagrante. Brigitte pose le cendrier au milieu du lit et s'allonge derrière, un coude sur le matelas, sa main soutenant sa tête. Elle fume.

Michel s'adosse à la tête du lit, une jambe sur le matelas, l'autre pendant à côté du lit.

JUSTIN
Oh, attendez, j'ai quelques p'tits stickos dans mon pantalon ! J'vais les chercher.

Il sort de la chambre.

MICHEL (à voix basse)
Il a toujours un bout d'shit dans son pantalon !

BRIGITTE (souriant finement)
Mais mon cher, n'est-ce pas le cas pour tous les hommes ?

MICHEL (avec le même sourire)
Encore faut-il choisir du bon, qui fait bien planer !

BRIGITTE (même ton)
Oui mais, toi, tu serais pas un peu dealer sur les bords ?

MICHEL (finaud)
Vu les circonstances, je fais fumer gratuitement, comme notre ami Justin.

Justin réapparaît, tenant triomphalement sa boîte de pansements.

JUSTIN (ricanant)
Heureusement qu'j'avais pensé à les mettre dans une boîte en fer, ça m'évite de les retrouver à moitié trempés comme mes cigarettes !
(S'asseyant au bout du lit) Qu'est-ce que vous disiez ? Qu'est-ce qu'il a Justin ?

BRIGITTE (écrasant sa cigarette)
On disait que t'avais toujours quelque chose à fumer.

JUSTIN (lui tendant un joint d'un geste enroulé)
Et vous aviez raison !

Brigitte allume le joint. Elle prend une grosse bouffée qu'elle garde un bon moment avant de la resouffler.

BRIGITTE (à Justin)
Hmm ! Ça fait du bien ! Il a un bon petit goût bien frais !

Elle tire une autre grosse bouffée et passe le joint à Michel.

MICHEL (à Brigitte, sur un ton de faux reproche)
Oh là là ! Mais quelle goulue ! Regarde comme elle me l'a chauffé, ce joint ! Une sacrée coquine!

Il tire une grosse bouffée, lui aussi, alors que Brigitte le regarde avec un sourire sous-entendu.

BRIGITTE
Si c'est trop chaud, passe-le à Justin !

JUSTIN (qui n'a rien compris au deuxième degré)
Ben oui, tiens ! Passe-moi l'joint !

BRIGITTE (riant en coin)
Ah ! Tu vois ! Il est d'accord, Justin !

JUSTIN (qui n'a toujours rien compris)
Oh là là, t'es bien stoned toi !

Michel vient de retirer une autre méga-bouffée du petit joint et il le passe à Justin.

JUSTIN (outré)
Mais ! Il me l'a fini en deux taffes, c'goujat-là ! Il m'reste quasiment qu'le filtre !

MICHEL (amusé)
Ben oui, ils sont trop courts tes pétards, qu'est-ce que tu veux !

JUSTIN (offensé)
Trop courts !

BRIGITTE (mutine, à Michel)
Et toi, ils sont trop courts aussi tes pétards ou ils éclatent tout d'suite ?

MICHEL (s'allongeant soudain sur le côté pour attraper Brigitte par le cou)
Alors ça tu vois, ça ne peut s'vérifier qu'en y goûtant.

Il l'embrasse sur les lèvres et les voilà partis dans un baiser langoureux qui n'en finit plus. Justin termine le joint à petites bouffées précautionneuses pour ne pas entamer le filtre en carton. Il l'écrase dans le cendrier alors que Michel a passé sa main dans le T-shirt de Brigitte et que celle-ci pousse déjà un mignon petit gémissement.

JUSTIN (gêné, voire tristounet)
Bon, ben j'vous laisse.

Les deux autres ne font même pas signe qu'ils ont entendu, perdus qu'ils sont dans leur mutuel délice rétro-gustatif.


49. INTÉRIEUR - MATIN - LANTAU - DISCOVERY BAY - APPARTEMENT D'IMMEUBLE - SALON

La caméra récupère Justin, en peignoir, au petit matin, assis sur le canapé, les pieds sur la table basse, débarrassée. Il boit une tasse de café et fume un joint en regardant la télévision, un cendrier posé sur la cuisse. À l'écran, on voit des images de bateaux échoués. Par la fenêtre, tout a l'air d'être redevenu calme. Il pleut, le ciel est gris.

Brigitte et Michel entrent dans le salon. Michel est toujours en peignoir. Brigitte porte une petite culotte noire et le même t-shirt blanc que la veille.

BRIGITTE (encore pâteuse)
Salut… T'as dormi ici ?

JUSTIN
Ben oui, j'ai regardé la télé cinq minutes et je me suis endormi illico sur le canapé !

MICHEL (endormi)
T'as fait du café ?

JUSTIN (un peu sec, tendant son joint)
Non mais j'ai du pétard, si ça vous dit. Cui-là, il est pas trop court.

MICHEL (l'air surpris)
Mais pourquoi t'es parti, hier soir ? T'aurais pu rester avec nous, tu sais !

BRIGITTE (un peu gênée)
Hmm ! Deux chevaliers servants ! Mon vieux fantasme !

JUSTIN (à mi-mot, un peu boudeur, tortillant ses cheveux)
Je suis un pur, moi !

MICHEL (haussant les sourcils)
Un dur ?!

BRIGITTE
Impur ???

JUSTIN (riant)
Ah mais merde ! Un mec pur ! Pas très mûr, pas très sûr de soi peut-être, mais pur ! Allez vous faire foutre !

Le téléphone sonne, Brigitte va décrocher.

BRIGITTE
Allô ?
(…)
Ben je ne sais pas où il est, mais je dois le rencontrer tout à l'heure, si vous voulez que je lui transmette un message.
(…)
Bon, c'est d'accord. Je transmettrai. Au revoir !

Elle raccroche.

BRIGITTE (à Justin)
Justin, c'était Francophonia qui t'cherche. Faut qu'tu passes voir le directeur avant tes cours.
J'imagine qu't'as pas trop envie d'lui parler maintenant, alors j'ai dit qu'j'te rencontrais plus tard.

JUSTIN (inquiet)
Ouais, j'ai entendu, merci, c'est sympa ! Mais qu'est-ce qu'il me veut ?

BRIGITTE
Aucune idée, mais franchement, il avait pas l'air commode.

JUSTIN (avec un geste d'emportement)
Pff ! De toute façon, il va pas m'virer maintenant !


50. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - FRANCOPHONIA - BUREAU DU DIRECTEUR

M. Brouillat est rentré de congé. Lui aussi porte la barbe, plus courte, blanche, bien taillée. Grisonnant, le sourcil poivre et sel, il fait assez portrait de grand-père d'un médaillon 1900. On l'imagine bien portant sabre et képi. Il trône derrière son bureau et regarde Justin, le sourcil froncé.

DIRECTEUR (sévère)
M. Francoux, je vous ai fait venir pour vous poser une simple question: qu'avez-vous donc bien pu raconter à vos étudiants ?

JUSTIN (éberlué)
Comment ça ? Je n'ai rien raconté de spécial ! Pourquoi ?

DIRECTEUR (colère rentrée)
Pour que je reçoive une pétition signée par chacun de vos étudiants, dans vos cinq classes, il a bien fallu que vous leur ayez dit quelque chose ! Jamais nous n'avons vu une chose pareille ici !

JUSTIN
Mais une pétition pour quoi ? Je ne vois vraiment pas !

DIRECTEUR (un peu adouci)
Une pétition pour vous garder comme professeur, le trimestre prochain. Ça ne vous dit rien ? Vous ne leur avez rien dit à ce sujet ?

JUSTIN
Ah ben écoutez, je n'y suis pour rien du tout. L'autre jour, c'est vrai, à la fin d'un cours, des étudiants m'ont demandé si j'allais enseigner dans leur classe, le trimestre prochain. J'ai répondu que, ma coupe de cheveux déplaisant à Francophonia, il y avait effectivement peu de chance pour que mon contrat soit renouvelé mais que je le regrettais parce que j'aurais préféré rester. C'est la vérité.

DIRECTEUR (regardant ailleurs)
Ah, vous voyez que vous avez dit quelque chose. Mais peu importe, je voulais vous dire que la situation a changé. Nous allons être obligés d'ouvrir quelques classes supplémentaires et je me demandais si vous seriez d'accord pour en assurer l'enseignement, le trimestre prochain ?

JUSTIN (qui n'en crois pas ses oreilles, timidement)
Ben écoutez, je vous remercie. Mais... il faut que je vois quand même... J'ai ma copine en France... Est-ce que vous ouvrez beaucoup de nouvelles classes ? Si je pouvais la faire venir, est-ce que vous accepteriez éventuellement de la prendre à l'essai ?

DIRECTEUR (fatigué)
Mais oui ! On peut essayer !

JUSTIN (ravi)
Merci, monsieur !

DIRECTEUR
Au revoir, monsieur Francoux.

JUSTIN (s'en allant)
Au revoir ! Merci !


51. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - FRANCOPHONIA - SALLE DES PROFS

JUSTIN (qui jubile, tombant sur Brigitte qui corrige des copies)
Brigitte ! Ça y est ! Je peux rester ! J'y crois pas ! C'est ma bonne étoile !

BRIGITTE
Quoi !? Comment t'as fait ?

JUSTIN
Mais rien ! L'autre jour, les étudiants m'demandent s'ils vont m'garder comme prof, j'leur explique que non, vu mes cheveux et tout ça et là, tu sais pas quoi !? Ils ont fait une pétition comme quoi ils veulent que j'reste ! Le directeur a même dit que je peux faire venir ma copine de France si j'veux, qu'il lui filera du boulot !

BRIGITTE (petit sourire)
Ah !? Et tu vas la faire venir, ta copine ?

JUSTIN
Ben il faut bien ! J'ai promis.

BRIGITTE
Mais il n'y a pas de "il faut bien", t'as envie qu'elle vienne ou pas ?

JUSTIN (réfléchissant)
Pas tellement en fait. Mais j'ai promis.

BRIGITTE (abandonnant)
Eh bien va lui téléphoner. Tu m'diras comment ça s'est passé.

52. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - POST OFFICE - CABINE TÉLÉPHONIQUE

La fille à qui Justin parle est la même que dans la scène du garage (38), habillée différemment mais même coiffure. C'est le matin. Au début de la scène, son visage est en gros plan. Au fur et à mesure, elle apparait en entier, parlant au téléphone, debout devant un divan bas, sur lequel est assis le même moustachu mince que dans la scène du garage. Il lui tripote les fesses sous sa robe.

JUSTIN (prenant un ton familier de vieux mari)
Allô, Doudou ? C'est toi ?

LA FILLE (prenant un ton réjoui)
Doudou ! Génial ! Figure-toi que j'ai rêvé qu't'allais m'appeler ! Tu t'rends compte !? C'est trop hein !

JUSTIN (attendri)
T'es ma sorcière bien-aimée. Alors justement, peux-tu prédire pourquoi j't'appelle ?

LA FILLE (plus ou moins sur ses gardes)
Ah ben avec toi, c'est trop difficile. Vas-y ! Dis-moi !

JUSTIN (content de faire une bonne surprise)
J't'ai trouvé un boulot à Francophonia. T'as juste qu'à faire tes bagages et sauter dans l'avion. T'as trois semaines en fait, jusqu'à la rentrée.

LA FILLE (ennuyée mais essayant de le cacher)
Mais tu m'avais pas écrit que tu rentrais dans une semaine ?

JUSTIN
Oh ça c'était avant ! Les étudiants ont fait une pétition pour que je reste alors mon contrat est renouvelé. C'est bon, je reste ! J'suis super-content ! Et en plus, il y a des classes pour toi ! J'ai une piaule dans une île sympa, pas loin de la plage, t'as juste qu'à venir. C'est cool, non ? J'te manque ?

LA FILLE (toujours bien ennuyée, d'autant plus que le spectateur commence à se demander ce qui bouge sous sa robe)
Ben si tu me manques, mais j'peux pas laisser l'appart comme ça !

JUSTIN
Mais si, tu vas bien trouver quelqu’un pour y habiter ou bien tu demandes à ton père ou à ton frère de s'en occuper !

LA FILLE
Mais et mon père !? J'peux pas laisser mon père tout seul. Tu sais, c'est pas facile maintenant pour lui.

JUSTIN (que tant d'obstacles commencent à irriter)
Arrête ! Il est grand, ton père ! Et puis il a la voisine, si j'ai bien compris, il est pas tout seul ! Et puis il a ton frère ! J'comprends pas, ça t'fait pas plaisir ? J'te trouve un job sous les Tropiques et tu trouves pas ça génial ?

LA FILLE
Et puis il y a le billet d'avion ! Tu vas m'envoyer l'argent pour le billet ?

JUSTIN (pris de court)
Ah ben non, j'ai pas une tune !

LA FILLE
Ah ben tu vois ! Comment veux-tu qu'on fasse !? J'ai pas une tune non plus, moi !

JUSTIN (abasourdi)
M'enfin tu vas pas laisser passer une chance pareille ! T'es folle ? T'as même pas ton bac ! Et là tu peux être prof ! T'as qu'à emprunter l'fric à ton père ! Tu lui rendras. Il comprendra bien comme c'est important pour toi !

LA FILLE
Non, Doudou, j't'assure, j'peux pas lui demander ça. J'lui dois déjà plein d'argent.
Il voudra pas d'ailleurs. Il voudra que j'reste là. Et moi aussi, j'crois qu'c'est c'qu'il faut qu'je fasse.

JUSTIN (vexé, tortillant ses cheveux)
Et nous, dans tout ça ?

LA FILLE (évasive)
Tu vas bien rentrer un jour, non ?

JUSTIN (presque méchamment)
Mouais, un jour... pour vendre mes affaires.
(un temps)
Tu veux vraiment pas venir ?

LA FILLE (d'un ton dégagé, tendant les fesses)
Non, j'peux pas, j't'ai dit.

JUSTIN (indigné, voire aigre)
Bon, ben moi, vu comme ça, j'nous vois pas beaucoup d'avenir. En plus, les nanas sont super mignonnes ici.
M'enfin tu fais comme tu veux ! À un de ces quatre alors, hein ? Salut !

Et il raccroche. On l'entend plus qu'on ne le voit d'ailleurs puisque le carré contenant la fille couvre désormais pratiquement tout l'écran.

LA FILLE (surprise)
Allô ?

Elle raccroche et s'affale sur le divan, dans les bras du moustachu.

LA FILLE (en riant)
Même de Hong Kong, il faut qu'il me raccroche au nez ! À chaque fois, c'est pareil ! Une vraie manie !

LE MOUSTACHU (en riant, l'enveloppant plus étroitement dans ses bras)
Mais tu le mérites bien, non ?

53. EXTÉRIEUR - NUIT - LANTAU - SILVERMINE BAY - SUR LE CHEMIN LE LONG DE LA BAIE

Le petit point blanc de la scène précédente grossit et se transforme en pleine lune. Justin est fou d'bonheur. Cette fois-ci, il est parvenu à partir pour de bon ! Il marche d'un pas guilleret sur le même chemin qu'en scène 42, il fredonne:

JUSTIN (chantant faux)
Y a eu Antoine avant moi,
y a eu Dylan avant lui,
après moi qui viendra ?
après moi c'est pas fini.
On les a récupérés.
oui mais moi on m'aura pas,
je tirerai le premier,
et j'viserai au bon endroit.

J'ai chanté 10 fois, 100 fois,
j'ai hurlé pendant des mois,
j'ai crié sur tous les toits,
ce que je pensais de toi,
société, société,
tu m'auras pas.

Là, Justin fait un bond en l'air en levant le poing vers la lune. Il hurle:

JUSTIN
Liberté !!! Yahoo !!!


54. INTÉRIEUR - NUIT - LANTAU - SILVERMINE BAY - DANS LA MAISON DE KWAN - SALON

Kwan est un baba cool. Son salon le reflète. Des meubles de récupération, une table basse en bois aux pieds sciés, un vieux tapis miteux, des coussins partout, des affiches de rock au mur, des rideaux de perles à la place des portes. De l'encens qui brûle sur la table basse où traînent des canettes de bière, du tabac, du papier à rouler, deux briquets, un paquet de cigarettes, etc.... Kwan et Michel sont assis sur le canapé. On frappe à la porte.

KWAN
Come on in !

La porte s'ouvre, c'est Justin.

JUSTIN (timide)
Hello !

KWAN (montrant un vieux fauteuil écroulé)
Take a seat !

JUSTIN (s'asseyant)
Thank you !
(à Michel)
Ça va ?

MICHEL (un peu brusque)
Ça va. Mais je te préviens, ici, faut qu'tu t'adaptes. On parle en anglais. C'est la moindre des choses pour Kwan.

JUSTIN (grand sourire inébranlable, se tournant vers Kwan)
Sure ! We speak only English ! Ok ?

KWAN (aimable mais froid)
You wanna beer ?

JUSTIN (va pour refuser puis se ravise)
Ok, thank you very much !

Kwan se lève pour aller chercher la bière à la cuisine. Justin allume une cigarette. Michel tire sur la sienne. Kwan revient et tend la canette à Justin en se rasseyant.

JUSTIN
Thank you.

KWAN (toujours impénétrable)
You're welcome. Michel said you wanna buy something ?

JUSTIN (ouvrant de grands yeux)
Sorry ? What ?

MICHEL
Il te demande si tu veux acheter d'la fumette.

JUSTIN (sursautant d'excitation)
Oh, yes ! I want to buy dope. But not too much. I don't have very much money.

KWAN (froid)
How much you wanna spend ?

MICHEL
Il veut savoir combien tu veux mettre.

JUSTIN (hésitant)
About 300 dollars.... is it ok ?

KWAN acquiesce d'un mouvement de tête. Il sort une boîte d'une étagère debout près de lui. Il la pose sur la table et l'ouvre. C'est une petite balance en cuivre avec des petits poids. Il entreprend de peser un peu d'herbe qu'il extrait d'un sac en plastique transparent qu'il a sorti de sa poche et déroulé sur la table. Justin et Michel l'observent en fumant. Soudain la porte s'ouvre brusquement en faisant sursauter les trois hommes. Kwan referme rapidement le couvercle de la balance et son contenu. Il l'ouvre aussitôt à nouveau. Deux jeunes Chinoises viennent d'entrer dans la pièce. Kwan leur lance quelque chose en chinois.

KWAN
(S-T) Vous pourriez frapper quand même !

L'une des deux filles, assez petite, les cheveux très longs, s'approche de lui et l'embrasse sur la joue.

KWAN (s'adressant à Justin)
This is Ada, my girlfriend.
(montrant l'autre fille, plus grande, les cheveux au ras des épaules, très belle, toute en jeans)
This is my sister, her name is SinWah.

JUSTIN (saluant de la tête)
I am happy to meet you !

LES FILLES
Hi !

KWAN (à Justin)
There you go my friend, 300 dollars !

Il lui donne une petite quantité d'herbe. Justin sort 300 dollars de son porte-feuille qu'il pose sur la table devant Kwan. Il prend le plastique qui enveloppe son paquet de cigarettes pour y placer ses branches d'herbe. Il en fait un paquet qu'il met dans la poche de son pantalon.

JUSTIN (à Michel)
Au fait, tu peux lui demander si le concert a toujours lieu dimanche ?

MICHEL (à Kwan)
Oh yeah ! Is that free concert still on ?

KWAN (enthousiasme froid)
Yeah ! Should be fun ! My girlfriend and my sister will be there too ! Will you come ?

MICHEL (souriant)
Yeah, I think Justin wanna be there as well.

KWAN
(en ricanant, sûr que Justin ne comprend pas)
Yeah, he can help being a roadie !

JUSTIN (qui a compris)
Oh roadie ?! Yeah, no problem ! I can help ! I love rock'n'roll !

SINWAH
(s'approchant, assez hautaine, le doigt pointé sur le paquet de cigarettes de Justin posé sur la table)
Can I have one ?

JUSTIN
(dont le regard s'attarde un peu plus que normal sur le visage de la jeune fille)
Yeah, of course ! Please !

SinWah s'empare du paquet, y prend une cigarette, le jette négligemment sur la table et approche un briquet de son visage. Gros plan sur la flamme en avant-plan et le joli visage asiatique en arrière-plan. Il y a de la musique de fond pendant cette scène. La chanson du dernier plan devra être archi connue, dans le style de "I shot the sheriff" de Bob Marley.


55. EXTÉRIEUR - JOUR - LANTAU - SILVERMINE BAY - LA PLAGE - CONCERT DE ROCK

La scène débute par le même plan et la même musique qu'à la fin de la scène précédente. Mais cette fois-ci, la main qui tient le briquet devant le visage de SinWah est celle de Justin, la cigarette est un joint et "I shot the sheriff" est joué par un groupe chinois local. Ils jouent assez mal, sur une scène de fortune montée sur la plage de Silvermine Bay. Le chanteur est abominable. Il y a peu de monde sur la plage, il ne fait pas très beau.

SinWah tire sur le joint, souffle la fumée, regarde le bout incandescent, puis Justin qui ne peut s'empêcher de la dévorer des yeux.

SINWAH (sans sourire)
What kind of cigarette is that ?

JUSTIN (grand sourire)
Special ! You like ?

SINWAH (hochant la tête)
Yeah ! Taste funny !
(s'éloignant)
Thank you !

JUSTIN
Anytime !

Justin retourne devant la scène pour essayer de danser un peu, mais ce n'est pas facile dans le sable et la musique est mauvaise. Il cherche SinWah des yeux. Il la trouve, elle est adossée à un piquet de bois et elle le regarde. Justin s'en aperçoit. Il rougit et détourne le regard. Il se remet à regarder la scène mais il ne danse plus. Michel qui danse pas loin s'approche.

MICHEL (souriant)
Elle te plaît cette petite, hein ?

JUSTIN
Oui, beaucoup !

MICHEL (riant)
Eh ben vas-y ! Tu t'rappelles c'que j't'ai dit pour la petite de l'autobus, l'autre jour ?

JUSTIN (soupirant)
Ok, j'vais essayer... Tout à l'heure.

Il se remet à contempler les musiciens.

On se rend compte soudain que SinWah s'est approchée de lui dans son dos. Elle place sa tête près de son oreille.

SINWAH (sans émotion)
What did you put in these cigarettes ?

JUSTIN (pris de court, se retournant)
What ?

SINWAH
The cigarette you gave me, yes, inside, what is it ?

JUSTIN (un peu inquiet)
Oh, it is grass ! You don't know ?

SINWAH (sans émotion)
Yeah, I know.

JUSTIN
You don't like ?

SINWAH (petit sourire)
I like but when people ask you cigarettes, you always give this ?

JUSTIN (rassuré)
No, I only give you.

SINWAH (faussement surprise)
Why ?

JUSTIN (détournant les yeux, timide)
I like you.

SINWAH (même ton)
But why ? You don't know me !

JUSTIN (la regardant franchement)
Your face, your eyes, you are beautiful.

SINWAH (ironique)
So !? What do you want ?

JUSTIN (un peu surpris par le ton)
But... me... I want to know you.

SINWAH (joli sourire)
Ah !? That's ok !

JUSTIN (encouragé, montrant la plage)
Do you want to sit on the beach with me ? It is too much noise here.

SINWAH (haussant les épaules, sans émotion)
Ok.


56. EXTÉRIEUR - JOUR - LANTAU - SILVERMINE BAY - LA PLAGE - SABLE

Sinwah et Justin sont assis l'un près de l'autre sur le sable.

JUSTIN (un peu tendu)
Are you sad ?

SINWAH (sans émotion)
No, why you say that ?

JUSTIN (faisant une longue mine)
You always very serious.

SINWAH (emportée)
You want laugh ? (se forçant) ah ahah !

JUSTIN (perdant pied)
No, I say that because I think you are not happy.

SINWAH (sans émotion)
So ?

JUSTIN (voix douce)
Do you think I can make you more happy ?

SINWAH
(surprise, le regarde avec de grands yeux ronds, s'aperçoit de la tendresse de son regard, se radoucit)
I don't know you and you don't know me. So...

JUSTIN (s'emballant)
I don't know you but I think I can make you more happy and also you can make me more happy. So I want to be more happy. Maybe you like to be more happy also. So we want same !

SINWAH (souriant)
Ok, we can be friend.

JUSTIN
(observe la mer un instant puis, sans regarder Sinwah, de la même voix calme et douce qu'auparavant)
Me, I am more happy when I have tender... Not you ?

SINWAH (cynique)
You are more happy when you have sex !

JUSTIN (surpris)
Sex, tender... same thing also, no ?

SINWAH
(regarde le sable un instant, sans émotion, puis, sans lever la tête)
Yeah, I like tender also.
(regardant Justin avec un sourire)
But now, I am thirsty because of your cigarette. I want to go home and drink tea !

JUSTIN (se levant en même temps qu'elle)
Yes, me too !

SINWAH (secouant le sable de son jean)
You want to come at my brother home drink tea ?

JUSTIN (souriant)
Oh yes ! That's great ! Thank you !


57. EXTÉRIEUR - SOIR - LANTAU - SILVERMINE BAY - SUR LE CHEMIN LE LONG DE LA BAIE

Justin et SinWah marchent côte à côte. Justin lui jette souvent des coups d'oeil en coin. Il marche très près d'elle. Il voudrait lui prendre la main mais il n'ose pas et se ravise plusieurs fois au dernier moment. Finalement, il se jette à l'eau. Elle retire sa main, s'arrête et va pour dire quelque chose à Justin qui la devance:

JUSTIN (doucement, en la regardant tendrement)
It's only for tender. Your hand so warm !

Sinwah ne dit rien et ne montre aucune émotion. Ils se remettent à marcher. Justin reprend sa main, sans hésiter cette fois, ils continuent à avancer, main dans la main. Justin lui jette un coup d'oeil avec un sourire heureux. Elle fixe le chemin, sans émotion.


58. INTÉRIEUR - NUIT - LANTAU - SILVERMINE BAY - DANS LA MAISON DE KWAN - SALON

Même décor qu'auparavant. Justin est assis dans le même fauteuil. Sinwah est à sa droite. Kwan et sa copine sont assis sur le sofa. Des tasses de thé vides et une théière traînent sur la table à côté du cendrier plein, des paquets de cigarettes et de tabac. Il y a également un paquet de cartes à jouer.

KWAN (finit sa tasse puis, se levant, suivi presque aussitôt de sa copine)
Hmm.. I'm too stoned ! I’ll go to bed !
(s'adressant à Justin)
You can sleep here if you want, on the sofa.

JUSTIN (qui n'attendait que ça)
Ok, thanks ! Good night !

SinWah s'est, entre-temps, emparée du jeu de cartes et a entrepris de faire une patience.

JUSTIN (qui ne sait quoi dire)
What you play ?

SINWAH
Cards.

JUSTIN (sans relever l'ironie)
No ! What game ?

SINWAH (sans relever la tête de ses cartes)
I not sure in English, I think it is Solitaire.

JUSTIN
When you play Solitaire when I am here, I lose my hope !

SINWAH (froidement)
You know better game ?

JUSTIN (d'abord pris de court puis idée)
I can tell you future !

SINWAH (amusée)
With cards ?

JUSTIN
Yes ! Yes ! You want try ?

SINWAH
(incrédule et amusée)
Er... yeah, ok, show me...

Justin mélange les cartes et pose le paquet devant Sinwah.

JUSTIN
Cut.

Sinwah coupe les cartes. Justin mélange à nouveau. Il écarte les cartes, les présente à Sinwah.

JUSTIN (prenant un air mystérieux)
Choose six cards

SINWAH (ironique mais pas froide)
Why I must cut cards before then ?

JUSTIN (pris de court)
Oh, that's for French magic !

SINWAH (souriante, lui tendant les six cartes qu'elle a choisies)
Really !? Chinese magic, no need !

JUSTIN
Thank you. Let's see !

Il regarde les six cartes, fait un effort pour avoir l'air de se concentrer sérieusement, renonce devant l'idiotie de l'exercice, et ne parvenant pas à dissimuler son sourire:

JUSTIN
Well, this is your future.
You are not very lucky but soon you will find somebody who loves you very much and you will be very more happy.
You will travel in many country with him and maybe also find a desert island.
(n'en pouvant plus, pouffant de rire)
And you always have funny cigarettes to smoke.

SINWAH (amusée, se levant)
This is very old trick to make girl like you ! I don't believe. You are very very bad. I go to bed.

Elle disparaît derrière le rideau de perles qui sert de porte à l'une des chambres.

JUSTIN (bravement)
Ok ! I make joint and I come for good night kiss !

Il commence à rouler son pétard. On l'observe un moment pendant que le récit de la voix off commence.

VOIX OFF
(en français mais lu par une femme mûre à l'accent chinois)
Au début, je me demandais bien ce que voulait cet étranger aux cheveux longs. En plus, il partageait la maison d'un type que mon frère m'avait décrit comme un tombeur de la pire espèce. Je me méfiais un peu de lui. Et puis qu'est-ce qu'il pouvait être bête ! Mais malgré tout ça, il y avait quelque chose de gentil, de fragile dans ses yeux. On aurait dit que ce type avait tellement besoin d'amour qu'il était capable d'en donner autant d'avance. Je me trouvais stupide. Comme si je n'avais pas eu assez de mauvaises expériences ! Je n'allais pas tomber amoureuse d'un étranger!

Justin se lève avec le joint qu'il vient d'allumer à ses lèvres, un cendrier à la main. Il s'approche et pousse de sa main libre le rideau de perles qui le sépare de Sinwah.

VOIX OFF
Je n'avais pas compris ce que le Français avait dit lorsque je suis allée me coucher mais par précaution, comme la chambre de mon frère n'avait pas de porte, j'avais préféré me coucher tout habillée, juste au cas où...


59. INTÉRIEUR - NUIT - LANTAU - SILVERMINE BAY - DANS LA MAISON DE KWAN - CHAMBRE

La chambre est minuscule. Il y fait très sombre mais on distingue un matelas, par terre, à droite de l'entrée, sur lequel Sinwah est couchée sur le côté droit, tout habillée. Sa veste en jean lui sert de couverture.
Justin s'agenouille doucement près d'elle en posant le cendrier sur le sol. Il retire le joint de sa bouche, pose sa main sur l'épaule de Sinwah et l'appelle doucement.

JUSTIN
Sinwah ! You sleep ?

SINWAH (se retournant brusquement)
Yes ! What you want ?

JUSTIN (montrant le joint)
I bring joint, I want good night kiss.

Il place doucement le joint entre les lèvres de Sinwah, il attend qu'elle ait aspiré une bouffée et remplace le joint par ses propres lèvres. Sinwah ne bouge pas. Justin embrasse ses lèvres closes. Il tente de les ouvrir avec sa langue mais n'y parvient pas. Il va pour se retirer quand Sinwah, dont le coin des lèvres s'écarte en un sourire, laisse finalement échapper la fumée qu'elle n'arrive plus à garder dans ses poumons. Elle essaie de retenir un éclat de rire devant Justin dont le visage est à trois centimètres du sien mais n'y parvient pas très bien. Quelques postillons éclaboussent le visage de Justin.

SINWAH
(riant, essuyant doucement le visage de Justin avec sa main)
Wait !

JUSTIN
(replongeant doucement pour un nouveau baiser)
What ?

Ils s'embrassent, cette fois sans écran de fumée.

VOIX OFF (parallèle à l'action à l'écran)
C'était une sensation nouvelle, je le sentais fondre littéralement sur mes lèvres et je me sentais fondre au même rythme. C'était seulement la seconde fois que je rencontrais ce Français, la seule chose que je savais de lui c'est qu'il fumait sans arrêt de l'herbe et qu'il habitait avec un voyou et voilà qu'il était dans mon lit, dans la maison de mon frère et que je l'embrassais de plein gré.
Oui mais, il ne fallait pas qu'il s'imagine qu'il avait gagné ! C'est vrai, j'aimais bien sa façon de m'embrasser, j'aimais bien la caresse de sa main dans mes cheveux mais ça devait s'arrêter là. Pas question qu'il laisse aventurer ses doigts n'importe où !
Le plus drôle, c'est qu'il n'a pas essayé !
Il m'embrassait, il me caressait le visage, les cheveux, la nuque, le cou, tout doucement et c'est vrai qu'il était tendre, plus tendre que tous ceux que j'avais connus jusqu'à présent. Je me laissais baigner par toute cette douceur. C'était chaud, apaisant. Ça faisait du bien. C'est difficile de ne pas y croire quand on sent que ça fait du bien comme ça. Au début, je restais sur le qui-vive de peur qu'il n'aille trop loin et puis, après un long, très long moment, je crois que je me suis endormie dans ses bras. Un sommeil très léger mais très doux. De temps en temps, je me rendais compte de ses baisers, je sentais ses doigts glisser sur la peau de mon cou. Parfois, la sensation de bien-être était si forte que je m'éveillais assez pour entourer son cou de mes bras et pour l'embrasser à mon tour. Sa main caressait alors mon dos comme si ma peau et la sienne étaient faites l'une pour l'autre. Et je me laissais glisser dans cette bienfaisante chaleur où je me rendormais quelquefois avec délice.
C'est comme ça qu'il a fini par caresser tout mon corps, progressant tellement lentement qu'il m'était impossible de l'arrêter, de définir les limites de l'acceptable. Penser même à résister aurait été inconcevable tellement sa tendresse était naturelle. Et pourtant, sans que j'en sache l'instant précis, elle a éveillé doucement mon désir, cette tendresse. De même que je sentais mon Français fondre tout à l'heure, de même je pouvais sentir le sien, de désir, monter dans ses caresses. Nous n'avons pratiquement rien dit de toute la nuit, nous parlions si mal anglais de toute façon, mais si bien avec nos mains, avec nos lèvres. Nos caresses nous rapprochaient sans cesse davantage. Peut-être parce que la vie nous avait fait naître aux antipodes l'un de l'autre, fallait-il que nous progressions lentement l'un vers l'autre...
Ce n'est qu'au petit matin, alors que le jour se levait et que la douce tendresse de la soirée s'était graduellement transformée en un élan plein de passion que, n'en pouvant plus de désir, j'ai moi-même enlevé mes vêtements, les siens, et que la nuit s'est terminée en un brillant lever de soleil.

60. INTÉRIEUR - MATIN - LANTAU - SILVERMINE BAY - DANS LA MAISON DE KWAN - CHAMBRE

Justin et Sinwah sont nus sous une couverture qu'ils ont dû finir par dénicher quelque part. Ils fument, enlacés. Leurs pieds dépassent de la couverture.

SINWAH (doux sourire)
Are you more happy now ?

JUSTIN (regard tendre)
Are we more happy now ?

Ils se sourient. Justin pose sa tête contre celle de Sinwah.

JUSTIN (à mi-mot)
Je t'aime.

SINWAH
What ?

JUSTIN (timide)
No, it's French. I teach you later.

SINWAH (le regardant avec surprise)
You want to teach me French ?!

JUSTIN (souriant)
Oui !

SINWAH (toujours surprise)
Why ?

JUSTIN (la regardant dans les yeux)
I want to stay together with you a long time.

Sinwah le regarde en souriant et l'embrasse.

SINWAH (doucement)
Me too !

JUSTIN (soupirant)
I feel good here !

JUSTIN (comme ayant une idée soudaine)
You work ?

SINWAH
What ? No, no more. I just quit my job. Why ?

JUSTIN (plus excité)
You like Thailand ?

SINWAH
I don't know. I never go before.

JUSTIN (à genoux d'excitation)
I go one time before. It is very beautiful. I like the beach and the coconut trees. It is very romantic and Thai people are very good people.
You want to go with me ?

SINWAH (ouvrant de grands yeux)
When ? I never go out of Hong Kong before !

JUSTIN (réfléchissant, emballé)
This week ! School finish Friday. We can go Saturday if we find tickets. I have friend in Bangkok. I call him and we can go sleep in his house. After we go to the beach and we rent bungalow on island. So good !

SINWAH (tentée mais retenue)
But I have no money !

JUSTIN (balayant l'obstacle)
But plane ticket is very cheap. Less than one thousand. You don't have one thousand ? After I can take care of bungalow, no problem. Let's go one week !

SINWAH (séduite)
I want to go with you but I must go home first and tell my family.

JUSTIN (inquiet)
But if they say no ?

SINWAH (souriant)
If they say no, I come back and stay with you.

JUSTIN (la prenant dans ses bras)
Good ! I hope they say no !

Fondu sur le couple, nous tournant le dos, batifolant sous la couverture.

61. INTÉRIEUR - MATIN - BANGKOK - DANS LA MAISON DE LEONARD - CHAMBRE

Fondu sur le même couple, immobile dans la même position. La caméra recule. Le couple est dans un lit. La lumière chaude des matins tropicaux est filtrée par les lattes de bambous qui forment le volet-store de la fenêtre. Un drap blanc recouvre les deux amants endormis. On frappe à la porte. Elle s'entrebaille.

LÉONARD (à voix feutrée)
Justin ! Justin ! Tu dors ?

JUSTIN (pâteux)
Hmm !? Qu'est-ce que c'est ?

LÉONARD (à voix feutrée)
Excuse-moi, faut qu'je parte bosser. Et puis votre bus part dans deux heures. Faut pas qu'vous tardiez de trop. J'te laisse fermer la maison. Tu gardes les clés pour quand vous revenez d'vot ballade, d'accord ? J'ai un double, mais ne les perds pas, on sera pas forcément à la maison. Vous revenez quand vous voulez, pas la peine de prévenir avant.

JUSTIN (touché par cette manière de vivre)
Putain, t'es un ange ! J'ai vraiment eu du bol de te rencontrer toi alors !

LÉONARD (amusé)
Laisse tomber ! Amusez-vous bien surtout ! J'te dis à bientôt, là, il faut qu'j'y aille.

JUSTIN
D'accord ! Bonne journée ! On s'revoit dans cinq ou six jours.

LÉONARD
Ok, salut !

JUSTIN
Salut ! J'te ramène une noix de coco !


62. EXTÉRIEUR - MATIN - THAÏLANDE - KOH CHANG - PLAGE

Justin et Sinwah se trouvent sur une plage typique d'une île thaïlandaise. La mer est bleue azur, comme le ciel dégagé, des cocotiers longent la plage de sable fin et entre les cocotiers, on distingue des bungalows construits en bambou et en palmes. On remarque quelques hamacs tendus entre les troncs de certains cocotiers.

Gros plan sur une noix de coco. Alors que le plan recule, on s'aperçoit que la noix de coco est minuscule, elle tient dans le creux de la main de Justin qui la montre à Sinwah. Ils sont tous les deux en maillot de bain, du sable collé sur la peau et portent une paire de lunettes de soleil sur le nez.

JUSTIN (en riant)
That one ! I bring that one to Léonard ! He will like it !

SINWAH (volant la mini-noix de coco dans la main de Justin, en riant)
Your nuts is for me, not for Léonard !

Elle s'enfuit, poursuivie par Justin.

63. EXTÉRIEUR - JOUR - THAÏLANDE - KOH CHANG - TERRASSE DE BUNGALOW

On se trouve sur la terrasse, la caméra est en train de se balancer dans un hamac face à la porte fermée du bungalow. Sur le côté droit, un fil à linge porte une serviette de toilette et un T-shirt. On entend de grands bruits d'éclaboussures provenant de l'intérieur du bungalow, des éclats de rire et des cris.

SINWAH (voix off)
Ahh ! It's too cold !

Un temps puis:

JUSTIN (voix off)
Shit ! The towel is outside !

SINWAH (voix off)
Never mind ! Go like that !

La porte s'entrebaille, la tête mouillée de Justin apparaît. Il regarde à droite et à gauche puis sort tout nu, sur la pointe des pieds, sur la terrasse, pour décrocher la serviette. Elle tombe. Évidemment on découvre alors les voisins de bungalow accoudés au parapet de leur terrasse. Justin les voit, se penche d'un mouvement vif pour ramener la serviette devant son sexe. Puis il fait demi-tour pour rentrer prestement dans le bungalow, oubliant qu'il montre son postérieur découvert.


64. EXTÉRIEUR - JOUR - THAÏLANDE - KOH CHANG - CASCADE

Justin et Sinwah sont allongés au soleil sur les rochers devant la cascade. Sinwah a posé sa tête contre la poitrine un peu velue de Justin. Ils sont toujours en maillot de bain. Soudain Sinwah attrape un poil sur la poitrine de Justin, l'arrache et dit:

SINWAH
I love you !

Elle pose un doigt sur les lèvres de Justin qui s'apprête à dire quelque chose. Elle embrasse puis dépose le poil dans le flot du courant. Ensuite elle attrape délicatement un des cheveux de Justin qu'elle arrache également avant de l'embrasser et de le jeter dans l'eau.

SINWAH
I love you not !

JUSTIN (faussement outré)
Ohh !

Sinwah pose le doigt sur ses propres lèvres cette fois.

SINWAH
Shh !

Elle arrache encore un poil sur le bras de Justin, y laisse un bisou et l'envoie au bassin.

SINWAH
I love you.

Justin s'arrache lui-même un cil en riant et le pose délicatement dans la paume de Sinwah qui l'embrasse encore et le jette à l'eau.

SINWAH
I love you not

Justin (malicieux)
So now what !? That's my last hair and your last word ! I'm so poor !

Sinwah, le regardant droit dans les yeux, plonge sa main dans le maillot de Justin, tire un coup sec et lui montre un poil pubien dont elle se chatouille langoureusement les lèvres avant de l'envoyer rejoindre ses petits camarades de bain.

SINWAH (espiègle)
I love you ! Ah !

65. EXTÉRIEUR - COUCHER DU SOLEIL - THAÏLANDE - KOH CHANG - RESTAURANT SUR LE SABLE

Justin et Sinwah sont assis devant les vagues et le coucher du soleil, sur les marches qui montent au restaurant, lui aussi fait de bambou, de bois de cocotier et de palmes. Il sirotent un milkshake à la banane dans une grosse chope de bière qu'ils partagent en regardant le coucher du soleil. Ils ont tous les deux ceint leurs reins d'un sarong en coton thaïlandais. Justin est torse nu, Sinwah porte le haut de son maillot de bain.

JUSTIN (sortant un bout de papier de son sarong)
Yesterday, I look at you sleep. You are so beautiful and I love you so much I write one poem for you. But it is in French. You want to hear ?

SINWAH (souriant)
And you wait until sunset to tell me ?

JUSTIN (faussement penaud)
Yes, I know ! But it is more romantic ! You look the sun, you hear the poem.

SINWAH (souriant toujours)
Yes, come on, read it !

JUSTIN
(mettant le ton. Voix-off, la caméra quittant le couple et filmant le coucher de soleil pendant la lecture.)

Quand nous échouons sur cette grève
Où nous posons enfin nos rêves,
Nos corps et nos coeurs, mis à nu,
Ne craignent plus d'être corrompus.

Il y a pourtant les éléments,
Mais pour nous, ils seront cléments;
C'est par amour que nous sommes là
Et la nature entière y croit.

Je veux t'adorer de soleil,
D'une douce chaleur océane,
De cette chaude lumière de miel
Qu'on aperçoit zébrée de lianes.

Je lis tes lèvres au goût de mangues,
Elles sentent la joie de nos désirs,
Et dans le bonheur de nos rires,
J'entends la douceur de ta langue.

66. EXTÉRIEUR - NUIT - THAÏLANDE - KOH CHANG - RESTAURANT SUR LE SABLE - SALLE DE RESTAURANT

La lune. Le ciel étoilé. Les reflets sur la mer. Une lampe à pétrole accrochée à une petite toiture de palmes éclaire un étal offrant des assiettes de poissons et de crustacés grillés. Derrière l'étal, un pêcheur thaïlandais s'occupe du feu du barbecue d'où s'échappe de la fumée.

Justin et Sinwah sont toujours assis au même endroit. Sinwah prend la main de Justin et l'entraîne vers l'étal.

SINWAH
Come ! I'm hungry !

JUSTIN (riant)
You're always hungry !

SINWAH (riant)
That's because we fuck too much !

JUSTIN (retenant Sinwah par la main)
Can we say "make love", not "fuck" ?

Sinwah le regarde une seconde et, dans un élan, l'embrasse sur la joue.

SINWAH
You're so cute !

JUSTIN
(entourant les épaules de Sinwah de son bras)
Let's go ! First we eat, then I show you Big Bang !

SINWAH
But you said we must say "make love", not fuck, not big bang !

JUSTIN (en riant)
You will see !

67. EXTÉRIEUR - NUIT - THAÏLANDE - KOH CHANG - TERRASSE DU LUCKY BAR

Le Lucky bar est un établissement construit en forme de bateau. La terrasse, au dessus du toit en est le pont. L'atmosphère y est bab-cool, beaucoup de couleurs, des tentures, des hamacs, des tapis et des coussins. Justin et Sinwah sont assis en tailleur sur un tapis en compagnie d'un jeune Thaïlandais aux cheveux très longs serrés en queue de cheval. Il porte une moustache et une longue barbe fine dans laquelle il a enfilé une bague d'argent. Il est très beau mais d'une beauté froide, carnassière, calme et dangereuse. Il est en train de terminer de préparer de l'herbe et il s'empare d'un long tube de bambou dans lequel est fiché, de manière étanche, un autre tube de bambou, plus petit, dont l'extrémité est évasée en forme de petit fourneau, assez grand cependant pour contenir une pincée de marijuana, l'équivalent d'une bonne bouffée. Le fond du tube principal est rempli d'eau dont le rôle est de rafraîchir la fumée. C'est ce qu'on entend glouglouter lorsque quelqu’un fume le bang. Le Thaïlandais emplit le fourneau tandis que Justin et Sin Wah le regardent faire.

JUSTIN (à Sinwah)
You see, that's "bang" (il prononce « Bingue »)

LE THAÏLANDAIS
Bang , not "bingue".

JUSTIN (ignorant la remarque, à Sinwah)
It's the best way to smoke grass.

Le Thaïlandais allume son briquet qu'il approche du fourneau. Il allume la marijuana en aspirant très fort et très longtemps.

Il possède une capacité pulmonaire étonnante ! Toute la marijuana y passe ! Avec un bruit de tube qui se débouche, il parvient, fait rare mais recherché, à faire passer toutes les cendres par le petit trou du fourneau qui est maintenant vide et propre. Il lève la tête vers Justin, en lui montrant le bang.

LE THAÏLANDAIS (avec un rien de défi, en recrachant un épais flot de fumée)
You want try ?

JUSTIN (grand sourire)
Yes, sure !

En un tour de main, le Thaïlandais a rechargé le fourneau qu'il passe à Justin ainsi que le briquet. Justin allume, tire comme un perdu, consume toute l'herbe et fait descendre les cendres dans le tube, lui aussi. Il est tout droit, raide même, perché sur le bout de ses fesses, on sent que ses poumons sont archi-pleins. Il ouvre grand la bouche et semble se dégonfler en relâchant un nuage de fumée. Une fois vidé, il sourit en regardant le Thaïlandais, ramène son poing contre son sternum et bat son coude contre son flanc, comme un poulet, en ponctuant chaque battement d'un "Nit !" vigoureux, parodiant ainsi Jack Nicholson dans "Easy Rider".

LE THAÏLANDAIS (souriant autant que sa froideur le permet)
You like Thai grass ?

JUSTIN (grand sourire)
I LOVE Thai grass !

LE THAÏLANDAIS (dealer)
You want to buy big bag ?

JUSTIN (calmement)
Oh no ! Tomorrow we go back in Bangkok and Hong Kong. No time to smoke all.

LE THAÏLANDAIS (indifférent)
No problem ! You bring with you !

JUSTIN (sourire tendre vers Sinwah)
No, I travel with somebody, it's too dangerous !

Tendant le bang à Sinwah.

JUSTIN
You want some ?

Fondu au noir sur le bang en avant-plan et Sinwah en arrière-plan.

68. INTÉRIEUR - MATIN - BANGKOK - MAISON DE LÉONARD - JARDIN

Fondu-in sur une baguette de pain en avant-plan, tendue à Sinwah, en arrière-plan comme à la fin de la scène précédente.

SINWAH (un peu pâteuse)
Yes, thank you !

La caméra recule sur une table de jardin blanche couverte des victuailles nécessaires aux petits-déjeuners européens. Nous sommes dans le jardin luxuriant de Léonard, à Bangkok. Autour de la table, on trouve Justin et Sinwah ainsi que Léonard et sa copine, assise dans une balancelle. Chacun vient visiblement de se lever et tout le monde est occupé à déguster le p'tit dèj. Le ciel est bleu, un chat ronronne au soleil, on entend de la musique à l'intérieur de la maison.

Soudain tous les mouvements s'arrêtent, les bouches ne mastiquent plus et tous les regards se tournent vers le portail du jardin.

LA COPINE DE LÉONARD (surprise)
Tiens ! Un revenant !

LÉONARD
Qu'est-ce tu fais là mon salaud !

JUSTIN
Cool ! D'où tu sors ?

SINWAH
Hello !

MICHEL (off)
Salut ! J'vous dérange pas ?

LÉONARD
Assieds-toi ! Tu veux un café ?

Michel entre et pose un sac de voyage noir au pied d'une chaise de jardin libre et s'y assoit, face à la balancelle.

MICHEL (un peu essoufflé)
Oui, j'veux bien !

JUSTIN (content de voir Michel)
Ben alors ? J'te croyais à Hong Kong !

MICHEL
Ah mes enfants ! C'est toute une histoire ! Je suis parti hier de Hong Kong et là, j'arrive de Katmandou !

LA COPINE DE LÉONARD (off)
Ohoh ! T'as eu une envie soudaine de beurre de yak ? Ça m'étonnerait !

MICHEL (mentant mal)
Je suis tombé amoureux d'une Népalaise !

LÉONARD
(servant le café, à Justin en montrant Michel du menton)
Tu sais qu'on a été obligés d'abriter cet animal pendant trois mois !?
Il pouvait plus rentrer chez lui, y'avait une nana qui le recherchait ! Ou plutôt les sbires d'une nana, j'devrais dire !

MICHEL (riant de bon coeur)
Les tueurs d'une nana même !
(à Justin qui l'interroge du regard) J'te raconterai !
Non, en fait j'étais là-bas pour business.

LA COPINE DE LÉONARD (off)
T'as fait un run avec de l'or ?

MICHEL (ricanant)
On peut rien t'cacher toi alors !

JUSTIN
Un quoi ?

MICHEL (rapidement)
Un milk run, tu sais, on en a parlé une fois.

JUSTIN
Ah oui, c'est vrai !

LÉONARD (à Michel)
Alors ? Ça a bien marché ?

MICHEL
Ben oui, ils n'ont pas de détecteurs de métaux à l'aéroport, alors tu passes sans problème.

JUSTIN
Et tu t'es fais combien sur c'coup-là ?

MICHEL (avec une fausse moue)
Oh, seulement 2000 dollars US en une demi-journée.

JUSTIN
Puutain !

LÉONARD (hochant la tête gravement)
Pas mal.

SINWAH
(à Justin) What ?

JUSTIN
Attends, wait, I tell you after...

LA COPINE DE LÉONARD (off)
2000 dollars ou combien d'années de prison déjà ?

MICHEL
C'est pas clair, j'ai pas pu savoir... mais non, de toute façon, ça va.

LÉONARD
T'en as passé combien ?

MICHEL (souriant)
Un kilo.

JUSTIN
Mais tu les as passés comment ?

MICHEL
Ben dans l'cul, malin, où veux-tu !?

JUSTIN
Un kilo d'or dans le cul !?
Ça rentre ?!

Un avion passe bas au dessus du jardin dans un vacarme grandissant. Michel attrape sa tasse de café. Gros plan sur le café, de la perspective du buveur, jusqu'à ce que l'écran soit noir.


69. INTÉRIEUR - MATIN - FERRY DE LANTAU - UPPER DECK - TABLE

Même perspective qu'avant mais l'action est inversée, le buveur (Michel), repose sa tasse (un gobelet cette fois) sur la table. Justin est en face de lui, sirotant son café, lui aussi. On voit la mer par la fenêtre.

MICHEL (amusé)
Bien sûr que ça rentre. L'or, c'est petit et lourd comme métal. Et puis tu l'gardes pas pendant des heures non plus. Pourquoi, t'as envie d'tenter l'aventure ?

JUSTIN
Ben, j'en ai parlé avec Sinwah. Tu sais, on aimerait bien s'casser en Corée du Sud, mais faut des tunes. Sinwah n'a pas d'boulot en c'moment et moi j'suis en vacances, alors ça serait l'moment ou jamais d'faire un peu d'blé. Seulement on voudrait en savoir un peu plus, forcément.

MICHEL (allumant une cigarette)
Ben j'sais pas, qu'est-ce que vous voulez savoir ?

JUSTIN
Ben par exemple… pourquoi le Népal spécialement ?

MICHEL
À cause de l'Inde. La roupie n'est pas stable, alors les riches convertissent leurs capitaux en or qui, lui, est stable. Seulement ça déstabilise encore plus la roupie, alors l'Inde a taxé l'or. 20% de plus que le cours officiel. Évidemment, ça a encouragé la contrebande et comme la plupart arrivaient du Népal qui n'était pas concerné par la loi indienne, l'Inde a fait pression pour que le gouvernement népalais prononce le même règlement. Mais bon, j'ai pas l'impression qu'ils l'appliquent vraiment. S'agit surtout d'être discret, c'est tout.

JUSTIN
Mais qui est-ce qui a acheté l'or ici ? Toi ?

MICHEL (haussant les épaules)
Non ! Moi je l'ai passé, c'est tout.

JUSTIN
Mais pour le compte de qui alors ?

MICHEL
Ben y'a des bandes de Népalais qui traînent à Chung King Mansion, tu les as pas vus quand t'y habitais ?

JUSTIN (hochant la tête)
Si, si, j'me rappelle.

MICHEL (écartant les mains en haussant les sourcils)
Ben, pourquoi tu crois qu'ils sont là ? Business ! Ici, ils achètent l'or, ils recrutent les passeurs et ils s'occupent des billets d'avion et quand tout est prêt, ils préviennent le cousin de Katmandou à qui tu remettras l'or à l'arrivée. Le mec te réceptionne, là-bas, à l'aéroport. Tu l'accompagnes à l'hôtel, il te file ton fric, tu lui files son or et voilà, le tour est joué.

JUSTIN (les yeux ronds)
Alors tu peux sortir autant d'or que tu veux de Hong Kong, mais tu n'as pas le droit de l'apporter au Népal ou en Inde ? C'est délirant ça, non !?

MICHEL (avec une moue de doute)
C'est bien pratique pour se faire de l'argent d'poche, en tout cas.

JUSTIN (inquiet)
Mais si tu t'fais piquer, qu'est-ce qui s'passe ?

MICHEL (pinçant les lèvres)
Ah ben, t'as déjà été là-bas, t'as vu ! C'est le Moyen Âge !

JUSTIN
Alors ?

MICHEL
Ben ils te collent en taule !

JUSTIN
Ben j'sais pas, apparemment en Corée ou au Japon, tu paies une amende et c'est bon, mais là... merde ! Et ils t'y gardent longtemps ?

MICHEL
Ça, j'en sais rien. Doit bien y'avoir un moyen d'en sortir !

JUSTIN (songeur)
Ça doit être comme en Thaïlande, j'suis sûr ! T'as vu "Les chiens de Bangkok" !? Ça craint !

MICHEL
Bah, les Népalais sont moins craignos que les Thaïs ! J'en sais quelque chose !

JUSTIN
Mais, ça t'fait pas peur !?

MICHEL
Ben si y'avait des risques, oui, j'aurais peur, mais j'ai bien vu comment ça s'passe… Y'a pas de détecteur, rien, comment veux-tu qu'ils te choppent si t'as l'or dans l'cul ? D'ailleurs, ils insistent bien là-dessus, les Népalais que j'ai rencontrés. Si tu t'fais coincer et qu't'avais l'or ailleurs, ils t'aideront pas à t'en sortir. Ils ont été clairs là-dessus.

JUSTIN (saisissant la balle au bond)
Ah bon ? Parce qu'ils t'aident en cas d'pépin alors ?

MICHEL
Mouais ! C'est c'qu'ils disent. Mais j'vois pas c'qui les oblige à le faire. En plus, en cas d'pépin, ils ont déjà perdu leur foutu métal, alors...

JUSTIN
Ouais, vaut mieux pas trop compter sur eux quoi...

MICHEL (écrasant sa cigarette)
Mais tu veux qu'j'te branche sur quelqu’un ? J'te file le contact de mon Népalais, si tu veux ?

JUSTIN (mal à l'aise, tortillant ses cheveux)
Mais qu'est-ce qui va s'passer au juste ? Il va pas nous filer deux kilos d'or comme ça ?

MICHEL
(attrapant un ticket de caisse qui traîne sur la table et l'enroulant entre ses doigts)
Non, non ! Il va vous demander d'passer l'voir pour l'essayage... enfin pour voir si vous pouvez vraiment transporter deux kilos comme ça, si ça fait pas mal, tout ça. Après, si ça marche, il te rappelle pour te dire quand tu pars. L'or, moi, on me l'a donné dans l'avion, un peu avant l'atterrissage.

JUSTIN
Mais alors, comment t'as fait pour le mettre ?

MICHEL (riant)
Ben, dans les toilettes ! J'étais pas tout seul d'ailleurs, y'avait toute une queue pour y aller tout à coup !

JUSTIN (riant aussi pour cacher son inquiétude)
Ça fait mal, au fait ?

MICHEL
Non, enfin moi j'ai rien senti.

JUSTIN
Tu l'referas ?

MICHEL (évasif, jetant, d'un geste, le ticket enroulé sur la table)
Ouais, peut-être... Y'a rien d'urgent.

Il met la main à la poche arrière de son pantalon et tire son portefeuille. Il en sort une carte de visite qu'il tend à Justin.

MICHEL
Tiens, garde-la, j'en ai une autre.
Discutes-en avec ta copine. Si vous voulez faire le run, vous l'appelez.
Le type s'appelle Kalu. Dis-lui qu't'appelles de ma part.

Justin prend la carte et la regarde. Gros plan sur le nom: Kalu Gurung.


70. INTÉRIEUR - SOIR - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - COULOIR DE GUESTHOUSE

On entend "Toc Toc" alors que la caméra recule du gros plan de la carte de visite à une vue d'ensemble. Justin tient la carte à la main. De l'autre, il frappe à la porte d'une chambre d'hôtel qui rappelle celle où il habitait lorsqu'il est arrivé en ville. Sinwah est avec lui. Ils ne se regardent pas.

KALU (off, accent népalais)
Come in !

Justin tourne la poignée et entre, suivi de Sinwah. La porte se referme.


71. INTÉRIEUR - SOIR - KOWLOON - CHUNG KING MANSION - CHAMBRE DE KALU

La chambre est plus vaste que celle qu'habitait Justin au début du film. C'est le modèle avec salle de bains. Il y a un lit double sur lequel Kalu est assis. Une petite télé, sur une tablette fixée au mur devant le lit, est allumée.

Kalu, un Népalais d'une trentaine d'années, est vêtu d'un pantalon de gymnastique bleu, d'un T-shirt rouge et d'une veste de gymnastique bleu.

D'apparence plutôt sympathique, il tend, d'entrée, la main vers Justin.

KALU
Hi ! I'm Kalu.

JUSTIN (lui serrant la main)
Hello ! I'm Justin, a friend of Michel.

KALU (lui serrant toujours la main, montrant Sinwah)
And this is ?

SINWAH
Oh, I'm Sinwah.

KALU (lâchant la main de Justin)
Nice to meet you. Have a seat.

SINWAH (un peu intimidée, posant le bout de ses fesses sur le rebord du lit)
Hello.

KALU (à Justin)
I think Michel explain to you already ?

JUSTIN (mal à l'aise)
Oh... Yes !

Kalu se penche pour attraper quelque chose sous l'oreiller. Il le montre à Justin. C'est un petit paquet cylindrique enveloppé de duct tape noir. Il le tend à Justin. Celui-ci prend le paquet et rattrape sa main, surpris par le poids de l'objet.

JUSTIN
Wow ! It is very heavy !

KALU
This is what you have to carry for me.
Do you think it is ok ?

Justin passe le paquet à Sinwah. Elle aussi paraît surprise du poids de l'objet.

KALU (au couple)
So you want to try ?

Justin regarde Sinwah d'un air interrogatif.

SINWAH (haussant les épaules, pas très convaincue)
Why not ? We can try.

JUSTIN (à moitié sûr de lui)
Ok, then. We try.

Kalu attrape un tube de vaseline sur la table de chevet. Il le tend à Justin.

KALU
You go to the bathroom. You put some cream on it and you try.
If it is ok, you come here. Ok ?

JUSTIN (embarrassé)
Ok.

Il disparaît dans la salle de bain. Embarrassée, Sinwah fait mine de regarder l'écran de la télévision. Manque de chance, c'est une publicité pour cigarettes dont le slogan est: "Discover Gold !"

Justin ressort de la salle de bains.

KALU
You're ok ?

JUSTIN (souriant)
Yes. I'm fine.

KALU (satisfait)
Take a seat.

Justin s'assoit sur le lit et passe le paquet à Sinwah qui disparaît à son tour dans la salle de bains.

KALU
You want a beer ?

JUSTIN (souriant)
No, thank you. But can I smoke cigarette ?

KALU (haussant les épaules)
Yes, of course.

Il prend le cendrier sur la table de chevet et le pose sur le dessus de lit. Justin prend son paquet de cigarettes de sa poche arrière de pantalon, l'ouvre et en offre une à Kalu qui refuse. Justin allume une cigarette, referme le paquet et le remet dans sa poche.

KALU
So you are ready to go ?

JUSTIN (inquiet)
What if I have problem ?

KALU
What problem ?

JUSTIN (embarrassé)
At custom.

KALU
If you carry the gold like we agreed, there will be no problem.
The custom have no metal detector and we pay the officers who will check this plane.
So no problem possible. Anyway, if there is still problem, we will take care of you. Don't worry.

JUSTIN
How much do you pay ?

KALU
2000 dollars US. You get the money in Katmandu.
My cousin will pay you cash when you give him the parcel.

JUSTIN
Oh and when we come back in Hong Kong ?

KALU
You ask my cousin in Katmandu. Your return ticket is open.
You can come back when you like.
Just ask my cousin when you want to come back and he will help you book the ticket.

JUSTIN
Where we stay ? Hotel ?

KALU
My cousin will bring you to the hotel.
You give him the parcel and if you want to change hotel, you just ask him.
He will help.

JUSTIN (hésitant un peu)
Well, if my girlfriend is ok, I am ok also.
When do you make one run ?

KALU
I have a trip on Saturday if you like.

SINWAH sort de la salle de bains.

KALU (à Sinwah)
No problem ?

SINWAH (froidement)
It's alright.

JUSTIN (à Sinwah)
It is not painful ?

SINWAH
No, never mind.

JUSTIN
Do you want to go this Saturday ?

SINWAH
Why not ? Soon is better.

KALU
Did you bring your passports and pictures ?

JUSTIN (fouillant dans sa poche arrière de pantalon)
Yes, here.

Il donne les passeports.

JUSTIN
The picture are inside.

KALU (prenant les documents)
Thank you.
Actually, I need more people for this trip.
Do you have friends who want to try ?

JUSTIN
I don't know. Maybe you call Michel.

KALU
Oh, before you go ! What is your telephone number ? Maybe I need to call you to confirm the departure time.

JUSTIN
Same number like Michel. I live in same house with him.


72. INTÉRIEUR - JOUR - LANTAU - CHEZ MICHEL - SALON

Le salon est vide. Posé sur un tabouret, le téléphone sonne.
Soudain la porte de la chambre de Justin s'ouvre. Justin, vêtu simplement de son sarong thaïlandais va répondre.

JUSTIN
Allô ?

Silence, il écoute.

JUSTIN
Non, tu m'déranges pas mais t'es où là ? T'es pas rentré cette nuit ?

Silence, il écoute. Il éclate de rire.

JUSTIN (riant)
Arrête de m'appeler Maman, eh Papy ! Non, j'demandais juste, j'croyais qu't'étais dans ta chambre en fait.

Silence, il écoute.

JUSTIN (riant)
Ouais, t'arrête pas avec les nanas quoi !
(….)
Non, Brigitte est en vacances à Pékin, tu sais bien.
Au fait, t'as appelé Kalu ?
(….)
(sursautant) Quoi !? Mais c'est génial ! On va pouvoir faire une fête d'enfer là-bas ensemble !
(….)
(rassurant) Ouais, pas d'problème, je sais où il est. J't'apporte ton passeport en ville tout à l'heure.
(….)
Ça marche ! J'y serai vers six heures.

Il raccroche. Il retourne vers la chambre en annonçant bruyamment et joyeusement

JUSTIN
Sinwah ! Michel is going to Katmandu also !

Il va pour passer le pas de la porte quand le téléphone se remet à sonner. Il rebrousse chemin et décroche le combiné.

JUSTIN
Allô ?
(….)
Kalu !? How are you ?
(….)
Fine ! Michel say he go in Katmandu with my girlfriend and me ? That's great !
(….)
Shit ! Not Saturday ? Oh no ! When then ?
(….)
(soulagé) Oh, the next day ? Yes sure ! Sunday is ok also ! No difference !

Sinwah est sortie de la chambre pendant la conversation. Elle porte juste une culotte de coton blanc et un T-shirt. Elle s'avance dans le dos de Justin qui parle au téléphone. Elle glisse la main dans son sarong.

JUSTIN (gigotant sous la caresse, d'un ton conciliant)
Yes sure. Same time but Sunday. Not Saturday. I tell her, no problem.
(….)
Yeah ! See you Sunday 9 o'clock ! Bye bye !

Justin raccroche et se retourne vers Sinwah.

JUSTIN
It is Kalu, he say Michel go Saturday because he find only one ticket. The plane is full.
So you and me, we will go Sunday. 12 o'clock, same time.

SINWAH
It's no different.

JUSTIN (souriant)
Yes. Same same. We can party together with Michel, Sunday.
(l'attrapant par la taille d'un bras et lui glissant la main sous le slip et sur ses fesses, de l'autre)
What do you want to do now ? Hmm ?

SINWAH (rejetant la tête en arrière pour répondre, un peu allumée)
You want help me practice put gold inside ?

Justin la regarde, suffoqué une seconde, puis sourit aux anges, l'oeil allumé.

JUSTIN (ouvrant le bras en direction de la chambre)
With pleasure ! After you !

Sinwah s'éloigne vers la chambre, Justin va pour la suivre, se ravise, juste le temps de soulever le combiné du téléphone et de le poser délicatement par terre. La caméra plonge dans les petits trous du combiné.


73. INTÉRIEUR - JOUR - HONG KONG - AÉROPORT - SALLE D'EMBARQUEMENT

La caméra ressort par les trous du combiné que tient une hôtesse annonçant que:

HÔTESSE
The passengers for the flight CAL287 to Beijing are... etc...

La caméra recule pour montrer Justin et Sinwah, assis devant la porte d'embarquement N° 4 pour le vol de la Royal Nepal Airlines RNA999, embarquement 11:35. Autour d'eux, la salle d'attente est pleine de passagers népalais, chinois et quelques-uns occidentaux. Justin a posé son sac de voyage rouge à ses pieds. Celui de Sinwah, noir, est posé sur le siège à côté d'elle.

SINWAH
Michel tell you what hotel he go ? He call you yesterday ?

JUSTIN
No, he don't call me. I don't know why. Maybe he don't find international telephone.
But he say before, he will be in Thamel. It is the tourist place.
We go there also I think.

SINWAH
So, how we meet him ?

JUSTIN (d'un ton rassurant)
Never mind ! Katmandu is small city.
Thamel is only one street almost, we will see him or maybe he will see us first.

SINWAH
But you sure he go ?

JUSTIN (riant)
Of course ! He don't come home yesterday ! I talk with Suzanne yesterday night.
She say she see him in disco Friday night. He was completely drunk !
(enlaçant Sinwah du bras)
Anyway, never mind, if we don't see him, we party together !
(il l'embrasse sur la tempe)

La porte d'embarquement s'ouvrant devant eux, ils se lèvent de leur siège, s'emparent de leur sac et, tenant leur carte d'embarquement dans la main gauche, ils rejoignent le comptoir où l'hôtesse prend la carte d'embarquement, l'insère dans une machine à cartes et la leur rend, très diminuée en taille.

L'HÔTESSE (sourire commercial)
Have a nice trip !

JUSTIN (retournant le sourire)
Thank you ! You too !

Justin et Sinwah s'éloignent et disparaissent dans le couloir d'embarquement qui mène à l'avion.


74. INTÉRIEUR - JOUR - AVION - PENDANT LE VOL
Justin et Sinwah sont assis côte à côte sur un rang de trois sièges, le long des hublots. Sinwah est assise côté allée, Justin est au milieu et le siège près du hublot est vide. Ils finissent de déjeuner.

JUSTIN
When you finish, give me your tea spoon. I keep.

SINWAH
Why ?!

JUSTIN
I don't know ! Family habit !
(pausant pour réfléchir)
But it is useful habit.

Sinwah rigole et penche la tête vers lui pour se faire embrasser. Soudain, un jeune Népalais s'approche et se penche vers eux.

NÉPALAIS
Hello ! How are you feeling ?

JUSTIN (levant la tête)
Hello ! Fine, thank you !

NÉPALAIS
You are still ok, about this ?

JUSTIN (interrogeant Sinwah du regard)
Hmm... yes, sure !

NÉPALAIS (lui tendant furtivement un petit paquet cylindrique, identique à celui de Kalu)
Ok, then, here is the parcel for you.

Il pause pour attraper un autre paquet dans la poche de son manteau, le donne à Sinwah en disant:

NÉPALAIS (discrètement)
And one for you.
(alternativement à Justin et à Sinwah)
You know what to do ?
You go to the toilet to put the gold inside.
Then you will arrive in the airport. You go through custom.
Outside you take taxi and you say you want to go to Sherpa Hotel in Thamel.
Don't worry, my cousin will follow the taxi up to the hotel.
You need only to remember the name: Sherpa Hotel, ok ?

JUSTIN
Sherpa Hotel.

NÉPALAIS (se redressant)
Ok, if you have no question, I will leave now.
I wish good luck to both of you !

JUSTIN
Thanks ! Bye !

Justin fait tomber la tablette du siège voisin, y pose son plateau et raccroche la sienne au dossier qui lui fait face. Il prend le paquet d'or qu'il avait placé entre ses cuisses et entreprend de le glisser dans son slip.

SINWAH (souriant)
I think you better go to toilets !

JUSTIN (retirant sa main de son pantalon mais y laissant le paquet de contrebande)
I think I better go now... (il l'embrasse)

Il se lève en relevant la tablette de Sinwah et passe devant son amie qui a pivoté de côté pour le laisser passer, en tenant son plateau en l'air, de la main droite.

Elle redescend sa tablette et y repose son plateau pendant que Justin va pour se diriger vers les toilettes. Mais le rouleau d'or, trop lourd pour rester dans sa braguette, tombe le long de la jambe de son pantalon et roule sur le sol.

JUSTIN
Merde !

Alors qu'il se baisse pour ramasser le paquet, on remarque que son lacet est défait.


75. INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES/DOUANES

Même position du pied que dans le plan précédent, mais les mains de Justin sont en train de refaire le lacet de sa chaussure. Le sol est différent, au lieu de la moquette d'avion, c'est le dallage de l'aéroport de Katmandou. Le sac à l'épaule, Justin et Sinwah sont en train de faire la queue tout près d'un guichet de contrôle des passeports.

D'ailleurs, c'est le tour de Sinwah. L'employé fait vite, il tamponne le passeport. Sinwah le prend, avance. Justin prend sa place, récupère son passeport et rejoint Sinwah qui l'attend. Justin met son bras autour de ses épaules. Ils vont se placer derrière une courte queue qui attend devant le tapis en caoutchouc noir du contrôle des bagages des douanes. Justin prend la main de Sinwah. Ils ont l'air tout à fait naturels tous les deux, rien ne les distingue des autres passagers.

Justin observe les douaniers faire leur travail. La caméra suit son regard. Derrière le comptoir en caoutchouc, il y a deux douaniers et une douanière en uniforme, l'air mornes. Les douaniers regardent sommairement dans les sacs et la douanière demande les passeports pour les vérifier. Elle a d'ailleurs déjà fini et elle les rend aux voyageurs avant de diriger naturellement son regard vers les prochains voyageurs dans la queue. Il s'agit de Justin et Sinwah. La douanière regarde Justin deux secondes, son air morne disparaît, une jubilation le remplace sur son visage. Elle touche le bras du douanier le plus proche en disant quelque chose en népalais qu'on ne parvient pas à distinguer. Le douanier se redresse en faisant rapidement signe au voyageur devant lui qu'il peut s'en aller et, se tournant légèrement vers Justin, il lui fait signe de placer son sac devant lui. Justin s'avance, détendu, accompagné de Sinwah. Ils posent tous les deux leur sac sur le tapis en caoutchouc. Au même instant, la douanière s'adresse à eux:

LA DOUANIÈRE (en anglais)
Passports please !

Elle les prend, celui de Justin est sur le dessus. Elle en ouvre la couverture, tourne la première page, regarde la photo, puis Justin, puis la page de passeport. Elle redresse la tête et s'adresse au douanier qui fouille superficiellement le sac de Justin.

LA DOUANIÈRE (en népalais, jubilant)
S-T: Oui, y'a pas de doute, c'est bien eux, j'en suis sûre !

LE DOUANIER
S-T: Vraiment !? C'est ceux qu'on attend ?

LA DOUANIÈRE (convaincue, regardant le passeport de Sinwah)
S-T: J'en mettrais ma main au feu. Ce sont les mêmes noms en tout cas et la même description.

LE DOUANIER (souriant)
S-T: Ils avaient pourtant l'air mignons, ces deux-là !

LA DOUANIÈRE (l'air vache)
S-T: Oh mais faut pas s'y fier !

LE DOUANIER
S-T: Bon, ben on va bien voir !

Le douanier se baisse pour attraper quelque chose sous le tapis en caoutchouc. Il s'agit d'un détecteur de métal portable. Il contourne le comptoir des douanes et, suivi de la douanière, passant devant Justin et Sinwah, il leur dit:

LE DOUANIER
(plutôt jovial)
Please come with me !

Laissant les sacs sur le comptoir, Justin, en se retournant pour le suivre, arrive à chuchoter à Sinwah:

JUSTIN
We have nothing !


76. INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES/DOUANES

De l'autre côté de la salle d'arrivée, il y a quelques cabines de fouille corporelle. C'est vers elles que se dirige le douanier, suivi par Justin et Sinwah, suivis eux-mêmes par la douanière. Un seul douanier reste pour s'occuper du reste des voyageurs.

Au fond, près de la porte de sortie, on remarque un court instant un Népalais qui observe la scène. Il a un peu la même allure que Kalu, il est habillé en vêtements de sport et il porte des lunettes de soleil.

Justin entre dans une cabine avec le douanier et Sinwah, dans une autre avec la douanière.


77 - INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - CABINE DES FOUILLES

Justin est enfermé avec un douanier et un détecteur de métal. L'espace est très réduit, genre, deux cabines téléphoniques.
Le douanier commence par lui braquer le détecteur dans la figure. Justin a un mouvement de recul.

JUSTIN
Eh ! J'ai pas la tête si dure !

Le douanier redescend l'appareil sur la poitrine de Justin. Justin tousse en le faisant exprès. Ça fait rire le douanier. Justin rigole aussi. Le douanier descend le détecteur vers l'abdomen de Justin en riant. Hélas le détecteur se met à bipbiper. Le douanier perd son sourire.

LE DOUANIER (pointant le doigt vers l'abdomen de Justin)
You have gold !

JUSTIN (éberlué)
What ?

LE DOUANIER
You have metal !

JUSTIN (faisant mine de comprendre soudain)
Oh yes, yes !

Il fouille dans la poche de son pantalon et en ressort une poignée de pièces qu'il montre au douanier.

JUSTIN
See ?

LE DOUANIER (re-pointant son engin sur le ventre de Justin)
Wait.

Le détecteur se déclenche à nouveau. Le douanier regarde Justin avec un regard interrogateur.

LE DOUANIER
See ! It is still active !

JUSTIN (lueur de compréhension dans les yeux)
I know why !

Il plonge la main dans son autre poche et retire ses clés.

JUSTIN (souriant)
No more bip bip !

Le douanier sourit mais retente l'expérience et le maudit engin fait bien bip bip, encore une fois.

JUSTIN (soupirant)
This is because of my belt. See !?

Il montre sa grosse boucle de ceinturon, l'air un peu excédé par tant de détails administratifs.

LE DOUANIER (impatiemment)
Take it off !

JUSTIN (incrédule)
What ?!

LE DOUANIER (même ton)
Take it out ! No, better idea ! Put down your pants !

JUSTIN (coincé)
Er... but why !?

LE DOUANIER (de plus en plus autoritaire)
Take down your pants, Sir !

JUSTIN (faussement pudique)
Ok but... can you go out first ?

LE DOUANIER (riant)
No !

Justin commence à défaire son ceinturon quand la porte de la cabine s'ouvre, laissant apparaître la douanière qui tient Sinwah, inquiète, par le bras.

JUSTIN (choqué, faussement pudique, mouvement de cacher sa braguette)
Ah ! A woman !

LE DOUANIER (à la douanière)
S-T: This guy just can't be serious ! I don't think he has anything !

LA DOUANIÈRE (flic)
S-T: Oh but his girlfriend has something ! I'm sure he does too !

LE DOUANIER (souriant)
S-T: I can't get him to take off his pants !

LA DOUANIÈRE (à Justin)
This is very serious ! Take off your pants !

JUSTIN (toujours faussement pudique)
But... I don't know you !

LA DOUANIÈRE (excédée, tirant sur le bras de Justin)
You must take it off !!!

JUSTIN
Ouh ! Stop it ! That's itching ! At least tell me your name !

LA DOUANIÈRE (rouge d'embarras, abandonnant)
I must check you with the detector !

JUSTIN (rafistolant sa ceinture)
It's ok. Finish already !

LA DOUANIÈRE (perdant pied, au douanier)
S-T: Let's get them out of here. The boss will decide what to do with them.

LE DOUANIER (encore amusé)
S-T: We can ask the guard at the gate to keep an eye on them.


78 - INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES
Justin et Sinwah sont assis sur deux chaises en plastique. Derrière eux, accrochée au mur, il y a une horloge. À quelques pas d'eux, un garde portant fusil et baïonnette les regarde de temps en temps tout en surveillant l'entrée. En arrière-plan, on aperçoit le comptoir des douanes où la file des voyageurs est constante. Les va-et-vient sont fréquents.

Sinwah regarde Justin qui regarde le sol. Ils se tiennent par la main.

SINWAH (doucement)
What are we going to do ?

JUSTIN (inquiet)
I don't know but they cannot get the gold where it is.

SINWAH
But they know where it is !

JUSTIN
As long as we don't give them, they cannot have it.
So, better wait as long as possible.
Maybe we have one chance to run away.
Maybe somebody pay them.

SINWAH (dubitatrice)
Maybe...

JUSTIN
You have better idea ?

Sinwah secoue la tête, non, elle n'a pas de meilleure idée.

JUSTIN (regardant furtivement autour de lui, spécialement le garde)
Better we look innocent.

SINWAH
What you mean ?

JUSTIN (souriant)
Give me a kiss first !
(elle l'embrasse)
You have game of cards ?

SINWAH (comprenant, sortant un jeu de sa poche)
You wanna play last card ?

JUSTIN (souriant, reculant d'une chaise pour pouvoir jouer sur celle qu'il vient de quitter.)
Yes ! As usual !

Justin et Sinwah se mettent à jouer aux cartes.
Deux heures ont passé à l'horloge accrochée au mur quand soudain, sorti d'on ne sait où, un type se retrouve à côté d'eux. Il est habillé en uniforme de police spéciale action genre SAS, avec le pantalon rentré dans les boots, les lunettes de soleil miroir, le képi et il gueule d'un ton de commande:

LE NAZI
You can not play card here. It is forbidden !

JUSTIN (le regardant lentement des pieds à la tête)
Show me the rule.

LE NAZI (une seconde d'hésitation)
What !? I tell you ! It is not allowed to gamble in this airport !

JUSTIN (le regardant froidement dans les lunettes)
We don't gamble, we play card ! You don't know the difference ?
It is not forbidden to play card in airport.
(se remettant à distribuer les cartes)
You want to play ?

Le type repart, raide, visiblement vexé.

Justin et Sinwah reprennent leur partie de carte.

79 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES

Un type d'une cinquantaine d'années, sans uniforme, portant une petite barbe grise, ventripotent, l'air bonhomme, s'approche de Justin et de Sinwah qui jouent toujours. Il s'assied sur une chaise près d'eux.

Justin lève la tête dans sa direction. Le type le regarde.

JUSTIN (indifférent, voire ironique)
Hello!

Il va pour se remettre à jouer, faisant mine d'ignorer le type.

LE CHEF DES DOUANES
What are you doing ?

JUSTIN
I play card.
(avec ironie) And you ?

LE CHEF DES DOUANES (avec la même ironie)
I talk to you.

JUSTIN (souriant)
About what ?

LE CHEF DES DOUANES
Maybe about the reason why you are here ?

JUSTIN (souriant toujours)
We wait for our passports.

LE CHEF DES DOUANES
And where is your passport ?

JUSTIN
At the custom. Why you ask ?

LE CHEF DES DOUANES (sûr de son effet)
Because I am chief of customs.

JUSTIN
Perfect ! Can I have my passport please ?

LE CHEF DES DOUANES (vexé mais essayant de le cacher)
I cannot give you.

JUSTIN
Why not ? Passport have problem ?

LE CHEF DES DOUANES
You must give me something first.

JUSTIN (faisant l'idiot)
What ? Airport tax ?

LE CHEF DES DOUANES
You know what I mean !

JUSTIN (jouant le touriste indigné)
What I know, it is that we wait for our passport since more than three hours !
Now it is night time and soon it is time for dinner !
We want to go ! Now !

Le chef des douanes se lève et va échanger quelques mots avec le douanier en poste derrière le comptoir en caoutchouc. Le douanier se baisse et lui tend le détecteur de métal. Le chef des douanes revient.

LE CHEF DES DOUANES
Can you stand up ?

JUSTIN
Sure.

Le chef des douanes passe le détecteur de métal sur son abdomen. L'alarme se met en marche. Il passe le détecteur sur son propre abdomen, pas un son n'en sort. Il se tourne alors vers Sinwah.

LE CHEF DE DOUANES (neutre)
And you, Miss, can you stand up please ?

Sinwah se dresse. Le chef des douanes passe le détecteur devant son abdomen. Il bippe.

LE CHEF DES DOUANES (souriant, à Justin)
I think we can say that the conclusion of this experiment is that you have something hidden in your belly !

JUSTIN (souriant de même)
I don't think so. Lunch is long time ago ! Belly empty now !
So can we go have dinner please !

LE CHEF DES DOUANES
You give me what you have hidden in your stomach and then you can go to restaurant.

JUSTIN
Ok, you think I hide something in my stomach, but what is it ?

LE CHEF DES DOUANES
Gold.

JUSTIN
And how do I hide gold in my stomach ?

LE CHEF DES DOUANES
It is no use to lie ! I know everything.
I know there is somebody outside who’s waiting for you and I know he will wait for a long time.
Even without the detector, I know you hide something in your stomach.
You want to know how I am sure ?

JUSTIN (perdant pied)
I don't understand what you say.

LE CHEF DES DOUANES
I know because someone you know has already told me yesterday.
He told me that you were coming today.
He told me your name and even what you look like, so you see, I know what you have in your stomach.
It must be the same thing as him.
So better give it to me now, then you can go have dinner. And me too.

JUSTIN (sérieusement mais tortillant ses cheveux)
I think you make big mistake. Maybe it is better I call my consulate.

LE CHEF DES DOUANES
You will not call anybody until you give me that gold !

JUSTIN
But I have no gold ! This is crazy ! I am not a rich man ! How can I have gold !?

LE CHEF DES DOUANES
I know you are not a rich man. But you work for a very rich person. He only uses you.
But you do something that is illegal in Nepal. I only do my job.

JUSTIN
We don't do nothing illegal ! You find nothing in the bag, you keep us here for many hours and you find nothing !
So your job is finish, thank you, can we go now !?

LE CHEF DES DOUANES
I can keep you here for as many hours as I want. One day, two days ! It is up to you !

JUSTIN
Great ! So where is our bedroom !? And we want room service please !
(plus sérieusement)
You have strange way to welcome tourist.

LE CHEF DE DOUANES (indigné)
You are not a tourist ! You are a smuggler !

JUSTIN
We want two cokes and some peanuts please.

Justin se tourne soudain vers un couple de touristes qui, les formalités de douanes terminées, s'apprête à quitter la salle d'arrivée.

JUSTIN (assez fort)
Excuse me ?!

Le couple s'arrête pour le regarder.

JUSTIN (alarmé)
We have trouble with custom here. Can you call the French consulate for me please ?
(montrant le chef des douanes) He don't want to let me call.
You just tell them there is one French citizen in the airport who can not go out.
My name is Justin Francoux.

Le couple, surpris, regarde le chef des douanes.

L'HOMME (à Justin)
But what is the number ?

JUSTIN
I don't know. You look in telephone book in your hotel please.
Tell them to come here. I need help. It is urgent !

L'HOMME
Ok, we'll try to call them.

JUSTIN
Thank you very much !

Le couple s'en va. Le chef des douanes a l'air ennuyé.

JUSTIN (froidement)
I will do the same with all the tourist.

Regardant autour de lui et apercevant un autre voyageur tout seul.

JUSTIN (levant la main, parlant fort)
Sir ! Sir !

Le voyageur n'entend pas et s'en va.

LE CHEF DES DOUANES
If you are not going to keep quiet, I will have to lock you inside !

JUSTIN (l'ignorant, appelant un autre jeune touriste)
Sir, please, help me !

LE VOYAGEUR (s'approchant, accent australien)
What can I do for you, Mate ?

JUSTIN (paniqué)
This custom man here don't want to let us go out !
He take my passport ! But we do nothing !
Please call the French consulate and tell them to come to help me.
My name is Justin Francoux. Please !

LE VOYAGEUR
Ok ! No worries, Mate, I'll call them for you !
What did you say your name was ?

JUSTIN (plein de gratitude)
Justin Francoux, I am Justin Francoux. Thank you very very much !

Le voyageur s'en va. Le chef des douanes fulmine. Il se lève et appelle le garde à l'entrée.

LE CHEF DES DOUANES
S-T: Rajvi ! Come here.

Le garde s'approche.

LE CHEF DES DOUANES (à Rajvi)
S-T: You keep a good look on them, I will be back very soon.

Le chef des douanes s'éloigne et, sortant une clé de sa poche, pénètre dans une petite pièce située entre le comptoir des douanes et la sortie de l'aéroport. Il en ressort bientôt et revient vers le groupe.

LE CHEF DES DOUANES (à Rajvi)
S-T: Come with me.
(à Justin et Sinwah)
And you two !

Sinwah range les cartes dans sa poche. Elle se lève, Justin aussi. Ils se tiennent par la main. Ils suivent le chef des douanes, le garde suit derrière. Arrivés devant la porte de la petite pièce, le chef des douanes se retourne.

LE CHEF DES DOUANES
You want room ? Here is your room ! Get in !
You want room service ? You ask the guard !
(au garde)
S-T: Rajvi, you stay with them. Don't let them out.

Justin, Sinwah, le garde et le chef des douanes pénètrent dans la pièce.


80 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DE DÉPÔT DE DOUANES

La petite pièce sert de dépôt de douanes. Il y a des cartons et des caisses de toutes tailles empilées partout, un petit bureau en fer, une chaise dans un coin. Il n'y a pas de fenêtre à part un vasistas donnant sur la salle des arrivées.

LE CHEF DES DOUANES (à Justin)
I will close the door so you cannot call any traveler anymore !
You can wait here until there are no more planes arriving.
Then I will come back and take care of our business.
You better think about what you did !

JUSTIN
Ok, I start now ! Oh ! Finish already ! Why ? Because I did nothing !

LE CHEF DES DOUANES (menaçant)
In time, we will see !

Il sort.

JUSTIN (au garde)
He is always like that ?

LE GARDE (faisant signe qu'il ne parle pas anglais)
S-T: Sorry !

JUSTIN (à Sinwah)
Cool ! He don't understand English !

SINWAH (angoissée)
What we do now ?
I think they catch Michel also.

JUSTIN (amer, fronçant les sourcils)
Yeah, I think so too ! That's why we are here !
Kiss me, I want check the room.

Ils s'embrassent. Justin en profite pour regarder discrètement autour d'eux.

JUSTIN (brisant le baiser)
Wait !

Il s'approche de la chaise dans le coin, la prend, la pose contre le mur sous le vasistas, grimpe dessus, ouvre le vasistas et commence à appeler:

JUSTIN
Excuse-me ! Excuse me ! Yes, here !
I have problem with custom. They lock me here. They take my passport. I can not telephone.
Please call the French consulate for me ! They must come here to help me !
My name is Justin Francoux. I am French.

VOYAGEUR (off)
Ok, no problem, I will call them as soon as I get to my hotel room !

JUSTIN
Thanks ! Thank you very much !

La porte de la pièce s'ouvre violemment. Le chef des douanes entre et la referme. Il se tourne vers le garde en montrant Justin, toujours juché sur sa chaise, de la main.

LE CHEF DES DOUANES (très en colère)
S-T: So why do you think I placed you here ? So that you can sleep !?
Can't you see what he is doing !? Stop him for Shiva's sake !

Il ressort alors qu'on entend Justin appeler un autre voyageur. Mais le garde s'approche de lui et l'attrape par le bras pour le faire descendre de la chaise.

Justin le regarde et descend. Juste contre le mur, à côté de la chaise, il y a un cartable noir posé sur le sol. Alors qu'il descend de sa chaise, Justin le remarque.

JUSTIN (à Sinwah)
You see the schoolbag on the floor ?

SINWAH (regardant discrètement)
Yes.

JUSTIN
We can try to put the stuff inside.

SINWAH
How ?

JUSTIN
Let's pretend we want to sleep.
We take off our coat. We lay down on the floor and we put the coats on us.
Then we can open our pant. He cannot see.
We try to take off the gold and we put it in the schoolbag.

SINWAH
You think it will be ok ?

JUSTIN
I don't know. We must try.

Souriant au garde, Justin retire sa veste et s'étend sur le sol. Sinwah l'imite et ils se couvrent soigneusement de leurs vestes. Justin pose sa tête près de celle de Sinwah et essaie d'ouvrir son pantalon, du moins, on voit la veste bouger dans ces environs-là. Le garde ne bronche pas.
Soudain la porte du dépôt s'ouvre à nouveau. Le chef des douanes entre. Il a d'abord un mouvement de panique en ne voyant que le garde. Puis il aperçoit Justin et Sinwah allongés par terre.

LE CHEF DES DOUANES
What are you doing on the floor ?

JUSTIN (essayant de donner du temps à Sinwah de se rhabiller furtivement, ne relève que la tête en évitant de faire glisser les vestes)
We want to sleep ! Get out and close the light !

LE CHEF DES DOUANES (fulminant)
You cannot sleep here ! This is a custom room !

JUSTIN (ironique)
Can I go to hotel then !

LE CHEF DES DOUANES
Get up !!!

JUSTIN (jetant un coup d'oeil inquiet vers Sinwah qui lui fait un petit hochement de tête)
We just went to bed !

LE CHEF DES DOUANES (ulcéré)
You come with me outside now ! And your girlfriend too !
I have a surprise for you.

JUSTIN (se redressant en même temps que Sinwah)
I don't know if I like your surprise !

LE CHEF DES DOUANES (presque amusé)
Come ! You will see.


81 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES

Justin, qu'on voit sortir le premier du dépôt, a d'abord un sursaut de recul devant ce qu'il voit.
La salle des arrivées est déserte... de voyageurs, mais pleine de flics et de douaniers. Il y en a une bonne trentaine. Le nazi de tout à l'heure est là, toujours porteur de ses lunettes à miroirs. Certains sont debout, d'autres assis dans les chaises en plastique de l'aéroport qu'ils ont disposées en demi-cercle. Deux chaises vides sont posées au milieu du demi-cercle.

LE CHEF DE DOUANES (qui vient de sortir en tenant Sinwah par le bras)
You and your girlfriend sit in the middle.

Justin et Sinwah traînent les pieds jusqu'aux chaises.

LE NAZI (qui s'avance vers Justin avant que celui-ci ait pu atteindre sa chaise)
You better give the gold now ! You hear !?

JUSTIN (calme, fixant les deux miroirs des lunettes)
You know why you have sunglasses like that ?
It is because you don't want people to see your eyes.
You know why ?
Because you feel weak inside and you don't want people see it.
(petite pause, reprenant plus fort et plus sèchement)
So leave me alone !

LE NAZI (transpirant légèrement)
Sit down !

JUSTIN (lui montrant son siège)
After you.

LE NAZI
I say, sit down !!!

JUSTIN (faisant le salut nazi en claquant des talons)
Ja vohl, mein führer !

Le bras tendu, il fait le tour du nazi en marchant au pas de l'oie et en gueulant "Ein, zwei" jusqu'à ce qu'il finisse enfin par s'asseoir. L'assistance rigole de ses clowneries. Le nazi s'en rend compte, se renfrogne et va s'asseoir. Sinwah s'installe sur la chaise à ses côtés. Le chef des douanes va s'asseoir près du nazi. Visiblement, personne n'a l'intention de parler, alors Justin se lance.

JUSTIN
So ? Where is the surprise party ?
You wake me up, you bring me here,
(montrant l'assistance) you invite many people,
(pointant vers le nazi) even clowns,
so where is the music and the balloons,
where is the food and the drink ?

Le nazi fait mine de se redresser pour aller flanquer une correction à Justin. Le chef des douanes le retient du bras.

JUSTIN (au nazi)
If you want to dance with me, you need music first !

LE NAZI (au chef des douanes)
S-T: Chief, please !

LE CHEF DES DOUANES
S-T: Calm down ! You may have your chance later !
(à Justin) You should be more careful of what you say.

JUSTIN (montrant le nazi)
I think it is no use to be polite with people like that.

LE CHEF DES DOUANES
Do you consider you’re being polite with me?

JUSTIN
(au chef des douanes, prudent mais d’égal à égal)
So far I don't need to be impolite with you.

LE CHEF DES DOUANES
Good. We shall continue this way.
Can you be even more polite ?
Give me the gold now so everybody can go home.

JUSTIN (gravement)
You know I can not do that !

LE CHEF DES DOUANES
Why not ? Tell me why. You have nothing to be afraid about.

JUSTIN (un brin de malice dans le regard)
Because I have no gold. I told you before already.

LE CHEF DES DOUANES
Ok, so we are going to wait until you must go to the toilet.

JUSTIN (souriant)
When I go to toilet, I need relax.
This is no relax...

Le nazi a la bêtise de parler à l'oreille du chef des douanes. Justin l'observe. Le chef des douanes embraye immédiatement.

LE CHEF DES DOUANES
Do you want to drink or to eat something ?

JUSTIN (essayant de ne pas sourire)
No thank you.

LE CHEF DES DOUANES (essayant aussi de ne pas sourire)
But before you said you wanted to have dinner.

JUSTIN
I like to eat in restaurant, not in customs !

LE CHEF DES DOUANES (à Sinwah)
And you, Miss ?

SINWAH (froidement)
No thank you.

LE CHEF DES DOUANES (à Justin)
You’ve been here for many hours. Are you sure you don't want to drink a cup of coffee ?

JUSTIN (un peu inquiet)
No, thank you.

LE CHEF DES DOUANES
How come ?

JUSTIN
I don't trust you.

LE CHEF DES DOUANES (amusé)
I’m the chief of customs and you’re a smuggler, yet you are the one who doesn't trust the other !?

JUSTIN
If I was smuggler, I must trust chief of customs ? I don't think so !
But you think I am smuggler, so it is normal I don't trust you.
So I don't want your food and your drink because maybe you will put something inside because you think I have something in the stomach.
You understand why now ?
It is very bad luck for me because I am thirsty.
So please let me go out and buy drink myself.

LE CHEF DES DOUANES
Do you think I am stupid ???

JUSTIN
You start first… I will come back !
If my girlfriend stay here you cannot be afraid that I will not come back !

LE CHEF DES DOUANES
And you will give the gold to the person who waits for you outside.
He’s still waiting for you. We know him very well.
We told him he could go now. It is no use waiting for you.

JUSTIN (souriant)
Specially that I don't know who it is !

LE CHEF DES DOUANES (souriant finement)
Oh but he knows who you are.

JUSTIN
How do you know that he know me ?

LE CHEF DES DOUANES
Because he told me.

JUSTIN
This guy is smuggler ?

LE CHEF DES DOUANES
Oh yes ! We’ve known what he does for quite a while !

JUSTIN (rigolant)
So why one smuggler speak to one chief of custom about his business ?
He is crazy guy ?
(secouant l'index en l'air comme pour gronder le chef des douanes)
You lie to me.

LE CHEF DES DOUANES (agacé)
I can keep you here for a very long time !

JUSTIN
Good ! Can we have better room than before please ? Before, room not very quiet. And have bathroom also ok ?

LE CHEF DES DOUANES (sautant sur l'occasion)
You want to go to bathroom ?

JUSTIN (riant)
You think of that all the time ?

LE CHEF DES DOUANES
I have children of your age ! If my son did or said something like that, I would kill him !

JUSTIN
(le fixant dans les yeux sans pouvoir retenir une moue de mépris)
Then you are not a very good father. I am very sorry for your son !

LE CHEF DES DOUANES
(mauvais, montrant le nazi d'un mouvement du menton)
Maybe I should let him talk to you.

JUSTIN
I don't answer to people like him !

Le nazi lui montre le poing. Justin lui fait un doigt d'honneur. Le nazi saute sur ses pieds. Justin aussi. Le chef des douanes fait un bond et attrape le nazi par le bras. Le nazi se dégage d'un mouvement rageur mais n'avance plus. Il montre à nouveau son poing à Justin, en marmonnant.

LE NAZI (menaçant)
S-T: Enfoiré !

JUSTIN (lui faisant deux doigts des deux mains cette fois et en se rasseyant)
Fuck you !

LE CHEF DES DOUANES (avec autorité, se rasseyant)
You both calm down now ! Enough !
(à Justin, sur un ton fatigué)
We all want to go home and have a good night sleep.
Please give us the gold now and we can all leave this airport.

JUSTIN (sur le même ton fatigué)
I see it is no use to talk. Ok, I will sleep here then.
(se tournant vers Sinwah)
Come, we lay down here and we sleep.

Justin retire sa veste et se laisse glisser sur le sol en s'en recouvrant. Sinwah l'imite. Et là, fait incroyable mais absolument véridique, ils s'endorment tous les deux en moins de 20 secondes. Oui, au milieu d'une salle d'aéroport, entourés d'une trentaine de flics, en plein interrogatoire et avec un kilo d'or dans les intestins. Quelquefois, comme lorsqu'il s'agit de se faire réformer de l'armée, le pouvoir psychique d'autosuggestion a de quoi étonner même son propriétaire...

82 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES

Justin et Sinwah dorment sur le sol, enlacés dans les bras l'un de l'autre, se faisant face. Autour d'eux, une trentaine de flics et de douaniers les observent en discutant. L'un d'eux semble revenir d'une autre pièce dont il rapporte des sacs en papier qu'il distribue à ses collègues. Ils les gonflent et vont les faire éclater près de Justin et Sinwah en rigolant. Mais rien ne semble pouvoir les réveiller. Alors l'un d'eux envoie son pied dans le dos de Justin. Un autre qui se trouve du côté de Sinwah en fait autant pour elle. Justin et Sinwah se réveillent. Justin a encore le temps de recevoir un coup de pied dans les reins de la part du nazi qui n'attendait que ça. Mais il a le temps de lui retenir la jambe et le nazi tombe en arrière. Justin se retourne du côté de Sinwah pour voir un douanier l'attraper par les cheveux. Justin fait un bond et attrape le douanier à la gorge. C'est un peu la cohue derrière lui, les douaniers qui étaient encore assis se lèvent, on frôle le lynchage, le gros baston est imminent d'autant que le nazi s'est relevé et attrape une chaise.

LE CHEF DES DOUANES (hurlant en népalais et en anglais)
Stop it ! All of you !
Stop it ! Right now !
Everybody sit down !
Now !
It's an order !

Plus personne n'ose bouger chez les douaniers. Justin, toujours debout, a lâché la gorge de son douanier qui recule. Justin tend la main à Sinwah pour l'aider à se relever et ils s'étreignent, debout l'un contre l'autre, essoufflés, un peu secoués. Dur comme réveil ! Les douaniers reprennent leur siège. Justin et Sinwah profitent du remue-ménage pour échanger quelques mots à voix basse.

JUSTIN (à Sinwah)
You are ok ?

SINWAH
Don't worry !

JUSTIN
Can you still hold it ?

SINWAH
It is a little bit heavy now but it is ok. And you ?

JUSTIN
Same as you. You tell me when it is painful and then we give up.

SINWAH
Don't worry, I can still hold it.

JUSTIN
I love you ! You are great !

SINWAH
I love you too.

Ils s'embrassent. Les douaniers les regardent en riant, sifflant, tout l'tatouin.

LE CHEF DES DOUANES
S-T: Taisez-vous !!!
(à Justin et à Sinwah)
Please don't do that in front of them.

JUSTIN (étreignant toujours Sinwah, au chef des douanes)
Don't do what ? What you mean ?

LE CHEF DES DOUANES (fatigué)
Kissing ! That is what I mean ! Sit down please.

JUSTIN (faussement surpris, s'asseyant en même temps que Sinwah)
It is forbidden also ? (avec un grand sourire au nazi) Same like playing cards ?
This is strange airport ! Have many rules !

LE CHEF DES DOUANES (à bout et qui souhaiterait arrêter le jeu)
This is customs, not a massage parlor !

JUSTIN (regard froid, moue d'ignorance amusée, con)
I don't know. I never go to massage parlor. Tell me how it is ?
Your wife know you go there ? Your son also ? They don't kill you ?

LE CHEF DES DOUANES (froidement)
Ok, it’s been fourteen hours now since you’ve arrived here and I believe you are not very polite with me anymore. I also believe that I’ve been patient long enough, so I will have no regret letting somebody else take charge of you.

Il se tourne vers le nazi et montrant Justin du menton

LE CHEF DES DOUANES
You can deal with him.

LE NAZI (pointant son index sur Justin)
You, long time no go toilet ! Go now !

JUSTIN
No thank you !

Le nazi donne un ordre à deux types en uniforme que la scène entière a rendus hilares comme beaucoup parmi les présents. Les deux types sont assez balaises pour des Népalais, grands surtout. Ils s'avancent vers Justin. Justin se dresse avant qu'ils ne l'empoignent.

JUSTIN (levant les mains devant lui en se levant)
Ok, ok ! No use !

Un garde l'empoigne cependant par le bras et entreprend de le tirer vivement vers les toilettes. Justin tente de freiner l'élan, mais l'autre garde s'empare de son bras libre et les deux types l'entraînent rapidement. Pendant ce temps, le chef des douanes retient Sinwah sur sa chaise. Elle se débat en criant "Let him go !"mais d'autres gardes s'empressent de venir aider leur chef. Justin qui se retourne, se débat en vain, entre les deux gardes qui l'entraînent en avant, en criant "leave her alone !".


83 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - TOILETTES POUR HOMMES

Justin est debout entre les deux gardes qui le tiennent par les poignets, les bras écartés, au milieu des vastes toilettes pour hommes de la salle d'arrivée de l'aéroport de Katmandou. Le garde qui tient le poignet droit de Justin s'amuse à le lui broyer.

JUSTIN
You enjoy yourself ?

Le nazi entre dans les toilettes. Il donne un ordre aux gardes qui emmènent Justin contre un des murs, les bras toujours écartés. Il retrousse sa manche. Visiblement, il a l'intention de donner un bon coup de poing dans l'estomac de Justin. Il s'approche de Justin et prend son élan. D'un coup de pied, Justin lui fauche la jambe, le nazi perd l'équilibre et trébuche mais ne tombe pas. Il est blanc de rage. Il donne un ordre.

LE NAZI (aux gardes)
Tenez-lui les jambes.

Les gardes essaient mais Justin se débat. C'est impossible. Alors le nazi a une autre idée.
Il donne un autre ordre en népalais.

LE NAZI
(S-T) Remettez-le au milieu de la salle.

Il sort et revient aussitôt avec un Népalais pauvrement vêtu, auquel il donne un gant de chirurgie en caoutchouc. Le pauvre type s'accroupit sur ses talons et, jetant des regards furtifs voire craintifs vers Justin, il entreprend d'enfiler le gant.

Justin remarque enfin son geste et contemple le type. Soudain son visage, d'abord inquiet, se creuse. Il a compris ce qui se passe et il sait un moyen de s'en sortir.

JUSTIN
(fixant le pauvre type, prenant un air terrible et feignant la haine et la menace tout en détachant bien les mots)
You are only low cast !
I am brahmane ! You cannot touch me !
If you dare touch me, I can kill you ! It is my right !
So I don't know when but, believe me, I will come to kill you one day and everybody around you !

Ça fonctionne. Le pauvre type est mort de frayeur et retire le gant.

À ce moment, Sinwah entre dans les toilettes. Elle se précipite vers Justin et l'entoure de ses bras. Les gardes, surpris, relâchent les bras de Justin qui étreignent aussitôt Sinwah. Tous les hommes présents dans les toilettes sont un peu surpris et regardent la scène. Justin en profite pour entraîner Sinwah hors des toilettes.

Il croise le chef des douanes qui vient aux nouvelles. Ils parviennent à sortir des toilettes sans que personne ne les en empêche.

84 - INTÉRIEUR - NUIT - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES

Justin et Sinwah viennent de sortir des toilettes, enlacés. La sortie de la salle des arrivées est juste en face d'eux, ouverte, gardée uniquement par le garde Rajvi. Tous les autres sont restés dans les toilettes.

Dehors, le jour est en train de se lever. Le garde somnole. Justin et Sinwah s'avancent lentement vers lui. Il ne les voit pas.

JUSTIN (tout bas, à Sinwah)
Are you ok to run ?

SINWAH (même ton)
Where ?

JUSTIN
I count until three, then we run.
I take care of the guard, you run outside, don't look back.
Get rid of your gold as soon as you can. Ok ?

SINWAH (inquiète)
Ok.

JUSTIN (entre ses dents)
One, two...

Soudain, une voix résonne derrière Justin et Sinwah.

LE CHEF DES DOUANES
S-T: Rajvi ! Watch out !

Rajvi a un sursaut, il tourne la tête, aperçoit les deux silhouettes qui marchent sur lui. Rapidement, il referme le portail métallique coulissant de l'entrée.

JUSTIN (entre ses dents)
Shit !


85 - INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES

Le chef des douanes et ses gens sont assis sur les chaises au milieu de la salle des arrivées. Ils sont silencieux, presque somnolents. Il est six heures à l'horloge de la salle des arrivées, tout le monde accuse sa nuit blanche. Sinwah, assise à côté de Justin, a posé sa tête sur son épaule.

JUSTIN (tout bas)
Sinwah, are you ok ? Can you wait more ?

SINWAH (même ton)
It starts to be heavy. Maybe one hour more. And you ?

JUSTIN
Same as you. You want to give up ?

SINWAH
Only when you want.

JUSTIN
Ok, not more than one hour. Ok ?

SINWAH
Ok.

Le nazi réapparaît, porteur de gobelets de café. Il en tend un au chef des douanes qui s'en empare en faisant attention de ne pas renverser. Le chef des douanes se tourne vers Justin en lui montrant le gobelet.

LE CHEF DES DOUANES (goguenard)
You sure you don't want a coffee ?

JUSTIN (refusant de la main)
No thank you. Coffee is bad for health.
(avec un petit sourire)
You drink.

LE CHEF DES DOUANES
And you, Miss ?

SINWAH
I do same like my husband

LE CHEF DES DOUANES (offusqué)
You lie ! He is not your husband.

SINWAH (pointant sa tête)
He is, here !

LE CHEF DES DOUANES ( menaçant)
I don't think you’ll be married in your head anymore when you get out of jail !

JUSTIN (montrant le fusil du garde)
How would you know what love is ?

À ce moment, le nazi se dresse d’un bond, s'avance vers le garde dont il prend le fusil et revient vers Justin en le braquant du bout de la baïonnette.

LE NAZI (hurlant)
Now you give gold !

Sinwah se jette sur Justin et l'entoure de ses bras. Justin avance un doigt et fait mine de le planter dans le canon du fusil. Le nazi essaie de l'en empêcher en bougeant le canon du fusil, tout en essayant de garder Justin en joue.

LE NAZI (hurlant)
Stay quiet ! Put your hands up !

JUSTIN (hurlant sur le même ton)
Fuck you ! Put your gun down !

SINWAH (hurlant, les larmes aux yeux)
Stop it !

Le chef des douanes se rapproche sans trop se presser et pose une main sur le fusil du nazi, il le force à baisser le canon.

LE CHEF DES DOUANES
You want to get yourself killed ?
Everybody is tired here !
How can I control them all ?

SINWAH
It is your job !

LE CHEF DES DOUANES
So help me do my job, please ! Give me the gold ! Now !

JUSTIN (le regard appuyé)
Is that an order ?

LE CHEF DES DOUANES
No, I beg you. Are you happy now ? I cannot do more !

JUSTIN
You can do one more thing.

LE CHEF DES DOUANES
What ?

JUSTIN (se penchant à l'oreille de Sinwah)
We give up ?

SINWAH (tout bas)
Ok, it is too much heavy now.

JUSTIN (au chef des douanes)
Give me toilet paper.

LE CHEF DES DOUANES (écarquillant les yeux)
You are going to give me the gold ?

JUSTIN (humour froid)
It is time to give birth, you want boy or girl ?


86 - INTÉRIEUR - JOUR - AÉROPORT DE KATMANDOU - SALLE DES ARRIVÉES
Une grosse balance en cuivre a été posée sur le comptoir des douanes. Derrière le comptoir, le chef des douanes est en train de peser l'or de Justin et de Sinwah. Ceux-ci se tiennent debout devant le comptoir, les mains menottées derrière le dos, étroitement surveillés par le nazi et un autre garde.

LE CHEF DES DOUANES
One kilo and two hundred grams on one side and one kilo and three hundred grams on the other.
Now let's see your luggage. Any camera ? Any radio ? Everything we find will be confiscated.

JUSTIN
I have some dirty underwear if you want...

Le nazi lui balance un coup de pied dans la jambe. Justin se retourne et bien que menotté, se met à courser le nazi qui s'enfuit en rigolant.

JUSTIN (en courant)
Saloperie !

Le chef des douanes lance un ordre. Le nazi s'arrête. Justin le rejoint et lui écrase le pied. L'autre pousse un cri de douleur, lève le poing mais de nouveau le chef des douanes qui s'est levé, intervient.
Le nazi arrête son geste en marmonnant des injures en népalais, à l'adresse de Justin. Ils retournent ensemble devant le comptoir comme des enfants punis.

LE CHEF DES DOUANES (à Justin)
You better stop this ! This man wants to kill you and I must say, I understand his point !

JUSTIN (indigné)
He start first ! He is crazy dog, same same !

Pendant ce temps, au comptoir, deux douaniers ont fouillé les sacs de Justin et Sinwah. Ils n'y ont rien trouvé, sauf un canif.

LE CHEF DES DOUANES (brandissant le canif)
I keep this.

JUSTIN (insinuant)
For your son ?

LE CHEF DES DOUANES (avec un sourire de satisfaction)
Now I will drive you to jail but I’ll be thinking of you when I write my report, be sure of that !

JUSTIN (léger)
Can I have my passport now ?

LE CHEF DES DOUANES (surpris)
What !?

JUSTIN (souriant)
I will need it when I escape.


87 - EXTÉRIEUR - JOUR - DEVANT L'AÉROPORT DE KATMANDOU
Une petite place ovale où des taxis et des rickshaws attendent le client. En fait, là tout le monde dort encore. Un van blanc est garé juste devant la sortie de l'aéroport.

Les gardes font monter Justin et Sinwah. Ils sont suivis du chef des douanes, du nazi et de trois ou quatre gardes, dont au moins UNE garde qui s'occupe de Sinwah.


88 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR DES ARRIVÉES
Le van est entré dans la cour de ce qui ressemble à un large bâtiment administratif. Il s'arrête. Un garde en descend, entre dans une salle du bâtiment et en ressort aussitôt, suivi de deux gardiens de prison en uniforme, portant fusil et baïonnette. Le groupe s'approche du van. Justin et Sinwah en descendent. Les gardiens les emmènent en direction de la prison.


89 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - SALLE DES GARDIENS
La pièce est meublée d'un bureau et de chaises en bois, dans le style britannique, administratif et colonial. Il y a des porte-manteaux aux murs où sont accrochés des uniformes, des ceinturons et des sacs kakis. Il y a un rack à fusil et un poêle à charbon muni de sa cheminée en aluminium qui sort par la vitre d'une fenêtre.
En plus des deux gardiens et de notre couple de contrebandiers, on remarque une gardienne. Derrière le bureau, on reconnaît le chef des gardiens à sa belle moustache et à son air d'autorité. Il a la cinquantaine souriante. Derrière lui sont accrochés les portraits omniprésents du roi et de la reine. ( Birendra Bir Bikram Shah Dev et de la reine Aishwarya Rajya Laxmi Devi Shah)

LE CHEF DES GARDIENS (d'humeur joviale)
Good morning ! How are you ! Welcome to Dilli-Bazaar !
Where do you come from ?

JUSTIN (fatigué)
The airport.

LE CHEF DES GARDIENS
Yes, we have been waiting for you for many hours ! We knew you were coming.

SINWAH (s'esclaffant)
Sorry for making you waiting !

LE CHEF DES GARDIENS
No problem ! No problem ! Waiting is what this place is about !
You'll see. Here we have all the time in the world !

JUSTIN (avec la même jovialité)
Very good ! So, where can I get some smoke ?

LE CHEF DES GARDIENS
Oh yes, you can smoke here, no problem !

JUSTIN
Good. So how much ?

LE CHEF DES GARDIENS (perdu)
What do you mean ?

JUSTIN
How much for one tolha of good black charass ?

LE CHEF DES GARDIENS
Oh, no no no ! You cannot smoke charass in here !

JUSTIN (souriant)
Why not ? Charass is very good for waiting !

LE CHEF DES GARDIENS (hésitant)
Oh ! Well, I don't know... Maybe it is possible. You ask the other guys inside.
But you will have to be very careful because it is against the rules.

JUSTIN (amusé)
Thank you.

LE CHEF DES GARDIENS (souriant)
You are welcome. Anything I can do for you ?

SINWAH (riant)
Yeah ! Let us go !

LE CHEF DES GARDIENS (hilare)
Ah ! This is the one thing I cannot do !

JUSTIN (même ton hilare, pointant le doigt vers la fenêtre)
We don't have any money here but I promise I will send you a lot of rupees, for you three, if you just look on the other side.

LE CHEF DES GARDIENS (toujours hilare)
Oh but I would get into a lot of trouble and I have no guarantee that you will send me any money at all !
I cannot do that. I am so sorry. (regard plus appuyé) Do you have anything valuable now ?

JUSTIN (qui a remarqué le regard)
We had a very beautiful knife but the chief of custom took it.

LE CHEF DES GARDIENS (froid soudain, d'un ton professionnel)
Well, I will have to search your luggage before you can have them back, but I think it is time to go inside now.
(à un garde) Durga, you bring them to Number One.
(à la gardienne) Pima, you take care of the lady here, ok ?
(à Justin et Sinwah avec un joli sourire) I wish you two a nice stay among us !

SINWAH (souriant de même)
It is up to you, isn't it ?

LE CHEF DES GARDIENS (rigolant)
No, actually, it is up to you !


90 - EXTÉRIEUR/INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR/MARCHES/PORCHE/HALL
Le garde Durga sort d'abord de la salle des gardiens, suivi de Sinwah et de Justin, toujours menottés, puis de la gardienne Pima. Ils font quelques pas en longeant le mur du bâtiment de la prison, ils grimpent les quelques marches qui mènent aux grilles, gardées de chaque côté par un garde tenant fusil à baïonnette.

Derrière les grilles, deux matons montent la garde. L'un d'eux ouvre une petite porte sertie dans les barreaux. Ça fait un bruit métallique typiquement carcéral. Le groupe pénètre un par un, dans le même ordre, en se penchant pour pouvoir passer par l'étroite issue basse qui est vite refermée derrière eux, à grand fracas.

On se retrouve dans une sorte de hall voûté, aux murs couverts de chaux. Ça fait comme un tunnel sombre au bout duquel se trouve une issue, éblouissante de lumière, qui donne sur la cour même de la prison. Immédiatement après avoir passé la grille, sur la droite, assez bas, on remarque un orifice dans le mur, une sorte de guichet protégé de barreaux, derrière lequel on aperçoit, dans la quasi-obscurité, un petit homme chétif, sorti d'une Cour des Miracles fellinienne, bossu, vieux, laid, borgne, au visage de filou et d'avaricieux. C'est le gérant du magasin de la prison. Un prisonnier népalais est en train d’y acheter ses cigarettes.

Les gardiens font signe à Justin et à Sinwah de s'avancer vers la flaque éblouissante de lumière. Ils se retrouvent tous près d'une autre sorte de couloir, qui s'ouvre à leur droite. Ce couloir est assez long et large pour faire place, des deux côtés, à deux rangées d'une quinzaine de lits. Des sacs sont accrochés aux murs, des malles en aluminium sont posées devant les lits. C'est la pièce des matons.

Sur un des premiers lits de la rangée droite, un jeune Népalais est en train de se lever. Il s'avance vers le groupe. Du fond de la salle, un autre type, plus vieux, l'allure assez inquiétante avec son oeil mort, s'avance également.

LE JEUNE MATON (à Durga)
S-T: Ce sont les nouveaux ?

DURGA (souriant)
S-T: Oui ! Ils ont fini par les avoir à l'aéroport !

LE JEUNE MATON (souriant)
S-T: Il leur a fallu un bon moment quand même !
(à Justin et Sinwah)
Good morning !
(montrant le sale type borgne)
This is Number One Nagi Dai ! He's chief.
I am number two.

JUSTIN (souriant)
You are young chief.

NUMBER TWO (souriant d'un air triste)
Yes.

SINWAH
Where are our bags ?

NUMBER TWO
Oh, they are being checked by the guards. I will call you later and give them back to you.

JUSTIN
Wow ! You speak good English !

NUMBER TWO (triste sourire)
Yes, I was a student.

JUSTIN (montrant le borgne du menton)
And him ?

NUMBER TWO (avec un sourire moins triste)
No, he was not a student...

NUMBER ONE (vaguement gêné par le fait qu'il ne comprend rien)
(à Justin, pointant le doigt vers la cour de la prison)
You ! Go !

NUMBER TWO (jetant un coup d'oeil vaguement inquiet vers Number One)
Yes, you better go first. I’ll call you when I have your bag.

JUSTIN (tendu, perdant sa superbe, saisissant la main de Sinwah)
But I want to stay with my girlfriend.

SINWAH (tout aussi inquiète)
We don't want to separate.

NUMBER TWO (essayant de gagner du temps)
I am sorry but you cannot stay together now.
(jetant un nouveau coup d'oeil inquiet vers Number One)
I will talk to the director when he comes to the office, but right now, you will have to separate a little while.
(à Justin)
What's your name ?

JUSTIN (la tête basse, abattu)
Justin.

NUMBER TWO (à Sinwah)
And you, Miss ?

SINWAH (indifférente)
My name is Sinwah.

NUMBER TWO (à Justin)
Well, I think you better go now. I will call you as soon as I know more.

JUSTIN (plaidant)
But we can stay here until the director comes.

NUMBER TWO
I'm really sorry but it’s impossible.

NUMBER ONE (poussant Justin)
Go !

Justin fait un pas vers la cour, poussé pas Number One. Sinwah reste accrochée à lui.

NUMBER ONE (à Number Two)
S-T: Tell him to go now or I call the guards.

NUMBER TWO (à Justin)
Please, you must go now ! Or the guards will come.

Justin, pâle, se penche vers Sinwah. Il l'embrasse.

JUSTIN (doucement)
Don't worry. I'm here.
Now I'm going to find Michel, I am sure he is here also.
I will come back to tell you.

Il fait un pas vers la cour de la prison. Sinwah reste sur place mais ne lâche pas sa main. Justin se retourne encore et tire doucement pour se dégager, en regardant Sinwah. Il détourne le regard pour qu'elle ne voit pas ses larmes monter. Il se dégage et dévale, d'une allure sûre, les quelques marches qui descendent vers la cour. Arrivé en bas, il se retourne encore mais, ébloui par le soleil, il ne parvient plus à distinguer les formes dans le couloir sombre. Il lance encore un baiser au hasard et s'éloigne dans la cour en regardant autour de lui.

91 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR DE LA PRISON DES HOMMES
La cour est divisée en deux parties. À droite de la volée d'escaliers que vient d'emprunter Justin, sur une sorte d'estrade de pierres, se dresse un petit bâtiment peint de chaux. Sur le côté d'un mur, il y a 3 robinets où les prisonniers viennent faire le plein d'eau ou se laver les pieds.

Derrière ce bâtiment, sur l'estrade, il y a un espace libre où les prisonniers se lavent, au grand jour. L'espace est clos par un mur, derrière lequel se trouve la cour de la prison des femmes. Sur le toit des toilettes, le haut-parleur d'une radio sature à fond de la musique indienne.

Dans la cour, l'espace le plus grand est formé d'un chemin de marche qui tourne autour d'un petit terre-plein décoré de fleurs et d'un petit bassin avec des poissons. Une horde de prisonniers tourne à pas lents tout autour.

En face des escaliers, il y a un bâtiment bas qui emplit tout le fond, sur le toit duquel on aperçoit des gardes en service. La cour est donc close entre un bâtiment administratif de quatre étages, deux bâtiments bas et un mur.

Près de l'escalier, à gauche, un Népalais accroupi en lotus s'occupe d'une grande bassine pleine de lait qu'il fait bouillir en infusant du thé directement dedans: le tchai. De temps en temps un prisonnier s'approche, tend une demie-roupie et l'accroupi lui remplit un verre Duralex au moyen d'une louche et d'une passoire.
À sa gauche, sous une sorte de préau étroit, des prisonniers accroupis par terre en lotus, jouent au billard népalais: une sorte de grand plateau carré en bois, avec des trous percés au quatre coins. On y joue avec des palets que l'on envoie de l’index vers les trous d'un taquet.

Justin s'approche de ce groupe pour les regarder jouer quelques secondes, mais il redresse bien vite la tête pour scruter la foule des prisonniers. Il cherche quelqu'un.

Bien qu'il ne l'ait pas remarqué, un type se détache du peloton tourneur pour se diriger vers Justin. Au premier abord, on dirait un autochtone. Le type est habillé comme un Népalais, pantalon de coton léger, veste népalaise, bronzé, il a environ 25 ans, brun, les cheveux mi-longs bouclés.

MICHAEL (tapotant l'épaule de Justin qui ne l'a pas vu s'approcher)
Excuse me.

Justin se retourne.

MICHAEL
Sorry. My name is Michael, have you just arrived ?

JUSTIN
Yes. My name is Justin. I just arrived with my girlfriend.

Ils se serrent la main.

MICHAEL
Well, nice to meet you. I just wish it'd be some...

NUMBER 2 (arrivant précipitamment dans le dos de Justin)
Please, you must come with me now !

JUSTIN (à Michael, avec un petit sourire amusé)
Sorry ! I must go already !

Justin et Number 2 retournent rapidement côte à côte vers la volée d'escaliers qu'ils grimpent rapidement. Ils disparaissent à l'intérieur du bâtiment administratif.

Les matons s'appellent des Nagi ou Nagi Dai. Ce sont eux, les vrais gardiens de la prison bien qu'ils y soient aussi prisonniers. Les vrais gardiens, eux, se contentent d'être postés sur les toits qui entourent la cour extérieure de la prison.


92 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL

On récupère Justin de face, alors qu'il vient de monter les quelques marches. Sa silhouette, d'abord ensoleillée, s'assombrit alors que son visage s'approche. Ce visage qui paraît plutôt insouciant finalement, vu les circonstances, se creuse soudain. Le regard de Justin change à tel point que ses yeux se plissent.

Ce qu'il voit ? Sinwah, écumante, folle, se débattant, retenue par la gardienne grâce à ses mains menottées dans le dos et qui hurle:

SINWAH
Let me go ! I want to be with my husband !

JUSTIN (affolé par l'état extrême dans lequel il retrouve sa compagne, à la gardienne)
Let her go, for Christ sake !
(à Number 2)
What did you do to her !

NUMBER 2
We have to hold her like this because she ran three times into the wall and banged the wall with her head really bad.
We can not let her do that to herself. Please try to calm her down. I don't know what to do !
It is impossible to let you two be together and it would also be dangerous ! Please explain it to her !

JUSTIN
Well, let her go first !

NUMBER 2 (à la gardienne)
Let her go.

La gardienne lâche Sinwah, qui semble n'avoir rien remarqué et qui aussitôt se rue sur le mur, la tête la première. Le choc est si rude qu'elle en tombe à genoux. Justin se précipite alors qu'elle est sur le point de se redresser d'un bond pour recommencer. Il l'entoure de ses bras pour la retenir.

JUSTIN (en pleurant)
Stop it ! Stop it ! Please ! It's me ! Don't do that ! It's me ! Please !
Don't do that ! Don't leave me here alone ! I need you. You are the only one now. Please !

SINWAH (blessée au front, se retournant dans les bras de Justin et l'enserrant dans les siens)
I don't want to be alone here ! I want to stay together with you !

JUSTIN (l'entraînant vers un banc près du mur)
Come. We sit down together here, first. Come. I love you. I will never leave you.

Pendant ce temps, Number 2 a appelé le serveur de thé qui monte l'escalier pour lui en apporter un verre.

SINWAH (s'asseyant)
You swear ?

JUSTIN
I will die for you.

SINWAH
I don't want you to die.
I need you too much.

JUSTIN
Same same. I don't want you to die.
Please never do that anymore.
Look at you.

Il lui repousse les cheveux sur le front. C'est déjà tout bleu !

JUSTIN
Oh my God ! Why did you do that ?

SINWAH (avec un pauvre sourire)
You still love me ?

JUSTIN
Of course, I will always love you.

Number 2 se tient tout près, tenant le verre de thé brûlant entre deux doigts. Justin se tourne vers lui.

JUSTIN
Do you have something for calm down ? Medicine ?

NUMBER 2 (donnant la tasse de thé à Justin)
No, I only have aspirins. Please, give her this.

JUSTIN
Look, aspirin and tea is not going to help.
I know her. She is very strong mind. What to do ?
Maybe you have room for us ?

NUMBER 2
No, there is no room. She really must go on the woman side.

JUSTIN
But don't you see she will die there ?

NUMBER 2 (l'air triste)
Why did you come here ?!

JUSTIN
Just gold smuggling !

NUMBER 2
But why !?

JUSTIN
Because we need money to marry.

NUMBER 2
Why you don't ask your parents ?

JUSTIN
Because she is Chinese and I am French, they don't like.

NUMBER 2
So you smuggle gold because you want to be together and because of that you must be apart, now.

JUSTIN
Yes, exactly like you say !

NUMBER 2
Ok, I understand. Then I have an idea.
Every morning and every afternoon, the women come here to buy things at the shop.
If you want, I can let you meet each other then.

JUSTIN
How long time ?

NUMBER 2
I’m not sure. 10, 15 minutes.

JUSTIN
It is not very much.

NUMBER 2
It is better than nothing and normally, nobody is allowed to talk to the women.
So consider yourself lucky.

JUSTIN
Yes. I guess. Thank you.
(se tournant vers Sinwah, qu'il tient toujours dans ses bras)
We will see every morning and every afternoon. I will spend the rest of the time writing to you and I give you the letter when we meet. You will always be in my head.

SINWAH
I will cook food for you and give you when we see each other. You like ?

JUSTIN
Oh yes, please ! (souriant) You know I don't know how to cook. I will die quickly if you don't cook for me!
I told you I need you and it is true. I need you more than you need me.

SINWAH
Don't say that. I just want to live because of you, now.

NUMBER 2
I am sorry but both of you must go now. Anyway, please don't worry, the women will come very soon to the shop. You will see each other again then, I promise.

JUSTIN (à Sinwah)
Are you ok ?

SINWAH
Yeah. Don't worry. We meet soon, right ?

JUSTIN
Of course. I will wait.

SINWAH
Give me a kiss.

Justin et Sinwah s'embrassent. Quelques Népalais trouvent ça marrant, pas trop. Number 2 les regarde, toujours avec le même air mélancolique.

Finalement, la gardienne attrape la manche de Sinwah et tire doucement. Sinwah se lève et commence à la suivre, lâchant doucement la main de Justin qui reste assis. Elle disparaît par une porte située au fond de la chambre des matons. Justin fronce les sourcils en se redressant.

JUSTIN (à Number 2)
People can go from here to women room ? Is it safe ?

NUMBER 2
Don't worry. There are guards on the other side. It is safe. Nothing will happen to your friend.
Go now and I will call you soon to see her again. Then you can ask her yourself.

JUSTIN (avec un vrai regard de reconnaissance)
Thank you. You are a good man.


93 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR

On voit Justin redescendre la volée d'escaliers, le pas lourd, le dos rond, l'oeil fixe. Michael, qui l'attendait en bas, s'approche de lui.

MICHAEL
Is everything ok ?

JUSTIN (atterré)
No, it is really not ok.

MICHAEL
What happened ?

JUSTIN
My girlfriend, she has nervous breakdown.

MICHAEL
So she’s ok now ?

JUSTIN
Well, not ok but a little bit better. They say I will see her again later.

MICHAEL
They said that ?? Hmm...

Michael et Justin empruntent le chemin de promenade et, se mêlant aux prisonniers népalais, se dirigent côte à côte vers le bâtiment du fond, à gauche. De l'extérieur, on n'aperçoit pas grand-chose par les portes-fenêtres ouvertes. Justin et Michael grimpent quelques marches et entrent dans le bâtiment.


94 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR C

Sombre, bas de plafond, le bâtiment est séparé en quatre grandes pièces. Chaque pièce contient deux rangées de planches de bois jointes, posées sur des blocs de ciment. Pas de lits individuels comme dans le dortoir des matons. Les murs couverts de chaux sont aussi couverts de clous, auxquels pendent des sacs et des vêtements. Devant les rangées de planches, on remarque de nombreux coffres en aluminium, la plupart fermés d'un cadenas. De nombreux Népalais sont allongés sur des matelas bourrés de coton, posés directement sur les planches. À d'autres endroits, lesdits matelas sont enroulés contre le mur. Certains prisonniers discutent, d'autres lisent, d'autres ne font rien, les yeux perdus au plafond.

Suivant Michael, Justin entre dans la pièce. Ils tournent à gauche et Michael montre un endroit sur les planches de la rangée de gauche, près des portes-fenêtres, pas loin du fond de la salle.

MICHAEL
This is where I sleep.
(se tournant vers un grand type, jeune, bronzé, le cheveu rasé, torse nu et portant différents tatouages)
And this is Carlos.
(ricanant)
Beware of him, he’s a bit crazy.

CARLOS
Hi Man ! Don't listen to him, he's been here too long !
(à Michael sur un ton menaçant)
I could break your neck !

MICHAEL (à Justin)
See what I mean ?

JUSTIN (pressé de changer de sujet)
Euh... so where I sleep ? There is no rooms ? No beds ?

MICHAEL (ricanant)
This is Dilli-Bazaar ! Welcome to promiscuity land !
We all sleep lovingly together, back to back.
And we share everything ! Bed bugs, lices and flees !
This is not communism, this is not democracy, this is Royal Nepal !
(petit pause)
And this used to be the Royal Stables.

JUSTIN
The what ?

MICHAEL (s'esclaffant)
That's where the king used to keep his horses.

Justin, un peu ébranlé par les conditions d'incarcération, pose le bout de ses fesses sur un bout de planche qui dépasse. Aussitôt un Népalais sort d'on ne sait où et lui fait comprendre par signes que c'est sa place. Justin se redresse.

MICHAEL (agacé)
Ah, fuck this bastard !

95 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR

Les prisonniers continuent inlassablement à tourner sur le chemin de promenade, certains se tiennent par la main. Justin et Michael arrivent au bas de leur escalier quand, fendant la file des promeneurs en sens inverse, Michel arrive, accompagné d'un type brun, plus chétif, manifestement britannique, genre Popeye.

Michel fait une drôle de tête. Justin s'arrête net en le voyant. Michel aussi. Ils échangent un regard lourd.

JUSTIN (d'un ton froid)
C'est très mignon chez toi, mais fallait pas t'sentir obligé d'm'y inviter...

MICHEL (pragmatique)
On se frite la gueule tout d'suite alors ou quoi ?

MICHAEL (à Justin)
I'll see you later, man !

Michael rejoint le compagnon de Michel. Ils continuent la promenade.

JUSTIN (haussant les épaules, regardant Michel comme on regarde un demeuré)
Ça servirait à quoi maintenant, rigolo !?
Et puis tu sais très bien que tu es plus fort que moi, alors joue pas les machos, tu veux ?

Il se rapproche de Michel.

JUSTIN (avec un pâle sourire)
C'est toi qui mérite de te faire casser la gueule !
(regardant autour de lui, avec un sourire en coin)
J'devrais p'têt’ voir s'il y a des gros bras à employer ici... qu'est-ce t'en penses ?
(regardant Michel)
Seulement, ça changera quoi ?
Par contre, j'aimerais bien savoir ce qui s'est passé exactement et c'que tu comptes faire pour nous sortir de là.

Justin et Michel commencent à tourner avec le reste des prisonniers.

MICHEL (huileux)
Oh la ! Comment, c'que j'compte faire ?!
J'suis vraiment désolé pour toute cette merde mais je ne me sens pas 100 % responsable, non plus !
J'vous ai pas obligés à venir.

JUSTIN (haussant la voix)
Oh ! Pousse pas, non plus ! J'préfèrerais être en train de me taper un shilom sur la terrasse de mon hôtel qu'ici, j'te signale.
J'y serais sûrement si t'avais pas merdé. Alors raconte, qu'est-ce qui s'est passé ?
J'suis sûr que tu nous a dénoncés, c'est le type des douanes qui m'l'a plus ou moins laissé comprendre.

MICHEL (embarrassé)
Ben c'est vraiment con, comment c'est arrivé, j'reconnais.
Le soir avant qu'je parte, j'suis allé en boîte, tu sais comment ça s'passe, on danse, on drague, on offre des verres, bref j'étais bien chaud et j'ai pas vu l'temps passer. Quand le jour s'est levé, j'avais pas dormi et j'étais pas mal pété. Bref, j'suis allé à l'aéroport comme ça. Dans l'avion, évidemment, le coup d'barre; alors j'me commande un autre whiskey et quand je suis arrivé ici, j'étais pas mieux qu'au départ. À la douane, y'avait une petite pas mal et comme on m'avait donné une orchidée dans l'avion, j'ai voulu la lui offrir.

JUSTIN (se frottant le visage)
Putain ! J'y crois pas !
Et alors ?

MICHEL
Ben j'sais pas, ça lui a pas plu à la gonzesse, mais alors là, pas du tout. Elle a commencé à fouiller mon sac de fond en comble, en foutant mes affaires par terre et bref, ça m'a foutu en rogne et j'ai dû la traiter de "bitch" ou quelque chose comme ça. Du coup, tous les douaniers s'y sont mis, y'en a un qu'a sorti un détecteur de métal et qui m'l'a mis sur le bide et voilà.

JUSTIN (en secouant la tête de dégoût)
Et toi, tout c'que tu penses à faire dans ces cas-là, c'est d'dénoncer les copains.

MICHEL
T'aurais p'têt fait la même chose, t'en sais rien.

JUSTIN
Comment ça, j'en sais rien !
Tu crois qu'j'leur ai dit: "Oh s'il vous plaît, relâchez-nous, y'a un mec qui s'appelle Michel Rexach qu'est arrivé hier avec de l'or aussi, il suffit de vérifier les hôtels."
Et tu leur as filé ton matos tout d'suite, j'suis sûr ?

MICHEL
Ben, ils savaient qu'c'était là de toute façon.

JUSTIN
Ouais, ben tu vois, nous, ça leur a pris 18 heures, juste au cas où on aurait eu une occase de filer en douce.

MICHEL (avec un petit sourire)
Ouais, ça m'a étonné de toi, d'ailleurs.

JUSTIN (vexé)
Ah oui !? Et à ton avis, tu vas passer pour quoi auprès de tes potes et de tes petites copines, à Hong Kong ou à Bangkok ?

MICHEL (apaisant)
Allez ! Excuse-moi. J'pensais pas qu'ça finirait comme ça.
J'pensais qu'j'aurais l'occasion d'vous prévenir avant qu'vous partiez.

JUSTIN
Ah ouais !? Et t'aurais fait comment pour nous prévenir ? Ils ont un service de fax, dans cette prison ?

MICHEL
J'pensais qu'je verrais quelqu’un de l'ambassade. J'lui aurais demandé de t'appeler à Hong Kong.
J'voulais faire un deal pour qu'ils me laissent filer mais ça n'a pas marché.
T'es marrant, toi ! Qu'est-c't'aurais fait à ma place ?

JUSTIN (écoeuré)
J'aurais attendu dix-huit heures, t'es bouché ?
Laisse tomber va… on est pas bâtis pareil.
(Soupir)
En tout cas, va falloir s'remuer les méninges pour foutre le camp maintenant et t'as tout intérêt à t'y mettre avec moi !

MICHEL (provocateur)
Sinon ?

JUSTIN (s'emportant un peu)
T'arrêtes d'être con, deux minutes ? Ça va bien comme ça, tu crois pas ?
Si j'croyais vraiment à ma frime, figure-toi, je devrais t'saigner !
Mais j'suis du Mans, pas d'Bastia ! Alors y'a p'têt plus intelligent à faire, non ?
D'abord on s'tire d'ici, on verra l'reste plus tard.

MICHEL
Tu comptes faire quoi ?

JUSTIN
T'as envie d'rester là longtemps, toi ? Tu t'plais ici ?
(regardant le ciel) C'est ensoleillé, remarque...
(s'assombrissant)
Tu sais, Sinwah vient de péter les plombs salement, j'ai jamais vu ça !
Rien qu'pour ça, j'devrais t'étrangler !
Mais j'ai encore plus envie d'la sortir d'ici, et on sera pas trop d'deux.
Tu t'sens peut-être pas responsable pour nous, mais moi j'me sens responsable pour elle.

MICHEL (ennuyé)
Pourquoi, qu'est-ce qu'elle a, Sinwah ?

JUSTIN
Elle s'est à moitié assommée contre un mur, exprès.

MICHEL (indigné)
Mais pourquoi ?

JUSTIN (s'exclamant)
À ton avis !?
Tu nous as mis dans c'pétrin, la moindre des choses c'est qu'on fasse équipe pour en sortir.
Déjà, tu parles anglais mieux qu'nous, ça peut servir.

MICHEL (se détendant)
Bon d'accord. Mais qu'est-ce que tu veux faire ?
Tu veux t'évader ? T'as vu les gardes sur les toits ?

JUSTIN
S'évader ? Oui, ça pourrait être marrant mais il nous faudrait de l'aide dehors.
T'as des copains dans l'coin ?

MICHEL
Pas en c'moment, mais j'vais écrire à deux ou trois personnes.
Antoine doit être en Inde et Bruno est sûrement encore en Thaïlande.
J'vais écrire à Léonard, voir si j'peux les faire venir.

JUSTIN
De toute façon, y'a peut-être d'autres solutions à envisager avant.
Ton Kalou à la noix, tu l'as vu ? Il est venu tenir ses promesses ?

MICHEL (haussant les épaules, d'un air vague)
Pas encore, non. J'ai pas d'nouvelles.

JUSTIN
Comme c'est bizarre !
Tu penses qu'il va venir ?

MICHEL (abattu)
Ben, t'as vu, on est pas les seuls Blancs, ici. Les autres, y'en a, ça fait longtemps qu'ils sont là et ils n'ont jamais vu personne.

JUSTIN
Depuis combien de temps ?

MICHEL
Ben t'as déjà rencontré Michael, l'Américain, lui ça fait presque un an qu'il est là.

JUSTIN (écarquillant les yeux)
Arrête ! C'est n'importe quoi !
J'vais jamais rester là un an !
Faut pas déconner !


96 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR

Il est tôt. Le soleil matinal éclabousse la cour de lumière. Soudain, c'est le remue-ménage dans la cour de la prison. Près du préau, deux types soutiennent un billard népalais et un troisième a posé une liasse de papiers dessus. Il gueule:

LE GOUAILLEUR
Saillailloooo !

JUSTIN (surpris)
Qu'est-ce que c'est qu'ce bordel ?!

MICHEL
Ah ça je sais c'que c'est. Y’a jamais moyen d'faire la grasse matinée ici, faut signer son nom sur les registres tous les jours.

Justin et Michel s'approchent du groupe de prisonniers qui commencent à s'amalgamer près du billard-bureau.

LE GOUAILLEUR (à Justin qui cherche son nom sur les listes)
No ! Not you ! You, tomorrow only !

JUSTIN (se redressant)
Ok.

Le gouailleur montre à Michel où se trouve son nom et Michel signe. Puis il retourne marcher à côté de Justin.

JUSTIN
Il est là pour de l'or aussi, Michael ?

MICHEL
Ouais. D'ailleurs les autres Blancs qui s'font piéger avec de la dope, il paraît qu'ils sortent en moins d'une semaine !

JUSTIN (surpris)
Même avec de la poudre ?

MICHEL (désabusé)
Ouais, c'est c'qu'on m'a dit ! Ils payent une petite amende, et ils s'en vont.

JUSTIN
Putain ! Ça, ça m'tue !
Et nous ? À combien d'temps il faut s'attendre, en principe ?

MICHEL
Ben justement, c'est ça l'problème. On sait pas.

JUSTIN
Comment ça, on sait pas ? Michael, par exemple, il a été condamné à combien ? Il avait combien d'kilos ?

MICHEL
J't'ai dit, il sait pas encore. Y'a pas d'procès, ils te gardent comme ils veulent.

JUSTIN
Mais... et son consulat, il fait rien ?

MICHEL
Ben il paraît qu'il faut pas trop compter sur eux.

JUSTIN (inquiet)
Attends, qu'est-ce que tu m'racontes ?
On va pas rester ici à perpétuité pour un bout d'or non plus, c'est quoi c'délire ?
Il doit bien y avoir un moyen officiel de sortir déjà, non ?

MICHEL
Ouais. Tu payes.

JUSTIN
Tu payes quoi ? Une amende ? De combien ?

MICHEL
L'équivalent de la valeur que tu as apportée en or.

JUSTIN
Ah d'accord ! Ça leur suffit pas encore ? Il leur faut l'double de pognon !

MICHEL
Tu les as, toi ?

JUSTIN
Tu parles ! Je ne sais même pas la valeur de ce que j'avais !
Et y'a celui d'Sinwah, en plus ! Laisse tomber !

MICHEL
T'avais combien ?

JUSTIN
Un kilo 2 et elle un kilo 3. Deux kilos et demi, en tout.

MICHEL
Pff ! T'imagines le fric que ça représente !?
Moi, j'avais 975 grammes.

JUSTIN (écoeuré)
Et tu trouves encore le moyen d'en avoir moins que moi !
En tout cas, on s'en sortira pas officiellement, c'est tout vu.

MICHEL
Tes parents, ils peuvent pas aider ?

JUSTIN
Tu t'fous d'ma gueule !?
Il est absolument hors de question qu'ils apprennent que je suis ici !
Tu vas l'dire à ta mère, toi ?

MICHEL
J'sais pas encore. Il va bien falloir...

JUSTIN
Tu vas la tuer, ta mère ! Fais pas ça, voyons !
En tout cas, pas avant d'avoir essayé tous les autres moyens.

Justin monte sans le faire exprès sur le talon du Népalais devant lui, qui se retourne.

JUSTIN (au Népalais qui sourit)
Sorry !
(à Michel)
Putain, ça avance pas !

MICHEL (amusé)
T'es pressé ?

JUSTIN (sans sourire)
De sortir, oui !

Ils passent devant la buvette de thé.

MICHEL
Tiens, j't'offre un thé, tu veux ?

JUSTIN
Ils auraient rien d'plus fort ? Un gin-tonic plutôt ?

MICHEL
Ben non, pas en taule quand même !
(au Népalais de service)
Two cups, please.

Le Népalais puise du thé avec une louche, pose le filtre sur les tasses et sert le thé à l'indienne, en faisant couler le liquide de très haut. Il prend la roupie de Michel et lui tend les deux tasses en disant:

LE SERVEUR DE THÉ
Danébatte.
S-T: Thank you.

Justin prend sa tasse des mains de Michel.

JUSTIN (insistant)
Pourtant, si y'a un endroit où on pourrait s'saouler la gueule sans qu'ça dérange...
Y'a d'la fumette au moins ?

MICHEL (qui n'en croit pas ses oreilles)
C'est pas vrai ! Tu changeras jamais !

JUSTIN (sirotant son thé)
Mais y'en a ou pas ?

MICHEL (impatiemment)
Mais j'en sais rien ! J'viens d'arriver aussi, moi !
Y'a Eddie, le Hollandais, qui devait en avoir un peu mais les matons l'ont choppé en train de fumer dans les chiottes et ils le lui ont piqué, hier soir.

JUSTIN
Il en avait p'têt planqué ailleurs...

MICHEL
Ça m'étonnerait ! Fais gaffe avec ça. C'était plutôt chaud, hier, la descente des matons.
T'auras qu'à lui demander, ils ont tout fouillé.

JUSTIN
Mais qui c'est, ces matons, de toute façon ? J'comprends pas. Y'a les gardes sur le toit, alors ?

MICHEL
Les gardes, ils gardent de l'extérieur. Les matons, ils matent de l'intérieur. Ah ça, c'est bien organisé.

JUSTIN
Mais les matons, ce sont des prisonniers, non ?

MICHEL
Ouais, ce sont même les pires ! Ils sont pratiquement tous condamnés à perpétuité pour meurtre. T'as rencontré Number One ? Le mec avec l'oeil mort ?

JUSTIN
Ah ouais, l'affreux là, à l'entrée ? Une sacrée sale gueule, celui-là !

MICHEL
C'est un ancien chauffeur de bus qui a renversé toute une foule, un jour qu'il était fin bourré. Une sacrée ordure, d'après c'que j'ai compris. T'auras qu'à demander à Eddie, il se l'est déjà coltiné. Paraît qu'il se saoule tous les soirs et là, il devient vraiment méchant.

JUSTIN (mauvais)
Oui, j'en connais d'autres des mecs qui causent des catastrophes parce qu'ils picolent de trop...
(pause)
Mais j'croyais qu'y'avait pas d'alcool, ici ?

MICHEL (en rendant son verre au serveur de thé, qui le rince et le repose sur la pile)
Ah ouais, mais Number One, il peut sortir quand il veut, lui. C'est lui qui approvisionne le magasin, alors il va au marché, il passe la journée dehors et il ne revient ici que pour dormir ou cuver son vin.

JUSTIN
Eh ben pendant c'temps-là, il nous fout la paix ! Et l'autre, là, Number Two, le p'tit jeune qui parle bien anglais, il a l'air plus sympa celui-là, non ?

MICHEL
Ouais, lui, c'est un fils d'une famille riche. Il paraît que c'est sa famille qui l'a fait mettre en prison parce qu'ils avaient découvert qu'il était communiste.

JUSTIN (qui rend son verre à son tour)
Quoi !?

MICHEL
Ah ouais, tu vas voir, y'a plein de prisonniers politiques au Népal !
(regardant vers le haut des escaliers de l'entrée)
Tiens, c'est l'heure où les femmes viennent au magasin.

Justin relève vite la tête dans la même direction. Il aperçoit Sinwah, dans le hall, qui suit la file des femmes népalaises. Il se précipite d'un bond en haut des marches. Un Népalais, assis près de l'entrée, essaie de lui barrer le chemin.

JUSTIN (levant la main)
Sinwah !

LE GARDE (pointant vers la cour)
Go ! Go !


97 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL D'ENTRÉE

Même position des personnages, mais la caméra est maintenant à l'intérieur.

JUSTIN (dans l'encadrement du porche)
But Number two say it is ok !

NUMBER TWO (s'approchant)
(Au garde) S-T: It's ok. Let him through.
(À Justin, montrant un petit banc juste à côté de l'entrée) You can sit here. She will come soon.

JUSTIN (inquiet, s'asseyant)
Is she ok ? Better than before ?

NUMBER TWO
Yes, I think she's better now.

JUSTIN
Can I buy her a cup of tea, outside ?

NUMBER TWO
Yes, sure ! But hurry because there is not much time.

JUSTIN
Thank you. I come back !

Justin se dresse et se précipite dans les escaliers. Comme le serveur de thé est juste à côté, on voit Justin commander dans le coin de la porte. Puis la caméra récupère Number Two qui est en train de parler avec Sinwah, toujours aussi blême, le front tuméfié. Il lui fait signe de s'asseoir sur un banc situé en face de celui que Justin vient de quitter.

Justin, qui vient de remonter les marches et tient un verre de thé à la main, se dirige vers Sinwah pour le lui tendre. Avant qu'il ait fini son geste, Number two place son bras entre lui et Sinwah.

NUMBER TWO
I'm sorry but you cannot give her things directly.
If you want to give her something, you must give it to a guard first.

JUSTIN
But it is only tea !

NUMBER TWO (à Justin d'un côté et à Sinwah de l'autre)
I know, but this is the rule. You can give each other whatever you want, but it must be checked first. Ok ?

SINWAH
Ok. No problem.
How long can we stay together ?

NUMBER TWO
About ten minutes, I think. But this afternoon, you will meet again.

SINWAH
Thank you.

NUMBER TWO
You must understand, this is not allowed for people who are not married.
We make a special arrangement for you, so you must not create any problems, ok ?
Otherwise it will be difficult for me to let you meet again.

JUSTIN
It's ok. Thank you very much for your help.

NUMBER TWO
We understand you came to Nepal because you needed money to get married so, even though it was a foolish idea, we don't want to make it so hard for you.

SINWAH (au bord des larmes)
Thank you very much !
I want to ask: I have seen the other women inside, they can cook food so can I also cook food for him ?

NUMBER TWO (souriant)
He’s a very lucky man ! Yes, of course, you can cook for him.

SINWAH
But how can I give him ?

NUMBER TWO
Just ask the guard. He will bring the food to him. You can start tomorrow if you want.

SINWAH (à Justin, souriant doucement)
Do you want to eat my bad cooking ?

JUSTIN (touché)
Oh yes, please ! It will make me closer to you.
(doucement, en la regardant dans les yeux)
I love you.

Sinwah a la gorge serrée et les larmes aux yeux. Elle ne peut pas articuler un mot, alors elle tend la main vers Justin qui se penche pour la prendre.

NUMBER TWO (tristement)
I am sorry. You can not touch.

JUSTIN
I cannot kiss her ?

NUMBER TWO (souriant malgré lui)
Even outside the prison, it is not customary in Nepal !

JUSTIN (atterré)
Oh la la !
(posant un baiser sur ses doigts et le soufflant en direction de Sinwah)
But like this, it is ok, no ?

NUMBER TWO (un peu perdu)
Well, I guess...

SINWAH
I miss you...

JUSTIN
Me too...

SINWAH
Will you write to me ?

JUSTIN
Oh yeah ! Good idea !
(parlant plus bas)
You know the wall between us ?

SINWAH
Yes...

JUSTIN (malicieux)
Ok, tonight I send a letter over the wall.
euh... at 6:30 exactly
(souriant)
I will make a plane with the letter and I will make it fly over the wall.

SINWAH
Be careful !

JUSTIN (à SinWah)
Don't worry !
(pause)
How is it on your side ?

SINWAH
It is very small but not many women. There is a small courtyard where they cook and they hang clothes.

JUSTIN
Do you have enough space ? Do you have a bed ?

SINWAH
Yes, in the corner of the room.

JUSTIN
You are the only foreigner ?

SINWAH
Yes. And you ? You saw Michel ?

JUSTIN
Yes, he says he was drunk, that's why they catch him. There is an American guy, for gold also.

SINWAH
He is here since long time ?

JUSTIN (détournant le regard)
I don't know... Do you have enough cigarettes ?

SINWAH
No, no more.

Justin sort un paquet de sa poche et le lui tend. Elle lui fait signe de le donner au Nagi Numéro 2.

JUSTIN (levant les yeux au ciel)
Oh yeah !

Nagi Numéro 2 prend le paquet, l'ouvre et jette un coup d'oeil dedans.


98 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR
Michel et Michael sont assis sur un parapet le long du bâtiment du fond.

MICHAEL
Did you get your milk ?

MICHEL
Yeah, they called me. I gave it to Robert but what's that anyway ?

MICHAEL (ricanant)
Present from the King ! He gives each prisoner half a liter of milk everyday. But if you don't want it, you can get 3 rupees instead ! I think I'll start saving for my release.
Is Robert gonna cook for you too ?

MICHEL
Yeah, he told me he was a cook in the Navy before ?

MICHAEL
Might well be ! He's a cool dude anyway. He cooks for a few of us already and considering the place, he's pretty good at it !

MICHEL
But where does he do it ? In the room ?

MICHAEL
Oh, you haven't seen the so called kitchen yet ? Come ! I'll show you.

Michael et Michel se lèvent et s'avancent vers le bâtiment des toilettes sur lequel le haut-parleur du radio sature à fond de la musique indienne.

MICHEL (montrant le haut-parleur)
What a mess ! They never stop that fucking noise !?

MICHAEL
No ! Must be a “psychological” trick… They turn it on at six in the morning and turn it off at eleven at night !

MICHEL
Yeah ! It's like the lights being turned on all night long ! What a pain in the neck !

MICHAEL
I know ! I can't get used to it either.

Justin est ressorti de son entrevue avec Sinwah. Il aperçoit Michel et Michael. Il les appelle.

JUSTIN
Eh ! Attendez-moi !

Justin les rejoint. Ils entrent dans le bâtiment qui lui fait face aux toilettes. De la fumée s'échappe de l'entrée du bâtiment.

99 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - CUISINE

L'intérieur de la « cuisine » est entièrement vide, totalement enfumé et complètement noir. Les murs et le plafond sont couverts de suie. Les Népalais viennent y cuisiner en apportant tout leur barda mais ils n'y laissent rien. Chacun dispose de son petit réchaud à kérosène personnel.

Justin, Michael et Michel s'approchent d'un Népalais accroupi devant son réchaud. Il surveille sa casserole où mijote un curry.

MICHAEL
You can get some rice here everyday at 10.30 in the morning and another dish at 3.30 but it stinks and it's got so many stones in it you'd wish you were born teethless ! If you don't eat their food, you get seven rupees a day.

MICHEL
Oh ! Better and better ! We're up to ten rupees with the milk ! I should retire in here !

Dans un coin, on aperçoit Robert (Popeye), accroupi devant un petit réchaud sur lequel est posé une grande casserole fumante. Il est en train de pomper le kérosène pour alimenter la flamme en carburant. Une épaisse fumée noire s’échappe du réchaud. Robert tousse.

MICHAEL
Hey Rob ! What's cooking ?

ROBERT (lui jetant un coup d'oeil)
Oh, just the usual. No fucking meat today ! Just some veggies...

MICHAEL
Good ! Nothing like a forced diet !
(tâtant son estomac, souriant)
I think I'm almost ready to go back to New York's catwalks !

ROBERT (à Michel)
Still having lunch with us, mate ?

MICHEL
Yeah ! If you don't mind... Thanks !

ROBERT
No probs, mon ami, we're all brothers here, ain't we ?
(à Justin)
What's your name my friend ? I'm Robert.

JUSTIN
I'm Justin.

ROBERT (lui tendant la main en riant)
Ahah ! You're just in Justin ?

Justin lui serre la main sans comprendre la plaisanterie.

MICHAEL
Yeah, he got caught last night.

ROBERT (regardant Justin)
Anyway, you want to eat with us ?
(reprenant, lentement, en mauvais français)
Vous voulez manger de la nourriture ?
(montrant la casserole)
There's enough here for all of us.

JUSTIN (souriant)
Ok, Thank you Robert !

100 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR
Justin et Michel marchent sur le chemin de promenade.
Un prisonnier arrose les rares plantes qui décorent le centre du chemin. Alors qu'il arrose, le pommeau de l'arrosoir tombe.
Michel essaie d'allumer une cigarette avec une boite d'allumettes. Aucune allumette ne fonctionne. Elles s'allument toutes le temps pour le souffre de brûler mais le bois ne prend jamais feu. L'allumette s'éteint à chaque fois.
Michel finit par prendre toutes les allumettes de la boite, les enflamme toutes en même temps et en profite pour enfin allumer sa cigarette.

JUSTIN (en riant)
Non mais c'est pas vrai !
Rien ne marche dans ce pays !

Alors que Justin et Michel passent devant l'entrée de premier bâtiment à côté des cuisines, Robert apparaît.

ROBERT (souriant, avec un terrible accent britannique)
Le déjeuner est servi monsieur-dames.


101 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A
Le bâtiment du dortoir A est séparé en deux dans sa longueur. Il y a une rangée de planches de bois près du côté cour, un mur percé de deux arcades et une autre rangée de planches du côté mur, lui faisant face. Au plafond pendent des ampoules électriques nues, allumées. C'est là que l'on retrouve Justin, Michel et Robert. Michael et Carlos sont déjà assis à même les planches, une assiette en plastique orange et un gobelet en plastique bleu devant eux. Michel et Justin enlèvent leurs cahussures et s'assoient à côté d'eux, sur les planches, contre le mur. Robert, accroupi devant les planches, soulève le couvercle d'une grosse casserole.

ROBERT (se tournant à demi vers le côté cour de la chambrée)
Eh Greg ! You're here ?

GREG (off, accent australien)
Yeah, mate ! What's up ?

ROBERT
Food's ready. Simon and Ralph should be out walking, can you yell at them ?

GREG (off)
Yo ! Simon, Ralph ! Food's ready !
(apparaissant par une arcade, 35 ans, blond, yeux bleus, grand sourire, en permanence enjoué et sympathique, tenant son assiette et son verre en plastique)
Hey mate ! Smells really nice in here ! What's on the menu, chef ?

ROBERT (aussi introverti que Greg est extraverti, servant ses convives)
Oh just some potatoes and vegetables with a little curry. I've boiled some beef with it but it's so hard I don't think anyone will wanna chew at it.

Greg ôte ses thongs. Il grimpe sur les planches et va s'asseoir à côté de Michel. Justin lui fait un petit signe de tête. Il y répond par un sourire.

ROBERT
(se tournant pour s'adresser à un jeune Tibétain allongé sur ses planches, lisant)
Hey brother ! You want some potatoes ?

DAWA DORJE LAMA
No. Thank you, brother, you eat more.

ROBERT
Ah ! C'mon ! Don't be a dick ! Pass your plate !

DAWA DORJE LAMA (rigolant, passant son assiette)
I am a dick ? Ha ha ! Me, small dick !

ROBERT (hilare, le servant et lui repassant son assiette)
You're picking slang real good, brother !
(Aux autres)
I teach him all the bad words. He loves it !

SIMON (25 ans, brun, yeux bleus brillant d'une étrange flamme (passion, folie ?), sans cesse fébrile, énervé, accent de la Nouvelle-Zélande)
Fuckin' hilarious ! Yeah !
(Passant son assiette à Robert)
Fuck, man ! I could do with an entire fuckin' beef , man !
(Ricanant)
I'd fuck it in the ass first, of course !

RALPH (deux mètres, 19 ans, suédois blond aux yeux bleus, joues constamment rougeaudes, l'air constamment niais et boudeur)
(ricanant d'un gros rire, l'assiette tendue, attendant que Robert ait fini avec celle de Simon)
Dead or alive ?

SIMON (s'énervant)
Both ! All the ways !
(se frottant l'entrejambe)
Arghh ! I need a fuck !

ROBERT (lui passant son assiette pleine)
Here, Simon, that should keep you quiet for a little while.

Robert s'empare de l'assiette de Ralph et la remplit. Pendant le dialogue qui suit, entre Justin et Michel, Robert sert encore Michael, Carlos et Greg.

MICHEL (à Justin)
Tu vois tous ces types, on est tous là pour la même raison. Même Dawa, le petit Tibétain là.
Robert, c'est le cuistot anglais qui fait la bouffe pour tout l'monde.
Ils ont tous transporté de l'or depuis Hong Kong. La moitié de la prison en est pleine.
Tiens, même le mec à côté de Dawa ! T'as vu sa gueule ?

Justin regarde. Derrière Dawa Dorje Lama qui est en train de manger, assis en tailleur sur les planches, il y a un type, encore plus petit que Dawa, au visage de Quasimodo, le menton en galoche, le nez hyper aquilin, le front bas et les sourcils saillants sur de tout petits yeux. Un Yéti de cour des miracles. En plus abruti.

JUSTIN (éberlué)
Wow ! Ce type-là a fait du traffic d'or !? Arrête !

MICHEL (soupirant)
T'irais confier un kilo d'or à un type comme ça pour traverser une frontière, toi !?

JUSTIN (haussant les épaules)
Putain, comment veux-tu qu'un type comme ça ait la moindre chance de pouvoir s'payer l'avion ?
Où est-ce qu'ils ont été l'pêcher ?

MICHEL
Dans un petit village au fin fond d'l'Himalaya, j'suppose !
Regarde ses pieds. Il marche toujours pieds nus, t'as vu l'épaisseur de la corne qu'il a dessous !?

JUSTIN (écarquillant les yeux de surprise)
Putain ! C'est comme des semelles de boots !

Robert, qui a fini de servir les autres, tend la main vers l'assiette de Michel. Michel la lui tend.

JUSTIN
Il pourrait marcher sur un clou qu'il s'en rendrait même pas compte !
Il a dû traverser la douane pieds nus, comment veux-tu qu'il supporte des chaussures !?

Robert tend l'assiette pleine à Michel, qui la reprend et la pose près de lui. Il fouille dans un sac et en ressort un bout de pain. Il récupère un couvercle de boite de conserve plié en deux en entreprend de se couper une tranche avec ce couteau improvisé.

ROBERT (à Justin)
Hey mon ami, où est ton...er... plate ?

JUSTIN
I don't have one. I just come here.

MICHAEL (mangeant)
Oh, I'll show you later. You can buy that at the shop.

GREG (mangeant)
No worries ! Rob, you've got a spare one ?

ROBERT (fouillant sous les planches)
Yeah.

Il sort un assiette, l'essuie, la remplit et la tend à Justin ainsi qu'une fourchette. Michel mange déjà, à côté de Justin.

ROBERT
Just clean it up for me, will ya ?

JUSTIN
Thank you very much.

SIMON (sourire canaille, à Justin)
How come you're so fuckin' polite and respectful, mate ?
This ain't a classroom ! Just tell him to fuck off !

GREG (riant, à Justin et Michel)
He’s from New Zealand, not Australia ! I am from Australia. I'm a much nicer person.

SIMON (mangeant)
Fuck youuuu !

GREG (riant)
See what I mean ? I would never speak and eat at the same time !

ROBERT (qui s'est servi enfin, tenant son assiette et souriant)
Simon grew up with a bunch of sheep, that's why !

RALPH (avec un gros rire)
Probably fucked a few too !

SIMON (hilare)
Fuck all of you !
(geste obscène et masturbatoire)
I'm wanking in your general direction !

MICHAEL (la fourchette en l'air)
Why are you guys talking so much about fucking when you obviously cannot !?
Just forget about it !

CARLOS (accent portugais, toujours torse nu et tatoué, sérieux, docte même)
I agree with Michael !
You should exercise more instead.
You need to focus all that energy into physical efforts or it will destroy you.
Simon gets crazier and crazier because he just lays down all day.

SIMON
Fuck you ! I walk a lot !

CARLOS (se levant, furax)
I cannot eat here anymore.
(à Simon, l'air furieux)
I already told you not to say “fuck you” to me ! One day, I'm gonna break your neck !

SIMON (décompressant soudain, l'air vraiment désolé)
Oh yeah ! Sorry, mate ! I forgot !

Carlos quitte la chambrée en emportant son assiette.

SIMON (à voix basse, dans sa fourchette)
Fuck him, anyway !

RALPH (même ton)
Yeah ! Who does he think he is !?

GREG (avec un petit sourire, sa façon d'être sérieux)
Simon, you should be careful, he can be dangerous.

SIMON (déterminé)
Fuck him !

MICHEL (raclant son assiette avec sa fourchette, à Justin)
Carlos est un champion de kung fu, enfin, c'est c'qu'il dit.
Il a passé quelques années au temple de Shaolin en Chine, c'est là qu'il a récolté ses tatouages.
Il a déménagé dans l'autre bâtiment pour éviter d'avoir des histoires avec Simon.

Eddie, un Caucasien aux cheveux longs, blonds foncés et bouclés, portant une paire de petites lunettes rondes, vient d'entrer dans la chambrée avec une casserole fumante qu'il porte avec deux chiffons. Il va s'installer derrière Simon et Ralph et sortant son couvert, il s'apprête à déjeuner. Il ne prête aucune attention aux autres.

ROBERT (à Eddie)
Hey Eddie ! What's cookin' today ?

EDDIE (avec un léger sourire)
Potatoes and vegetables. Took me ages to get kerosene from the shop this morning.

ROBERT
You should have asked me. I always keep a spare bottle.

SIMON (enragé, extrême)
Fuck, we should all keep fuckin' spare bottles of kerosene, set it on fuckin' fire and then attack the fuckin' guards with it ! Molotov is my fuckin' hero !

ROBERT (rigolant)
By the time you've finished your fuckin' sentence you'd have set fire to yourself, you stupid !

SIMON
Then, I'd fuck one guard in the ass while I'm on fire !

Derrière lui, Eddie, adossé au mur, mange tranquillement.

RALPH (écoeuré, montrant son assiette)
Fuck, Simon ! I'm not hungry anymore !

ROBERT (écoeuré)
Jesus ! We really need a shrink around here !
I hope one gets caught with gold in the ass !

MICHAEL (amusé)
Would you trust a shrink that got caught with gold in the ass ?

SIMON (ricanant tout en finissant son assiette.)
I had a gold shower in Seoul once !

RALPH (curieux)
What's a gold shower ?

GREG (écoeuré)
Oh for Christ sake, Simon ! Will you stop it ?

JUSTIN (insitant, regardant Greg)
Sorry, what is gold shower ?

GREG baisse la tête, découragé.

SIMON (enthousiaste)
I got two Korean bitches to piss on me while I was in the tub, fuckin' great, man !

RALPH (estomaqué)
My God, it's disgusting !

JUSTIN
What ?

MICHEL
Simon s'est fait pisser dessus par deux putes. C'est ça les gold showers.

Justin écarquille les yeux.

JUSTIN
Et il trouve ça excitant lui ?

GREG
I told you so !
(se redressant, l'assiette vide à la main)
Guys ! I'm out of here !
Thanks for the meal, Robert ! You rule, man !

MICHAEL
Yeah ! Time for a nap ! Thanks, Rob !

Ralph se lève.

RALPH (avec un sourire poli)
Thanks, Rob.

Il tend son assiette vide à Robert qui le regarde, impassible.

ROBERT
What !? Go wash your fuckin' dish yourself ! What do you take me for ? Your maid ?!

RALPH
Oh yeah ! Sorry !
(il sort)

ROBERT (amusé, bas, à Michel qui se redresse aussi)
He thinks I'm his fuckin' mother or something !

Derrière lui, Dawa Dorje Lama, le jeune Tibétain, s'est mis à genoux pour fouiller dans un sac qui pend au mur. Il en sort deux oranges.

DAWA DORJE LAMA (tendant une orange à Robert)
Here, brother. Good for you ! Take !

ROBERT (surpris)
You eat !

DAWA DORJE LAMA
No, brother ! Take !
(montrant l'autre orange)
Me have one also !

Robert prend l'orange.

ROBERT
Thank you, brother.
Fuckin' stubborn son of a bitch !

DAWA DORJE LAMA (rigolant en épluchant son orange)
Son of a bitch ! Yeah ! Good !
(Avec enthousiasme)
Son of a bitch ! Fuckin' son of a bitch !

ROBERT (enthousiaste)
Yeah ! That's it ! Very good !
(se levant pour accompagner Michel et Justin dehors)
I love these Tibetan guys, they're really the best.

Robert, Michel et Justin s'éloignent. Dawa Dorje Lama tend la moitié de son orange à son voisin yéti. Le type a un bec de lièvre, il n'arrive pas à parler correctement mais il marmonne ce qui doit vouloir dire merci en tibétain ou en népalais.

LE YETI (son nasal)
Nunébatte !

102 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR - ROBINETS

Devant le bâtiment des cuisines, le long du bâtiment des toilettes, il y a une rangée de trois robinets à deux pieds du sol. Les prisonniers font la queue pour y laver leur vaisselle ou remplir leur seau en plastique. Le produit qu'ils utilisent pour dégraisser doit être à base de cendres puisque ça fait une mousse noire. L'eau éclabousse partout, mais la plupart des prisonniers sont pieds nus dans leurs thongs. Justin est le seul à encore porter des chaussures et des chaussettes, c'est donc le seul qui essaie de ne pas se faire éclabousser.
Le soleil brille, il n'y a pas d'ombre dans la cour de la prison, à cette heure-là.
Derrière les toilettes, entre le bâtiment et le mur de séparation de la cour des femmes, des prisonniers torses nus sont accroupis devant un seau rempli d'eau. Ils se savonnent puis, avec une casserole en plastique, ils puisent de l'eau dans le seau pour se rincer.

Robert, Michel et Justin attendent leur tour au robinet. Justin regarde les prisonniers qui tournent toujours sur le chemin de promenade. On y reconnaît Ralph et Simon, marchant côte à côte. Greg aussi marche mais il est seul.

Sur le bâtiment des toilettes, la musique sature toujours des airs de cinéma indien. Sur les toits des bâtiments, quelques gardes somnolent, appuyés sur leur fusil dont la crosse est posée sur le sol.
Robert a suivi le regard de Justin. Soudain ses yeux s'arrêtent sur un garde.

ROBERT
Hey guys ! Look at that guard over there. See what he's doing ?

MICHEL (regardant dans la direction indiquée)
No ! What d’you mean ? What's he doing ?

ROBERT (ricanant)
Check out the way he holds his rifle !
He's got his finger stuck in the muzzle !
What an asshole !
No wonder so many people miss a finger or two in this dumb country !
They must all be guards who fell asleep on duty !

MICHEL
They don't look very bright.

ROBERT (ricanant)
You know they make one hundred rupees a day ?!
That's ninety rupees more than us, only 30 bucks !

MICHEL
Can they be bribed ?

ROBERT
Problem is, you need to bribe all of them !
They never really leave, even when they're not on duty.
You see these two little rooms there in the corners ?
That's where they sleep.
In fact they spend their whole lives on the roof.
Imagine that !
Wastin' your entire fuckin' life on top of a prison roof, watching assholes like us walk around a stupid stable all day ?
Fuck ! If I were them, I'd blow my fuckin' finger just for the fun of it !

MICHEL
Yeah and so basically, asleep or half asleep, the whole team is on shift 24 hours on 24. Makes it harder to climb up there unnoticed...

ROBERT
Oh you can try...
A few weeks ago, one poor motherfucker tried.
He ended up with a cracked skull !
He didn't even make it up to the roof, they just banged him on the head with the cross of their rifles.
Fuckin' assholes !

103 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR
Michel et Justin sont assis près de l'entrée, là où se trouvait le vendeur de thé. Ils sont accroupis à la népalaise et ils regardent les prisonniers sur le chemin de promenade.

Derrière eux, en haut des marches près de l'entrée, un petit Nagi, l'air teigneux, est toujours assis sur un tabouret en bois.

JUSTIN (désignant du menton un des prisonniers, un type particulièrement fort, une trogne d'égorgeur, le crâne rasé)
'Tain, regarde-moi c'type-là ! La tronche d'assassin ! Bonjour ! T'as vu ses mains !?

MICHEL
Ouais, c'est le Nagi responsable de notre dortoir. Il dort juste derrière moi !

JUSTIN
Ben dis-donc, t'as pas peur ! Il est là pour quoi, cui-là ?

MICHEL
Il a tué toute sa famille, je crois.

JUSTIN (éberlué)
Arrête ! Tu déconnes ?

MICHEL
Non, non, c'est Michael qui m'a raconté ça. Il adore le sang ou plutôt la vue du sang le rend dingue.
Alors un jour où son père a égorgé une chèvre, ça l'a tellement rendu fou qu'il a tué tout l'monde.
Il paraît qu'ils l'ont retrouvé endormi au milieu d'un vrai massacre.

JUSTIN (indigné)
Et ce type-là est responsable d'un dortoir !? Mais c'est l'délire !

MICHEL
Oh, ben il est doux comme un mouton sinon...
Il a l'air plutôt pas chiant, il passe son temps sur son lit à pioncer.
(ricanant) Vaut juste mieux pas saigner du nez devant lui, c'est tout.

Soudain le Nagi derrière eux se tourne vers la cour et d'une voix forte, il crie:

LE NAGI TEIGNEUX (voix nasillarde, forte et désagréable)
Robert ! Robert ! Ayaaayooo !

JUSTIN (à Michel)
C'est quoi, c'bordel ? Pourquoi il gueule comme ça ?

MICHEL
Bah… c'est Robert qui doit avoir une visite au portail.
Il a des potes en ville qui lui apportent des trucs.

Robert sort du bâtiment A, traverse la cour et grimpe la volée d'escaliers de l'entrée. Le Nagi tend son bras pour lui barrer le passage. Il doit attendre là.

MICHEL (à Robert)
Fresh food comin' in ?

ROBERT
Yeah ! Looks like Mary from Dillaram.
I gave her money yesterday to buy some groceries.

Le Nagi lui fait signe qu'il peut y aller. Robert disparaît à l'intérieur.

JUSTIN
On peut faire rentrer c'qu'on veut ?

MICHEL (ricanant)
Ouais, sauf de l'alcool et des femmes. Enfin, si t'as du fric.

JUSTIN
Qui c'est, Dillaram ?

MICHEL
C'est le secours catholique local. Ils viennent au moins une fois par semaine pour voir tous les prisonniers, il paraît.

JUSTIN
Ah ouais ! La Bible aux lèvres ?

MICHEL
Non, pas trop, il paraît. Ils veulent surtout aider.

Soudain le Nagi se retourne à nouveau. Il scrute la cour, son regard s'arrête sur Justin, il le pointe du doigt et dit:

NAGI
You ! You come !

MICHEL
Tiens ! T'as une visite ! Ça doit être le consulat comme pour moi hier. Vas-y !

Justin se relève vivement et va se poster en haut de l'escalier comme il a vu faire Robert précédemment.

NAGI (à Justin)
You, what name ?

JUSTIN
Me, Justin.

NAGI
Jus... tin

JUSTIN
Yes. Justin. And you ?

NAGI (riant, pointant son doigt vers son front)
Me ? Nagi Dai !

JUSTIN
I see...

NAGI (attrapant Justin par le coude pour le tirer sans ménagement vers l'intérieur)
You go !

Justin s'avance en se dégageant lestement de la prise du Nagi et disparaît dans la pénombre.

104 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - BUREAU DU DIRECTEUR DE LA PRISON.

Justin, mené par un garde, s'assoit près d'une femme blanche assez forte, d'une trentaine d'années, blonde à lunettes. Il a les menottes aux poignets. La femme et lui sont assis sur un banc, devant un large bureau en bois. Le directeur de la prison est assis dans un fauteuil derrière le bureau. C'est un homme de taille moyenne, il porte des lunettes, il a le cheveu rare et plaqué sur le crâne. Sa peau, plutôt huileuse, luit un peu. Derrière lui, sur le mur, les portraits du roi et de la reine sont accrochés. La porte du bureau est restée ouverte derrière Justin et la femme, et le soleil inonde la scène. Le reste de la pièce, à peu près vide, reste dans la pénombre. On distingue une porte, donnant sur une autre pièce. Le garde part se poster près de la porte.

LE DIRECTEUR (à Justin)
I believe there is someone from your country here to see you.

LA FEMME
Bonjour, je m'appelle Geneviève Picaletti, je suis secrétaire au consulat de France.
Les autorités de douanes de l'aéroport nous ont prévenus que vous étiez ici.
D'ailleurs on a eu un appel d'une personne inconnue sur notre répondeur, qui nous prévenait aussi.

JUSTIN (ne pouvant s'empêcher de sourire)
Ah oui, j'avais demandé à un touriste de le faire.

GENEVIÈVE
Vous êtes en compagnie de votre amie, je crois ?

JUSTIN
Oui. Elle s'appelle Sinwah, c'est ma fiancée.

GENEVIÈVE
Elle est de nationalité française ?

JUSTIN
Non, pas encore, mais elle va le devenir parce que nous comptons nous marier.

GENEVIÈVE (hochant la tête)
Ben oui, mais vous n'en avez peut-être pas pris le meilleur chemin...

JUSTIN (piteusement)
Je sais... qu'est-ce que je peux faire maintenant ?

GENEVIÈVE
Eh bien la première chose à faire, c'est d'attendre la décision des douanes et puis il faudra songer à prendre un avocat.
Est-ce que votre famille est en mesure de vous en procurer un ?

JUSTIN (sursautant)
Oh mais je ne veux absolument pas que ma famille soit mise au courant de mes problèmes !
Il faut que je me débrouille tout seul pour sortir de là !

GENEVIÈVE
Écoutez, la caution pour sortir se montera probablement à la valeur de l'or que vous avez apporté.
Vous avez cet argent ?

JUSTIN
Bien sûr que non, j'suis prof à Francophonia !
J'gagne trois fois rien !

GENEVIÈVE
Alors je ne vois pas d'autres solutions...
Réfléchissez, mais je pense qu'il vaudrait mieux écrire à votre famille.
Tôt ou tard elle va s'inquiéter de votre silence, de toute façon.

JUSTIN
Non, je ne peux pas faire ça. Impossible.
S'il vous plaît, respectez ma décision et ne les prévenez pas vous-même.
Est-ce que je peux compter sur vous ?

GENEVIÈVE
(soupirant)
Bien entendu, mais ce n'est pas vous rendre service.
Tout ce que je peux faire pour vous, c'est venir vous rendre visite de temps en temps, en vous apportant des victuailles.
Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Du fromage ? Des fruits ?

JUSTIN (avec gratitude)
Oh oui ! Du pain, du fromage, tout ça… ce serait bien.

GENEVIÈVE
Vous avez de l'argent, ça va ?

JUSTIN (embarrassé)
Ben non, mais je peux vendre mes cigarettes.

GENEVIÈVE (sortant son porte-feuille de son sac)
Vous me rembourserez quand vous pourrez. De toute façon, je n'ai aps grand-chose sur moi.

Elle lui tend qq billets.
LE DIRECTEUR
Sorry. You must give it to me first, for records, but he will get it later.

GENEVIÈVE
Ah ? Ok.

Elle donne l'argent au directeur.

JUSTIN
Merci beaucoup, je vous le rendrai dès que possible.

GENEVIÈVE
Ne vous faites pas de soucis pour ça.
J'essaierai de vous apporter quelque chose aussi souvent que possible.
J'en parlerai aux gens qui viendront au consulat aussi.
(se levant)
Je vous souhaite bonne chance. Surtout ne vous désespérez pas, ça ne sert à rien.

JUSTIN (se levant aussi)
Je vous remercie. Vous verrez Sinwah aussi ?

GENEVIÈVE (gênée)
Euh... peut-être pas aujourd'hui...
La prochaine fois, j'essaierai.

Elle serre la main molle du directeur de la prison qui ne daigne même pas soulever ses fesses. Le garde s'est rapproché de Justin et le tient par le coude.

JUSTIN (haussant les épaules)
Elle est pas française mais c'est tout comme.

GENEVIÈVE
(le regardant en partant, avec un sourire de sympathie)
Au revoir ! Bon courage !

JUSTIN
Merci, au revoir.

105 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL.
Comme ce matin, Justin et Sinwah sont assis face à face sur leur banc respectif. Ils fument une cigarette en parlant.

JUSTIN
So she said she try to see you also.

SINWAH
Never mind. Maybe I see the British consulate later.

JUSTIN
Anyway, if she bring food, I give you.

SINWAH (souriant)
But I don't like cheese and bread ! You keep it !

JUSTIN (insistant)
Ok, then I give you the fruits

SINWAH
No ! You need vitamins.

JUSTIN
You too !

NUMBER TWO (sortant du dortoir des Nagis - à Sinwah)
Your luggage are here. Do you want to pick them up ?

Justin et Sinwah se lèvent et suivent le Nagi dans le dortoir. Ils en profitent pour se tenir discrètement la main.

106 - INTÉRIEUR - NUIT - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - TOILETTES.
Justin entre dans les toilettes. Immédiatement il fait la grimace et coince son nez dans son coude. Les toilettes sont immondes. Le sol est en terre tassée, il y a des flaques douteuses. Trois volées de trois marches mènent aux box clots par une demie-porte à deux battants. Au fond, on pisse à même le mur aux reflets verdâtres. Il y a juste une rigole au sol, qui déborde.
Justin pénètre dans un box. Ce sont des chiottes à la turque sauf qu'il y a seulement un trou. Justin tire une feuille de papier couverte d'écriture de la poche arrière de son pantalon puis s'accroupit. Il confectionne un avion en papier qu'il cache sous son t-shirt avant de se relever et de sortir du box.

107 - EXTÉRIEUR - NUIT - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DEVANT LE MUR DE LA COUR DES FEMMES.
Justin regarde autour de lui, il jette un oeil vers les toits pour voir si un garde est là. Il regarde enfin sa montre. Puis il retire l'avion de sous son t-shirt, lisse le papier un peu froissé et rapidement il le lance par dessus le mur. L'avion disparait de l'autre côté. Justin s'en va.

108 - INTÉRIEUR - NUIT - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR C.
Dans le dortoir, les prisonniers déroulent leur matelas sur les planches. Ils s'allongent pour lire, d'autres grignotent quelques biscuits en buvant du thé et en discutant. Carlos, qui dort au fond, près du mur, finit de préparer sa couche. Il tâtonne sous son oreiller, trouve une paire de lunettes de sommeil comme on en distribue dans les avions, se la place sur le front et s'allonge en se couvrant de son drap en coton. Il se redresse sur un coude.

CARLOS
Good night, my friends !

Il fait glisser ses lunettes de sommeil sur ses yeux en se rallongeant, se tourne vers le mur et ne bouge plus.

JUSTIN (à Michael)
What time is it ?

MICHAEL (regardant dehors par la baie)
Oh, soon seven o'clock.

JUSTIN
People go to bed so early ?

MICHAEL
Yeah ! The Nagis check us at seven. Everybody must be in bed by then.
See ! Here they come. You better get on your bed.

JUSTIN
But where do I sleep ?

MICHAEL
Just get next to me, the time they check.

JUSTIN (grimpant sur les planches et s'asseyant près de Michael)
Ok.

Les conversations se sont arrêtées. Number One, le Nagi teigneux, le Parenticide et deux autres abrutis passent entre les rangées de planches du dortoir. Ils vérifient le fond du bâtiment et ressortent. Justin et Michael les ont regardés faire sans broncher. Les conversations reprennent dès que les affreux sont ressortis.

JUSTIN
At what time they close the light ?

MICHAEL (soupirant)
Never ! It takes a shortage ! Generally when there's a storm, the whole electricity system blows up in town. Takes a few minutes to get it back on again.

JUSTIN
And the music ? It is all the time also ?

MICHAEL
No, they turn it off at eleven and then on again at six.

JUSTIN
It must be difficult to sleep !

MICHAEL
Yeah but you didn't sleep last night, did you ?

JUSTIN (ricanant)
No ! But tonight I can sleep standing !

109 - EXTÉRIEUR - MATIN - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR
La cour est éclaboussée de lumière matinale. Au fond à gauche en sortant du couloir du portail, devant le dortoir C, une vingtaine de personnes sont en train de pratiquer le Tai Chi sous la direction de Carlos, vêtu seulement d'un court pantalon noir chinois rappelant le Kung Fu. Carlos en profite pour faire rouler ses muscles. Il se prend très au sérieux. Parmi la vingtaine de ses "disciples", on reconnaît Michel et Ralph. On remarque aussi trois gardes portant le même survêtement. Les autres sont des Népalais, jeunes pour la plupart. Autour d'eux, de nombreux prisonniers observent, certains bouche bée, d'autres en rigolant. Dans le fond de la scène, près de l'entrée, le vendeur de thé prépare sa grande bassine en allumant du feu dessous. Il pompe comme un pro sur son gros réchaud à kérosène. Soudain, on comprend qu'il est six heures, vu que la radio se remet à saturer. Le nagi teigneux, habillé d'un short kaki et d'un t-shirt blanc montre son nez à l'entrée et gueule:

LE NAGI TEIGNEUX
Dud ayooo !

Des prisonniers commencent à sortir de tous les dortoirs. Ils se dirigent vers l'entrée où le nagi teigneux, aidé d'un autre Nagi Dai, portant chapeau et habit népalais, distribue des sacs en plastique scellés blancs contenant un demi-litre de lait. Certains reçoivent trois roupies à la place.

Le cour de Tai Chi se termine, les prisonniers népalais qui s'entraînaient viennent faire la queue pour le lait. Certains attendent que le thé soit prêt. Les gardes sortent ensemble de la cour.

110 - INTÉRIEUR - MATIN - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR C
Sur la rangée de planches qui se trouve à gauche de l'entrée, la plupart des prisonniers se réveillent. Certains dorment encore. Ce qui frappe, c'est le taux de surpopulation. Certains se frottent les yeux ou se grattent la tête. Un autre est déjà à genoux devant le mur où est accroché son sac et il en sort des affaires de toilette. Ceux qui dorment encore sont tous allongés sur le flanc. Ils sont serrés, emboîtés comme des sardines, les uns dans les autres tant l'espace est restreint.

La caméra longe la rangée de planches et arrive sur Michael qui dort encore, entortillé dans un drap de coton sur son matelas étroit et collé contre le dos de Justin, puisqu'ayant lui-même un Népalais collé dans le dos. La caméra s'approche du trio. Gros plan du visage de Justin qui dort, le nez dans son coude, à deux millimètres d'un autre Népalais qui s'éveille devant lui. Justin dort tout habillé, à même les planches. Il n'a pas d'oreiller. Rien. Soudain la tête de Justin, en gros plan, commence à s'agiter légèrement, secouée progressivement de haut en bas, de plus en plus fort. Lorsque ces mouvements se sont assez accentués pour qu'on commence à avoir des doutes sur leur origine, la caméra confirme en reculant alors que Justin commence à ouvrir les yeux, jusqu'à les écarquiller, et l'on découvre que les secousses proviennent de Michael. En plein rêve érotique, il est en train de donner des coups de reins rythmés contre les fesses de Justin.

Justin s'assoit brusquement pour regarder Michael, le regard noir d'indignation. Il comprend que l'intention n'y était pas puisque Michael dort. Il fait une grimace style "Ah ben d'accord !" puis regarde autour de lui en se grattant la tête de la main gauche. Il s'assoit au bord des planches pour remettre ses chaussures.

Carlos entre, en sueur, dans le dortoir. Il va chercher ses affaires de toilette. En passant, il lâche à Justin:

CARLOS (poli, sans sourire)
Good morning !

JUSTIN (maussade)
Is it ?
(sourire à Carlos)
Yes, sorry ! Good morning !

CARLOS
What's wrong ?

JUSTIN (lourd)
First morning in jail, I suppose.

CARLOS
You should join us and do some Tai Chi. Makes you feel better.
I teach your friend Michel too.

JUSTIN
Yeah, maybe, why not.
Thanks anyway !

111 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Même endroit que pendant le déjeuner. Robert est allongé, il bouquine. À sa droite, Dawa Dorje Lama dort. Michel, barbe de trois jours, est assis en tailleur à sa gauche. Justin arrive, portant son sac de voyage.

JUSTIN (à Michel)
Ça va ? T'es sûr que ça dérange pas si j'me mets là ?

MICHEL
Non ça va, on va s'serrer un peu.
(désignant le sol)
Pose tes affaires sous les planches, là.

JUSTIN
Merci ! La nuit dernière j'ai dû dormir comme une sardine en boîte tellement
on était serrés et j'te raconte pas l'réveil !

MICHEL (curieux)
Qu'est-ce qui s'est passé ?

JUSTIN (rougissant)
Non, rien...

ROBERT (à Justin, après avoir baissé son livre)
You're moving in ?

JUSTIN
Yes. Is that ok ?

ROBERT
Sure ! No problem !
(pause)
If you can stand Simon...

JUSTIN (montrant l'espace à côté de lui sur lequel se trouve un matelas en coton)
Who sleep here ?

ROBERT
Oh, that's Eddie. A Dutch guy. He's ok.

MICHEL
C'est l'mec à qui les Nagis ont piqué la dope, j't'en ai parlé.

JUSTIN (souriant)
Ah très bien ! Très bon voisinage !

MICHEL
Tiens, il t'resterait pas une blonde ? J'ai fini les miennes.

Justin ôte ses thongs. Il grimpe sur les planches en sortant un paquet de cigarettes de sa poche, qu'il tend à Michel.

JUSTIN
Tiens, profites-en, il ne me reste plus que deux paquets.

Michel tend le paquet à Robert qui en prend une en remerciant Michel. Michel se sert et repasse le paquet à Justin.

MICHEL
De toute façon, mon frère ne va pas tarder à arriver.
Geneviève vient de me dire qu'elle a réussi à le contacter hier. Il nous rapportera bien des clopes.

JUSTIN (prenant une cigarette pendant que Michel essaie d'enflammer une allumette)
Ta mère a pris ça comment alors ?

MICHEL (sombre)
Pas trop mal, en fait. Il paraît qu'elle a dit qu'elle s'y attendait un jour ou l'autre.

112 - EXTÉRIEUR - APRÈS-MIDI - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.
Les prisonniers se promènent toujours autour de la cour. Le vendeur de thé est à pied d'oeuvre. Les affaires marchent bien. Près du préau, les joueurs de billard s'acharnent sur leur palet. Ils sont entourés de toute une bande de prisonniers qui s'exclament et applaudissent bruyamment. Justin et Michel, barbes de trois semaines, sont accroupis entre le préau et le vendeur de thé, adossés au mur, les pieds chaussés de thongs.

Ils regardent un Népalais occupé à confectionner deux matelas en coton.

MICHEL
T'as pu acheter assez de coton ? Ils ont pas l'air bien épais, tes matelas...

JUSTIN
Ben c'est Geneviève qui m'a avancé un peu de fric. J'peux pas continuer à dormir sur les planches, j'me fais bouffer par les insectes ! C'est juste que j'veux qu'Sinwah en ait un aussi, alors j'ai partagé en deux.

MICHEL
Mais comment tu vas faire pour la rembourser, Geneviève ?

JUSTIN
Ben y'a la soeur de Sinwah qui veut bien m'racheter ma chaîne hi-fi et mon walkman qu'j'ai laissés à Hong Kong. On devrait recevoir un peu d'fric bientôt.

MICHEL
Ils font pas trop la gueule dans sa famille ?

JUSTIN
Il paraît qu'ils me détestent. Y'a qu'sa soeur qui m'en veut pas trop. Sa mère veut plus lui parler mais son père va envoyer un paquet.

Number 2 apparaît en haut des marches de l'entrée.

NUMBER 2 (criant)
Justin !

JUSTIN (sursautant, le regarde)
Here !

Number 2 tend au bout de son bras un lunchbox rond en aluminium, fermé d'un couvercle qu'il tient par son anse.
Justin se redresse et va le chercher.

JUSTIN (prenant le lunchbox)
Thank you very much !

NUMBER 2 (souriant)
Enjoy your meal, lucky man !
No one ever cooks for me !

JUSTIN (ne sachant trop comment réagir, gentiment)
You want some ?

NUMBER 2
No, no ! You eat it ! It is for you.

Justin retourne près de Michel.

JUSTIN
Tu viens manger pendant qu'c'est chaud ?

Michel se dresse et suit Justin qui s'éloigne vers le dortoir A.

113 - INTÉRIEUR - DÉBUT D'APRÈS-MIDI - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A - PRÈS DE L'ENTRÉE.
Greg, allongé sur sa couche à deux pas de l'entrée du dortoir, est en train de discuter avec un jeune Népalais.

GREG (souriant)
What about you ? Why are you here, brother ?

JEUNE NÉPALAIS
Not much really... I've cut a woman's finger at the market.

GREG (sourire imperturbable)
Nice one ! Why did you do it ?

JEUNE NÉPALAIS (comme une évidence)
To take her ring ! She don't want to give it otherwise.

GREG (riant)
Yeah ! There was nothing else to do! What a bitch, hey ?

JEUNE NÉPALAIS (hilare)
What to do in Kathmandu ?

ROBERT (vient d'entrer dans le dortoir, barbu, porteur de victuailles, rigolard)
Drink tchai and get high !

GREG (riant)
Good one ! We've almost got our hit song here !
(chantonnant)
"No money, no honey,
what to do in Kathmandu ?
Just drink chai and get high !"

SIMON (suivi de Michael et Carlos, vient d'entrer à son tour, fébrile, complètement speedé)
Guys ! Guys ! Fuckin' great news ! This is so fuckin' hot !
(leur faisant signe de le suivre au fond du dortoir)
Come ! I gotta tell you something ! You gonna love this !

114 - INTÉRIEUR - DÉBUT D'APRÈS-MIDI - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A - ALLÉE DU FOND.
Dawa Dorje Lama et son voisin yéti se reposent, allongés sur leur couche. Dawa lit. Yéti rêvasse.
Près de Dawa, la place de Robert est vide. À côté, Michel joue aux cartes avec Justin. Ils portent une barbe de six semaines. C'est pas la grande forme. Ils jouent mollement, en silence.

Justin tourne le dos à Eddie qui occupe la place à côté de lui. Eddie est en train d'écrire une lettre. Son papier ressemble à un vieux parchemin et, adossé au mur, il a posé un petit écritoire à pince sur ses genoux remontés. Il suce son stylo.

À côté de lui, Ralph s'éveille de sa sieste.
Simon pénètre dans l'allée, suivi de Greg et Robert. Ils s'avancent vers le groupe de blancs et Simon gueule:

SIMON (extrême)
Ralph ! Fuck Man ! Wake up ! Fuckin' great !

Il s'assoit sur le bord de la couche d'Eddie. Michael s'assoit au bord de celle de Michel et Justin. Carlos reste debout, toujours torse nu et distant. Tout le monde interrompt ce qu'il est en train de faire pour se tourner vers Simon et l'écouter.

RALPH (en éveil, d'une grosse voix)
What !

SIMON (ton de conspiration)
I've just been talking to the Nagis about the fuckin' lights being on all fuckin' night. They said: "It is the rule". So I said we just couldn't fucking sleep and can we have some sleeping pills or something and guess what ! They said ok ! We can get all the fuckin' pills we want as soon as we pay for it ! Number One told me to go and see Medicine Nagi about it. All we need is give him the fuckin' money and tell him what we want !

RALPH (enthousiasmé)
Fuckin' great, Simon ! Well done, mate !

GREG (riant)
I should have guessed ! Simon, you're just a dick-headed kiwi with a dope brain !

SIMON (outragé)
Fuck you, man ! This is great news !

ROBERT (s'esclaffant)
Great news for you ! No doubt about that.
(soupirant)
I'd rather have a nice fresh pint of gin and tonic !

CARLOS (s'en allant, froid)
See you later, guys !

SIMON (sincèrement surpris)
Don't you want sleeping pills ?

CARLOS (avec un rien de malice, s'éloignant)
I've got my googles from the Thai Airlines. Best brand there is !

JUSTIN (intéressé, à Simon)
But what sleeping pill did you ask ?

MICHEL
Yeah ! Captagon would be nice.

SIMON
Fuck Captagon, man !
I say we ask for valiums ! You can get pills up to 10mg, man !
All we do is get our pills at nightfall every day.
Let's just tell the Nagi we need three or four of these every night, he doesn't know anything about it.
Then we can keep high all day ! Isn’t that cool or what ?
What d’you say ?

JUSTIN (à Robert)
I never take valium before. Is it good ?

ROBERT
They're not really sleeping pills.

GREG
They just disconnect you from the real world, really.

JUSTIN (enthousiaste)
Shit ! That's perfect then !
(à Michel)
Faudra que j'trouve un moyen d'en passer à Sinwah !

EDDIE (vague barbe blonde, à Justin)
Gotta be careful though... You can get used to them real easily !

SIMON
So guys, how many should I order ? They're fuckin' cheap, only 50 fuckin' rupees for a bunch of ten.
They need the money now if we want some tonight.

ROBERT (tirant un billet de 100 rupees de sa poche pour le tendre à Simon)
Get me two sheets of ten.

MICHAEL (à Simon)
I go get some bucks. Wait for me.

Tous lui donnent de l'argent, même Eddie. Michael part en chercher dans son dortoir.

115 - EXTÉRIEUR - APRÈS-MIDI - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR - LE LONG DU DORTOIR A.
Justin, barbe de trois mois, est allongé par terre sur une natte, adossé au mur, torse nu au soleil, en short, pieds nus. Il écrit une lettre. Michel vient le rejoindre. Il apporte deux verres de thé au lait.

MICHEL (se frottant le menton et les joues d'un air satisfait)
Ahh ! Ça fait du bien ! On s'sent tout frais !
(tendant un verre de thé à Justin en s'asseyant au bout de la natte)
T'as pas encore fini ?

JUSTIN (haussant les épaules)
Ben tu sais, c'est sûrement la lettre la plus difficile que j'aurai jamais à écrire !

MICHEL (sérieux)
Ben de toute façon, quoique tu mettes, ça va leur faire un choc ! Y'a pas moyen d'y échapper.

JUSTIN (grave)
J'aurais bien voulu éviter de mettre mes parents au courant, pourtant !
Ça fait trois mois que je leur écris des trucs bidon que je fais envoyer par Brigitte depuis Hong Kong, comme ça, ils s'imaginent que tout va bien.
Et maintenant faut que j'leur annonce qu'en fait j'suis en taule !

MICHEL (écoeuré)
Ouais mais y'a pas d'autres solutions.
En plus, t'as vu les lettres qu'on a reçues de Francophonia !
Ils nous reprendront pas. On est bien grillés !
Ça aurait fini par se savoir de toute façon.
(pause lourdeur)
D'ailleurs, t'as vu l'avocat qu'ils nous ont collé d'office ?
Tout c'qu'il sait dire, c'est qu'il faut payer !
On est là pour un moment, c'est moi qui te l'dis !

JUSTIN (déterminé)
Je sais, c'est bien pour ça que j'finis par leur dire la vérité.
Mais j'vais quand même essayer de prendre des gants.
J'vais pas leur envoyer la lettre directement, j'vais la faire apporter par David.
C'est mon meilleur pote depuis l'lycée. Il habite toujours là-bas et il les connaît bien.
Ça sera moins rude de s'entendre dire la nouvelle que de la lire dans une lettre. Enfin, j'espère...
C'est un peu dérisoire d'essayer de faire de son mieux quand on est aussi profond dans la merde.
Le résultat ne peut être que merdique de toute manière...
M'enfin quand même, faut bien l'faire... Sinon, il reste pas grand-chose...

MICHEL (pas convaincu)
Mouais...

116 - INTÉRIEUR - LEVER DU JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Tout le monde dort bien gentiment, c'est quasiment le silence, la radio n'a pas encore été allumée. Le jour se lève mais c'est encore la lumière électrique qui éclaire le dortoir. Robert est le seul qui soit éveillé. Il lit en fumant une cigarette. Soudain, clip clop, deux chèvres pénètrent dans le dortoir et reniflent sous les planches, là où les prisonniers gardent leurs victuailles. L'une d'elles a trouvé des feuilles de chou qu'elle essaie de déguster alors que l'autre tente de lui dérober la feuille de la bouche. Robert abaisse son livre pour contempler la scène. Il rit doucement dans sa barbe.

Soudain le gueulement d'un appel résonne dans la cour de la prison. Un court silence puis d'autres appels fusent. En un rien de temps, toute la prison est en effervescence. Les Blancs se réveillent à leur tour. Tous, sauf Michel. Greg arrive, suivi du jeune Népalais coupeur de doigt.

ROBERT (à Greg)
What's the fuss all about, mate ?

GREG
They say three guys have made it out through the bars, man !

SIMON
What !? Where ? Through the gate ?

GREG
Nah ! Apparently, they've sawed the bars of the window near the spot where they play snooker.

RALPH
How could they saw the bars and we didn't see a fuckin' thing !!??

EDDIE
Well, there's always a crowd near the players and they always make lots of fucking noise !

RALPH
So they made it ?

GREG
Apparently ! They just found out about it.

JUSTIN (toujours barbu, de fort méchante humeur)
And how come none told us !

ROBERT (à Justin)
Why ? What would you have done ?

JUSTIN
Well escape also, of course !

ROBERT
And leave your girlfriend behind.

JUSTIN (mouché)
Do you think they would hurt her ?

ROBERT
I don't know. What do you think ?

JUSTIN (le regarde un court instant puis, presque geignant, secouant la tête)
Hhhh... I'm sooo fucked...
(tirant une plaquette de valium de sous son oreiller, d'un ton qui n'admet pas d'objection)
Fuck it (montrant Michel toujours endormi) I do like him, I escape today !

Il sort trois comprimés de la plaquette et les ingurgite avant de se rallonger.

JUSTIN (chantonnant sur l'air de "C'mon everybody")
Bye bye, everybody !
(il ferme les yeux)

ROBERT (flegmatique)
Don't forget you have to sign in a minute...

JUSTIN (rouvrant les yeux, pousse un râle d'exaspération)
Aahhhrrgghh ! Fucking hell !

117 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - GRILLES.
Geneviève se tient derrière les barreaux noirs du portail de l'entrée, surveillé à l'extérieur par deux gardes portant fusil et baïonnettes. Elle tend des lettres à l'un des gardes.

GENEVIÈVE
(accent français prononcé, parlant lentement au garde tout en lui montrant un tampon sur les enveloppes)
See !? They've all been checked already.

Le garde passe les lettres à Justin, toujours barbu, à travers les grilles.

GENEVIÈVE (à Justin)
Je vous conseille de lire la lettre de vos parents tout de suite.
Je crois qu'elle vous fera plaisir.

Justin, curieux, regarde son paquet de lettres. Le courrier ayant déjà été ouvert, Justin retire les feuillets de l'enveloppe cachetée au Mans. Il la déplie et la lit rapidement. Il relève la tête, les yeux embués de larmes.

JUSTIN
Wow ! Ma mère dit qu'elle se sent comme une "domina" romaine.
Elle dit qu'ils vont tâcher de me sortir de là dès que possible !
Elle dit même qu'elle va essayer de voir ce qu'elle peut faire pour Sinwah !
Pff ! Je sais pas quoi dire !

GENEVIÈVE
Merci, j'imagine...

JUSTIN (souriant)
Oui, bien sûr ! Et merci à vous aussi ! Merci à tout l'monde !
(enthousiaste)
Yeah !!!
Faut qu'je dise ça à Sinwah !

GENEVIÈVE (souriante)
Si vous voulez, je peux aller la prévenir que vous aurez de bonnes nouvelles à lui dire ?

JUSTIN (radieux)
Oui ! S'il vous plaît ! Bonne idée !

116 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL.
Sinwah est assise sur son banc, comme d'habitude. Elle est vêtue d'une robe népalaise et ses cheveux sont tressés en deux grosses tresses sur les côtés. Elle attend Justin, que le garde est en train d'appeler à l'entrée du hall. Aussitôt, Justin apparaît en haut de l'escalier, radieux et rasé de près. Il va s'asseoir sur son banc, en face de Sinwah.

JUSTIN (grand sourire)
Do you want to marry me ?

SINWAH (souriante, joyeuse)
Is that why you shaved ? To propose to me ?

JUSTIN
Yes.

SINWAH
Why ?

JUSTIN
To look better !

SINWAH
No I mean, why you want to marry me ?

JUSTIN (gravement)
Because I admire how you stood by me in the airport.

SINWAH
There was nothing else to do.

JUSTIN
Sure, but we didn't give up.
Even Michel gave up.
Not you !
And since we are here, you don't get angry at me, you don't blame me for being in jail, you cook for me, you make the best for me.

SINWAH
You too, you help me.

JUSTIN (surpris)
Me !? How ?

SINWAH
I love all the letters you send me over the wall.
They help me wait in here.

JUSTIN
They help me too. When I write them, I feel like I am with you in my head.

SINWAH
I love you. I will marry you if you still want me after we go out.

JUSTIN (souriant)
That's why I ask you now.
Maybe we go out soon !

SINWAH
What you mean ?

JUSTIN
Geneviève didn't tell you to expect good news ?

SINWAH (surprise)
I thought you proposing me was the good news.

JUSTIN
There is another one !
I receive a letter from my parents. They are not mad at me at all !
They say they are going to try to help me get out and they will try to help you out also !
That's why I ask you to marry me now. Maybe we can do it soon !

SINWAH (gravement, presque froidement)
I don't want they help me. They don't even know me.
But I want you to go out and have a good life.

JUSTIN (inquiet)
But I don't want to go without you.
I cannot have a good life without you.
If you stay here, I stay also.

SINWAH (sourire triste)
Don't be crazy !
Stop eating all these pills !
They're bad for your mind.
If you can go, you must get out.
Don't think about me! I can handle it.

117 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR C.
Justin observe Carlos en train de planter des aiguilles d'acuponcture dans un garde allongé, torse nu, à plat ventre sur les planches.

JUSTIN
What's wrong with him ?

CARLOS (professionnel)
Oh, just some back pain. He stands all day. His back is a bit fucked up.

JUSTIN
Did you study acupuncture in China also ?

CARLOS
No ! I'm studying here. I'm just beginning.

JUSTIN
You study with books ?

CARLOS
Yes but I didn't receive them yet. I only got the needles so far.

JUSTIN
But how can you know what you do to this guy, for example.

CARLOS (petit sourire)
I don't. I just experiment.

NAGI TEIGNEUX (hurlant, voix off)
Just... in !

118 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - GRILLES.
Michel est en train de parler avec un jeune visiteur chevelu. Justin arrive derrière lui, il vient acheter des cigarettes au magasin. Il se penche pour parler au magasinier. Pendant que celui-ci le sert, Justin tourne la tête vers la grille pour regarder le visiteur de Michel. Leurs yeux se croisent et le visiteur lui lance:

ANTOINE
Bonjour !

JUSTIN (avec un signe de la main)
Salut !

GARDE (à Justin)
No talk ! Go !

JUSTIN (excédé)
Yeah yeah !

Il prend son paquet de cigarettes, lance ses pièces devant le guichet et quitte le hall.

119 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Justin est allongé. Il discute avec Robert. Le Yéti est allongé sur son matelas.

ROBERT (montrant le yéti)
Did you see his foot ?
(au yéti)
Show him.

Le yéti, avec un affreux sourire à moitié édenté, tire sa jambe et soulève la semelle de corne qui se détache de la plante de son pied. Elle fait bien deux centimètres d'épaisseur.

JUSTIN (suffoqué)
Wow ! It is because he don't walk anymore ?

ROBERT
Yeah, I guess that's why.

JUSTIN
Shiiit !

Michel arrive, il apparaît dans l'allée.

MICHEL (ôtant ses thongs et grimpant sur son matelas entre Justin et Robert)
(à Justin) Eh, j'crois qu'y'a mon pote Antoine qui veut t'voir.

NAGI TEIGNEUX (voix off)
Just..In !

JUSTIN (quittant sa couche)
Il m'énerve cui-là ! J'peux pas saquer sa voix de canaille !
(à Michel)
Pourquoi faire ?

MICHEL (haussant les épaules, en détournant les yeux)
J'sais pas moi ! Il t'a vu à la grille tout à l'heure...

120 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - GRILLES.
Simon vient de terminer avec un visiteur. Il croise Justin dans le hall. En passant, il lui montre un sac de fruits au passage et avec le rictus caractéristique de Simon (un sourire figé surmonté d'un regard inquiet), il lance:

SIMON
Enough for at least five liters of fuckin' booze, man !

Justin s'approche des grilles. Derrière, Antoine s'approche entre les deux gardes.

ANTOINE
Y'a pas moyen d'se serrer la main ici, alors ?

JUSTIN (souriant)
Ben non… mais ça c'est permis.
(joignant les mains ouvertes vers son front avec une petite courbette, à l'indienne)
Namaste !

ANTOINE (faisant de même avec un grand sourire)
Namaste ! Ça va, tu t'habitues bien ici, alors ?

JUSTIN
Il vaut mieux connaître ses ennemis !
Ça peut toujours servir.

ANTOINE
Michel t'a dit ? Je m'appelle Antoine.
(d'un air chiffonné)
J'étais un de ses amis... j'dis « j'étais » parce que depuis que j'ai appris la façon dont il traitait ses amis...

JUSTIN (surpris, touché)
Tu veux dire... pour Sinwah et moi ?

ANTOINE (sincère)
Tu l'aurais dénoncé, toi, Michel ?
Tu peux m'dire franchement, on s'connaît pas d'toute façon.
Si t'avais été à sa place ?

JUSTIN
Ben non ! Évidemment !
D'ailleurs j'y étais, à sa place.

ANTOINE
Ben alors ? Tu lui en veux pas ?
J'crois pas qu'je pourrais lui pardonner à ta place.

JUSTIN (un peu agacé)
Pour l'instant tu vois, la question se pose pas tellement.
Qu'est-ce que ça change que je lui pardonne ou pas ?
Pour l'instant, j'ai envie de sortir et lui aussi. On règlera les comptes plus tard.
(s'adoucissant)
Tu comprends ? Toi t'es dehors, c'est pas pareil.

ANTOINE
Ben en tout cas, faut qu'tu saches que tout l'monde n'est pas comme ça.
Si tu as besoin de quelque chose, tu m'le dis. Je vais rester à Katmandu pendant quelques mois. Si j'peux t'être utile...

JUSTIN
Quelques mois ! Qu'est-ce que tu fais ici ? T'enseignes ?

ANTOINE
Non, j'suis tailleur.
J'utilise les tissus que je trouve au long de mes voyages, ça m'donne des idées aussi.
J'les vends à Paris.

JUSTIN
Et t'arrives à en vivre ?

ANTOINE (souriant)
Ouais, ça va, j'me débrouille.

JUSTIN (visage s'éclairant)
Tu veux vraiment faire quelque chose pour moi ?

ANTOINE
Oui, j'te l'ai dit.

JUSTIN
C'est bientôt l'anniversaire de Sinwah, ma euh... ma fiancée. Elle est à côté, dans la prison des femmes.
Tu es capable de prendre les mesures de quelqu’un juste en le regardant ?

ANTOINE
Grosso modo oui, pourquoi ?

JUSTIN
Tu pourrais lui faire une jolie robe ?
Je te la paierai bien sûr, mes parents m'ont envoyé un peu d'fric par le consulat.

ANTOINE (un peu ému, se raclant la gorge)
Hmm, oui, ça devrait être possible. C'est quand son anniversaire ?

JUSTIN
Dans quatre semaines environ. T'auras assez d'temps ?

ANTOINE
Pas d'problème. J'm'en occupe.


121 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Eddie et Justin sont allongés côte à côte sur leur matelas. Ils ont une couette cette fois. Eddie est en train d'écrire. Justin, barbe d'un mois, lit Newsweek.
JUSTIN
Sorry Eddie, what mean "gloomy"?

EDDIE
Something depressing and ugly, like this shitty place for example, or the weather we have today.

JUSTIN
Oh ? Dilli-Bazaar is a gloomy jail ? You can say that ?

EDDIE
Yup ! That's correct.

JUSTIN
Thanks, mate ! I want to learn how to speak good English.
I learn German in school. It is not very useful here !

EDDIE (souriant)
Ich kann Deutsch sprechen !
(S-T: I can speak German/Je sais parler allemand)
Möchtest du etwas rauchen ?
(S-T: Do you wanna smoke something ?/Tu veux fumer quelque chose ?)

JUSTIN (grand sourire)
Na ja ! Aber gern ! Hast du mal etwas ? Wieso denn !?
(S-T: You've got something ? Great !/ T'as quelque chose à méfu ? D'enfer !)

EDDIE (à voix feutrée)
I've been saving it for quite a while. Don't tell anyone.

JUSTIN
No problem, but how to smoke it ? In the toilets ?

EDDIE
No ! Last time, that's how they got me.
They smelled it and then Number One made a fuss about it and they searched all my stuff.

JUSTIN
So how can we do ?

EDDIE
You have a tube of aspirin ?
(Justin acquiesce d'un hochement de tête)
Could you give it to me ?

JUSTIN (fouillant dans les affaires posées à côté de son oreiller)
Sure !

Eddie prend le tube et le décapsule. S'emparant d'un clou sous son oreiller qu'il montre à Justin avec un clin d'oeil derrière ses petites lunettes ovales cerclées de métal doré.

EDDIE (ricanant)
That's my anti-Nagi Dai secret weapon !

Il perce un trou au milieu de la capsule du tube d'aspirine. Puis il repousse sa couette et s'en va chercher une pierre assez lourde qu'il a rangée sous son lit.

EDDIE (posant le tube droit, à l'envers sur le bout de la planche de sa couche.)
Can you hold this straight for me ?

Justin tient le tube pendant qu'Eddie perce un trou dans le fond au moyen de son clou et de la pierre.

Eddie replace la pierre sous les planches, se rallonge et se recouvre de sa couette. Il glisse le clou sous son oreiller, tâtonne et ressort un petit joint. Il ouvre le tube d'aspirine, glisse le filtre du joint dans le trou qu'il y a fait. Regardant furtivement à droite et à gauche pour voir si quelqu’un le surveille, il se recouvre presque la tête de sa couette et allume le joint à la flamme de son briquet. Vite il rebouche le tube avec le joint allumé à l'intérieur. Justin l'observe. Eddie montre l'extrémité du filtre qui dépasse de la capsule, il la porte à ses lèvres et aspire une bonne bouffée sous sa couette. Avec le bout de son index, il bouche le trou qu'il a percé au fond du tube afin d'empêcher la fumée de sortir.

JUSTIN (enthousiaste)
Yeah ! Excellent !
I gotta tell Sinwah how to do this !
This is more comfortable than the toilets !

Il garde la fumée longtemps et envoie le peu de fumée qu'il recrache sous l'épaisseur de sa couette. Il reprend une deuxième bouffée avant de passer le tube à Justin qui l'imite.

EDDIE (souriant, le regard déjà stoned)
Almost no smell !

JUSTIN (crachant sa fumée sous sa couette)
You should be made famous for this !

122 - EXTÉRIEUR - LEVER DU JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.
Il fait encore quasiment nuit. La cour, déserte est encore très sombre. A l'entrée de la cour, au fond et bien qu'on ne distingue que des ombres, on entend le bruit métallique du portail qu'on ferme. Puis on entend un beuglement, des cris de nagis et des bruits de sabots sur les pavés. Finalement, un buffle tout noir, aux cornes impressionnantes, fait irruption et dévale les quelques marches, entouré d’un petit groupe de nagis qui essaient de le contenir. Il a un anneau dans le mufle, auquel une corde est attachée. Sa bouche est écumante, baveuse. Il roule de l'oeil, apeuré. Les nagis le calment et vont l'attacher près des cuisines.

123 - INTÉRIEUR - PETIT MATIN - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Gros plan sur le visage d'Eddie, endormi. On entend un beuglement dehors. Soudain, la main droite d’un homme glisse vers le côté gauche du visage d'Eddie, dont les cheveux blonds sont épars sur l'oreiller. L'annulaire et l'auriculaire de la main se sont posés sur les mèches et commencent à remuer de façon infime, comme pour reconnaître la texture des cheveux.

La caméra recule un peu vers la gauche, dévoilant progressivement le bras de Justin endormi, couché sur le flan gauche, la tête posée sur son bras gauche. Il rêve. Sa main se met à caresser le visage d'Eddie qui se réveille lentement et prend conscience de ce qui se passe. Il se redresse à demi et regarde Justin. Il s'aperçoit que celui-ci est endormi, qu’il murmure le nom de Sinwah dans son rêve. Eddie prend délicatement le poignet de Justin pour l'éloigner de son visage. Puis il prend l'épaule de Justin et le secoue doucement.

EDDIE (avec un sourire un peu embarrassé)
Justin ! Wake up ! Hey man ! Wake up !

JUSTIN (se réveillant)
Hmm !? What ?

Un nouveau beuglement retentit dans la cour.

JUSTIN
(plus fort, plus réveillé, s'asseyant soudain sur son lit, regardant à droite puis à gauche)
What's going on !?

EDDIE (souriant)
I'm not Sinwah, man !

JUSTIN (le regardant, surpris, écarquillant les yeux, perdu)
What do you mean ?

EDDIE
You were touching my hair in your sleep.
I think you were dreaming of Sinwah.

JUSTIN (rosissant un brin)
Oh fuck ! I'm sorry, mate ! I didn't mean to !

EDDIE (riant doucement)
I know, man !

MICHEL (qui s'est réveillé aussi, rigolant)
Ben alors, tu tournes pédé ? Va falloir t'calmer sinon j'veux plus dormir à côté d'toi, moi !

JUSTIN (levant les yeux au ciel)
Ah ! Ça m'aurait étonné aussi ! Pauvre France !

Soudain, par l'arcade qui sépare les deux allées de couchettes, le nagi responsable du dortoir, celui qui a tué toute sa famille et que la vue du sang rend fou, apparaît l'oeil allumé. Son visage, éclairé par la pauvre lumière électrique, est terrifiant. Il s'est rasé la tête, ce qui fait encore plus ressortir la broussaille sauvage de ses sourcils. Ses pommettes saillantes le font ressembler à Gengis Khan. Ses yeux brillent de sauvagerie pure. Il crie, en montrant sa main armée d'une hache.

LE NAGI
Namaste !!!!

Simon, que le cri a réveillé en sursaut, voit le nagi et la hache et pousse un cri en se redressant d'un bond, debout sur les planches.

SIMON (paniquant, s'emparant déjà de sa couette pour s'en faire un bouclier )
What the fuck !

Le nagi, montrant son autre main armée d'un grand couteau de boucher, regarde Simon en riant comme un malade, il essaie de dire en mauvais anglais:

LE NAGI
Good morning, Simon !

SIMON
Jesus !!!!

Mais le nagi a disparu. Robert, que le bruit a réveillé, redressé sur un coude, s'adresse aux autres.

ROBERT (flegmatique)
Pretty scary dude, huh ?
I heard he's gonna kill a buffalo this morning, so he's like a little kid with a new toy !
This guy's totally fucked up and he sleeps just a yard away from us !
(soupirant)
What to do in Kathmandu ?

DAWA DORJE LAMA (derrière lui, immobile, les yeux fermés)
Drink tchai and get high !

Des cris de nagis se font entendre au loin, depuis la cour.

ROBERT (surpris, se tournant vers son voisin tibétain)
What the fuck ! You're awake, brother, you fuckin' spy !?

DAWA (hilare)
Yes yes, me awake ! Me heard everything, brother, say ! Me Dawa fucking spy !

ROBERT (hilare)
Brother Dawa 007 ! Ha !

Number 2 et un autre nagi pénètrent dans l'allée. Ils encadrent un prisonnier, un grand type qui a l'air mal en point et qui pleure et pousse des cris de lamentation. Ses vêtements sont à moitié brûlés et déchirés, ses cheveux sont roussis ainsi que sa barbe, son visage noirci porte des traces de brûlures, mais il marche sans être soutenu bien qu'un nagi le tienne par le coude.

ROBERT (ébahi)
Jesus ! This place is better than Disneyland ! What happened !?
(plus fort, à Number 2)
Hey ! What's all the roast about ?

NUMBER 2 (laissant l'autre nagi accompagner le brûlé)
Apparently he should have been released a year ago, but nobody can prove it.
The building where his file was kept has burned down by accident.
So he decided to burn himself as well, with kerosene in the toilets !

ROBERT
Shit ! Then, you had to extinguish him ?

NUMBER 2 (tristement)
Not really. He is too poor to buy enough kerosene, so we just found him like that, lying on the floor and crying.

ROBERT (amer)
Poor chap ! No money, no honey, huh !?

NUMBER 2 (s'en allant)
No money, no kerosene.

MICHEL (à Justin, en rigolant)
Où y'a d'la gêne, y'a pas d'kérosène.

JUSTIN (secouant la tête, tristement)
Arrête, j'trouve pas ça drôle !
Tu parles d'une misère !

ROBERT
He should have asked our nagi.
Looks like he's in the mood for some merciful killing this morning...

DAWA (fort, ricanant)
He crazy guy !
(portant son doigt à sa tempe)
He "aloudimak" !

Zoom sur le regard de Justin sur Dawa. Un regard qui ne sait même plus s'il doit s'indigner, douloureux, lourd d'incompréhension devant tant d'indifférence et de misère humaine. En background on entend, dans la cour, les beuglements d'agonie du buffle.

124 - INTÉRIEUR - NUIT - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Justin et Michel sont en train de faire une partie de backgammon, assis en tailleur sur les planches. L'ampoule nue luit au plafond. La plupart des prisonniers sont déjà couchés, Dawa parle avec le yéti, Robert bouquine, Eddie regarde le jeu. On entend soudain le gros rire de Ralph qui entre et s'avance dans le dortoir, en compagnie de Simon.

SIMON
So you believe me now !?

RALPH
Yeah man ! Whatever ! Fuckin' unbelievable but true !

Tout le monde lève la tête dans leur direction.

ROBERT (à Ralph, par dessus son livre)
What has he done again ?

Simon a les yeux qui brillent et un petit sourire en coin. Il jubile manifestement, mais ça ne lui ôte pas son regard inquiet pour autant. On dirait toujours qu'il est sur le point d'être grondé.

RALPH
I couldn't believe it myself, you know, Simon! But it's true, I just saw Number One and he walks with crutches now !

EDDIE (souriant de satisfaction)
No kidding !? Great !

ROBERT
What happened to him ?

RALPH
Simon says he's been wanking in the toilets and he came all over the floor and then when he went out, he saw Number One walking in the same toilet. Next thing you know, Number One slipped in Simon's cum ! Ha ha ha !
He injured his ankle real bad! He's even got a deep cut... ha ha ha ! And Simon offered to sew him himself !

SIMON (hilare)
Yeah ! I told him I had my first aid diploma !

MICHEL
So, did you do it ?

ROBERT
Get to your beds, the nagis are coming !

SIMON (se dirigeant vers son matelas)
Nah ! He said he'll go to the hospital later. Too bad !

Justin et Michel cachent leur jeu sous une couette sans déranger les pions. Tout le monde se met à l'horizontale. Personne ne dit un mot, attendant de voir si Number One viendra.

Effectivement, c'est lui qui ouvre la marche à trois ou quatre nagis. Il marche avec des béquilles, sa cheville gauche est bandée. Il n'a pas l'air de très bonne humeur et n'accorde pas le moindre regard au groupe de Blancs.
Les conversations reprennent entre les prisonniers dès que le groupe de nagis est passé.

DAWA (riant, à Robert)
Hey ! My friend also very bad ! Look !

Robert se dresse sur un coude pour regarder le yéti. Celui-ci a la joue complètement gonflée, probablement un abcès dentaire.

Près de lui, Justin et Michel ont repris leur partie

ROBERT (faisant la grimace)
Shit ! Looks really bad ! He should go to the hospital !

DAWA
He no want ! He no money to go hospital.

ROBERT
No problem ! How much is it ?

DAWA
Thank you, brother !

JUSTIN (à Dawa)
Must be very painful, hold on...

Justin fouille sous son oreiller, trouve une boîte en fer qu'il ouvre. Il donne un valium à Dawa.

JUSTIN
Tell him to swallow it.

DAWA
Thank you, brother !

Dawa donne le comprimé au yéti et lui explique ce qu'il doit en faire quand soudain le nagi teigneux entre en trombe dans le dortoir, tenant un petit prisonnier népalais par le col. Le prisonnier est très jeune, seize ans tout au plus. Il pousse des cris stridents. Tout le monde, dans le dortoir, s'est arrêté pour regarder ce qui se passe.

Le nagi teigneux jette un ordre en népalais, ce qui a pour effet de faire taire les hurlements de cochon du jeune type. Un autre ordre et le type s'adosse au mur. Le nagi teigneux lui plaque les épaules contre le mur et d'un mouvement soudain, lui enfonce son poing dans le ventre. L'autre plie en deux. Le nagi le redresse violemment pour lui recoller les épaules au mur. Le jeune essaie de retrouver son souffle en geignant et en se tenant l'estomac. Le nagi teigneux recule d'un pas et donne un ordre. Le gamin laisse son estomac et recolle les épaules au mur. Un autre ordre. Le gamin plie les genoux. Le nagi teigneux lui rebalance un coup de poing dans le ventre. L'autre s'affale. Le nagi le redresse par les épaules en criant de sa voix teigneuse. L'autre parvient tant bien que mal à rester adossé au mur. Un ordre. Il écarte les bras. Un autre ordre, il se redresse encore un peu. Le nagi le rallonge illico d'un autre coup de poing dans le ventre. L'autre se recroqueville par terre. Le nagi l'empoigne par les cheveux, ce qui a pour effet de faire repartir les cris de cochon. Le nagi remet le gamin en position contre le mur. Il fait quelques pas en arrière, recule son poing, prêt à recommencer. Dans le dortoir, on n'entend pas un souffle, personne ne bronche.

Soudain, comme propulsé par un ressort, Justin fait un bond hors du lit, en deux pas il est sur le nagi teigneux qu'il empoigne par la gorge.

JUSTIN (hurlant)
You stop that !
Fuckin' stop it !

Le nagi teigneux a été surpris par la rapidité de Justin. Il trébuche sur le côté, Justin le tient toujours par la gorge mais ça n'a pas l'air de le déranger le moins du monde, vu le cou de taureau dont il est muni. Avec un regard étonné, plutôt plein d'incompréhension, il relève son poing pour en asséner un bon coup dans la gueule de Justin, qui blêmit mais ne bouge pas.

À ce moment, un ordre en népalais retentit. C'est le parenticide, il est derrière Michel. Le nagi teigneux regarde dans sa direction, regarde Justin et baisse le poing. Il marmonne un truc et s'en va. Le gamin retombe sur le sol en geignant et en se tenant le ventre. Déjà deux autres jeunes Népalais s'occupent de lui, le redressent et le soutiennent vers son lit. Justin retourne vers le groupe de Blancs et regrimpe sur son lit pour continuer la partie de backgammon avec Michel. Il a l'air assez satisfait.

MICHEL (secouant la tête)
T'es complètement malade.

JUSTIN (surpris)
Ben quoi, il a arrêté non ?

SIMON
Are you fuckin' crazy man ? He could have killed you !

JUSTIN (un peu impatiemment)
Never mind ! It is my face, not yours !

LE PARENTICIDE (sourire paternel, froncement de sourcils, secouant sa main ouverte devant lui en signe d'interdit)
You crazy ! No good ! No good !

JUSTIN (avec un sourire d'excuse, écartant les paumes en signe d'impuissance)
Ok, ok !

Le parenticide va pour disparaître.

JUSTIN
Hey ! (pause) …euh... thank you !

Greg arrive près d'eux en robe de chambre thaïlandaise en soie verte.

GREG
Is everything ok here ?

ROBERT
Yeah, except for that poor chap. I dunno what he did but that nagi really got him bad.

GREG
I know, they told me he's the jail's whore. He's been warned. They call him "10 rupees".

MICHEL (à Justin, en riant)
Tu vois ! T'as protégé l'pédé d'service ! Y'a d'quoi être fier.

JUSTIN (vexé)
Pédé ou pas, c'est pas des façons d'traiter les gens !

MICHEL (désignant le jeu de backgammon)
Joue à ça au lieu d'jouer au héros !

EDDIE (avec un petit air triste)
Just take a valium too, man, it's not too good to live dangerously here !


125 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - BUREAU DU DIRECTEUR DE LA PRISON.
Le directeur de la prison est installé derrière son bureau. Il a le sourire aux lèvres, il semble d'humeur joviale. Debout devant lui, se trouvent Antoine et Geneviève, assez sombres. Sur le bureau, on aperçoit un gâteau d'anniversaire, une bouteille de coke, des assiettes en carton, des couverts et des gobelets en plastique. Antoine est en train de montrer au directeur une robe qu'il a sortie d'un carton. Près du carton et du papier d'emballage, il y a un autre paquet ouvert dans lequel on aperçoit un livre de cuisine. On remarque également une enveloppe contenant des billets en roupies. Sur l'enveloppe est écrit en français : "Pour Sinwah, bon anniversaire !".

ANTOINE (au directeur)
It doesn't look like it's going to happen...

Il se détourne à ce moment, entendant des bruits de pas près de la porte d'entrée. En effet, Justin entre dans la salle, accompagné d'un garde. Il est menotté. Antoine et Geneviève se composent aussitôt un visage souriant. Le directeur donne un ordre en népalais au garde qui ouvre les menottes. Le directeur fait signe à Justin de s'asseoir sur un banc près du mur. Il donne un autre ordre en népalais et le garde va se poster dehors, à l'entrée de la pièce.

LE DIRECTEUR (criant vers l'autre pièce dont la porte est ouverte)
Pima ! You can come now !

La gardienne passe la porte, poussant Sinwah devant elle. Sinwah n'a pas de menottes. Elle dit "hello" au directeur d'un air respectueux, puis encore "hello" à Antoine et Geneviève sur un ton plus enjoué. Le directeur lui fait signe de s'asseoir près de Justin qui la regarde, un grand sourire sur les lèvres. Pendant ce temps, Geneviève coupe le gâteau, le sert et verse des boissons qu'elle distribue. Le directeur sera toujours servi en premier, puis Sinwah.

JUSTIN (alors que Sinwah s'asseoit à côté de lui)
Happy Birthday, mon amour !

Sinwah a un sourire un peu triste et lève la tête vers Antoine.

SINWAH
So you manage to make a birthday party !

ANTOINE
Yes ! (montrant le directeur) This gentleman has been nice enough to allow us to share a cake together.
A very kind gesture of him !

Le directeur reçoit sa part de gâteau des mains de Geneviève. Il lui fait un sourire de remerciement.

SINWAH (inclinant un peu la tête en direction du directeur)
Thank you !

Le directeur répond d'un hochement de tête assez sec, sans sourire ou dire un mot. Sinwah prend son assiette des mains de Geneviève en lui souriant.

SINWAH
Thank you very much !

ANTOINE
(lui tendant le livre de cuisine)
I hope you like it. Sorry, we had to unwrap it for inspection...
Happy birthday, Sinwah !

GENEVIÈVE
Happy birthday !
(montrant l'enveloppe sur le bureau)
I've prepared an envelope for you, they will give it to you later.

SINWAH (un peu embarrassée)
Thank you ! Merci ! You really didn't have to !
(regardant la couverture du livre)
I love it ! That's exactly what I wanted !
(se tournant vers Justin avec un grand sourire)
You'll see ! I will improve my cooking with this !

JUSTIN (grand sourire)
I have something for you too !
Actually, Antoine is the one to thank for it.

ANTOINE
Well, I just hope it suits you.

Antoine fait un clin d'oeil à Justin et va chercher la robe puis se place debout, entre le directeur et le banc où sont assis les deux amoureux. Il déplie la robe devant lui, ce qui fait plus ou moins paravent. Geneviève propose une autre part de gâteau au directeur, attirant son attention dans l'autre direction. Justin, qui est prêt, se penche alors vers Sinwah et l'embrasse dans le cou puis sur les lèvres. Sinwah, qui vient de comprendre le stratagème, fermant les yeux, se laisse fondre par le baiser pendant quelques secondes. C'est elle qui doit repousser Justin avant que le directeur ne réagisse.

SINWAH (à voix basse)
Be careful !

JUSTIN (à voix basse)
Je t'aime !

SINWAH (avec un sourire amoureux)
Moi aussi !

JUSTIN (à voix haute)
Do you like the design ?

SINWAH
I love it ! It's really beautiful !
You two are crazy !
I won't wear it while I'm in jail but I will wear it for you two to see.

ANTOINE (replaçant la robe dans le paquet après l'avoir repliée)
I wasn't too sure of the measurements, maybe I'll need to retouch it a little. Just tell me.

LE DIRECTEUR (se levant et s'adressant à tous)
Well, I am sorry but it is time to go back inside now.

GENEVIÈVE (empressée)
Yes, of course ! Thank you very much for your time ! This was very kind of you.

LE DIRECTEUR (avec un sourire poli)
Thank you for this excellent cake !
(appelant les gardes)
Pima, Durga ! It is time !

Les gardes entrent dans la pièce. Pima prend Sinwah par le coude. Sinwah se tourne encore vers Antoine et Geneviève.

SINWAH
Thank you very much for everything. You're like angels to me !

ANTOINE
We love you ! See you soon !

GENEVIÈVE
Take good care of yourself, ok !?

Sinwah quitte la pièce avec Pima la gardienne. Au moment où elle sort, elle jette un regard vers Justin, auquel Durga remet les menottes. Justin lui jette un dernier bisou.

ANTOINE (à Justin)
Je viendrai vous rendre visite demain de toute façon.
Je crois que Geneviève t'a apporté du courrier.

GENEVIÈVE (gênée)
Écoutez, je préfère vous le dire tout de suite, ce ne sont pas de bonnes nouvelles mais ne vous désespérez pas, je suis là, je m'occupe de vous...

JUSTIN (inquiet)
Oh là là ! Qu'est-ce qui se passe encore !

GENEVIÈVE
Le directeur m'a promis que vous auriez votre courrier avant ce soir.

JUSTIN (angoissé)
Bon.


126 - INTÉRIEUR - FIN D'APRÈS-MIDI - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR A.
Justin est assis sur son lit, adossé au mur, les genoux complètement remontés sur sa poitrine. Il tient une lettre à la main. Michel est assis en tailleur près de lui.

JUSTIN (voix sourde)
Ben si, j'te jure, y'a plus d'espoir. Tiens, écoute ça !
(lisant)
"Tu croyais sans doute pouvoir nous rouler dans la farine at vitam aeternam ( ?), mais nous sommes au courant de tes actions, celle-ci et les précédentes, et les ayant découvertes, nous ne pouvons qu'en conclure que tu te trouves à présent à l'endroit précis où tu dois être. Ne compte pas sur nous pour t'épargner un sort que tu as amplement mérité car ce ne serait pas te rendre service, bien au contraire !"

MICHEL
Mais j'comprends pas ! Qu'est-ce que tu leur as écrit ? L'autre jour, ils disaient qu'ils allaient t'aider à sortir ?

JUSTIN (écrasé de déprime)
J'en sais rien. J'ai rien écrit de spécial à part pour les remercier de bien vouloir m'aider. J'comprends pas c'qui a pu s'passer.
……
C'est vraiment pas des trucs à faire à un mec en taule, ça ! J'te dis pas les boules !...
Putain, j'préférerais qu'ils m'aient dit ça tout d'suite ! C'était pas la peine de me faire espérer !
……
Quelle merde ! Mais quelle merde !
Comment j'vais annoncer ça à Sinwah, maintenant !

127 - INTÉRIEUR - MATIN - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL.
Sinwah est assise sur son banc, comme d'habitude. Elle porte la robe qu'Antoine lui a faite, elle a dénoué ses cheveux. Elle tient, déroulée devant elle, une grande tankha (peinture népalo/tibétaine) représentant Bouddha.

SINWAH
It took me about three weeks to finish. Do you like it ?

Justin est assis en face d'elle, il a rasé ses cheveux, il a l'air hagard.

JUSTIN (morne, essayant d'être enthousiaste mais n'y parvenant pas)
Yeah, it's really great ! Too bad we cannot keep it.

SINWAH
Never mind, I'll do another one even better.

La tête du Nagi posté derrière la porte apparaît brièvement pour répondre à un autre, de garde à la grille. Il se retourne pour gueuler.

LE NAGI
Michel !

JUSTIN
Do you really think the Queen will even get it ?

SINWAH
I hope so ! I wrote the letter already. Antoine will bring both to the palace tomorrow.

JUSTIN
When will we know if the Queen pardons you ?

SINWAH
I'm not sure but her birthday is day after tomorrow.

JUSTIN
Is Antoine going to give it to her personally?

SINWAH
I don't think so. He has to give it to a secretary first.

JUSTIN
The Queen will probably never get it, then.

SINWAH
C'mon Justin, don't give up !

JUSTIN (ricanant)
There isn't much to give up, is there !?

SINWAH
At the airport, you said we must take all the chances, so I did this painting.
Do you still want to marry me ?

JUSTIN (pâle sourire)
Yeah ! I really want that. Now… if possible.

SINWAH
Do you still want to have a kid with me ?

JUSTIN
Yes, I want to have a daughter.

SINWAH
I think I will call her Siwan.
Did you think of a French name ?

JUSTIN
I always liked Hélène...

SINWAH
So you see we cannot give up even if your parents didn't help you.

MICHEL (allant au portail, en passant)
Hello, Sinwah !

SINWAH (à Michel)
Hi ! How are you ?

MICHEL (souriant, continuant son chemin)
Do you like his new hair style ?

SINWAH (regardant Justin d'un air triste)
Makes you look thinner. Skinnier.

JUSTIN (sourire triste)
I know, it looks ugly...
You still want kid with somebody so ugly like me ?

SINWAH
It's not ugly, just strange.
Anyway, we cannot have our daughter now.
(avec un haussement d'épaules)
I don't have periods anymore.

JUSTIN (inquiet, plus présent)
How come ? Do you have belly pain ?

SINWAH
No, I don't know. They say it's normal.

JUSTIN (alarmé)
Fuckin' hell ! We really have to get out of here quickly !

SINWAH
No, don't worry ! It's normal. No pain, no nothing.
Actually, it saves me the trouble of having to find tampons from outside !

JUSTIN (secouant la tête)
Oh no ! It's not normal !
I hate this place and what it does to us !
I don't think anyone would care if we died in here.

SINWAH
I would, so don't !
I need you healthy and strong.

Justin lève les yeux pour voir Michel revenir du portail.

JUSTIN (surpris)
What's up, man ! You look real happy !

MICHEL (repassant, immense sourire de satisfaction)
I can't believe it, man ! It's my brother ! Il vient de revenir et il a l'argent de ma caution !

JUSTIN (choqué)
What !?

NAGI (à Michel)
You ! Get out !

MICHEL (passant narquois devant le nagi)
I am getting out ! I am !

SINWAH (regardant Justin avec surprise)
What's going on ? Why is he so happy ?

JUSTIN (voix blanche)
He's free. His brother is here with the money.

SINWAH (pause)
Why are you so mad ?

JUSTIN (indigné)
We're here because of him and he's going out...?

SINWAH
C'mon ! We're not here just because of him.
Anyway, who gives a shit !? It's his story, not ours !

JUSTIN (retrouvant un peu son sourire, amoureux)
Yeah, you're right, I still have you. That's the most important for me.

SINWAH (même regard amoureux)
For me too.


128 - EXTÉRIEUR - MATIN - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.
Justin se trouve derrière les toilettes. Ses cheveux n'ont pas repoussé mais assez pour retenir, comme une bande velcro, les brins de coton probablement échappés de son oreiller. Il est accroupi à côté d'Eddie et tous deux se tiennent devant leur réchaud à kérosène, sur lequel se trouve leur casserole remplie de lait.

EDDIE
Just let it boil until about half the milk has evaporated, depends how thick you want the yogurt to be.

JUSTIN
And then ?

EDDIE
Just pour it in a large earthen plate, add a spoon of yogurt and cover it with a dark plastic sheet or a plate and leave it in the sun for the whole day.

MICHEL (portant son sac de voyage)
Hey guys ! I'm off to Thailand !

JUSTIN (se redressant)
Salut !

MICHEL
Je te dis pas "à bientôt", hein, j'ai pas trop l'intention d'repasser par ici...

JUSTIN (souriant)
J'imagine.
(ils se serrent la main)
Salue bien tout l'monde de ma part, surtout si tu vas à Bangkok.

MICHEL
T'as besoin de rien ? Tu veux pas que j't'envoie quelque chose ?

JUSTIN
Une 'tite carte ensoleillée, ça ira.

MICHEL
Allez, j'y vais. Embrasse Sinwah pour moi.
Bye bye, Eddie !

EDDIE
Take care, mate !

Justin regarde Michel qui s'en va vers la cour pour dire au revoir à Michael l'Américain. Au moment où Justin repose son regard sur sa casserole, le lait se met à déborder. Il fait un faux mouvement pour enlever la casserole du feu et le lait se répand sur le sol. Il pique un coup de rage et va pour balancer un bon coup de pied à la casserole. Il rate. Il s'accroupit près de son réchaud, l'éteint puis tourne lentement son visage vers Eddie qui l'observe, impassible.
Justin a les larmes aux yeux. Il ne dit rien.

EDDIE (après une bonne pause)
We can share mine if you want.

JUSTIN (voix sourde)
Thanks.
(pause)
Valium time !

EDDIE (regardant derrière Justin)
Look !

Un Népalais grand et mince, vêtu de l'habit traditionnel bleu pâle et du petit chapeau ridicule, est accroupi le long du mur. Il a collé son oreille au trou d'un tuyau qui ressort un peu du mur.

JUSTIN (doucement)
What is he doing ? Listening to the waves of his imagination ?
Who is he ? The prison's poet ?

EDDIE (versant son lait dans une assiette creuse en terre rouge)
Nah ! He's a fucker, a women trader.

JUSTIN
What !?

EDDIE
(versant une cuillerée de yaourt dans l'assiette)
Yeah, there're plenty of them here. They can marry as many girls they like so they hand around in villages in the mountains and they just buy them. Then all they need to do is go to Bombay and sell them as prostitutes.

JUSTIN
Yeah, Sinwah told me something like that the other day.
There's a girl in there who got pregnant by one of these traders so he dumped her.
She had no money, no way to go back home so she tried to have an abortion.
But then someone denounced her and she got arrested for murder !
Now she's in for life and she's only 18 ! Smuggling women is legal in Nepal and abortion isn't !

EDDIE
(posant l'assiette, couverte d'une autre en plastique, sur le toit des toilettes, au soleil)
No, it's not, and sometimes, when the cops catch one of these bastards, they beat him up real bad.
Apparently, they've been beating the hell out of this one coz he's plain mad now.
They had to carry him to see his parents at the gate the other day, he didn't want to go and then he tried to hide himself in the corner when I went to the shop.
Was sad !

JUSTIN
Sad country, yeah !

Juste alors qu'ils allaient quitter le fou des yeux, le tuyau se met à cracher un court jet d'eau, assez toutefois pour l’arroser d'eau savonneuse de la tête aux pieds. Tous les prisonniers présents éclatent de rire mais, après s'être brièvement ébroué, sans prêter attention aux quolibets qui l'entourent, le fou replace son oreille au tuyau.

128 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR.
Justin est assis en tailleur sur son matelas devant un jeu de backgammon. Il fait une partie avec Simon. Ralph et Eddie, assis sur le matelas droit, les observent. Robert est allongé sur le matelas de gauche. Dawa dort. Son voisin yéti est allongé aussi. Il geint. Sa joue est gonflée de manière impressionnante.

Une nouveauté. Au-dessus de chacun des trois matelas, il y a maintenant une moustiquaire bleue, pour l'heure relevée. Les cheveux de Justin ont repoussé. Sa barbe aussi. Il semble qu'il ne se rase plus.

SIMON
Is Greg going to play ?

RALPH
I don't think so. He ate the rest of the magic chocolate cake Jessie got us and I think he just crashed.

SIMON (lançant les dés)
Shit ! He could have shared some !

ROBERT
Yeah, like you saved some of yours ! You crashed for the whole fuckin' day !

SIMON (avançant ses pions)
Yeah, so did Justin !

JUSTIN (riant, en prenant les dés)
I was taken by surprise ! Never ate something that strong before !

Un inconnu, caucasien, s'approche dans l'allée. Simon lui jette un coup d'oeil rapide. Le type s'avance vers lui.

L'INCONNU (s'adressant à Simon, montrant le paquet de cigarettes posé près de lui)
Hi ! Can you spare a cigarette ?

SIMON (sans se retourner)
Go beg someone else.

L'INCONNU (surpris)
Sorry ?

RALPH
I think he said "Fuck off".

ROBERT (se redressant sur son lit, tendant un paquet de cigarettes à l'inconnu)
There you go, mate.

Le type prend sa cigarette, l'allume avec la boîte d'allumettes que lui tend Robert et s'en va.

SIMON (à Robert)
What the fuck did you have to give him ? I can't stand these dope smugglers !
They've only got a few rupees to pay to get out and they have to beg for a smoke !
Fuck them ! He won't call you at the gate to give it back to you, that's for sure !

Il s'allume une cigarette et tend son paquet à Justin qui en prend une, tout en jouant.

ROBERT
Fuck off, I treat people the way I want. In your case, that'll be badly.
Mind your own game !

JUSTIN (souriant, allumant sa cigarette)
Too late ! You're done, mate, I won !

SIMON (indigné, allumant sa cigarette à l'allumette de Justin)
Fuckin' hell ! How come you always win !

JUSTIN (riant)
Well, gotta make a living somehow !

EDDIE
Ok then, let's change game.
(il tire de sa poche un billet de 50$ US )
I've got a 50 US dollars note here.
Wrap it on your hand and if you can burn a hole in it with your cigarette, it's yours.


RALPH (tendant la main vers Eddie)
Yeah, I'll do it !

Avant qu'il ait pu prendre le billet, Justin s'en empare d'un geste prompt. Il l'étale bien sur le dos de sa main droite et s'adresse à Simon.

JUSTIN
Hold it for me, will you ?

Simon ricane et tient le billet par les deux bords. Justin tire sur sa cigarette pour la faire chauffer et pose le bout incandescent sur sa main. Il ne bronche pas.

ROBERT (écoeuré)
This is sick, man !

RALPH (enthousiate)
Go man ! Go !

EDDIE (gêné)
It can't work, man ! It's just a stupid joke I saw in a bar.

JUSTIN (à Eddie, calmement)
Yeah, I know.

SIMON (surpris)
What do you mean ?

JUSTIN (calmement)
The sweat prevents the paper from burning.

EDDIE (paniquant un peu)
Look ! Stop it ! It won't work !

RALPH
Fuckin' hell ! Doesn't it hurt ?

JUSTIN (continuant)
Between two pains I choose this one.

SIMON (impressionné mais tenant toujours le billet tendu sur la peau)
Jesus ! Stop it ! It’s beginning to stink !
What the fuck do you mean ?

JUSTIN
Nothing, man, nothing.

RALPH (grosse voix)
You're so fucked up, man ! Stop it !

EDDIE (tirant le bras de Justin d'un coup brusque pour ôter la cigarette du billet)
You're crazy ! Give me back my note ! Time's up !

SIMON (cessant de tenir le billet mais le laissant sur la main de Justin)
Yeah man, stop it, you lost !

JUSTIN (soudain éteint, lance un regard mort à Eddie)
Time's up ?

EDDIE (d'un ton calme)
Yeah. Enough.
(pause)
Gimme back my money.

Justin lui rend son billet de 50 dollars. Il ne regarde même pas sa blessure.

ROBERT
What are they doing to us !?

EDDIE (à Justin)
Show me your hand.

Justin lui montre sa main. La brûlure n'est pas belle à voir mais elle n'est pas très large. Simon et Ralph s'en vont. Robert se rallonge.

JUSTIN (ricanant pour lui même)
Looks like I've been nailed to the cross !

EDDIE
I've got some cream for burns. You better take care of it.
(bas, sur le ton de la confidence)
Why did you do that ? You knew very well you couldn't burn the banknote ! So why ?

JUSTIN (le regarde un moment, le regard sombre, puis doucement)
The Queen didn't even say thank you for the tankha and
Sinwah doesn't have her periods anymore.
I just wanna beat the hell out of the one responsible for this. And that's me.

EDDIE (lui tendant un tube de pommade)
So !?
That's not gonna help her !

JUSTIN (soupir désespéré, baissant les yeux)
I know.
(relevant les yeux)
It's crazy but I feel better now.

EDDIE
I think I'm gonna start painting.
Maybe you should try too when your hand gets better ?

129 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - BUREAU DU DIRECTEUR.

Comme d'habitude, le directeur de la prison trône derrière son bureau avec les portraits du roi et de la reine pendus au mur dans son dos. Justin, la main bandée, et Sinwah sont assis côte à côte sur un banc contre le mur, ils sont menottés mais ils se tiennent la main. Des gardes sont postés à la porte. Devant le bureau du directeur, Geneviève est assise à côté de l'avocat, un petit homme chauve, au nez de hibou et portant des lunettes. Il fait assez pauvre et lamentable mais n'inspire pas confiance pour autant. Il a une tête et un regard d'usurier.

GENEVIÈVE (à Justin)
On vous a fait venir tous les deux puisque vous avez le même avocat, Maître Thapaliya et que vos deux cas sont similaires.
(à Sinwah)
You have already met M. Thapaliya ?

SINWAH (avec un petit sourire)
Yes, I saw him once... quite a long time ago...

GENEVIÈVE (répondant au petit sourire)
Yes... Things take a rather long time...
M. Thapaliya has some news for both of you.

THAPALIYA
Yes, I have been many times to the airport so as to get a copy of your statements.
Unfortunately I have so far been unable to get them.

JUSTIN
How come ?

THAPALIYA
They say they have lost it but I have many doubts about these affirmations.
However there is a law in Nepal that says that if no statement is provided within a period of one year posterior to the arrest, then the suspect should be released.
You have already been here for...?

JUSTIN (levant les yeux au ciel)
Seven months... shouldn't you know that ?

THAPALIYA (avec un mince sourire)
However I'm convinced that the statements will be provided before one year has expired.
(pause)
The chief of custom doesn't seem to like you very much.

SINWAH
I see... I guess that's why our statements are missing.
Anyway, there's no trial right ?

THAPALIYA
Usually, the penalty for gold smuggling is one year imprisonment + the fine.

JUSTIN
Yeah yeah, we know that, and if you don't pay the fine, you stay in jail forever, right ?
You may call that justice but in the civilized world it's called ransom.

GENEVIÈVE
I totally agree with you. However there might be some light at the end of the tunnel.
The different consulates have decided to act together to press the prefect to act as a trial.
A delegation went to see him and he has promised to see and hear each of you.
I think this is good news.

JUSTIN (incrédule)
The prefect of Katmandu is going to act as a judge ? Will there be a jury ?

GENEVIÈVE (se raclant la gorge)
It isn't exactly a trial in the western sense... er... more in the Nepali sense.

SINWAH
(sentant Justin sur le point de réorganiser le système juridique népalais)
When will he see us ?

THAPALIYA
As soon as I can get the statements from the customs.
(se tournant vers Geneviève)
By the way, the advance you gave me has run short...

GENEVIÈVE (lui coupant la parole sèchement)
You will not have a rupee more until you obtain these statements.
I suggest you get to work because, so far, the money you got from us has brought no result at all.
(à Justin et Sinwah)
Anyway, rest assured that I will go to the airport myself to get these files.
And I won't leave until I get some explanation !

130 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - GRILLES.
Antoine rend visite à Justin. Habillé en baba cool, Antoine se tient derrière la grille. Dehors, le soleil est éclatant.

ANTOINE (passant un sac de provisions au garde à sa gauche)
Comment va ta main ?

Le garde sort une à une les provisions qu'il pose sur une petite table près de lui. Du pain, du fromage, des sachets de nouilles instantanées, de la confiture, du beurre de cacahuètes et un pot de Marmite.

JUSTIN (montrant sa main droite bandée, en souriant)
J'sais pas. J'ai pas encore regardé aujourd'hui.

ANTOINE
Ben voyons ! C'est malin hein ? T'es content de toi ?
J'te signale que tu fais complètement flipper Sinwah et qu'elle n'a pas tellement besoin d'ça.

JUSTIN (baissant les yeux)
Je sais, j'voulais pas lui montrer mais elle s'en est rendue compte évidemment.

Le garde vérifie la nourriture en coupant le pain et le fromage et en vérifiant que les sacs de nouilles sont hermétiquement fermés. Il ouvre et renifle les pots de confiture, de beurre de cacahouète et de Marmite. Puis il rebouche les pots.

ANTOINE
Ecoute, si vraiment tu peux pas t'y faire, tu veux qu'on essaie de te faire évader ?

JUSTIN (surpris)
Comment veux-tu que j'm'évade ? Sortir d'ici, encore, c'est pas trop compliqué mais comment s'barrer du pays sans papiers ? Y'a 14 barrages de police entre ici et l'Inde et j'vais pas traverser les montagnes pour rejoindre le Tibet.

ANTOINE (en lissant son long foulard mauve)
J'sais pas, j'disais ça comme ça, j'peux garer une moto dehors, essayer de te trouver des faux papiers. J'sais pas.

Le garde remet les victuailles dans le sac en plastique.
JUSTIN
(regardant Antoine droit dans les yeux)
T'es vraiment une perle ! C'est rare de rencontrer des gens comme toi !
Bon, écoute, si j'm'évade, qu'est-ce qu'ils vont lui faire à Sinwah ? Tu peux m'le dire ?
Alors voilà, je reste.
A moins que tu n'aies une idée pour qu'on s'évade tous les deux ?

ANTOINE
Ben pas trop non.
C'est c'que j'disais à Sinwah, j'me doutais bien qu'tu voudrais pas la laisser toute seule...

Le garde donne le sac en plastique à Justin

JUSTIN (au garde)
Danébatte
S-T: Merci

ANTOINE (rapidement)
T'auras qu'à enlever la sauce du dessus et tu pourras fumer le reste du pot...
Essaie d'en faire passer un peu à Sinwah si tu peux.

JUSTIN (s'efforçant de rester calme)
Oh putain ! Merci Antoine !

ANTOINE
Mais arrête de faire des conneries ok ? Tu m'promets ?

JUSTIN (gaiement)
Promis ! T'es vraiment cool !

131 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.

Justin est assis sur une natte, au fond de la cour, sous les fenêtres de Carlos, torse-nu au soleil, à côté de Michael. Des verres de tchai vides trainent à leurs côtés.

MICHAEL (écrasé de soleil)
Where's Eddie ? Haven't seen him all day !

JUSTIN (même ton)
He's workin' on his painting... in the shadow.

MICHAEL
We need a pool in here.

CARLOS (dont la tête rasée apparait à la fenêtre)
Start diggin' Man !

MICHAEL
Hey you're the sport freak here, you get to work !

CARLOS (à Justin)
How's your hand Man ?

JUSTIN (levant la tête dans sa direction)
Fine Man, no problem.

CARLOS (sans rire)
If you need accupuncture, let me know ok ? It can help.

JUSTIN (riant)
Yeah su...

Une gigantesque explosion lui coupe la parole. D'un mouvement commun, tous les prisonniers se tournent dans la même direction: la prison des femmes. Du coin du bâtiment, on voit une épaisse fumée noire monter vers le ciel. Après un bref silence, c'est le brouhaha dans la cour de la prison. Des nagis, des prisonniers sortent en courant de leur bâtiment attirés par le bruit.
Justin et Michael se sont redressés, Carlos a sauté dans la cour par la fenêtre. Number Two s'avance vers le fond de la cour pour mieux essayer de voir et Justin le rejoint.

JUSTIN
What's going on Man ?

NUMBER TWO
I think it's some of the students.
It's the pro-democraty movement extremists.
They had planned a big demonstration but it was forbidden and now the police got the result.

JUSTIN
But what exploded !? Sounded so close. Is the women jail ok ?

NUMBER TWO
Let me check.

Number Two retourne dans le bâtiment, suivi lentement d'un Justin inquiet qui a le geste machinal d'entortiller une mêche de cheveux qu'il n'a plus. Greg le rejoint.

GREG (souriant)
What did he say ?

JUSTIN (pas sûr)
Looks like some pro-democraty students got impatient...

GREG (tendant le doigt en l'air)
Listen ! You hear ?

Par dessus les murs, on entend une clameur de foule qui s'approche.

GREG (riant)
Sounds like a major demonstration Dude ! Hey, wouldn't it be cool if they came and opened the gates for us ?
(levant sa main à sa bouche en porte-voix et braillant par dessus le bâtiment)
We're with you brothers ! Come this way ! Free us from tyranny ! Yeah ! Long live democracy !
(il rit, puis s'éloigne en disant)
I guess they won't...

JUSTIN
(faisant les quelques pas qui le sépare de l'escalier où Number Two vient de réapparaitre.)
What's the news ? Is Sinwah alright ?

NUMBER TWO
Yes. She's ok. Some paint fell off the wall near her bed, that's all. Just noise, no harm.

JUSTIN (soulagé)
Wow ! Thank you my friend, what a relief !

NUMBER TWO
(l'air inquiet, regardant la ville par dessus les murs)
I'm afraid you guys will have to make space for new guests soon.

JUSTIN (attentif)
What do you mean ?

NUMBER TWO (avec un mouvement d'humeur)
The students are demonstrating eventhough the police has forbidden it.
What do you think will happen ?

Au même instant, une clameur encore plus forte que la précédente submerge les murailles de la prison. Number Two jette un nouveau regard inquiet dans la direction de la prison des femmes.

NUMBER TWO (à Justin)
Here we go ! Excuse me... I better call a doctor or two in here right now...

Il retourne en hâte dans le bâtiment des nagis.

132 - EXTÉRIEUR - FIN DE JOURNÉE - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.
Eddie, Simon, Ralph, Greg, Robert et Justin sont groupés près de l'escalier de leur dortoir. Ils regardent la cour, médusés. Justin et Eddie sont assis sur les marches, Simon s'appuie les fesses sur la rampe, Ralph est accroupi à ses pieds. Greg et Robert sont debouts.
C'est la foule dans la cour de la prison, des prisonniers partout, jeunes pour la plupart. Certains ont la tête bandée, le bras en écharpe, des pansements sur le visage, bref, pas mal de blessés. Des nattes ont été déroulées le long des murs des bâtiments et de nombreux blessés y gisent. De temps en temps un nouveau blessé ressort du bâtiment des nagis, certains sont soutenus par deux autres étudiants qui l'emmène vers une natte à peu près libre. On dirait une armée en déroute.
De temps en temps des étudiants s'approchent du groupe de blancs qui leur distribue des valiums.

ROBERT (à Greg, alors qu'il vient de donner un valium à un type complètement tuméfié)
Fuck Mate ! They really did a good job at crushing them to pieces haven't they !?
And now we've got to deal with them bunch !
Like we needed that !

GREG (à Robert)
Apparently they're all on bail but most of them come from remote villages so there's gonna be some time 'til someone comes down here to pay them out.

ROBERT (s'esclaffant)
We had murderers, serial killers, rapists, thiefs and male prostitutes, women traders and pimps and now we've got terrorists as well.

EDDIE
Actually we still miss the most dangerous kind...

SIMON
(à un étudiant au bras cassé, lui donnant trois valiums)
There you go Mate ! Have a good nap !
(à Eddie)
Oh yeah ? And who's that !?

EDDIE (avec un mince sourire)
The cops...

RALPH (acquiescant)
And custom officers !
I'd really like to have one of them in here...

Michael surgit soudain derrière Ralph, sortant de la masse des prisonniers qui tourne, compacte, sur le chemin de promenade.

MICHAEL (assez alarmé, s'adressant au groupe)
Carlos is totally insane. I think someone better come and try to put some sense into this asshole !

GREG
What is he up to ?

Justin quitte sa marche et suit un jeune népalais vers une natte où git un blessé. Il sort sa plaquette de valiums de sa poche.

MICHAEL
He says it's an old chinese medicine against burns !
He's boiling some water with ginger in it and he intends to pour it on a student.

GREG
But why ? What's wrong with the dude ?

MICHAEL
The police tortured him. They crushed his fingers with a hammer and his skin's badly burned.
I gave him some valium to calm him down a bit. He just crashed.

133 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR.

Le dortoir est quasi désert. Dehors, le soleil brille et tout le monde profite de la chaleur. Pourtant, Eddie, assis en tailleur sur son matelas est en train de peindre. Sa moustiquaire, sur laquelle il a posé d'autres peintures, est relevée. Devant lui, de l'autre côté de l'allée, il a déjà achevé une autre oeuvre, directement sur le mur. C'est une sorte de cascade jaune, éclaboussée de soleil, tombant dans une rivière jaunâtre elle aussi. Une sorte de langue de terre noire s'avance dans l'eau, au bout de laquelle une silhouette solitaire se tient debout. Juste à côté de cette peinture, devant sa couche, Justin a peint un yin et yang rouge et noir dans un rectangle blanc entouré d'or.

Justin est en train de lire Newsweek. Il baisse son journal pour regarder la peinture d'Eddie. Il s'agit d'un mur de la prison, l'ampoule nue brille et on aperçoit un coin de "lit" ainsi qu'un sac accroché à un clou. Justin reste un moment perdu dans ses pensées puis dit:

JUSTIN (fronçant les sourcils)
It's that student's bag in Michael's room, isn't it ?

EDDIE (jette un regard content à Justin)
Yup ! I'm glad you guessed.

Dawa, à droite derrière Justin, semble s'affairer. Il est tourné en direction du yéti auquel il semble parler doucement. Il le secoue aussi un peu par le bras.

JUSTIN
Anyone got any news of him ?

EDDIE (tout en continuant à peindre)
Nope ! Michael and me we spent the whole night next to him that day when Carlos wanted to boil him with his ginger...
We had to feed him valium everytime he would wake up because he was in such a pain.
But next morning, they came for him again, I just had time to give him the rest of my valium tablets but I'm not sure he understood what it was for.
He never came back anyway. I just wonder how long his bag will hang in there...

DAWA
(s'est retourné vers Justin et dit d'une voix basse et douce)
Brother !

JUSTIN
(qui n'a pas entendu l'appel de Dawa derrière lui, continue sa discussion avec Eddie)
Noone came to see him ?

DAWA (même ton)
Brother !

EDDIE (avec un soupir)
Not that I know...
I'm drawing this so as to never forget him.

DAWA (plus fort)
Brother

JUSTIN (se tournant vers lui)
What is it, Dawa ?

DAWA
Dawa very scared !
(montrant le yéti)
I think he dead !
(mimant le gémissement du yéti)
He no more hmm hmm !
He no more... (fait mine de respirer)

JUSTIN
What !? He doesn't breathe ?
(il se redresse et regarde le yéti. Il semble dormir, les yeux fermés)
(à Dawa) Oh fuck !
Man, are you sure !?

Eddie quitte sa peinture, il vient placer un doigt sous le nez du yéti. Il regarde Justin, l'air grave. Après une courte pause, il fait signe à Justin que non, le yéti ne respire plus. Silence entre les trois hommes. Dehors le chant sur-aigü de la musique indienne résonne de manière particulièrement obscène. Justin est pris d'un frisson qu'il camoufle en disant:

JUSTIN
I'm going to tell Number Two. He's got to do something about it.

EDDIE (qui semble figé sur place)
Right.

DAWA (tirant un moulin à prières et des rouleaux de prières tibétaines de son sac)
Thank you Brother. Me say prayers for him now.

Justin quitte la salle au son morne de la prière tibétaine "Ohm Onay Paymee Ohm !". Il se retourne vers Eddie avant de disparaitre au coin du couloir.

JUSTIN (trop fort)
That's another one who dies because of lack of freedom ! For nothing else !
Bullshit !

134 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
Justin est devant la couche de Number Two qu'il dérange en pleine lecture.

NUMBER TWO (avec l'air d'avoir assez d'ennuis comme ça)
Are you sure he's dead ?

JUSTIN (au delà de l'écoeurement)
Well, if he's not, you better hurry up because he's not breathing and I guess, that will surely kill him !

A ce moment, le haut-parleur de la radio cesse d'émettre les criailleries hindoues pour les remplacer par un larsen à peine plus aigu. Quelques clameurs se font aussi entendre.

NUMBER TWO (s'adressant en népalais à un autre nagi)
S-T: Va voir dans le dortoir A, y'a un mort il parait. Tu t'occupes de faire le ménage en vitesse.

Les clameurs à l'extérieur se sont amplifiées. Tout à coup, c'est le silence, le larsen vient de s'arrêter et la clameur se fait générale, comme pour l'acclamer. Soudain, parmi les cris, on entend la voix d'Eddie hurler deux "fuck off !" retentissants, ponctués d'un gargantuesque "You bastard !".

NUMBER TWO (excédé)
What's that now !

Justin et Number Two se tournent vers l'entrée du dortoir où entrent des nagis maintenant Eddie, hors de lui, à la lèvre tuméfiée, saignante. Ça fait un bruit d'enfer. Derrière eux, une masse de prisonniers essaient de voir ce qui se passe. D'autres nagis entrent en jeu pour les repousser dans la cour pendant que ceux qui s'occupent d'Eddie l'entrainent vers une cellule aménagée au fond du dortoir des nagis.

Au passage:

JUSTIN (un peu affolé)
What the fuck is happening ! Eddie !

EDDIE (se débattant)
I cannot stand this bunch of bastards anymore ! You fuckers ! Motherfuckers !

Les nagis l'enferment. Pendant ce temps, Number Two s'est enquis des évènements.

JUSTIN (à Number Two)
What happened ?

NUMBER TWO
He broke the radio. He threw bricks at it.

JUSTIN (suffoqué et indigné à la fois, augmentant le volume de sa voix progressivement)
But I know why he did it !
C'mon don't you understand !?
He's the one who found out the tibetin guy was dead !
And that music ! So loud ! It's disgusting !
The dead desserve some rest ! Don't you get it !?
He did the right thing ! Nobody cares in here ! Never ! But he did !
And you put him in jail again because of that !?
Come on ! Can't you understand ?
(franchement en colère, à voix très forte)
Let him out NOW because I am going to break something too if you don't and I'll get the others to brake something as well !
Don't forget we are no prisoners here ! We are hostages of this country that only wants to rip us off our money !
So don't push us too far because we could really easely make a total mess out of this fucking dump, believe me !
It's quite ENOUGH !

NUMBER TWO (doucement)
But it's not my fault. I know how my country treats you.

JUSTIN (le regarde surpris, il se radoucit)
Yeah, I know you're not like that. I'm not mad at you.
But you've got to let Eddie go. Now ! Before it gets him down for good.

NUMBER TWO
How !?

JUSTIN
Keep face ! Ask him if he's quiet now. If he says yes, just let him go.

NUMBER TWO
Ok, then you go back to your room, I'll take care of it.
But I hope he has learned his lesson...

JUSTIN (s'en allant en levant doctement le doigt en l'air)
Everyone should learn, my friend ! Everyone !

135 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - HALL.
Justin est assis sur son banc. Il attend. Sinwah, qui vient de faire ses courses au magasin, apparait et vient s'asseoir en face de lui.Elle porte un pansement sur le front.

SINWAH (souriante, en s'asseyant)
Bonjour mon mari !

JUSTIN (levant les sourcils)
What happened to you !? Are you hurt ?

SINWAH (évasive)
Nah, it's nothing ! Just a scratch.

JUSTIN (inquiet)
How did you get that ?

SINWAH (un peu génée)
I had a fight with one of the women ?

JUSTIN (surpris)
A fight ? Why ?

SINWAH
I don't know...
I was cooking some food and she came behind me and kicked me saying I had stolen some vegetables from her.

JUSTIN
So, what happened ?

SINWAH (amusée)
I smashed a frying pan in that bitch's face.
(regrettant)
I thought I broke her nose...
She was all bleeding...

JUSTIN (amusé)
Yeah ! Well done ! I wish I was there !
She deserved it, I guess.

SINWAH
Then we had a fight and the guard came and they pulled us apart.
(riant)
It reminded me of the old days at school...

JUSTIN (riant)
I definitely want to marry you.
You can be my bodyguard as well !

NUMBER TWO
(qui arrive du dortoir des nagis. A Justin)
You better tell your girlfriend to calm down !
This is no place to fight !
If she fights again, we will have to send her to Central Jail.
Then you cannot see each others anymore.

JUSTIN
Look. Don't you see everyone has had enough ?
Why should we respect anything in this country ? Can you tell me ?
She didn't start the fight and she didn't accept to become a victim.
That's the sort of attitude I respect.
(avec de la haine dans la voix)
We're not playing your fucking game no more.

Il se lève, va vers Sinwah et l'embrasse amoureusement sur les lèvres. Puis, alors qu'il retourne vers la cour de la prison, il s'arrête, lance un regard noir à Number Two.

JUSTIN
You know what ?
I saw, here, many times, that our ways are much better than yours...
It's your country so do as you like, but don't tell us how to behave.

136 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR.
Les moustiquaires de Justin et d'Eddie sont fermées. Des peintures d'Eddie sont posées sur les toits des moustiquaires, face vers le bas, pour qu'on puisse les admirer au lit. Eddie et Justin dorment. Il est encore tôt dans la matinée, ils ne sont pas les seuls. Soudain, le nagi parenticide, le crane rasé et le sourcil à la Genghis Khan, donne des ordres, d'une voix forte aux prisonniers présents. Les endormis se réveillent et tous se mettent à ranger leur couche. Le nagi s'approche de Justin et Eddie.

LE NAGI
Hey ! You ! Brother !

Pas de réaction.

LE NAGI (frappant de la main sur l'extrémité des planches de la couche d'Eddie)
Brother ! Wake up !

Il essaie avec Justin. Il frappe mais n'obtient aucune réaction.

ROBERT (baissant son livre, au nagi)
What ? What do you want ?

LE NAGI
Chief guard coming ! Wake up ! Everybody clean room !

ROBERT
Who's coming !?

LE NAGI
Big chief guard ! From outside ! Very very important !

ROBERT (avec une moue de dédain)
Fuuuck him !!!

LE NAGI (montrant Justin)
You wake up !

Robert soupire, passe la main sous la moustiquaire de Justin, le secoue mollement par le bras une ou deux fois, n'obtient qu'un grognement, retire sa main et dit:

ROBERT
You see ! He doesn't want to wake up.

LE NAGI (qu'on appelle, montre encore Justin)
You wake up him !

Il s'en va.

ROBERT
Yeah, yeah. Sure !

Il reprend sa lecture. Dawa, qui range ses affaires en accrochant tout à des clous plantés dans le mur, regarde un moment Robert.

DAWA
You no like cleaning ?

ROBERT (sans quitter son livre des yeux)
Fuck off !

DAWA (riant)
Ah ah ! Good, brother ! Good !

ROBERT (baissant son livre)
You don't say "good brother" when someone tells you to fuck off, you say "suck my dick !"

DAWA (hésitant)
Sick my duck.

ROBERT (s'exclamant)
Not "Sick my duck", suck my dick ! You Moron !

DAWA (appliqué)
Ah ! Suck my dick ! Suck my dick ! Yeah ! Good ! Thank you brother !
(continuant à ranger, récitant pour lui-même)
Fuckin' hell ! You bastard ! Suck my dick ! You moron ! Fuck off !
Hé hé hé ! Good !

NUMBER TWO (arrivant dans l'allée, apercevant les moustiquaires)
Hey ! Take the net up ! Hurry up !
(réalisant que tout l'monde dort)
Come on ! Wake up !
(Il soulève la moustiquaire d'Eddie et le secoue par le pied)
Hey ! Wake up !

Eddie se réveille, il regarde Number Two l'oeil vide.

NUMBER TWO
Wake up ! Put that net up ! There's an inspection ! Everything must be tidy.

EDDIE (sortant de son rêve)
Ok, ok !

Number Two continue son inspection. Eddie, après s'être sauvagement gratté la tête, pousse un soupir et s'affale à nouveau sur son oreiller, les yeux fermés. Il les réentrouvre bientôt et avançant un bras, il secoue Justin.

EDDIE
Hey Justin !

Justin ne bouge pas, n'ouvre pas les yeux mais après une courte pause, alors qu'Eddie va pour le secouer encore:

JUSTIN (d'une voix très endormie)
Hmmm... What ?

EDDIE (pratiquement même voix)
Inspection... Gotta put the net up.

JUSTIN
Can't they do it ? I sleep.

EDDIE
Yeah. Me too.

Il se redresse juste pour rabaisser le pan de sa moustiquaire que Number Two avait relevé et se rallonge.
Un brouhaha dans la partie avant du dortoir. Dawa, qui a terminé de ranger, s'asseoit à l'avant de sa couche. La plupart des prisonniers en font autant sauf les blancs qui restent allongés.
Le nagi parenticide réapparait en bout d'allée. Il donne un ordre et les prisonniers népalais se dressent, debout devant leur couche, quasiment au garde à vous.
Le nagi s'avance dans l'allée, s'assurant que tout est en ordre. Il s'aperçoit que les moustiquaires sont encore baissées et se précipite pour régler le problème. Justin et Eddie sont endormis ou en tout cas n'ont pas la moindre intention de donner signe de vie. Robert se décide à se mettre devant son lit, tout en continuant à lire. Simon et Ralph ont choisi de se mettre vraiment au garde à vous et l'on aperçoit le grand chef apparaitre en bout d'allée. Effectivement, il porte un uniforme impeccable, un képi superbe, des galons et surtout un air de supériorité et d'autorité tout à fait ridicule. Il fronce les sourcils, regarde de haut d'un air sévère, les mains croisées dans le dos, marchant lentement, à pas étudiés. Il est entouré de deux gardes, de Number One et Two et d'une meute de nagis.
Le nagi parenticide fait une dernière tentative pour tirer les deux zèbres du sommeil. Rien à faire. Justin se couvre même la tête de sa couette. Le nagi retourne rejoindre sa meute.
Le groupe de gardes se rapproche. Il arrive devant la couche de Simon. Là le grand manitou aperçoit les moustiquaires. Il décroise ses mains, on remarque qu'il tient une cravache. Il avance d'un pas et en donne un coup dans la moustiquaire d'Eddie, en demandant d'une voix forte derrière lui, où sont restés les autres, soudain silencieux.

LE MANITOU
S-T: Qu'est-ce que c'est que ce bazar non-réglementaire ?

Il se rend compte de la présence d'Eddie et de Justin dans les moustiquaires.

LE MANITOU
Hey you ! Get out !

SIMON
Eddie ! Wake up ! Mister Trouble's at the door !

LE MANITOU (à Simon, sèchement)
You ! Shut up !

Il s'avance vers la couche de Justin. Il soulève le pan de moustiquaire, se recule.

LE MANITOU (très autoritaire)
Get out !

Justin, qui ne dormait plus depuis un moment, se redresse d'un bond tellement soudain vers le bout de son lit que le manitou se croyant attaqué, fait un pas en arrière. Mais Justin ne fait que rabattre le pan de sa moustiquaire. Il se rallonge immédiatement dans la même position qu'avant. On entend Eddie qui ricane sur son oreiller. Un ange passe dans le dortoir.
Le manitou retourne près de son groupe, se retourne et hurle.

LE MANITOU (très en colère)
I am ordering you to get up !

Justin se redresse, s'asseoit calmement sur son lit.

JUSTIN (sur le même ton et au même volume)
And I am telling you to...

Eddie se redresse à son tour. Ils tendent ensemble leur majeur et en coeur:

JUSTIN et EDDIE
Fuck off !

Et ils se rallongent.
Le manitou blèmit. D'un pas décidé, il quitte la salle, suivi par toute sa meute. L'inspection est visiblement terminée.

Justin s'est retourné vers Eddie. Tous les deux sont hilares.

EDDIE (comme un gosse qui a fait une bétise mais qui ne peut s'empêcher d'en rire)
It's no over yet...

JUSTIN (acquiescant en pinçant les lèvres)
Oh yes ! We gonna pay for this...

EDDIE (hilare)
But it was fun !

JUSTIN
Yeah ! Best time here so far !

SIMON
Why the fuck did you do that for !?
He was alright !

JUSTIN
Simon !
If you're ready to take your orders from about anyone on this planet, then start with this one:
Shut the fuck up !

EDDIE (bas)
Hmm ! That was nice !

Soudain alors que Justin et Eddie sont tournés vers Simon, quatre nagis surgissent dans leur dos et se ruent sur Eddie qu'ils attrapent par les jambes d'abord pour le tirer vers le bas de sa couche puis par les bras pour le soulever et l'emmener. Justin qui se redresse pour essayer de défendre son pote est violemment repoussé par un nagi qui lui dit:

NAGI
You stay here !

Dès que le nagi a tourné le dos, Justin quitte son lit et s'esquive dans la direction opposée.

137 - EXTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - COUR.
Justin se faufile parmi les prisonniers qui se promènent et se dirige vers le dortoir des nagis. Alors qu'il y parvient presque, les quatre nagis qui ont empoigné Eddie se ruent en bas des escaliers et se dirigent vers le dortoir. Visiblement, ça va être au tour de Justin. Celui-ci les laisse passer, planqué derrière un groupe de prisonniers et dès que la voie est libre, il saute en haut des marches, en direction du dortoir des nagis.

138 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
Justin entre dans le dortoir pour voir Eddie se faire enfermer à nouveau derrière les barres du cachot.
Eddie, la lèvre en sang, insulte les nagis: "Assholes ! Motherfuckers ! Shitheads !" etc...
Number Two l'aperçoit. Avant que Justin ait pu faire un geste, Number Two a donné un ordre en népalais. Deux nagis l'attrapent par les bras. Justin se débat mais un autre attrape une paire de menottes et ils attachent Justin les mains dans le dos.

Les quatre nagis reviennent bredouilles du dortoir, aperçoivent Justin déjà sur place. Ils se le montrent du doigt en se marrant.

NUMBER TWO (s'approchant de Justin)
Happy !? You're going to Central Jail now.

JUSTIN (pâlissant)
With Eddie ?

NUMBER TWO
No, Eddie will be transfered to another jail.

JUSTIN (accusant le coup)
And Sinwah ?

NUMBER TWO (désolé quand même)
She stays here.
But she can request a transfer if she likes.
However, I don't advise it because it is worst than here, specially for women.

JUSTIN (inquiet)
Why ?

NUMBER TWO
Because Nepal doesn't have mental hospitals for women... so they are placed together with the prisoners.

JUSTIN (qui n'en croit pas ses oreilles)
I see... Ok...
But what about my stuff then ?

NUMBER TWO
I'll send it to you by taxi later.

JUSTIN (s'esclaffant)
Where's your clown ? Has he left already, poor darling !?
(riant en faisant la moue)
The force of the gun, maybe... but not much authority !
(sérieux)
Why did you beat up Eddie ?

NUMBER TWO (finaud)
Well, he started first ! We couldn't possibly be his victim.

JUSTIN (esquivant)
Why don't you beat me up too then ?

NUMBER TWO (défiant)
You want ?

JUSTIN (se rendant à l'évidence)
Sounds fair.

NUMBER TWO (avec un bref sourire, s'en allant)
You didn't start first.

139 - INTÉRIEUR - JOUR - PRISON DILLI-BAZAAR DE KATMANDOU - GRILLES.
Justin, dont les mains sont toujours menottées dans le dos est en train de courber l'échine pour passer par la petite porte métallique de la grille en fer. Devant l'entrée de la prison, il y a un taxi qui attend. Un garde prend Justin par le bras et se dirige vers le taxi tandis qu'un autre passe derrière. Le garde ouvre la portière arrière. Justin monte, se pousse au milieu. L'autre garde a déjà pris place à sa gauche. Le dernier garde monte à sa droite, referme la portière et le taxi s'en va.
C'est l'occasion où jamais de faire une petite ballade dans les rues de Katmandou qu'on a pas encore vu, les marchés, les temples baba-cools, les saddouhs au visage peint, les enfants en haillons aux grands yeux noirs qui mendient, les touristes qui partent en treck, deux amoureux qui s'embrassent etc...
Le taxi s'arrête devant une autre grille, gardée elle aussi par deux types en uniforme. Voici Central Jail.

140 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - HALL.

[Le taxi s'arrête devant une autre grille, gardée elle aussi par deux types en uniforme. Voici Central Jail.]

Une grosse chaîne barre le chemin du portail. Deux gardes armés des sempiternels fusils à baïonnette se trouvent derrière elle, encadrant l'entrée de la prison. Derrière les barreaux du portail, il y a une salle vide aux murs de pierres et au sol de pavés. Une sorte de guichet, devant lequel se trouve un tabouret, est percé dans le mur droit mais il est fermé. Au fond, on aperçoit une porte close, gardée par un nagi somnolant, juché sur un tabouret en bois.
Un autre nagi est assis juste derrière les grilles. Il se dresse à l'arrivée de Justin, qui est encadré par deux gardes de Dilli-Bazaar. Le nagi ouvre une partie de la grille, Justin entre. Le nagi indique à Justin qu'il doit s'asseoir sur le tabouret en face du guichet pendant qu'il signe quelques papiers pour les gardes de Dilli-Bazaar. Alors qu'il s'en occupe, un taxi arrive devant la prison avec un autre garde et les affaires de Justin. Le garde sort du taxi et ouvre le coffre. Aidé d'un des gardes de Central Jail qu'il appelle à la rescousse, il apporte les bagages de Justin et les passe à l'intérieur: le sac de voyage rouge, le matelas, un carton contenant un réchaud et du matériel de cuisine et un grand sac en plastique à rayures bleu, blanc, rouge. Le nagi a fini de signer les papiers. Il appelle le nagi du fond de la salle qui aide Justin à se charger des bagages. Justin s'empare de son sac rouge et du sac en plastique. Le nagi ouvre la porte du fond, prend le matelas et pousse le carton du pied. Tous deux quittent la salle par la porte du fond. Le nagi se rassoit sur son tabouret derrière les grilles.

141 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR.
Le nagi qui accompagne Justin appelle un autre nagi pour l'aider à porter le carton. Devant eux, la cour est immense et pleine de soleil. Elle est entièrement entourée de bâtiments à deux étages. Il y a aussi un grand bâtiment à un étage au centre de la cour avec diverses salles et ateliers. Entre ce bâtiment et Justin, il y a une fontaine circulaire où des prisonniers viennent s'asperger le visage ou se laver les pieds. Du coup, on remarque que certains ont un boulet accroché par une chaîne à leur cheville. Justin suit les deux nagis en regardant à droite et à gauche avec curiosité. Certains prisonniers arrêtent leurs occupations pour l'observer. Le petit groupe avance toujours en passant à gauche du bâtiment central. Ils longent, à leur gauche, un autre bâtiment par la porte duquel on aperçoit des prisonniers dans l'ombre. À première vue, ça n'a pas l'air très différent de Dilli-Bazaar à part les dimensions de l'endroit. Une courte allée à gauche, entre deux bâtiments, laisse observer une rangée de cinq ou six prisonniers qui pissent contre un mur verdâtre, moisi, abject, au pied duquel coule une rigole mousseuse. On comprend que c'est la pissotière. Du coup on se rend compte aussi qu'il y a un chemin de ronde derrière les bâtiments. Un garde s'y promène. Une muraille surmontée de fils barbelés entoure le tout.

On passe la pissotière et on longe le mur d'un autre bâtiment. À droite, entre le bâtiment central et une allée de dortoirs, des prisonniers jouent au volley. Depuis l'arrivée à Central Jail, on n'a pas remarqué un seul Blanc. Tous les prisonniers sont indiens ou népalais. On se dirige vers le dortoir du fond, qui fait le coin. Déjà on aperçoit l'entrée. Le rez-de-chaussée est sombre, il y a des prisonniers couchés dans tous les coins. Un escalier mène à l’étage, à droite près de l'entrée. Les nagis et Justin s'y engagent.

142 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
À l'étage, l'escalier donne sur un couloir assez sombre. À gauche, dans une salle vide, enfumée, on aperçoit quelques prisonniers qui cuisinent. À droite, on remarque une salle assez longue, c'est un dortoir. (le dortoir où Justin habitera pendant huit mois). Au fond du couloir, on remarque encore deux autres portes d'où sortent quelques prisonniers affairés. Les nagis y pénètrent avec Justin. Ils s'avancent jusqu'au fond. À gauche, deux ou trois "lits" longent le mur mais la plupart des couches sont alignées côte à côte sur la droite. Ce ne sont plus des planches posées sur des briques comme à Dilli-Bazaar, mais de la terre tassée, retenue par un mur de briques. La surface a l'air assez inégale mais il y a de l'espace entre les matelas. Deux ou trois prisonniers observent le nouveau venu. Derrière eux, quelques fenêtres sont ouvertes et les rayons de soleil qui pénètrent dans le dortoir soulignent l'atmosphère extrêmement poussiéreuse de l'endroit. Le nagi jette le matelas de Justin tout au fond, dans le coin. Allongé, Justin aura donc une fenêtre derrière lui et une autre à sa droite. L'autre nagi dépose le carton et les deux hommes quittent le dortoir, laissant Justin arranger son coin.

143 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
Un type différent entre dans le dortoir de Justin. Il ressemble à un ours, court sur jambes, large d'épaules, robuste et même lourd. Il est habillé de guenilles, même comparé aux Népalais. Il a le même teint que les autochtones, il est hirsute et ce n'est qu'à sa barbe qu'on devine qu'il n'est pas du coin. D'allure assez rébarbative, les lèvres serrées dans sa barbe, regardant droit devant lui avec des yeux plein de colère, il s'avance lourdement, d'une allure lourde et dandinante, vers le fond du dortoir.

Justin a fort bien arrangé son coin. Déjà, il a accroché une ficelle au mur et au plafond, sur laquelle il a tendu une tenture népalaise pour s'aménager un espace privé. Il a posé son réchaud et ses accessoires de cuisine à gauche, et à droite, contre le mur, il a rangé ses livres, son écritoire, ses stylos, etc... À genoux sur son matelas, il est en train de plier des vêtements lorsque "l'ours" apparaît derrière le drap tendu.

VIKTOR (accent russe à couper à la kalachnikov)
Hello my frrriend !
How are you !?

Justin, levant les yeux, pause un moment, surpris par l'apparition soudaine, l'accent nouveau et l'aspect du visiteur. Il a visiblement du mal à le placer.

JUSTIN
I am fine and you ?

VIKTOR
I am told you are French ?

JUSTIN
Yes. My name is Justin. And you ? Where are you from?

VIKTOR
My name is Viktor Lukin. I am from Russia.
Excuse me my friend, maybe you don't like answer, I don't know...
Why are you here, in central jail ?

JUSTIN (avec un sourire)
Oh, I was in Dilli-Bazaar jail and I said "fuck off" to the wrong man, a chief guard.

VIKTOR (riant un peu comme s'il n’en croyait pas un mot)
Good ! Very good !
But why they put you in jail ? You thief ? Drug business ?

JUSTIN (écarquillant les yeux)
No way ! I smuggled some gold with my girlfriend.

VIKTOR (presque méprisant)
Ah ! You are smuggler huh ?

JUSTIN (avec humeur)
You have problem with that ?
Anyway, what about you ? What are you here for ?

VIKTOR
Oh ! It is a long story, my friend !
(regardant Justin droit dans les yeux)
Are you Jewish ?

JUSTIN (incrédule)
What ?

VIKTOR (avec suspicion)
What is your religion ?

JUSTIN
None. I don't believe in god.

VIKTOR
But your parents are Jews ?

JUSTIN
No, they are Catholics but they are same as me, we don't care... but why you ask ?

VIKTOR (soulagé, sans répondre)
That's very good.

JUSTIN (insistant)
Why, if I am Jewish, it is no good ?

VIKTOR (comme une évidence)
Jews are very dangerous people !

JUSTIN (souriant)
Well, I don't think you need to be afraid of them in here.
Are there many foreigners here ?

VIKTOR
No, I am the only one... until today.

JUSTIN
Where do you stay ?

VIKTOR
Oh they put me in the worst place here, very dark, very humid. I will show you later.
(avec amertume)
But they give you the best place here. You have two windows, you are very lucky, my friend.

JUSTIN (pas très amusé)
Oh yes ! I am so lucky to be in Kathmandu's Central Jail !
(pause)
You are here since long time ?

VIKTOR
Ten years.

JUSTIN (choqué)
What !? But why !
How long you must stay ?

VIKTOR
They give me twenty years.
(s'excusant)
I must go take my rice now.
We will speak later my friend. We have long long time !

JUSTIN (pas vraiment enthousiaste)
Is there a shop here ? Can I buy food ?

VIKTOR
Yes, have shop. If you have money... You want to see ?
Come with me.

144 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - MAGASIN.
Justin et Viktor font la queue dans un corridor sombre devant un guichet grillagé. Derrière le guichet, on aperçoit les rayonnages du "magasin", des oeufs, des biscuits, des cigarettes, un panier plein de légumes et de fruits, des paquets de nouilles instantanées, des blocs de feuilles de papier, etc... Devant eux, des prisonniers font leurs emplettes.

JUSTIN
You have no money anymore ?

VIKTOR (avançant d'un pas dans la queue)
Here they give you 700 grams of rice every day and also 12 rupees.
Two times per year, they also give you some cloth so you can ask the tailor to make you shirt and pants or you can sell it.

JUSTIN
Do you have friends outside ?

VIKTOR
No. Sometime one priest come. That's all.

JUSTIN (faisant un pas en avant)
Does he bring you food ?

VIKTOR (riant)
No ! Only one time he bring three apples.

JUSTIN
What kind of priest is that !?

VIKTOR
He bring bible !
(montrant le guichet à Justin qui va répliquer)
Ah, it's your turn.

Justin s'avance devant le guichet.

JUSTIN (passant son argent sous la grille du guichet)
Two packs of Yak please.

Justin prend ses cigarettes et se retourne. Viktor a disparu. À sa place, un Népalais d'assez bonne allure le regarde en souriant. Il est assez grand, bien balancé, les cheveux bien coupés, il est habillé à l'européenne avec un jean et une chemise et ça lui donne un air plus intelligent et cultivé que la moyenne ( - il faut bien dire que l'habit national népalais n'arrange guère les silhouettes déjà assez décharnées. Jusqu'à présent, la plupart des Népalais paraissent passablement abrutis à de rares exceptions près. Number Two, le directeur de Dilli-Bazaar ne l'était pas mais il y avait quelque chose de désabusé chez eux, un élément de tristesse et de renoncement. Il y a quelque chose de frais, de vivant dans le regard de ce type qui intrigue Justin, un peu comme s'il venait de rencontrer un type de son village. On dirait presque un homme libre. Et puis tout de suite après, une lueur de malice luit dans les yeux du type et ceux de Justin se plissent. Méfiance.

Le type prend la parole dans un excellent anglais.

LE CHEF NAGI (serrant la main de Justin)
Hello. Pleased to meet you. My name is Taranath Ranabhatt and I am the chief nagi here.
May I know your name ?

JUSTIN
My name is Justin.

TARANATH
Would you follow me, please? I would like to talk to you.

JUSTIN
Ok.

À côté du magasin, il y a un escalier qui monte à l'étage. Ils s'y engagent.

145 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
La pièce est assez petite. En fait, elle possède des cloisons qui séparent l'étage en trois parties. Elle n'est meublée que de quatre ou cinq lits et de grandes malles en aluminium. Il y a un poêle muni de sa cheminée en aluminium. Deux autres nagis sont vautrés sur leur lit. L’un lit, l'autre fume en écoutant un transistor.

TARANATH (s'asseyant sur un lit exagérément matelassé)
Take a seat.
How are you ? Is everything ok ?

JUSTIN (prenant un tabouret et regardant autour de lui)
I'm fine, thank you.
Is that your room ?

TARANATH
Yes, that's my bed. How's yours ?

JUSTIN
It's a bit dusty but my bed is between two windows so it's fresh and sunny, much better than in Dilli-Bazaar.

TARANATH
Let me know if you need anything.

JUSTIN (avec un sourire de malice)
Really ?

TARANATH
Yes. That's what I'm here for.

JUSTIN
Can I see my girlfriend then ?

TARANATH
Sure. She can visit you at the gate. Where is she ?

JUSTIN (baissant les yeux)
She's still in Dilli-Bazaar.

TARANATH
You both were arrested for smuggling gold, is that right ?

JUSTIN
Yes.

TARANATH
Well she can apply for a transfer to the woman jail next door but that doesn't mean you two can meet.

JUSTIN
But isn't there a place in between where we could both stay together ?

TARANATH (souriant)
Actually it did happen once but it was an exceptional case. A senior member of the government was imprisoned for about six months but due to his age, his wife was allowed to stay with him. In your case, you're young, you're not a member of the government and you're not married. So I don't think that right would be granted to you.

JUSTIN
Actually we want to get married as soon as possible. Even in jail.

TARANATH
Ah for this, I cannot help, but maybe you can apply to the prefect.

JUSTIN
I am suppose to have an interview with him but I don't know when that will happen. My file was lost at the airport, that's what my lawyer claimed.

TARANATH
Yes... things take a long time in Nepal. You must be patient.
You met Viktor already. Did he tell you how long he's been with us ?

JUSTIN (crispant les lèvres)
Yes, ten years... he told me.
But I hope I won't stay that long ! What did he do exactly ?

TARANATH
He's here for murder.

JUSTIN (incrédule)
What ? He killed someone in Nepal ?
(avec un sourire de malice)
You mean... recently ?

TARANATH (sérieux)
He says he didn't do it but he's charged with the murder of his friend.
I cannot tell if it is true or not but you saw him... what do you think ?

JUSTIN (embarrassé)
Er... I just only met him... it's a bit too early for me to say but he seems ok so far.
Why ? Is he dangerous ?

TARANATH (direct)
I don't think he's dangerous but you can already feel that there's something wrong with him, isn't it ?
Never mind, I don't want to embarrass you, wait until you know him better.
Did you meet anyone else yet ?

JUSTIN
No, I've just prepared my bed.

TARANATH
You'll see, there are many interesting people in your building.
I think you will be happier here.
There’s more space, different kinds of people, you can play table tennis, you can even work if you want.

JUSTIN
Work ? Doing what ?

TARANATH
We have a cotton factory facility next to the jail.
Many of the prisoners like to work there even though their salary isn't very high.
For some, it's even a way to continue to support their family outside.

JUSTIN (souriant)
That's great but I'm very bad at working with my hands.

À ce moment, une petite fille d'une dizaine d'années entre dans la pièce en portant dans ses bras une autre petite fille de quatre ou cinq ans.
La grande lâche la petite et toutes deux, en jetant des regards apeurés vers Justin, viennent se blottir de chaque côté de Taranath qui les entoure de ses deux bras en souriant.

TARANATH (à Justin)
Here's Bindhaya, my eldest daughter and here's the little one !
We call her Bahini, it means little sister.
She was born in the women jail and her mother died in labour.

JUSTIN (scié)
You take care of them both here, in jail ? Where do they sleep ?

TARANATH (tapotant son matelas)
Here, with me !
Who else would take care of them ? They have nobody in the world.

JUSTIN (montrant Bahini)
What about her dad ?

TARANATH
He doesn't want to have anything to do with her. He never even came to see her once.
Actually, he's the one who sent his pregnant wife to jail claiming she had cheated on him.

JUSTIN
Husbands can do that in Nepal ?

TARANATH (écartant les mains dans un geste d'impuissance)
Yes, they can do almost anything they want.
Some have burned their wife alive with kerosene because she had not borne a baby!
Or if she doesn't bring enough money to the bridegroom's family.
In many ways, our country is still living in the Middle Ages.
We need more schools, more education.
Too many people are illiterate.

JUSTIN
But you seem to have a very good education. Why don't you teach ?

TARANATH (montrant la porte)
I do. We have a school right across the corridor.
We teach the inmates who are interested in learning how to read and write, some algebra, even English.
What was your job outside, if you don't mind me asking ?

JUSTIN (souriant)
I was teaching French. Not very useful in here, I suppose.

TARANATH (souriant)
You never know ! Maybe I can get to it if you don't mind teaching me ?

JUSTIN
Sure ! Whenever you like !

TARANATH
How about teaching English ?

JUSTIN
Oh you speak better than me. Maybe I could teach the basics but that's about it.

TARANATH
Would you like to help my daughters with their English lessons ?

JUSTIN
Sure, ok.

TARANATH
Great ! Then please come here everyday at five. Can you start tomorrow ?

JUSTIN (riant)
I don't think I have anything else on my schedule. Five o' clock is fine.

TARANATH
Great ! See you tomorrow then !

Justin se lève pour s'en aller, se retourne et plantant son regard dans celui de Taranath.

JUSTIN (content)
Thanks ! Thank you very much.

TARANATH (inclinant poliment la tête)
No ! Thanks to you !

146 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
C'est la fin du jour, la lumière est dorée. Justin est assis en tailleur devant sa fenêtre, il regarde le ciel en fumant une cigarette. Il se dandine un peu en rythme tout en marmonnant l'air de Jeanne Moreau "Le tourbillon de la vie".
Soudain une main se pose sur son épaule. Justin a un sursaut et se retourne. Un Népalais d'une trentaine d'années, d'allure sportive, souriant, lui tend la main.

LILA (visage amène)
Good evening, my name's Lila. Sorry to disturb you.

JUSTIN (lui serrant la main)
I'm Justin. What can I do for you ?

LILA
Since you just arrived, my friends and I were wondering if you would care to join us for a cup of tea ?

JUSTIN (surpris par tant de civilité autant que par l'anglais impeccable)
Why, thanks ! Sure ! Great ! Thank you !

Il déplie ses jambes et descend de son lit pour suivre Lila.

147 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES POLITIQUES.
Nous sommes dans le dortoir des politiques, au même étage que celui de Justin. Les lits, en bois, sont placés un peu n'importe comment. Au milieu de la pièce, deux lits ont été rapprochés, vidés de leur matelas, couverts d'une natte et ils servent de terrain de réunion pour trois hommes assis dessus, en lotus. Justin et Lila arrivent. Les trois hommes tournent la tête dans leur direction, ils sourient de toutes leurs dents. Deux d'entre eux ont la quarantaine, ils ont l'air aimable, un tantinet supérieur. L'autre est plus jeune, plus jovial, il a l'air plus naïf. Ils sont vêtus à la népalaise.

LES TROIS HOMMES
Hello ! Good evening ! Welcome !

L'un d'eux, la quarantaine légèrement bedonnante, la moustache en pointe, montre un espace vide sur le lit.

BIJAY
Please join us, my friend.

Justin retire ses thongs et grimpe sur le lit. Derrière lui, Lila a trouvé un verre vide qu'il remplit de thé au lait à l'indienne, en versant de haut. Il tient le verre en attendant que Justin ait fini de saluer.
Justin serre la main de Bijay.

JUSTIN
My name's Justin Francoux.

BIJAY (qui garde la main de Justin dans la sienne, sans la secouer, jusqu'à ce qu'il ait fini de parler)
I'm Bijay Gachhadar, but you can call me Bijay.

Justin se tourne vers le voisin de Bijay, moustachu lui aussi mais façon phoque, aux poils tombants. Il lui tend la main.

JUSTIN (souriant)
How do you do ?

ARJUN (serrant la main de Justin en souriant aimablement)
My name's Arjun Jung Bahadur Singh. Call me Arjun.

Justin se tourne vers le plus jeune. Il lui serre la main.

RAM (avec un franc sourire)
I am Ram Bahadur Basnet.

JUSTIN (montrant Arjun)
Oh ! You two are related ?

ARJUN (en riant)
No ! There are many Bahadur families in Nepal.

Justin prend son verre des mains de Lila qui va s'asseoir près d'Arjun, après avoir retiré ses thongs.

JUSTIN
Thank you Lila !
(à Arjun)
Oh right ! It's like Gurung, they all come from the Mananguis valley ?

BIJAY (en souriant)
I can see that you have studied our country !

JUSTIN (riant)
Not really, the Mananguis are the main gold smugglers in this country, that's why I know...
I'm here for gold smuggling.

ARJUN (gentiment)
Oh, that's not a very serious crime.

BIJAY
Actually, we feel very sorry that our government treats you that way.

LILA (riant)
We're all political prisoners so you will hear us blame the government often !

JUSTIN
Were you all involved in the recent unrest ?

RAM
I was but they were here already.

ARJUN
We're very much involved with the pro-democracy movement.

JUSTIN
Yes, I saw the way the police treated the students the other day.
Dilli-Bazaar was looking more like an hospital than a jail !

BIJAY
Yes, it was outrageous.
By the way, do you know Lila is a policeman ?

LILA (riant)
Yes, I was.

BIJAY (souriant)
He is a very important policeman, driving his motorcycle in front of the king's limousine !
He received a medal from our royal leader !
But even so, he's here with us today !
That's how corrupted our people in power are !

LILA (un peu embarrassé)
So how do you like your new place ?

JUSTIN (souriant)
Looks much much better actually ! Plenty of space, not too crowded... It makes a nice change.

RAM
How come they sent you here ?

JUSTIN (ricanant)
Well I showed a finger to a sort of fascist chief guard who was inspecting the jail and I told him to fuck off when he gave me an order.

ARJUN
I guess it must be hard in Dilli-Bazaar.

JUSTIN (avec un sourire de malice)
There aren't many smart people over there...
(changeant soudain de tête)
But I will miss my girlfriend.
We got caught together and we really stuck together, she's even been cooking for me everyday but now I'm here.

BIJAY
Perhaps you can ask the jail manager to organize a meeting. You never know.

RAM
Yes. For your birthday for example.

JUSTIN (avec une lueur d'espoir dans les yeux)
Or Christmas ?

BIJAY
Yes ! I would ask him if I were you.

ARJUN
Did you meet the jail manager yet ?

JUSTIN
No, I met the chief of the nagis this afternoon.

BIJAY (avec un drôle de sourire)
What do you think of him.

JUSTIN (sincèrement)
Well he seems alright, especially compared to the one in Dilli-Bazaar !
He even offered me to teach English !

BIJAY
Did you accept ?

JUSTIN
Yes of course. It makes me feel good actually.
That's my job, you see. I use to teach French in Hong Kong.

LILA
Really !? Would you teach me French ?

ARJUN (riant)
Lila wants to learn because he likes to seduce women...
I would like to learn too actually, do you think it would be possible ?

JUSTIN (content)
We would need some books but we can start without it.
Just get some notepads and pen.

BIJAY
I can ask my friends outside to buy books for us.

JUSTIN (vidant son verre de thé)
Great ! I start teaching English tomorrow at five. If you like we can have our lesson later, after dinner.
(en riant)
Unless you're taking Russian lessons too at this hour ?

LILA (s'escalaffant)
With Viktor you mean ?

JUSTIN
Yeah ! Why not ? Russian sounds nice.

LILA (se retenant de sourire)
Do you think Viktor would be a good teacher ?

JUSTIN
Er... I don't know...
I only met him once.

BIJAY
So what do you think ?

JUSTIN
A bit weird I guess...
It's too early to say.

BIJAY
Be careful...

148 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - GRILLES.
Une Européenne d'environ trente ans attend devant le portail de la prison. Elle est brune, pas très grande, méditerranéenne. Elle porte ses cheveux courts. Justin arrive derrière les barreaux et appuie son front aux barres de la grille. À côté de lui, un nagi est assis sur son tabouret. Dehors entre la grille et la chaîne, deux gardes armés encadrent le portail. Dehors le soleil jaune du mois d'octobre brille dans le ciel himalayen.

JUSTIN (sur un ton joyeux)
Bonjour ! À qui ai-je l'honneur ?

MADAME ROUX
Bonjour. Vous êtes bien Justin Francoux ?

JUSTIN
Oui, c'est ça.

MADAME ROUX
Je suis Madame Roux, attachée au consulat français de Katmandu.

JUSTIN
Ah !? Vous venez d'arriver ? Vous remplacez Monsieur euh... j'sais plus comment là... ?

MADAME ROUX (se raclant un peu la gorge)
Oui, euh… écoutez, je viens d'arriver, c'est vrai mais je suis venue vous voir parce que je tiens à ce que vous sachiez que je prends votre cas très à coeur et que j'entends bien m'en occuper activement. J'ai pensé que ça vous remonterait peut-être un peu le moral parce que croyez-moi, ou ne me croyez pas d'ailleurs, vous verrez bien, en tout cas je vous promets que je ne partirai pas d'ici avant que vous ne soyez sorti d'ici.

JUSTIN (fronçant les sourcils, carrément étonné)
Mais... euh... (il ricane) excusez-moi mais... pourquoi ?
Enfin j'veux dire, vous ne me connaissez pas encore...
J'ai l'air si recommandable ?

MADAME ROUX (d'abord amusée puis de plus en plus sérieuse)
Geneviève, que vous connaissez, m'a expliqué la situation, le dossier perdu, l'absence de tribunaux, j'ai vu votre avocat... pire qu'une caricature celui-là, j'ai vu aussi votre ami Antoine qui m'a expliqué toutes les démarches qu'il a entreprises et la façon dont il a été reçu, bref, je n'ai même pas besoin de vous connaître pour être indignée d'une telle situation.

JUSTIN
Ben oui mais à part en payant, je ne vois pas tellement d'issue.

MADAME ROUX
Le principe même de cette amende est innommable. C'est de la rançon pure et simple !

JUSTIN
Entièrement d'accord mais c'est leur pays... ils font c'qu'ils veulent.

MADAME ROUX
Oui mais la France verse suffisamment d'aide au Népal pour qu'on évite ce genre de scandale.

JUSTIN (idée soudaine)
Tiens ! Pourquoi ne pas les menacer de déduire l'argent qu'ils me demandent de l'aide annuelle
apportée par la France ?

MADAME ROUX (son visage s'éclaire)
Ah mais c'est une bonne idée ça, tiens !
Je vais quand même écrire à Paris avant pour voir si c'est possible mais ça serait un bon argument, ça !

JUSTIN (content)
Aahh ! Eh bien je suis drôlement content de faire votre connaissance, vous, alors ! Vous me redonneriez presque espoir !

MADAME ROUX
Bah ! Pourquoi presque !? Je vous garantis que ça va bouger !

JUSTIN (souriant)
Oui, oui, vous m'avez convaincu mais euh... vous allez voir... vous vous attaquez à un système style mélasse...
Tous mes voeux vont avec vous mais ça va pas être simple !

MADAME ROUX
J'y mettrai le temps qu'il faudra.
Ah également... ne vous inquiétez pas pour votre amie, j'ai obtenu l'autorisation de m'occuper d'elle comme de vous.
Geneviève va donc lui apporter un panier de victuailles au moins une fois par semaine, comme à vous-même d'ailleurs.
Et bien entendu, nous nous occuperons de son affaire comme de la vôtre.
Antoine m'a fait part de votre désir de vous marier ? C'est vrai ?

JUSTIN
Oui mais il faut des papiers de France et je n'ai plus de contact avec mes parents depuis cinq mois.

MADAME ROUX
Bon écoutez, je vais m'en occuper moi, de ces papiers et je suis en train d'essayer de prendre rendez-vous avec le préfet.
C'est pas facile à obtenir, apparemment, mais en attendant il faudrait faire quelque chose au niveau de vos parents.
Pourquoi ne vous donnent-ils pas signe de vie ? Ils sont fâchés que vous soyez en prison ?

JUSTIN (désolé)
Oui. D'abord j'ai reçu une lettre disant qu'ils allaient m'aider à sortir et quelques semaines plus tard, une autre pour me dire que j'étais bien là où j'étais.

MADAME ROUX
Mais que s'était-il passé entre temps ?

JUSTIN (levant les sourcils)
Aucune idée.

MADAME ROUX
Vous n'avez pas essayé de savoir ?

JUSTIN (le regard sombre)
Je ne sais plus quoi leur dire...

MADAME ROUX
Vous devriez leur écrire.

JUSTIN (amer)
Oui mais pour dire quoi ?
Tout va bien, stop. Leçon sue par coeur, stop. Envoyez les clés maintenant ?
J'vais pas les obliger à me sortir d'ici s'ils n'en ont pas envie. Chacun sa vie.

MADAME ROUX
Bon, alors je dois vous dire de la part de Sinwah qu'elle a pris sur elle-même de leur écrire, elle, à vos parents.
C'est ce qu'elle a dit à Antoine qui m'a demandé de vous le transmettre.

JUSTIN (se retenant d'exploser)
Mais pourquoi faire !?
(triste) Ça sert à rien de toute façon...

MADAME ROUX
De toute façon, il faudrait bien que je les appelle moi-même.
Vous y voyez un inconvénient ?

JUSTIN (la gorge serrée)
Mais pourquoi voulez-vous les appeler ?
Est-ce qu'ils ont jamais seulement écrit au consulat pour savoir où en était la situation ?

MADAME ROUX
Eh bien justement, on va leur en donner, des nouvelles !

JUSTIN (éclatant de rire)
Vous êtes formidable, vous alors ! Encore une fois, bon courage mais en tout cas, merci, merci beaucoup.
(il pousse un grand soupir)
Vous m'apportez un grand bol d'air frais ! Ça fait du bien !

MADAME ROUX
Sinon, comment allez-vous ? La santé ? Ça va ?

JUSTIN
Ça va. Il y a plus d'espace ici qu'avant. Moins de crétins aussi, ça repose.
J'ai rencontré un groupe de prisonniers politiques, par exemple.

MADAME ROUX
Vous êtes le seul Blanc ici ?

JUSTIN
Non, il y a un Russe aussi.
Il est là depuis dix ans, lui.

MADAME ROUX
Oh la la ! Qu'est-ce qu'il a fait ?

JUSTIN
Meurtre, je crois.

MADAME ROUX
Vous ne vous ennuyez pas trop ?
Qu'est-ce que vous faites toute la journée ?

JUSTIN
Pas grand-chose, mais je viens d'arriver de toute façon.
Je lis, je discute.
(fièrement)
Ah si, tout à l'heure je vais donner mon premier cours de français et ensuite mon premier cours d'anglais.

MADAME ROUX
Vous devriez écrire tout ce qui vous arrive.

JUSTIN
J'y ai pensé mais on est jamais tranquille et puis il faudrait au moins une table et une chaise.
Écrire en tailleur, c'est pas trop ma tasse de thé, j'attrape tout d'suite des fourmis dans les jambes, ça m'déconcentre.

MADAME ROUX
Bon. Je vous ai apporté du courrier et quelques victuailles. Le garde a emporté tout ça à l'intérieur.
Je ne sais pas comment ça se passe, mais au moins comme ça vous le savez.

JUSTIN
Je devrais récupérer tout ça tout à l'heure, pas d'problème. Merci !

MADAME ROUX
Oh ben j'vous en prie ! Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, ou vous apporter la prochaine fois ?

JUSTIN
Pourriez-vous transmettre un message à Sinwah ?

MADAME ROUX
Bien sûr ! Qu'est-ce que vous voulez lui dire ?

JUSTIN
Dites-lui seulement que je l'aime et qu'elle me manque.
Il ne faut pas qu'elle s'inquiète, les conditions d'incarcération sont bien meilleures ici que là-bas.

MADAME ROUX
Entendu. Je le lui dirai, comptez sur moi.

Le nagi fait signe à Justin que le temps de visite est terminé et qu'il doit quitter le portail.

JUSTIN (au nagi)
Ok, ok !
(à Madame Roux)
Je dois partir... J'veux juste vous dire...
Merci d'être venue. Vous me remontez bien le moral !

MADAME ROUX
J'essaierai de revenir toutes les semaines pour vous mettre au courant des évènements.

JUSTIN (en quittant le portail)
Merci, à la semaine prochaine alors !

MADAME ROUX
À bientôt. Et bon courage !

149 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR.
Viktor sort de son bâtiment qui jouxte le bâtiment des nagis. Il marche lentement, de son pas de pachyderme. Il fait un beau soleil. Les prisonniers en profitent pour faire leur lavage à la fontaine. D'autres, en short, se savonnent. Le menuisier est sorti de son atelier pour travailler dehors. À l'ombre d'un bâtiment, des Népalais assis en tailleur jouent aux cartes. D'autres écoutent leur transistor. Viktor s'approche de la salle de ping-pong, on entend déjà la balle rebondir. La salle est percée de longues fenêtres basses, obturées par une grille. Dedans, dans la pénombre, on aperçoit deux joueurs en plein match. Viktor s'approche de la porte, il entre.

150 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - SALLE DE PINGPONG.
À l'intérieur, Justin est en train de jouer contre un Indien assez râblé. Les smashs pleuvent drus. Des Népalais répartis autour de la salle, adossés au mur, observent le match. Justin vient de rater la balle quand Viktor fait son entrée. Justin va chercher la balle derrière lui. Il n'a pas vu Viktor qui s'approche tout au bord de la table, près du filet. Justin revient avec la balle, le service est à lui. Il aperçoit Viktor et lui sourit en lui adressant un signe de tête.

JUSTIN (essoufflé)
Hi man !

VIKTOR
Hello my friend !

Justin sert. D'un geste aussi brusque que précis Viktor attrape la balle au vol.

VIKTOR (souriant, hirsute)
Long time no see, my friend ! You no like see me ?

JUSTIN (surpris)
No ! I'm always here you know !

VIKTOR
You have time coming now ? I want show you something ?

JUSTIN
Sure, man ! But can I finish that game first ?

VIKTOR (lui lançant la balle)
Ok.

Viktor recule contre le mur en saluant un prisonnier. Justin sert.

151 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE VIKTOR.

Il fait très sombre dans le dortoir de Viktor. Les couches sont alignées sur le côté, laissant très peu de place pour circuler devant. Le plafond est encombré de ficelles qui retiennent les moustiquaires et de linge qui sèche. Ça pue la pauvreté, ça doit être le pire dortoir de la prison, un véritable trou à rat. Viktor, dont les vêtements genre "sac à patates" s'harmonisent assez bien à l'endroit, ouvre la marche. Même lui qui est assez court sur jambes doit plier l'échine. Justin le suit, encore plus courbé. Ils arrivent tout au fond du dortoir. Il fait très sombre. Justin fige, fronce les sourcils pour essayer de mieux percer la pénombre. Viktor se tourne vers la fenêtre à sa gauche. Il l'ouvre et le soleil aspire l'ombre, laissant découvrir un atelier de peintre. Tout est peint, le lit, les murs, tout ! Et bien sûr, il y a des peintures posées ou accrochées partout, la plupart très sombres, des autoportraits inquiétants, des figures grimaçantes, on reconnaît des Népalais à leur petit chapeau mais ils sont tous peints dans des postures ridicules, presque des caricatures. Pourtant on reconnaît un certain talent derrière la noirceur qui se dégage de ces toiles. Les regards, par exemple, sont remplis d'émotions diverses. Bien que dégingandées, les postures restent très évocatrices. Justin est assez impressionné. Il se déhanche dans l'espace étroit pour mieux observer chaque tableau, un à un. Il y en a de toutes les tailles. Il y a aussi des pots, des pinceaux et des tubes de peinture partout. Justin regarde Viktor avec un air d'admiration.

VIKTOR
You like painting ?

JUSTIN
Yeah man ! My girlfriend is a good artist too.

VIKTOR
What she paint ?

JUSTIN
Mostly Chinese painting. She's from Hong Kong, you know.

VIKTOR
Chinese painting also very good !

JUSTIN (s'asseyant sur le bord du lit en regardant une toile)
I like it, man ! It's very dark, very pessimistic but I like it.
Especially being here.

Viktor sourit brièvement.
VIKTOR
Why not pessimistic ?

JUSTIN (montrant une des toiles)
You are really a good painter.
For example, look here, you show really well how stupid this man is.
In Dilli-Bazaar, they are all like that but in here some people have more interesting eyes.

VIKTOR (s'esclaffant)
Who !?

JUSTIN (un peu ennuyé)
I don't know. I've been talking with some political prisoners. They're alright.

VIKTOR
You speak with chief nagi. You think he is clever ?

JUSTIN (sincèrement)
Yes. He is.
I don't know yet if he is good man but he's smart.

VIKTOR
You know why he's in jail ?

JUSTIN
No ?

VIKTOR
His family is very rich in Nepal. So one night, he go to Kathmandu casino. He become crazy and he lose all his money. So he go to his grand-father house to steal more money. But his grand-father is old man, he no sleep good. So he kills grand-father and he go back to casino !
You think he smart man ?

JUSTIN (riant)
Ah ah ! But he told me the same about you !

VIKTOR (sombre)
What he say ?

JUSTIN
He say you are here for murder also. Is it true ?

VIKTOR
They say I kill my friend. How can I kill my friend ? I don't believe.

JUSTIN (intrigué)
What happened ?

VIKTOR
Oh, long story !
My father is very important scientific in Russia. Military science ! He no like me. Me I like painting, not bombs !
Many times police come to my apartment in Moscow and they break everything.
My girlfriend also painter. She Jew. Many time she try to go Israel. But I'm not Jew, I am Aryan !
So I marry her but shh ! No telling ! Big secret !
One day we escape Russia, we go Israel. Very happy.
But one day, doctor say my wife have cancer.
She no problem. But she go hospital and she takes many many medicine and after they tell me she is dead.
I say I want to see her but they say no.
Do you think it is normal ?

JUSTIN (un peu perdu)
No, it's strange, why they do that ?

VIKTOR
Even during funeral, the box is closed, my wife inside, I cannot look her. I say, open box, I want say good bye.
But they say no ! Very very strange. I think they kill my wife and they don't want me see what they did.
After I very very depressed. My friend come and he say we go Nepal. Very very quiet there.
We go mountain. One day I go in mountain to make painting and when I come back, my friend not here.
Many hours after, someone finds my friend dead in river. His head broken with rocks !
They say is me did it and they bring me to jail here.

JUSTIN
But don't you have a lawyer ?

VIKTOR
Me no money, no ambassador here because me go out of Russia and I no have Israel passport. Only have temporary passport.
Now expiration date long time finish. So no one help me.

JUSTIN (scié)
Wow man ! That's really a fucked up situation !
I really don't know what you should do but I will ask my consulate. Maybe they know what to do.

VIKTOR
Ok, thank you !

JUSTIN ( se levant)
Excuse me, man, but I think it's time for me to go to teach.
I see you later.

VIKTOR
Ok, you know where I live now.
Who you teach ?

JUSTIN
The Chief Nagi's daughters.

VIKTOR (s'esclaffant)
They are not really his daughters.

JUSTIN (un peu impatienté)
Yeah, I know.

VIKTOR
He sleeps with them !

JUSTIN (acquiescant en hochant la tête)
I agree with you. They could have their own bed...
But that doesn't mean anything.
(s'en allant)
Gotta go, man ! Thanks for the visit !

152 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
Justin est juché sur le lit du chef nagi en compagnie de Bahini, la petite fille. Il tient un livre d'apprentissage de l'anglais pour enfants.

JUSTIN (très lentement)
Who is Bobby playing with ?

BAHINI
Bobby play with the little boy.

JUSTIN
Ramro tcha ! (S-T: Très bien)
Repeat with me : Bobby playS with the little boy.

JUSTIN (pointant son doigt sur une image)
What is this ?

BAHINI
This is Bobby's dog.

JUSTIN
What is the dog doing ?

BAHINI
He run with the cat.

Taranath entre dans le dortoir. Il reste debout près de la porte, souriant en silence pour ne pas déranger la leçon.

JUSTIN
He runs after the cat. Repeat.

BAHINI
He runs after the cat.

JUSTIN
Very good ! Ramro Tcha !
(se tournant vers le chef nagi)
She's a clever girl ! She learns very fast.

Taranath s'approche de sa fille et lui caresse gentiment la tête.

TARANATH
She's been a good girl then ?

JUSTIN
Yes ! Very good !

La gamine baisse timidement les yeux, n'osant regarder ni Justin ni Taranath.

TARANATH (doucement)
Is the lesson finished ?

JUSTIN
Yes, that's enough for today.

TARANATH (à Bahini)
Then Bahini, it's time to go to your sister and have dinner. Go wash your hands first.

Bahini saute du lit et sort.

TARANATH
So you're happy with your student ?

JUSTIN (souriant)
Yes, she's very nice. So shy !
First I had trouble to get her to say any word at all but then she got more confident and I was surprised to see how well she speaks already.

TARANATH (fier)
Yes, I have been working with her a little. She's a fast learner.
(regardant Justin avec attention)
So you will continue to teach her ?

JUSTIN (surpris de la question)
Of course ! I mean, if you want me to, of course.

TARANATH (déterminé)
Then I must give you a salary.

JUSTIN (haussant les épaules)
Not really. I enjoy doing this, you know. It's my job.

TARANATH
Well is there something I can do for you, then ?

JUSTIN (soudain en alerte)
Ah yes ! There is !
Do you think you could convince the jail manager to let me see my girlfriend for Christmas ?

TARANATH (s'esclaffant)
I can try talking to him but I don't think he will say yes.

JUSTIN
Can I talk to him, then ?

TARANATH
Hmm... it's better if I talk to him first.
Let me try. If I fail then you can try. Ok ?

JUSTIN
Sure, great ! Thank you !

TARANATH (presque tristement)
But I don't think he will agree anyway.
So is there anything else you'd like ?

JUSTIN (réfléchissant)
Actually maybe yes...
Is the classroom busy in the afternoon ?

TARANATH
No, not until six o’clock, why ?

JUSTIN
Well, I'd like to start writing a book but I need a table and a chair.
Would you let me use the classroom in the afternoon ?

TARANATH
Ok but no smoking in there.

JUSTIN (heureux)
Oh sure ! I'll just go out when I wanna smoke.

TARANATH
Good, just come to see me when you like and I'll lend you the key.
What's your book about ?

JUSTIN
Well, about my adventures and experiences, I guess.
I don't know much anything else.

TARANATH
I wish you success, then !

JUSTIN (souriant, se levant)
Thank you ! See you and Bahini tomorrow !

153 - EXTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR.
Justin sort du bâtiment des nagis et se dirige vers le sien. Alors qu'il passe devant le bâtiment de Viktor, celui-ci en sort, aperçoit Justin et lui lance:

VIKTOR
Hey my friend ! Are you hungry ?

JUSTIN
Yeah ! Sure ! I'm going to cook something. Have you eaten ?

VIKTOR
I eat with friends. You want to come with me ?

JUSTIN
Yeah, sure ! Thanks !

Tous les deux continuent leur chemin vers la fontaine.

154 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE COBRA ET SALIM.
Cobra et Salim sont des bandits de grands chemins, rusés, des contrebandiers au regard rempli de malice et des magouilleurs de première. Ils pourraient faire partie de la bande des quarante voleurs d'Ali Baba, mais ce sont surtout de bons vivants. Ils règnent sur leur dortoir par leur aura et leurs largesses. Comme deux princes persans, ils trônent, fort bien habillés, propres et soignés, au milieu d'épais coussins et de plateaux de fruits. Autour d'eux, gravite toute une armée de serviteurs et de parasites venus profiter de quelques miettes ou se taper une cigarette.

Alors que Viktor et Justin s'approchent, Justin remarque que les lits protégés par des nattes sont couverts de larges plats remplis de semoule, de viandes et de légumes, et de coupes pleines de sauces.

Salim, le plus "bourgeois" des deux, très princier, s'exclame en apercevant Viktor.

SALIM
Ah ! My friend ! There you are ! We almost ate everything already !

VIKTOR (s'arrêtant net, avec un petit sourire)
All finished !? No more food ?

COBRA (montrant un coussin près de lui)
Come on, come on ! Sit down ! Eat something !

Cobra attrape un chapati et le tend à Viktor qui fond dessus en s'installant. Justin reste debout, les bras ballants.

SALIM
You too my friend ! Have a seat !
What’s your name ?

JUSTIN (s'approchant pour tendre la main)
I'm Justin. I'm quite new here.

SALIM (lui serrant la main)
Welcome, welcome. Sit down. My name is Salim, I'm from Burma. Would you like to eat something with us ?

COBRA (tendant la main à Justin)
How do you do? My name is Cobra, I'm from India.

JUSTIN (écarquillant les yeux en lui serrant la main)
Cobra ?

SALIM (riant)
Yeah ! Beware of him ! He's fast and poisonous ! Ah ah !

JUSTIN (avec une moue d'appréciation)
Cool !

COBRA
Sit down, sit down !

Cobra lui donne un chapati.

COBRA
Do you like mutton ?

JUSTIN (souriant en hochant la tête)
Yeah, I love it !

COBRA (montrant un plat)
Go ahead, help yourself.
(montrant un autre plat)
Take some chicken massala too.

JUSTIN (mangeant)
How come you've got so much food !

SALIM (avec un clin d'oeil)
Oh, Cobra is not only an excellent poisoner, he's also a pretty good cook.

VIKTOR
Salim and Cobra know all the jails in Asia !

JUSTIN (épaté)
What ?!

SALIM (souriant)
Oh yes, Cobra and I have met in many jails, Singapore, Bangkok, Colombo, Bombay, Calcutta and New Delhi.
We've even met Charles Sobrajh in New Delhi. You know him ? He's French like you.

JUSTIN (mangeant)
The snake !?
Yeah I read a book about him !
I heard he escaped not long ago.
(à Cobra)
Is that why your name's Cobra ?

COBRA (éclatant de rire)
Exactly ! You should be a fortune teller, my friend !

JUSTIN (avalant sa bouchée)
So, which jail do you like better ?

COBRA (sérieusement)
New Delhi ! You can have anything there. Like in a hotel. Even women.
You just need to pay the guards.

JUSTIN (s'esclaffant)
Well next time I'll make sure to smuggle gold to Delhi then...

SALIM
Anyway, if you need anything, just let us know. We have friends outside.

JUSTIN (mangeant)
Thanks, but I've got some friends as well.

SALIM (à voix basse)
Can you get some smoke ?

JUSTIN (reprenant un chapati)
Not right now but... give me some time. Maybe...
Can we smoke dope here ?

COBRA
Not openly, no, but there're plenty of places where you can do it.

JUSTIN (à l'aise)
No problem, I know a way... I'll show you.

155 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES POLITIQUES.
Lila, Arjun, Bijay, Ram et Justin sont assis en cercle sur les deux lits couverts d'une natte. Des verres de thé au lait et des cendriers sont posés près d'eux. Les quatre Népalais tiennent des blocs et des stylos. Ils les reposent, la leçon est terminée.

LILA
Merci, professeur !

JUSTIN (souriant)
De rien !

BIJAY
How can we thank you ? Is there something we can do ?

JUSTIN
No, no need, thank you. I am happy to do it.

BIJAY
Do you want to learn Nepalese ?

JUSTIN
Well, since I'm going to be kicked out of the country once they let me out, I don't think it'd be very useful.
(soudain, une idée)
Actually, would you like to tell me about the history of Nepal ? I was a history teacher in my country before. I'm always interested in that topic.
You see, I would like to write a book about my experience in Nepal but I don't know much about the country.

BIJAY (souriant)
I can tell you about the history of the democracy movement...

JUSTIN
Yes ! That would be great !
Has there ever been democracy here ?

BIJAY
Yes, actually not so long ago...


156 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL.
Justin arrive devant les barreaux. Dehors, deux jeunes Occidentaux d'une vingtaine d'années sont debout côte à côte. Ils ont le look routard/baba cool. Nicolas, c'est le brun bouclé et Jean-Pierre, c'est le blond. Ils parlent avec l'accent du sud.

JUSTIN
Qu'est-ce que vous faites au Népal ? Vous vous baladez ?

NICOLAS
Ben on a été faire un petit tour en Inde d'abord. Là, on vient de voir l'Himalaya et on retourne en Inde.
On écrit des articles de voyage, on essaiera de les placer en rentrant en France.

JUSTIN
Vous êtes allés à Goa ?

JEAN-PIERRE
Ben justement, on compte bien y aller pour y passer Noël.

JUSTIN (soupirant)
Ah quel bol vous avez ! J'aimerais bien vous accompagner !

JEAN-PIERRE
On sait jamais, peut-être que tu seras sorti d'ici là !

JUSTIN
Tu parles ! C'est pas demain la veille !

NICOLAS
T'as bien dit qu'il n'y avait même pas de procès ? Comment ça s'fait ?

JUSTIN
Ben t'as pas vu le système dans ce pays ? Y'a qu'le fric qui compte.

NICOLAS
Mais personne ne peut rien faire ?
Tu peux pas faire publier quelque chose dans la presse locale ?

JUSTIN
Tu rigoles !
On n'est pas en démocratie ici ! Jamais ils le publieraient, l'article !
Paraît qu'faut même faire gaffe à ce qu'on fait publier à l'étranger, alors tu vois !

JEAN-PIERRE (curieux)
T'as dû en entendre de belles, là-dedans !

JUSTIN (ricanant)
Ah oui, ça ! Si tu veux des anecdotes, j'en ai !
Y'a des prisonniers politiques ici, ils m'en racontent plein en ce moment !

NICOLAS
Tu pourrais nous les raconter ? On pourrait écrire un article sur toi. Ça t'aiderait peut-être...

JUSTIN (haussant les sourcils)
Ben ça risque de prendre pas mal de temps et puis y'a des noms et des dates, vous vous rappellerez jamais de tout.
Faudrait pouvoir enregistrer.

JEAN-PIERRE
Ben j'ai un baladeur qui enregistre.

JUSTIN
Ben oui mais c'est interdit, tu risques de te le faire piquer par les gardes.

NICOLAS
On va bricoler un truc pour planquer le micro. Ils n'y verront rien.

JEAN-PIERRE
Tu veux bien ? Peut-être c'est trop risqué ?

JUSTIN (souriant)
Non, c'est cool, ça va être marrant.
Faudra peut-être revenir plusieurs fois, remarquez.
J'vous ferai l'historique du patelin, vous verrez, c'est jouissif !

NICOLAS
Ben et nous, on peut faire quelque chose pour toi ?
On peut t'apporter des trucs, si tu veux.

JUSTIN (souriant, mystérieux)
Quel genre de trucs ?

NICOLAS
Euh ben, c'que tu veux...
(comprenant l'air de Justin)
Oh, tu veux quelque chose d'un peu spécial ?

JUSTIN
Ça serait génial, oui !

NICOLAS
Mais ça craint pas un peu ? Comment j'fais pour te le passer ?
Tu veux quoi, d'ailleurs ? De la fumette ou de la gnôle ?

JUSTIN (riant)
Si j'te dis comment, tu m'apportes les deux ?

NICOLAS
Ah ouais mais faut qu'ça soit béton, ton truc. J'tiens pas à m'retrouver avec toi, quand même.

JUSTIN
Tu saurais déboucher une bouteille de Coca sans plier la capsule ?

NICOLAS
Ouais, facile.

JUSTIN
Bon, ben tu vides la moitié de la bouteille et tu mets du whiskey à la place. Tu rebouches bien et voilà.

NICOLAS
Ils ouvrent pas ?

JUSTIN
Non, c'est bon.

NICOLAS
Et le reste ?

JUSTIN
Il y a un restaurant de hamburger en haut de la rue il parait, c'est vrai ?

NICOLAS
Ouais, j'crois.

JUSTIN
Ben les gardes, ils sont hindouistes. La bidoche de boeuf, ça leur donne envie d'gerber.
Alors t'achètes un hamburger, t'enlèves un peu d'pain sous la viande et t'y planques la fumette.
Ça va passer comme du beurre. Ils vont jamais y toucher, même s'ils ouvrent la boîte.

NICOLAS
Tu crois qu'ça craint pas ?

JUSTIN
Ben sois prêt à piquer un cent mètres si le garde fouine de trop près, de toute façon il n'a pas le droit de quitter son poste alors il risque pas de te courir après très longtemps.
Mais tu fais c'que tu veux, j'ai pas envie de te foutre dans la merde non plus.

NICOLAS
Ok, pas d'problème.
Attends-moi. J'reviens dans une demi-heure

JUSTIN (surpris)
T'y vas maintenant ?

NICOLAS
Ben oui, enfin, si tu veux ?

JUSTIN
Ok, c'est vachement sympa !

JEAN-PIERRE
Moi, je ne viendrai pas. Faut bien qu'il y en ait un qui reste dehors si ça tourne mal.

NICOLAS (riant)
Très juste !
(à Justin)
À tout à l'heure !

157 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - SALLE DE CLASSE.
Justin est en train d'écrire sur un bloc de mauvais papier gris, dans la salle de classe. Il a pratiquement couvert une page format A4 de sa petite écriture fine. Il finit une phrase, pose son stylo et prend son texte dans sa main gauche. Il se lève et commence à marcher de long en large en lisant à voix haute. Il martèle ses mots de la main droite, façon hiphop.

JUSTIN
Bon, il fallait bien que ça sorte un jour ! Exutoire, défouloir, punching-ball de mon crâne cabossé, vomitorium de ma colère et de mon indignation mais aussi Kleenex, éponge de ma sentimentalité d'un autre âge, évasion aussi bien sûr, et puis comme j'aime bien frimer, il va falloir s'avaler quelques passages de réflexions bien profondes, vaseuses, style intello, parce qu'après ce que j'ai vu, après m'être heurté le nez sur l'indifférence, la stupidité, l'égotisme chronique de la plupart de mes semblables, ce fichu bouquin va enfin me permettre de finir mes phrases.
Voici une poubelle où chacun va pouvoir puiser l'ordure qu'il veut. Il y aura sûrement du récupérable, du réparable, de l'utile et de l'agréable pour le clodo, le baba qui s'installe, pour le p'tit mec qui s'en va, pour le routard en fleur, pour le punk qui s'auto-taillade et tous ceux qui ne se sont pas encore collé une étiquette sur la cervelle. Pour les autres, ceux qui se sont enfermés bien douillettement dans leur cocon politique, religieux, diététique, macrobiotique et tous ces hics caduques et cadavéreux, ceux qui sont sûrs d'être certains et qui croient être convaincants, ceci est un insolent bras d'honneur. A ceux-là je dis STOP, vous m'avez assez fait chier, je vous ai assez vus, écoutés, subis, maintenant ça suffit comme ça, à moi de causer.
Et si un petit malin, un malicieux vous refile ces pages pour Noël et qu'un jour de constipation vous en lisez quelques-unes avant de tirer rageusement la chasse, je vous attends. Avec le sourire. Parce que pour me les raconter vos salades de motivations diverses, de mouvements de masses, de crédos en tout genre, il va falloir me rejoindre. Et pour ça je suis tranquille : tout prosélytes que vous êtes, il n'y en aura pas un pour se mouiller, pour se mettre dans les drôles de draps où je chasse mes puces. Intouchable, je suis ! Derrière les barreaux de la prison centrale de Katmandu, Népal, au milieu de six cents abrutis à moitié analphabètes, je suis tout aussi peinard que sur l'île déserte de mes rêves. Pas un qui parle ma langue ! Pas d'autres étrangers que moi à part un peintre russe à moitié fou, un Aryen à ce qu'il dit, qui même ici se sent pourchassé par le complot judaïque de ses cauchemars et dont l'anglais est si accidenté que j'en oublie le mien.
Ah j'en vois déjà qui se lèvent en croyant avoir à faire à un énième bouquin de taulard hagard et blafard... Assis ! Vous me mettrez le label que vous pourrez à la fin ! Assis, j'te dis ! Je ne suis pas non plus un petit voyou paumé, enfin pas seulement, donc pas du tout... Même moi j'ai un CV si tu veux ? Bon je me calme. Si je m'enrage déjà, je vais m'étouffer dans mon vomi sans que personne n'ait rien compris. Ce n'est que la préface et je crache déjà tout mon venin ? Aigri, Pépé ? Euh, non, pas encore, j'ai de la route à faire pour en arriver à ce confort de l'âme.
Ce que je vais te raconter, acheteur, c'est ma réalité : ce que tu lis s'est réellement produit. Mais toute ressemblance avec LA réalité est totalement fortuite et involontaire puisque toutes les histoires vraies ont été déformées par mes sens d'abord, par mes gros pétards ensuite et par ma mémoire enfin. La perception est une affaire d'individu et comme tu l'as compris, je n'entends pas représenter les masses. Ce que je dis, je le pense et vice-versa. Si tu n'es pas d'accord je n'y peux rien. Après tout je ne signe que le récit des expériences que j'ai moi-même, d'une manière ou d'une autre, créées. Si certaines sont ratées, j'en sais quelque-chose...

Justin retourne à son bureau. Il pose sa feuille sur le bloc et s'asseoit.
JUSTIN
Bon, faut tenir promesse maintenant !

158 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
Taranath est assis sur son matelas et Justin sur son tabouret en face de lui. Taranath lui tend un paquet de beedees "Ganesh". Une des beedees dépasse du paquet.

TARANATH (avec un drôle de sourire)
The guard caught it at the gate, from a prisoner. His wife was trying to pass it on to him and I don't know if that's really what I think it is. Could you try and tell me if there's anything strange about these beedees ?

JUSTIN (surpris, un peu méfiant)
You want me to smoke one ?

TARANATH
Yes, I don't smoke. I can't try it myself.

JUSTIN (prenant la beedee qui dépasse)
Ok.

Il l'allume, tire une grande bouffée goulue qu'il garde bien au fond de ses poumons. Quand il recrache...

TARANATH
So, what's your expertise ?

JUSTIN (reprenant souffle)
Oh, I'm no expert really !
(Avec un sourire.)
Wait.

Justin tire une autre taffe à décoiffer un chauve. La moitié de la beedee est consumée. Il garde la taffe un moment et la recrache dans un gros nuage. Il reprend une bouffée immédiatement, la recrache. La beedee est terminée. Les yeux de Justin brillent et se plissent. Oh oui ! C'est de la bonne !

TARANATH
So ? What do you think ?

JUSTIN (stoned)
Hmmm... can't say really ! I don't feel anything special...
Can I try another one ?

TARANATH (éclatant de rire)
You don't look like you don't feel anything !

JUSTIN (rigolant)
Really !? Hmm, I must be tired then...

TARANATH (tendant le paquet de beedees)
Go ahead.

Justin reprend une beedee et l'allume. Il la fume normalement, cette fois.

JUSTIN
Did you see the jail manager ?

TARANATH (détournant le regard)
About your little Christmas party ?

JUSTIN (comprenant)
I guess he said no, then...

TARANATH
He's afraid the other prisoners might complain.

JUSTIN (sombre)
It's Christmas, it means nothing to others but it's important for Westerners.

TARANATH
I know...

JUSTIN
Can I see the jail manager ?

TARANATH
Do you think you can change his mind ? I really tried !

JUSTIN (souriant en regardant Taranath droit dans les yeux)
Sinwah’s not your love, maybe I can be more convincing.
Can you ask him for an interview ?

TARANATH (avec un geste d'impuissance)
Ok, I'll try.

159 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
Justin est allongé sur son lit. Il lit "Un homme se penche sur son passé" de Constantin-Weyer. Le soleil entre par les fenêtres ouvertes. Lila apparaît derrière la tenture de Justin.

LILA
Hello, my friend ! How are you today ?

Justin baisse son livre et sourit à Lila.

JUSTIN
Hi !
(montrant le bout de son lit en s'asseyant en lotus)
Take a seat.
I'm a bit hungry actually, I'm so lazy, I didn't cook anything today.
Have you eaten ?

LILA (s'esclaffant)
Oh yes, I had lunch a long time ago.
(surpris)
But why do you cook ? You can have a servant if you want.

JUSTIN (éberlué)
What do you mean ?

LILA
Yes. He can cook for you, he can do the laundry, he can clean up your place or go to the shop for you.
You pay him only a few rupees.

JUSTIN
Really !? How much ?

LILA
Well, you get 12 rupees per day, you can give him five.
Let me see...

Lila se retourne et appelle un Népalais qu'on a déjà vaguement croisé lors de scènes précédentes et qui dort sur un des lits qui longent le mur face à Justin.

LILA
Krishna ! Come here !

Krishna s'avance, obséquieux, souriant, les yeux pleins de servilité. On dirait un crocodile croisé épagneul.

LILA
Krishna doesn't speak English but you just need to show him what to do.
You're hungry ? What would you want to eat ?

Justin sort un paquet de nouilles instantanées et deux oeufs d'un carton posé près de lui sous la tenture. Krishna se précipite. Justin lui passe la nourriture et déjà le serviteur s'applique sur le réchaud de Justin. Il pompe pour faire venir le kérosène. Justin lui passe une boîte d'allumettes.

JUSTIN (à Lila)
Thanks, man !

LILA
Just let me know if you want something he doesn't understand, ok ?

160 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL.
Madame Roux est de visite. Justin est bien propre et bien rasé.

MADAME ROUX
Bonjour, Justin. Ça va ?

JUSTIN (souriant)
Ben, si Sinwah ne me manquait pas tellement, je serais presque tenté de dire "bien".

MADAME ROUX
Tiens ! Je me réjouis de cette bonne humeur mais pourquoi ?

JUSTIN
Oh, c'est tout à fait pervers ! Comment vous expliquer...
À Dilli-Bazaar, j'avais l'impression que j'étais descendu tout au fond de l'abime, que je ne pouvais pas tomber plus bas.
D'une certaine façon, c'est rassurant de savoir où se trouve le fond, ça calme l'angoisse de l'infini si vous voulez.
M'enfin, j'y suis resté collé sept mois et je finissais pas me demander si j'allais remonter un jour.
Ben depuis que je suis ici, j'ai l'impression de remonter vers la surface.
Ça va sans doute vous sembler cruel, mais depuis aujourd'hui j'emploie un "boy", un type qui me fait mon ménage, mon lavage, ma cuisine et mes courses.
C'est la première fois de ma vie que j'emploie quelqu’un pour faire mon boulot et d'habitude, ça me gênerait mais là, ça me met de bonne humeur, ça m'rassure...
(s'esclaffant)
Voyez comme l'être humain est faible... et vache !!!

MADAME ROUX (avec un petit sourire)
Vu la situation, vous auriez tort de vous gêner. Je vous comprends tout à fait !
(sérieuse)
Sinon ça va ? Pas d'ennuis de santé ?

JUSTIN
Non, quelques boutons dûs à l'air surchargé de poussière de coton à cause de la fabrique à côté, mais sinon ça va.

MADAME ROUX
Ah ben faudra y faire attention... faudrait pas que ça s'infecte. Vous avez de la pommade ?

JUSTIN (souriant)
Non. Vous êtes gentille mais ça ira.

MADAME ROUX
Taratata, la prochaine fois, je vous en apporte.
Tiens d'ailleurs, aujourd'hui je vous ai apporté des victuailles et du courrier ainsi que quelques livres et des magazines.
Je suppose qu'on vous donnera tout ça plus tard ? Il n'y a pas eu de problème la dernière fois, non ?

JUSTIN
Non, ça prend un peu plus de temps pour les livres et les magazines parce qu'ils doivent être "censurés" par le chef nagi.
(riant)
Pour les livres en français, la censure va très vite... beaucoup plus vite que pour les magazines en anglais par exemple...

MADAME ROUX
Il les lit ?

JUSTIN
Oui, certainement.
Ça doit être sa manière de se tenir au courant des nouvelles.

MADAME ROUX
Bah, c'est pas méchant s'il ne lit pas trop lentement.
Tiens, en parlant de nouvelles, je crois que je devrais pouvoir obtenir un rendez-vous avec le préfet sous peu.
Enfin, j'peux rien promettre, il m'a déjà posé un lapin une fois...
Je l'ai eu au téléphone moi-même cette fois-ci, j'espère que ça va marcher.

JUSTIN (soupirant)
Espérons-le !
Les autres de Dilli-Bazaar, ils y sont allés chez l'préfet ?

MADAME ROUX
Je ne crois pas.
J'ai vu certains de mes collègues, attachés au consulat anglais ou américain par exemple, et nous sommes plus que jamais déterminés à mener une action commune.
JUSTIN
Comment va Sinwah ?

MADAME ROUX
Eh bien apparemment elle a eu quelques difficultés à se faire à votre absence.
Il y aurait eu quelques violences avec d'autres détenues mais rien de grave, elle va bien, je vous rassure tout de suite.
Toujours est-il que Geneviève n'a pas eu l'autorisation de la voir, lors de sa dernière visite.
Votre ami Antoine a promis d'y aller tous les jours, il pense que les gardes vont bien finir par se fatiguer.
Ah j'voulais vous dire qu'elle a bel et bien écrit à vos parents, j'ai moi-même fait suivre le courrier par la valise diplomatique, je l'ai vue passer.

JUSTIN (s'assombrissant)
Ah !

MADAME ROUX (embarrassée)
Bon écoutez, j'dois bien vous l'dire... je les ai appelés, vos parents.

JUSTIN (se raidissant, le regard vrillé sur son interlocutrice)
Ah ?
Alors ?

MADAME ROUX (secouant la tête, regard sombre)
Ben franchement, je n'sais pas c'que vous leur avez fait mais vraiment...
J'en ai entendu...

JUSTIN (la voix tremblante)
C'que j'leur ai fait ?
Ben échouer ici, je suppose que ça a été suffisant...
Pourquoi, qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?

MADAME ROUX
Vous voulez bien me répondre sincèrement à une question ?

JUSTIN
Bien sûr.

MADAME ROUX
Vous avez fait d'autres trafics avant ? Du trafic de drogue ?

JUSTIN (écarquillant les yeux )
Non, bien sûr que non !
D'ailleurs j'aurais peut-être dû, je serais déjà dehors...
Mais non, justement, c'est pas mon truc alors que l'or, j'trouvais ça propre.

MADAME ROUX
Vous n'avez jamais envoyé de paquets contenant de la drogue en France ?

JUSTIN (toujours éberlué)
Mais non enfin !
Ok, une fois, alors que j'étais à Bangkok, j'ai envoyé deux brins d'herbe, juste de quoi faire un joint, entre deux cartes postales à mon ex-copine et à un pote.
C'est pas pour ça quand même !? Ils sont au courant ? Les cartes ont été ouvertes ?

MADAME ROUX
Ecoutez, tout ce que j'ai cru comprendre, c'est...
Vous vous souvenez de Michel ?

JUSTIN (intrigué)
Ben oui, on était ensemble à Dilli-Bazaar, au début.

MADAME ROUX
Tout ce que je sais, c'est que sa mère a dû téléphoner à vos parents.
Je ne sais pas ce qu'elle leur a dit mais ils ont l'air convaincus que vous êtes un gros trafiquant de drogue et que l'idée du trafic d'or venait de vous.

JUSTIN (livide, les yeux exorbités)
Quoi !? Mais c'est n'importe quoi !
C'est Michel qui nous a branchés sur les Népalais, Sinwah et moi ! Vous n'aurez qu'à lui demander !

MADAME ROUX
Oh mais je vous crois ! J'ai mes petits renseignements, moi aussi !
En attendant voilà la situation !

JUSTIN (démoli, appuyant sa tête aux barreaux du portail)
Alors il a dû faire croire à sa mère qu'il était ma pauvre petite victime et ça a marché ! Il est sorti !
Et moi, alors que mes parents voulaient intervenir tout de suite, je suis bloqué ici jusqu'à j'sais pas quand !
(pause, il regarde vaguement Mme Roux puis avec une grimace de souffrance)
Je devrais le tuer ! Si j'ai le moindre amour-propre, je devrais le tuer !
Vous vous rendez compte ! Mais c'est dingue ! Comme si j'avais besoin de ça !
Du coup, il me pourrit même la joie que je me faisais de sortir un jour !
Comme si j'avais envie de tuer quelqu’un, moi ! Ah ! J'm'y vois déjà !
J'peux pourtant pas laisser passer un truc pareil, c'est impardonnable, non ?
C'est lui qui nous avait dénoncés à la douane déjà, vous le savez ?

MADAME ROUX (désolée)
Oui, je sais. Seulement je ne crois pas que ce soit très malin de passer toute sa vie en prison pour un type pareil.
Le temps que vous avez passé ici, c'est déjà bien assez, vous ne trouvez pas ? Alors la vengeance hein... Ça peut attendre.

JUSTIN (une lueur de haine dans les yeux)
Ouais, faut d'abord que j'sorte d'ici...
(redressant la tête)
Et mes parents ont gobé tout ça sans poser d'questions !

MADAME ROUX
Ben faut bien dire que s'ils sont au courant de vos cartes postales de Bangkok là, les apparences sont contre vous...

JUSTIN (désespéré)
Mais tout l'monde fait ça ! Envoyer un p'tit joint d'un coin où l'herbe est bonne, c'est la moindre des gentillesses avec mes copains !
Y'a pas besoin d'habiter dans le Larzac pour comprendre ça !

MADAME ROUX
Ah ben c'est sûr que vos parents ne m'ont pas semblé des plus larges d'esprit !
Mais ne vous en faites pas. Je suis certaine que vous me dites la vérité, je vais continuer à leur donner des nouvelles, ça me donnera un prétexte pour essayer de leur faire entendre raison.

JUSTIN (les larmes aux yeux)
Je crois que ça ne sert à rien mais je vous en remercie en tout cas.

161 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
Justin, hirsute avec une barbe d'une semaine, est vautré dans son lit sur lequel traînent des vêtements, des feuilles manuscrites et des livres. Justin est en train de sortir un à un des comprimés de valium d'une plaquette de dix. Ses mains sont crasseuses. Sa figure aussi. Les fenêtres sont closes. Au fur et à mesure, il pose les comprimés sur son ventre. Il porte un T-shirt rouge qu'il n'a pas dû ôter depuis une semaine et qu'il a tailladé, façon punk, en fait c'est une loque. On remarque, à la lenteur de ses gestes et à ses yeux glauques, que Justin est déjà passablement cassé. La plaquette vide, il récupère les cachets sur son nombril et se redresse pour s'asseoir, péniblement, en position du lotus. À moitié hagard, il regarde autour de lui, puis:

JUSTIN (d'une voix morne et trainante)
Krishnaaaa !

Krishna arrive immédiatement, le sourire humide plein de servilité, comme d'habitude.

JUSTIN (balbutiant)
Pani ayo ?
(S-T: Il y a de l'eau ?)

Krishna repart en vitesse avec une casserole.

163 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
Justin est à moitié adossé contre le mur. Son corps penche vers la droite, sa tête est inclinée sur son épaule. On dirait qu'il dort mais on s'aperçoit que ses yeux sont à demi-ouverts. Deux mouches trottent sur son visage, sans qu'il s'en débarrasse. Sa barbe est encore plus hirsute, il est sale, pâle et il a mauvaise mine avec sur la figure et dans le cou, quelques boutons rouges infectés. De la musique hindoue s'échappe d'un transistor quelque part.

Soudain le pantin désarticulé semble se ranimer. Il ouvre les yeux, regarde à droite et à gauche, sans que sa tête ne bouge. Des larmes se mettent à couler sur sa figure qui reste pourtant impassible. Près de lui, il y a quelques livres. Justin en prend un, l'ouvre et en tire une lame de rasoir qu'il se met à contempler. Il la replace dans le livre, qu'il remet près des autres. Il en prend un autre, une bible. Il l'ouvre et commence à lire quand tout à coup, poussant un rugissement de rage, il se redresse d'un bond, à genoux, vers la fenêtre qu'il ouvre brusquement.
Il se penche et de la main droite, il balance la bible par la fenêtre, au-dessus du mur d'enceinte en gueulant.

JUSTIN
Saloperie d'shit de merde !

164 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - INFIRMERIE.
Justin, le dos courbé, habillé chaudement mais n'importe comment, les cheveux en bataille et le teint maladif, est en train de faire la queue dans l'infirmerie de la prison. C'est un local assez petit, au fond duquel se trouve un bureau de fer sur lequel on a posé des flacons, des instruments médicaux, des compresses, du coton, etc... Derrière le bureau, des étagères sont remplies de flacons et de boîtes de médicaments. Sur le côté, il y a même un lit d'hôpital. La queue mène à un nagi qui, assis derrière son bureau, distribue tout en vérifiant son registre, des pilules à celui-ci ou des ampoules à celui-là. Il prend son temps et donne l'impression d'hésiter un peu.

Soudain, Viktor arrive et se place derrière Justin.

VIKTOR (posant sa grosse main sur l'épaule de Justin qui ne l'a pas vu)
Hello my friend ! Long time no see you !

JUSTIN (se retournant)
Ah tiens ! Viktor ! Yeah, what were you doing ?

VIKTOR
Oh, I've done some painting. The priest come see me and he bring some material. I give money and he bring paint and paper and two brush.

JUSTIN
Nice ! I will come and see one day.

VIKTOR
Welcome my friend, welcome !
Why you are here ? You sick ?

JUSTIN (montrant un bouton énorme sur son cou)
Just that shit ! I get shots of peniciline everyday.
And you, why are you here ?

VIKTOR
I get some vitamins.

JUSTIN (pointant le nagi qui s’est dressé pour faire une piqûre à un prisonnier qui tient son boulet dans ses mains)
Why some prisonners have chains and some prisonners no chain ?

VIKTOR
Oh they crazy men. Too much dangerous.

JUSTIN (pointant l'infirmier qui s'est rassis alors que la queue avance)
And the nagi, how come he's not the same as yesterday.

VIKTOR
Oh, you don't know ? All nagi change this morning.

JUSTIN
Really !? But why ?

VIKTOR (riant)
One nagi, released this morning. All nagi go up one step ! Promotion !

JUSTIN (jetant un coup d'oeil à l'infirmier qui se relève pour faire une piqûre au type juste devant Justin)
So this nagi ? What was he doing before ?

VIKTOR (méprisant)
He !? He work kitchen !

Juste à ce moment-là, le prisonnier auquel on fait une piqûre s'écroule comme une masse, d'un bloc, en silence, aux pieds de Justin qui regarde sans comprendre. Viktor se penche sur le type, il pose son oreille sur sa poitrine. Il se redresse en secouant la tête.

VIKTOR
He dead !

Viktor et Justin échangent un regard, de ceux qu'on échange quand la mort est dans la pièce. Justin ne peut retenir une grimace qui s'achève en une sorte de hoquet éternué. Viktor regarde le nagi qui, bras ballants, regarde le mort et ne sait pas quelle posture adopter. Les quelques prisonniers qui faisaient la queue derrière Justin et Viktor quittent la salle en désordre en murmurant "He dead !"

VIKTOR (efficace)
He dead. What to do ?
(remarquant le lit)
Help me. Put body here.

Viktor attrape le mort sous les bras, le nagi par les pieds. Ils le soulèvent et le couchent sur le lit. Le nagi se retourne.

JUSTIN (indifférent tellement il est écoeuré)
Can I do my shot myself ?

LE NAGI (assez choqué)
Yeah, sure !

Il donne le matériel à Justin.

JUSTIN
Have you received my valiums ?
Tablets ? Medicine for me ? You have ?

LE NAGI (feuilletant son registre les mains tremblantes)
I don't know ! I new ! I don't know !
(montrant le lit sans le regarder)
Why he dead !?

Justin pointe son doigt sur une ligne au registre.

JUSTIN (brusque)
There ! That's me !
(en français, ricanant d'un air cruel)
Probablement parce que t'as laissé d'l'air dans la seringue, pauvre connard !
Mais c'est pas grave, vas-y, fais tes piqûres à toute la prison qu'on rigole !

LE NAGI (qui n'a rien compris, fouille sur les étagères derrière le bureau)
Is it that ?

JUSTIN (vérifiant les plaquettes)
Valium 10 mg, yup, that's my treat !
Thanks, doc ! Keep up the good work !

VIKTOR
What is that ?

JUSTIN
You want some ? Is good for don't care !

165 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN.
Justin, barbu, est vautré sur son lit, la couette jusqu'aux hanches, le sweat-shirt remonté jusqu'au cou, la tête soutenue par un coussin. Les pommettes saillantes, il a l'air de plus en plus mal. Il s'est dressé les cheveux sur la tête avec du coca-cola. Il joue à écrire "Sinwah" sur son ventre, à la lame de rasoir. Le sang dégouline mais on dirait qu'il ne sent rien. Le regard vitreux, morne, il a un sourire bizarre, malsain, sur les lèvres. On remarque de gros boutons rouges, infectés, sur ses flancs et sur sa figure. Sa peau est grise comme celle de quelqu’un qui ne s'est pas lavé depuis un mois.

Soudain Lila fait irruption. D'un mouvement vif qui semble le mettre hors d'haleine, Justin rabat sa couette sur son ventre, y laissant sa lame de rasoir.

LILA
Good afternoon, my friend !

JUSTIN (sans énergie)
Hi Lila.

LILA
You don't look so good. Anything wrong ?

JUSTIN (ricanant vaguement)
No, no. Everything is just fine !

LILA (inquiet)
What's wrong ? You haven't taught us French for many weeks now ? You don't want to anymore ?

JUSTIN (embarrassé)
It's not that... I will teach you again later... It's just now... I don't feel like it. But I will !

LILA
You don't feel like eating neither ?
Krishna told me you haven't been eating for at least a week !
Why are you acting like that ?

JUSTIN (avec un rire un peu déjanté)
Hunger strike training !

LILA
You're on a hunger strike ?

JUSTIN (sérieux)
I guess...
(souriant)
Nah ! I'm just not hungry, that's all.

LILA
Did you hear anything from Sinwah ?

JUSTIN (s'efforçant de rester impassible)
No.

LILA
Be patient, it'll happen soon...
Actually, I came to tell you that Taranath wants to see you.

JUSTIN (surpris)
Now ? What for ?

LILA
Why not ?
Don't tell him I told you but I think the jail manager will see you now.

JUSTIN (mieux réveillé pour le coup)
Really ?!
Ok, thanks ! Let me dress up and I go.

Lila se retire.

166 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS.
Taranath est déjà assis sur son super-matelas quand Justin entre dans son dortoir. Il est en train de faire lire Bahini. Lorsqu'il voit Justin, il fait signe à la petite de partir.

TARANATH
(à Bahini)
Djalo ! (S-T: va-t-en)
(à Justin)
Long time no see, my friend !
Sit down !

Justin est en jean et pull marin bleu. Il a meilleure allure que dans son dortoir mais il ne s'est ni lavé ni rasé pour autant. Il traîne un peu le pas et s'asseoit lourdement.

TARANATH
Is there something the matter, my friend ? Why aren't you coming here anymore ?
Don't you want to finish your book ?

JUSTIN (faisant un effort de sincérité)
I've got too many things on my mind right now, it doesn't leave me any space for writing.

TARANATH
What's bothering you, then ?

JUSTIN (vague)
Oh lots of things... my parents, the jail, looks like I'll be here forever, I miss my girlfriend...
So many things...

TARANATH
But you are not the unluckiest here !

JUSTIN (le regardant, étonné de la remarque)
Of course ! I know that ! But everyone lives his pain at his own level, don't you think ?

TARANATH
What do you mean ?

JUSTIN
I mean that one might miss a finger as much as another an eye. The damage isn't the same but the feeling of loss is.

TARANATH (perdu)
Do you still want to meet the jail manager ?

JUSTIN (faisant semblant d'être agréablement surpris)
Can I ?

TARANATH
I think he's got some time to see you now. But not more than five minutes, ok ?

JUSTIN (essayant de retenir un plissement de lèvres plein de haine)
Oh yeah ! Sure !

Taranath se lève et se dirige vers le fond du dortoir.

167 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - BUREAU DU DIRECTEUR.
Le directeur est assis derrière son bureau, sur lequel se trouvent une lampe girafe, un téléphone en bakalite noir et quelques dossiers. C’est un homme d'une cinquantaine d'années, bedonnant, le cheveu grisonnant. Il présente un visage froid de composition, mais pour l'instant il est absorbé dans un dossier.

On frappe.

LE DIRECTEUR
Come in.

Justin entre.

JUSTIN (souriant)
Good afternoon.

Silence du directeur qui ne lève pas le nez.

Justin referme la porte et s'approche des deux fauteuils placés en face du bureau, avec un petit sourire au coin des lèvres. Le directeur ne daigne toujours pas le regarder. Justin se campe sur ses deux pieds et se racle la gorge, façon de signaler sa présence mais avec une insolence qui choque un peu.

Effectivement, le directeur lève enfin les yeux vers lui. On comprend qu'il n'apprécie guère.

LE DIRECTEUR (dans un sifflement)
Yes.

JUSTIN (indifférent)
Good afternoon, Sir.

LE DIRECTEUR (d'un ton abrupt)
What do you want ?

JUSTIN (extrêmement poli)
I would like your permission and your help to arrange a meeting so that I can see my girlfriend for Christmas.

LE DIRECTEUR (sèchement)
It’s out of the question !
This is a jail, not a hotel.

JUSTIN (toujours ferme et poli)
Sir, I know this has been arranged in the past. May I insist.
Christmas is a very important celebration among Westerners, we exchange good wishes and presents.
It is important that I can celebrate it with my wife to be.

LE DIRECTEUR (arrogant)
Why insist ? I already said no, didn’t I ?

JUSTIN (tirant sa lame de rasoir de sa poche arrière puis relevant sa manche gauche)
Sir, I am determined to see her for Christmas. I need it.
(dirigeant la lame de rasoir vers son bras gauche dénudé)
Do I need to show you how much ?

LE DIRECTEUR (s'efforçant de rester calme)
You know it is against the rules to have a razor blade ?

JUSTIN (déterminé)
Yes. But right now, that's not the main point.

LE DIRECTEUR
Look, I'm sorry...

D'un coup sec, Justin balance la lame dans la chair de son avant-bras. Le sang se met à couler. Ni le directeur ni lui ne disent rien. Une goutte de sang tombe sur le sol.

LE DIRECTEUR (la voix sourde)
Please don't do that !

Justin prend sa lame de rasoir de la main gauche et relève sa manche droite.

JUSTIN (sur le même ton)
Please let me see her !
We're in jail because a friend betrayed us, twice !
My parents don't even want to hear about us.
We need each other. Please !

LE DIRECTEUR
I can't...

Shhlack, une nouvelle entaille décore le bras droit de Justin qui reprend la lame de la main droite et l'approche à nouveau du bras gauche.

JUSTIN (d'une voix vibrante de passion)
Really, really not ? I will only stop when all my blood is on your floor.

Et il se retaillade le bras gauche pour la bonne forme.

LE DIRECTEUR (écoeuré)
Please stop that !
Ok, I will try to call the jail manager at Dilli-Bazaar and see if they can send her here by taxi for Christmas. But it's just for this time, you understand ?

JUSTIN (sourire éblouissant comme on ne lui en avait pas vu depuis longtemps, pas vainqueur pour un sou mais toujours aussi poli au contraire)
Thank you very much, Sir. Thank you !

LE DIRECTEUR (pas content)
Now go get these cuts fixed before you spill blood everywhere in my office !
And leave that blade here ! On the desk !

168 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Antoine est debout derrière les grilles. Il semble moins doux que d'habitude. Comme s'il lui en voulait un peu, il parle assez sèchement à un Justin de plus en plus barbu et qui, visiblement sous l'emprise du valium, a du mal à se tenir debout. Justin a levé les bras pour mieux s'accrocher aux barreaux du portail.

ANTOINE
Madame Roux a vu le préfet qui lui a promis de lui donner bientôt une date pour ton entrevue et celle de Sinwah.

JUSTIN (ricanant mollement)
Pourquoi bientôt ? Il avait pas son agenda sous la main ?

ANTOINE
Ben non, c'est toujours ce maudit dossier qu'est bloqué à la douane. Il paraît que le préfet a déjà essayé de l'obtenir deux fois !

JUSTIN (qui a un peu de mal à articuler)
Ben j'comprends pas, il paraît que le chef des douanes a été arrêté comme quoi il avait détourné quatorze kilos d'or, alors ?
Il a emporté notre dossier avec lui en prison ou quoi ?
D'ailleurs, je me demande bien où ils l'ont mis, cui-là ! (riant) Ça serait génial qu'on s'retrouve ici !

ANTOINE
Elle m'a aussi demandé de te dire qu'elle avait encore appelé tes parents et qu'ils lui ont dit qu'ils allaient t'envoyer un colis pour Noël.

JUSTIN (mollement surpris)
Ah ?! Elle les a obligés ou quoi ?
Un bandit de mon acabit, voyons ! A-t-on idée !?

ANTOINE
J'peux pas t'obliger mais écris-leur.

JUSTIN (aux abois)
Et je dis quoi ?
Tu vois, l'problème c'est pas qu'ils me sortent d'ici ou pas.
L'problème, c'est que j'pensais être ici parce qu'ils jugeaient que je le méritais.
Or ce n'est pas ça du tout !
En fait j'y suis parce qu'ils me jugent coupable de crimes que je n'ai pas commis.
Je suis là parce qu'ils préfèrent croire une mère Michel qu'ils ne connaissent même pas.
Alors ? Qu'est-ce que tu veux qu'je dise à ça ?
À part Joyeux Noël, j'vois pas trop quoi rajouter...

ANTOINE
Te fâche pas ! J'te dis c'que j'en pense, c'est tout !

JUSTIN (se fâchant)
Mais j'me fâche pas !
Quelle serait ta réaction à toi ? Tu l'sais ?

ANTOINE (agacé)
Moi déjà, j'aurais tout fait pour rester près de Sinwah.

Justin tire sur ses manches pour montrer ses bras. On découvre les cicatrices mal fermées et infectées. La peau des bras de Justin est grise jusqu'aux poignets. Visiblement, il n'a que les mains d'à peu près propres.

JUSTIN
Tu vois ça ?

ANTOINE (choqué)
C'est malin !

JUSTIN
C'est le prix pour qu'on puisse se voir à Noël, elle et moi !
Le dirlo voulait pas alors shhlack!... jusqu'à c'qu'il dise oui.
Alors ne viens pas m'dire que j'n'ai pas envie d'être près d'elle, ok ?

ANTOINE (radouci)
Mais alors pourquoi t'as réagi comme ça avec le gradé, là-bas ?
Sinwah, elle n'allait pas bien tu sais !
C'est comme si tu l'avais abandonnée.
Bon maintenant elle va mieux, mais je la trouve plus froide...

JUSTIN (lui coupant la parole sur un ton de logique)
Une réaction, c'est exactement c'que c'est, on la prépare pas avant.
C'est comme pour le coup du petit pédé, tu t'rappelles. Ça s'fait tout seul.

ANTOINE (souriant d'un air finaud)
Bon, mais dans le cas de tes parents, t'as le temps d'y réfléchir, non ?

JUSTIN (fatigué)
Moi, j'suis bloqué ici, c'est tout réfléchi, non ?
Ben voilà, tout est dit. Prends-moi pour un con si tu veux.
J'en suis plus à un déçu près...

ANTOINE (résigné)
Tu veux qu'je dise quelque chose à Sinwah et à Madame Roux pour toi ?

JUSTIN (souriant)
À Sinwah, oui, tu peux lui dire que de près ou de loin, je l'aime toujours autant.
Et à Madame Roux, euh...
Oui, remercie-la encore pour le duvet en plumes d'oie !
J'y passe mes journées entières maintenant, tellement il fait froid !
La fontaine est gelée le matin, alors pour les douches... ben ça attendra l'printemps !

169 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Justin est assis en lotus sur son lit, face au mur. Il gratouille les premières notes de "I'm free" des Who sur une guitare classique. Il chante seulement "I am free, Iiiam freee !" abominablement faux mais pas très fort. Il se contente de répéter la même chose indéfiniment, sans rien changer, sans tenter d'améliorer son jeu, comme un disque rayé. Son visage défait ne montre aucune émotion, visiblement il a encore pris trop de valiums.

Lila apparaît dans son dos. Il tient des livres, des lettres et un gros sac en plastique. Il s'arrête à quelques pas derrière Justin, qui ne l'a pas aperçu. Lila écoute un moment puis s'approche.

LILA (doucement, comme à quelqu’un qui dort)
Justin ! Justin !

Justin entend enfin, il tourne la tête en s'arrêtant de gratouiller et aperçoit Lila. Il pivote sur lui même pour lui faire face, en posant la guitare sur le lit.

JUSTIN (qui se force à être enjoué)
Hey ! Lila ! What's up, man ?

LILA (montrant la guitare)
You play the guitar ?

JUSTIN (riant)
No, I don't know how to play but one visitor has lent me his guitar for a few days, so I try to learn.

LILA
Good !
(posant son chargement sur le lit)
Taranath asked me to bring you this. It's been checked already.
How come you have so many visitors and Viktor has almost none ?
You know so many people ?

JUSTIN
My friend Antoine has posted notes at the Post Office and in the Thamel's restaurants.
It's to inform tourists about Westerners being jailed in Katmandu and ask them to come and visit us if they can.

LILA (hochant la tête)
Your friend is a very good person !
You are lucky !

JUSTIN (jetant un coup d'oeil dans le sac)
Oh great !
That must be from my two guys who want to know about democracy in Nepal.
It was their last visit today. They're flying to Goa for Christmas... I'm going to miss them !
...and their presents too ! Look at that !
Fresh bread and cheese !

LILA
How come French people like cheese so much ?

JUSTIN (riant, fouillant toujours dans le sac)
I guess we can pretend it's the cheese that stinks, not us...
Hey, there's some chocolate also. You want some ?

Justin retire trois plaquettes du sac. Il en tend une à Lila.

LILA
No, thank you. It's for you.

JUSTIN
Here, have some.
You can share with Bijay and the others, if you like.

LILA (prenant la plaquette)
Thank you. So... how are you, these days ?

JUSTIN (feuilletant le paquet de lettres)
Hmm… alright I guess.
Sinwah will be visiting me for Christmas.

LILA
Yes ! So I heard !
You must be really happy !

JUSTIN
(montrant une des enveloppes, les yeux brillants)
Oh, here's a letter from her !
It's the first one I get since I'm here !

LILA (souriant en se levant)
Well, I better go now. Enjoy your letter !

JUSTIN (grand sourire sur ses traits tirés)
Thanks ! I will !

Lila se retire. Justin a sorti la lettre de Sinwah de l'enveloppe et il la déplie. On s'attend à ce qu'il en fasse la lecture immédiatement. Au lieu de celà, il range la guitare sur le côté, il attrape le sac en plastique et le pousse près de son carton à victuailles. Puis il s'empare des quelques livres qu'on vient de lui apporter et les pose près de son oreiller. Il jette un coup d'oeil pour vérifier si quelqu’un le surveille puis, tenant toujours la lettre dans sa main droite, il s'allonge sur le ventre sur son duvet d'oie bleu marine. Il prend le seul livre relié cuir de la pile, l’ouvre et passe le doigt sur la surface interne de la couverture.

Il attrape un livre dans la rangée qu'il garde contre le mur, un livre qui contient à nouveau une lame de rasoir. Jetant encore un coup d'oeil furtif derrière lui, il sort la lame et discrètement, découpe la base de la reliure. Il redresse le livre et tapote sur la tranche supérieure. Une petite enveloppe tombe.

Justin l'ouvre avec précaution. Elle contient une poudre brune. Justin prend un des livres à couverture dure et entreprend de se faire une ligne avec sa lame de rasoir. Il tire un billet de sa poche, le roule et se fait un snif. Ses traits s'affaissent encore. Il pousse un grand soupir de bien-être et, poussant les livres sur le côté, il s'allonge et lit enfin la lettre de Sinwah, le sourire aux lèvres.

170 - EXTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR - DEVANT LE DORTOIR DE SALIM ET COBRA

Une foule bruyante de prisonniers est massée devant la porte du bâtiment de Salim et Cobra. On aperçoit Viktor, à gauche de la porte, hissé sur ses orteils. Il essaie d'apercevoir quelque chose. Justin cavale pour venir voir ce qui se passe, mais au moment où il va rejoindre Viktor, la foule se sépare en deux pour laisser le passage à deux gardes qui encadrent Salim en le tirant sans ménagement. Justin reste donc à droite de la porte. Salim, le visage défait et haineux comme on ne l'a jamais vu, aperçoit Justin en sortant et son visage se recompose immédiatement.

SALIM (à Justin)
I didn't do it !

Les gardes l'entraînent, le visage de Salim reprend son masque de haine et Justin peut enfin se rapprocher de Viktor alors que la foule se disperse. Certains prisonniers suivent les gardes.

JUSTIN (à Viktor)
What happened ? I was writing a poem for Sinwah and I heard the noise...

VIKTOR (écartant les mains)
They say Salim killed Cobra.

JUSTIN (éberlué, incrédule)
What ?! Cobra is dead !? No way !

VIKTOR
What Salim say to you when he go out ? I see he speak to you.

JUSTIN (indigné)
He said he didn't do it !

VIKTOR (fataliste)
Maybe he did, maybe he didn't !

JUSTIN (toujours remonté)
Why would he kill Cobra ? What for ?

VIKTOR (ironique)
What for ?! This is jail, my friend !
Maybe money ! Maybe jealous ! Maybe just bored !
What for !? Ah ! Too many reasons !

JUSTIN (vraiment triste et perdu)
But they were really good friends !
They were the most funny people here !

VIKTOR (ricanant)
Jail is like no life. If no life then no have friend, no have love, no have nothing, understand ?
Very quiet here ! Very dangerous but very quiet ! You alive, you dead, nobody care.
You no exist ! Understand ?
Life already finish.

Et Viktor plante là un Justin vidé, frissonnant dans le froid du mois de décembre. Il regarde autour de lui comme s'il venait d'arriver sur cette planète puis, pivotant sur lui-même, il retourne, tête basse, vers son dortoir.

171 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR - DEVANT LA BOUTIQUE DU MENUISIER
Il fait froid mais il fait beau, devant la boutique du menuisier. Celui-ci est assis en tailleur sur un sac de toile. Il est en train d'ajuster une petite table en bois. Il visse les pieds. Sa boîte à outils est posée à côté de lui.

Viktor et Justin arrivent devant l'ouvrier et s'accroupissent devant lui. Le type cesse son travail et lève les yeux.

VIKTOR
Good morning, Sati !

LE MENUISIER
Good morning !

VIKTOR
Business good ?

LE MENUISIER (reprenant son travail)
Me very busy !

VIKTOR
I have work for you, my friend.

LE MENUISIER (lui jetant un coup d'oeil)
What work ?

VIKTOR (montrant Justin)
He wants special desk for painting. Small one.

LE MENUISIER
What ?

VIKTOR
Maybe I make drawing for you.
Have paper ?

Le menuisier pose son ouvrage et son tournevis sur le sol et se lève pour entrer dans son atelier. Viktor le suit jusqu'à la porte. Justin, profitant qu'il ait le dos tourné, regarde furtivement à droite et à gauche et s'empare en un clin d'oeil d'un tournevis assez long, dans la boîte à outils du menuisier. Il le cache dans sa manche.

Le menuisier et Viktor reviennent. Le menuisier reprend son travail sans remarquer la disparition de son outil. Viktor dessine un chevalet sur sa feuille de papier. Il montre son oeuvre au menuisier.

LE MENUISIER
How big ?

JUSTIN (écartant les mains)
Like this.

172 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - GUICHET PORTAIL
Dans la pièce vide derrière les barreaux du portail, le nagi somnole sur son tabouret. Dehors, la lumière est vive. Cette fois, Justin n'est pas debout derrière les grilles mais assis sur un tabouret, un peu en retrait. Il est assis devant un guichet, d'ordinaire fermé. Un sac en plastique est posé par terre près de lui.

Soudain, le guichet s'ouvre et Sinwah apparaît, à cinquante centimètres de Justin. Sinwah n'a pas changé sinon un peu maigri. Ils sont mutuellement surpris de l'apparition soudaine, de part et d'autre. Leurs regards se fondent avant même que leur visage n'ait eu le temps de composer un sourire. Leurs mains se jettent en avant pour se toucher. Ils ne disent rien. Ils se boivent du regard. Leur émotion est si vive que tout passe par leurs yeux. Enfin Justin brise le silence pour dire une évidence.

JUSTIN
I miss you so much !

SINWAH
Me too !

JUSTIN
I love you.

SINWAH (brisant le contact de leurs regards pour la première fois)
How are you ? They told me you cut your arm so that we can meet. Is it true ?

JUSTIN
Never mind. I just want to be with you. I think of you all the time.

SINWAH
Me too. Did you get my letters ?

JUSTIN
I got one the other day and four this morning !
They must have kept them for Christmas !

Viktor, qu'on vient d'appeler au portail, passe derrière Justin. Il s'arrête au passage et baisse la tête pour regarder Sinwah.

VIKTOR
Hello, Sinwah !

SINWAH (souriant)
Hello !

Viktor se redresse prestement et va à la grille.

SINWAH (surprise)
Who is he ?

JUSTIN
Oh, this is Viktor ! He's the only other Westerner here. You know, I told you in a letter.

SINWAH (surprise)
Uh ? I don't remember ! I thought you were alone in here !

JUSTIN
No ! There's Viktor, he's Russian.
He's a good painter.
I showed him the drawings and the paintings you gave me in Dilli-Bazaar.
He said it's really good !

Sinwah se penche sur le côté pour attraper quelque chose.

SINWAH (tendant un rouleau de papier à Justin)
Happy Christmas, mon amour !

À cet instant, Viktor apparaît à droite de Justin.

VIKTOR
Excuse me. I am with priest. Come ! He wants to see you.

JUSTIN
Sorry, man ! Tell him I'm with Sinwah now. I'll come a bit later, ok ?

Viktor retourne à la grille.
Justin prend le rouleau des mains de Sinwah.

JUSTIN (à Sinwah)
Merci, mon amour !

Il déroule la peinture. Il reste interdit un petit moment. Il s'agit d'une magnifique tankha, peinture népalaise, représentant Kali, la déesse de la mort, avec ses crânes accrochés en collier et sa longue langue pendante.

SINWAH
I know you like skulls so I thought you'd like her.

JUSTIN (se mettant à sourire)
Yes ! It's really nice ! I love the colours and she's so frightening !
Really good piece of work !

SINWAH (timidement)
You like it ?

JUSTIN (amoureusement)
I love it and I love you !
(il embrasse la main de Sinwah)
Thank you !

Justin se penche à son tour vers son grand sac en plastique, mais Viktor refait son apparition.

VIKTOR
Justin, excuse me ! The priest want to see you now. Come ! He going !

JUSTIN (cachant mal son impatience)
I told you, man, tell him I'm busy with my wife. I'll come later !

VIKTOR
He man of God ! No waiting ! You must come now !

JUSTIN (franchement impatient)
Hey, man ! I'm obviously not on God's priority list so he's not on mine either, ok ?!
Fuckin' hell !!! If he cannot wait five minutes then tell him I'll see him next time.

Viktor, visiblement furieux, retourne au portail.

JUSTIN (à Sinwah)
I don't believe this priest !

SINWAH
Who is he ?

JUSTIN (en sortant le chevalet avec difficulté du sac)
I don't know.
I've never seen him before in Dilli-Bazaar.
He only comes to see Viktor but he doesn't look very charitable, Viktor must pay for the rare things he brings.
Last time he asked to see me, he's a weird dude, he's got huge rings with precious stones on his fingers and he just come to blame you for being here.
I'm not really sure if he's a priest actually, probably just some asshole...

Justin a fini par dégager son cadeau du sac en plastique et il le passe à Sinwah par le guichet.

JUSTIN
Anyway, never mind that guy... here, mon amour, happy Christmas !

SINWAH (surprise)
Wow ! Did you make it yourself ?

JUSTIN (embarrassé)
Euh... non...
I had it made by the jail's carpenter.
But...
(tirant une feuille de papier de sa poche arrière)
I wrote this for you.

Il passe le poème à Sinwah qui ouvre la feuille de papier.

JUSTIN (avant qu'elle ne commence sa lecture)
I tried to write something happy, something cheerful... but I could not.
I tried many times and everytime it just ended up being sad.
I'm sorry. I'll write you happier ones when we get outside. I promise.

SINWAH (renonçant à lire)
Thank you, Justin. I love you.
Don't worry, we'll get out soon !

JUSTIN (s'efforçant de sourire)
Yeah !

SINWAH (tendant une écharpe en laine)
I made it for you. Don't forget to put it on, it's getting really cold in here.

JUSTIN (mettant l'écharpe autour de son cou)
I'll sleep with it !
(portant l'écharpe à son nez, il la respire)
Hmm, it smells like you !
(il regarde Sinwah avec un petit sourire et les yeux brillants)
I want you...

SINWAH (sourit)
Me too !

Soudain une garde s'approche de Sinwah. On reconnaît l'une des gardes de Dilli-Bazaar.

LA GARDE
Time up, Miss, we must go now.

Sans regarder la garde qui reste près d'elle, Sinwah se penche et pose une boîte en plastique transparent sur le guichet. La boîte contient des biscuits.

SINWAH
I baked them myself. You're so skinny ! You must eat more !

JUSTIN
You're really lovely ! Thank you, Sinwah !

SINWAH
The French consul woman, she brings you food ?

JUSTIN
Yes, once a week. She comes to see you too ?

SINWAH
Yes, she brings me food.
I told my family to write to the French consulate, it's safer.

JUSTIN
How is your family ?

SINWAH (souriante)
Much better, they really support me now.
Any news from your parents ?

JUSTIN
No, not yet but Antoine said they sent me a parcel for Christmas.

SINWAH (avec une lueur de satisfaction)
Good ! I'm happy.
You must write to them to say thank you, ok ?
It's no use to stay angry.

JUSTIN
I will.

SINWAH
Promise ?

JUSTIN (ne pouvant retenir un sourire)
Promise !
You're so great ! I love you !

LA GARDE (mollement)
We must go now.

SINWAH (jetant un rapide coup d'oeil à la garde)
I must leave now.

JUSTIN
Did you come by taxi ?

SINWAH
Yes. Don't worry, I will write to you very soon.

JUSTIN
Do you think we will see the prefect together ?

SINWAH
I don't know.

Derrière Nish, on aperçoit Viktor qui sort de la salle.

LA GARDE (s'emparant du bras de Sinwah)
We must go back first.

SINWAH
I must leave !
Take care, mon amour ! Don't be foolish, eat something ! I miss you.

Elle va pour se lever.

JUSTIN (se penchant vers le guichet)
Give me a kiss !

Sinwah se penche et ils s'embrassent. Au portail, le nagi fait "wooooow". La garde tire sur le bras de Sinwah mais sans trop forcer. Justin et Sinwah se séparent. Quelqu'un, à l'intérieur, referme le guichet qui claque.

173 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES POLITIQUES
Comme d'habitude, les prisonniers politiques sont rassemblés sur leurs lits rapprochés. Ils boivent leur sempiternelle tasse de thé au lait en devisant calmement. Viktor est avec eux.

Justin fait son entrée, avec tous les présents de Sinwah dans les bras. Il a un air heureux, reposé, qu'on ne lui avait pas vu depuis longtemps. Il s'approche des prisonniers politiques qui lui font bon accueil. Viktor, lui, reste renfrogné.

BIJAY (rigolard)
Hello, my friend ! Come and sit with us !
You look so happy today !
May I ask the reason why ?

Justin ôte ses tonghs et monte s'asseoir en tailleur près de Bijay, qui lui tend la main pour l'aider à grimper.

JUSTIN
I just saw my girlfriend.

BIJAY (aussi sérieusement que gentiment)
How is she doing ?

JUSTIN (amoureux)
She's a bit skinnier but she looks alright. She's so beautiful !
It feels really good to see her.

RAM (malicieusement)
Did you kiss her ?

JUSTIN (même sourire)
Yes ! Just as she was leaving !

LILA
You lucky man !
I didn't kiss a lady in three years !

ARJUN (riant)
Oh but you kissed so many before ! It's only fair !
Give a chance to others !

LILA (prétendant faire une confidence à Justin)
He's jealous...
Would you like a cup of tea, my friend ?

JUSTIN (souriant)
Yes ok ! Thank you ! Your tea is the best one in here !

BIJAY (pointant le doigt vers le rouleau)
And what is this?

JUSTIN (déroulant la peinture)
It's Kali. Kalima.
Sinwah painted it.

BIJAY (s'adressant à Viktor qui boude sans rien dire)
What do you think of it, Viktor ?

LILA (s'occupant de verser le thé dans un verre)
Viktor is in a bad mood today.

JUSTIN (réalisant la situation, d'un ton étonné)
What's wrong, Viktor ?

VIKTOR (bourru)
You know very well...

JUSTIN (franchement surpris, réfléchissant un peu)
You mean... because of that priest ???

VIKTOR
Of course ! Why you no go see him !?

JUSTIN (comme une évidence)
I was with my girlfriend, man ! Three months I've been waiting for it!

VIKTOR
You just need go say hello to him !

JUSTIN (s'échauffant un peu)
But I already said hello to him last time I saw him.
Anyway, I don't understand… you hate this guy !
Why you give me that shit ?

VIKTOR
Because he gone now !

JUSTIN (écoeuré)
So what !? If he cannot understand, what kind of priest is he, anyway ?
He cannot wait five minutes ? Too difficult ?

VIKTOR
He bring two bags ! One bag is one kilo apple and one bag is one kilo orange.
One bag for you and one bag for me.
But you don't go say hello so he go away and he not give bags !

JUSTIN (écarquillant les yeux)
And that's why you are angry at me ?
Ah ah ! Wait !

Justin saute du lit et disparaît. Pendant ce temps, Lila reprend sa place et pose le verre devant l'endroit que Justin vient de quitter.

LILA (à Viktor)
He is very happy to have seen his girlfriend. Don't be angry with him.

BIJAY
I think the one to blame is the priest !

ARJUN
I agree. What kind of priest would do such a thing on Christmas day !?

Justin réapparaît. Il tient un autre sac en plastique, comme celui qu'il avait avec Sinwah. Il en sort des plaques de chocolat, des sacs de bonbons, des gâteaux, des sachets de nourriture pour trekkers et il distribue le tout à ses amis. Finalement, il ne reste plus que cinq oranges et cinq pommes au fond du sac. Il tend le sac à Viktor.

JUSTIN
There you go, my friend.
All this was given by good people who visit me.
It will taste much better.

VIKTOR (visiblement soulagé d'un gros poids)
Thank you, my friend ! You good man !
Merry Christmas !

JUSTIN
Merry Christmas, Viktor !
Merry Christmas to all of you !

174 - INTÉRIEUR - FIN D'APRÈS-MIDI - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Madame Roux, emmitouflée dans un gros lainage, la tête protégée d'un bonnet, est debout près de la chaîne qui barre l'entrée devant le portail. Justin l'écoute.

MADAME ROUX
Je suis désolée de venir si tard !
Avec les préparatifs de Noël, la journée est passée à toute allure !
Mais je tenais à venir vous souhaiter euh... peut-être pas un joyeux Noël mais enfin... vous faire savoir qu'on pense à vous, qu'on aimerait bien que vous soyez parmi nous, ce soir.

JUSTIN
C'est vraiment gentil de votre part de vous être dérangée. C'est mon premier Noël en prison, mais ça se passe plutôt bien. J'ai eu plein de visiteurs, ça n'a pas arrêté de la journée ! Et puis j'ai vu Sinwah, vous êtes sans doute au courant ?

MADAME ROUX
Oui ! Je suis contente pour vous !
(avec malice)
... même si vos méthodes de persuasion laissent un peu à désirer quand même...

JUSTIN (s'esclaffant)
Ah ben avec eux, faut mettre le paquet quand on veut quelque chose !

MADAME ROUX
Ben en tout cas félicitations pour votre succès, ça s'est bien passé ?

JUSTIN (rayonnant)
Oui, enfin, ça n'a pas été très long mais c'était très doux.
Regardez, elle m'a tricoté cette écharpe, elle m'a préparé des biscuits et elle m'a donné une magnifique peinture qu'elle a faite.
On a même pu s'embrasser à la fin.

MADAME ROUX
Ah tiens, en parlant de cadeau, vous allez avoir une bonne surprise !
Allez tiens, j'vous l'dis. J'ai apporté un colis de France.
Je crois bien qu'il vient de vos parents.

JUSTIN (poliment)
Oh, il est arrivé à temps ?! Merci beaucoup !

MADAME ROUX
Voulez-vous que je les appelle pour leur souhaiter un joyeux Noël de votre part ?

JUSTIN (toujours poli)
Oui, s'il vous plaît, vous êtes très gentille et... remerciez-les pour le colis aussi.

MADAME ROUX
Entendu. Je les appelle dès que je rentre au consulat.
Je vous apporte aussi un cadeau de Noël de la part d'Antoine.
Il regrette de ne pas avoir pu vous l'apporter lui-même, mais il est à Pokhara.

JUSTIN (souriant)
Merci ! J'vais lui préparer un petit poème pour le remercier.

MADAME ROUX
Ça serait gentil oui, c'est incroyable tout ce qu'il a fait dans cette affaire.
Je peux vous dire qu'il nous donne même un bon coup d'main.
Il n'a pas froid aux yeux et il est persévérant.
Vous avez su vous faire un ami précieux.

JUSTIN
Oui, et il nous a vraiment facilité la vie, à Sinwah et à moi.
Il a fait plein de démarches, il nous a fait rencontrer plein de gens intéressants qui, à leur tour, nous ont présenté leurs amis.
Grâce à lui, c'est une chaîne ininterrompue de visiteurs de toutes sortes.
On n'est peut-être pas toujours d'accord sur tout, lui et moi, mais comme vous dites, il nous est précieux !

MADAME ROUX
Je suis heureuse que vous vous en rendiez compte. Permettez-moi de le lui dire. Il a ses moments de découragement lui aussi.

JUSTIN
Effectivement, ce pays est assez décourageant...
(plus bas)
Remarquez... moi aussi quelquefois, j'dois reconnaître...

MADAME ROUX
(sortant un paquet plat de son sac, elle le tend vers Justin en souriant)
Désolée, je ne l'ai pas fait moi-même mais j'espère que ça vous fera plaisir.

Madame Roux tend le paquet au garde qui l'ouvre pour l'inspecter. Il y trouve un joli pull à poils angora. Justin regarde et s'exclame.

JUSTIN
Oh merci !
(riant)
Décidément, vous savez me tenir au chaud !
Déjà avec le duvet d'oie...
Et qu'est-ce qu'il est beau ! Merci beaucoup !
Je vais le mettre ce soir.
(Il prend le pull que le garde lui tend)
Vous savez, je suis peut-être en prison mais ça faisait une éternité que je n'avais pas été gâté comme ça à Noël.
(riant)
J'me demande si j'vais pas y prendre goût, finalement...

MADAME ROUX (riant)
Ah ben non ! Me faites pas c'coup-là !
D'ailleurs, laissez-moi vous donner une bonne nouvelle.
Je crois que c'est pour de bon cette fois: votre rendez-vous chez le préfet est fixé au 17 mars.

175 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Justin, Viktor et Lila sont assis sur le lit de Justin. Justin a posé un journal ouvert sur le lit. Il y pose une gamelle avec du pain. Il attrape un petit carton posé près de la tenture. Il l'ouvre et en sort divers pots de foie gras, rillettes, pâtés. Comme ils n'ont pas de couteaux, ils se servent d'un couvercle de boîte de conserve plié pour couper des tranches de pain qu'ils tartinent avec une fourchette.

JUSTIN (sur le point de mordre dans sa première tartine)
Bon appétit !

LILA
What ?

JUSTIN (souriant)
It means “enjoy your meal” !

VIKTOR (fort accent russe)
Bon appétit !

LILA
Bona biti !

JUSTIN (la bouche pleine)
Too bad we have no wine to go with it !

VIKTOR (la bouche pleine)
Taste a little strange no ?

JUSTIN (surpris)
What you mean ? You don't like ?

VIKTOR (mordant dans sa tartine)
I like, I like !

Justin finit sa tartine et s'en ressert une autre. Les deux autres traînent un peu... Krishna, le sourire toujours aussi servile, arrive avec un pichet d'eau. Lila se lève pour servir à boire. Viktor s'empare de la guitare et commence à gratouiller.

JUSTIN
Viktor, you don't eat ?

VIKTOR (gratouillant)
Thank you. I already eat too much chocolate you give me. I am full !

Lila vient se rasseoir. Justin lui montre la nourriture en mordant dans sa tartine.

JUSTIN (mâchant)
Lila, help yourself.

LILA (évasif)
Thank you, I already eat before. I'm alright.

176 - INTÉRIEUR - NUIT - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - TOILETTES
Les toilettes de Central Jail. Ce sont quatre rangées d'une quinzaine de trous, séparés les uns des autres par une cloison de ciment d'environ un mètre de haut. Dehors il fait nuit noire et il n'y a pas un chat dans les toilettes. Pourtant, on entend quelqu'un vomir. En s'approchant un peu, on entend un bruit de diarrhée et on aperçoit la tête et les genoux de Justin accroupi au-dessus du trou, le pantalon sur les chevilles. Justin se tient la tête à deux mains en gémissant. Puis il s'arrête de gémir pour vomir son réveillon en une grande jaillissure verdâtre.

177 - INTÉRIEUR - APRÈS-MIDI - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN

Justin est allongé sur son lit, pâle et immobile, le front moite. Il ne fait rien, il récupère de sa nuit. Bijay arrive.

BIJAY (enjoué)
Hello, my friend ! Merry Christmas !

JUSTIN (entrouvrant les yeux)
Yeah ! Merry Christmas to you too.

BIJAY (surpris)
Are you sick ?

JUSTIN (souriant vaguement)
Yeah ! I drank too much, last night !

BIJAY
What !?

JUSTIN (n'insistant pas)
Just kidding ! No, I just drank tea but I guess the food I ate was bad...
Is Lila ok, today ?

BIJAY
Yes, I think he has no problem. Why ?

JUSTIN
I think he had a slice of bread with me... Maybe I've eaten too much, that food is too rich for me now, I don't know.

BIJAY
Wait, I think I have something that will make you feel better...


178 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Justin, pull angora et jeans, est accroché aux barreaux du portail, les cheveux et la barbe en bataille, l'oeil abruti. Dehors, un jeune Occidental tient une guitare.

LE JEUNE (montrant la guitare)
Thanks, man ! Sorry I can't let you have it longer, I'm leaving. I'm going home.

JUSTIN (d'une voix morne)
Really ! I'm gonna miss you, man ! Why ain't you staying more ?

LE JEUNE
My visa is expiring soon. I'm out of money anyway, time to get back to work...

JUSTIN (souriant)
Well, that's something I haven't got to do... work I mean... I guess there's a good side to anything, uh?


179 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Justin, hirsute et barbu, veste chinoise bleue moletonnée, jeans, se tient les bras croisés devant le portail. Il a froid, il sautille d'un pied sur l'autre. À l'extérieur, il pleut. Une femme d'une soixantaine d'années, Myra, habillée à l'indienne, parle à Justin. Blonde, elle a une tika sur le front. Elle porte un parapluie qu'elle change parfois de main.

MYRA
I'm just here for a few days to renew my visa. I live in Benares.

JUSTIN (intéressé)
Really ! I love India ! What do you do in Benares ?

MYRA
Oh, I joined an ashram, two years ago.
I'm learning the teaching of the Baghavad-gita with my guru.
I brought you a book about it, I marked the passages that should interest you.
Read it if you like. It might bring you peace.
JUSTIN (montrant les alentours)
Here is always very peaceful.
(montrant sa propre tête en souriant)
Here, never !
I will read your book.

MYRA (souriant)
I will come back before I leave, so if you have any questions about the book, you can ask me.

JUSTIN (joignant les deux mains devant sa figure et faisant une petite courbette à l'indienne)
Thank you !

180 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Justin, du coton dans les cheveux et des cernes noirs sous les yeux, titube en arrivant au portail. Il est habillé n'importe comment, il a passé un T-shirt sans manche par dessus son pull angora et il est en short. Devant la grille, il reconnaît le prêtre de Viktor.

JUSTIN (enjoué)
Hey ! It's you ! Merry Christmas ! Ah ah !
(avec un sourire ironique et stoned)
I'm a bit late on this but I had no chance to tell you last time, so...

LE PRÊTRE (fronçant les sourcils)
I am not thanking you for wasting my time last Christmas, if that's what you mean !
I came specially to see you and Viktor !

JUSTIN (mauvais)
Well the good thing is I don't have to thank you either for the bags of fruits you brought and took back.
(violent)
Let me tell you something, asshole, I really don't need you to survive in here, and Viktor is not going to need your so-called Christian charity for much longer either...
I will share what I've got with him and for free !
Yeah, he told me the way you've been treating him and took the little money he had...

LE PRÊTRE (sincèrement)
But you've been put in jail because you have committed a sin, you are here to suffer.
It isn't my fault. I didn't put you there. You put yourself in this misery.
Don't blame it on me.

JUSTIN (écoeuré)
I think you enjoy playing the wrath of God !
Who do you think you are anyway ?!
Keep your guilt for your own filth !

Il regarde le prêtre d'un air méprisant

JUSTIN
You know what? As far as I'm concerned, I've got only one more thing for you and your god.

Tendant son médius à travers les barreaux :
JUSTIN (jubilant de haine)
This !
(tournant les talons puis se ravisant)
And don't ever call me at the gate again, got it ?


181 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Geneviève, debout, est en train de discuter avec le chef nagi qui se trouve assis, à l'extérieur, à quelques mètres devant le portail de la prison. Il fait un beau soleil de fin janvier mais il y a des nuages. Soudain le chef nagi fait signe à Geneviève de regarder derrière elle. Elle se retourne et voit Justin qui l'attend au portail. Elle remercie le nagi et s'avance vers la grille.

GENEVIÈVE (en avançant)
Justin ! Ça faisait longtemps qu'on s'était pas vu !

JUSTIN (souriant)
Bonjour ! Comment allez-vous !?

GENEVIÈVE (souriant)
Je vais bien mais c'est plutôt à vous qu'il faudrait demander ça !
Bonne année, au fait !
(perdant son sourire)
...enfin, j'veux dire... mes meilleurs voeux !
(enjouée)
Je n'ai pas pu vous les présenter plus tôt, j'étais rentrée pour les fêtes.

JUSTIN
Bonne année à vous aussi !

GENEVIÈVE
Dites-moi, je vous trouve vraiment mauvaise mine !
Vous n'êtes pas malade au moins ?

JUSTIN (gêné)
Non, ça va...
Alors quelles sont les nouvelles ? Quoi d'neuf au pays ?

GENEVIÈVE
Oh rien de bien nouveau, comme d'habitude.
Et vous ? J'ai entendu dire que le rendez-vous avec le préfet avait été fixé au 17 mars ? Vous êtes content ?

JUSTIN
Euh... ben j'préfèrerais un vrai jugement quand même...

GENEVIÈVE
Ah ben oui, mais ça...

JUSTIN
Qu'est-ce que ça a donné, cette idée de déduire les rançons de l'aide au Népal ?

GENEVIÈVE
Ah je n'sais pas. Je demanderai à Mme Roux si vous voulez ?

JUSTIN
Oui, c'est une bonne idée, vous ne trouvez pas ?

GENEVIÈVE
Oui, mais ça m'étonnerait que Paris donne son accord. Enfin on peut toujours demander...

JUSTIN
Oui, moi aussi ça m'étonnerait, et pourtant... quelle revanche !
M'enfin c'est pas très diplomatique...
Bizarre quand même... Vous savez que les Suisses voulaient leur construire gratuitement une route pour relier Katmandu aux villages perdus en montagne ?
Eh bien quand le matériel est arrivé, on leur a demandé de payer des frais de douane ! Du coup, ils ont rembarqué le matériel et y'a pas eu d'route...
Vous trouvez pas qu'il mérite un coup d'pied quelque part, ce pays ?

GENEVIÈVE
Je suis bien d'accord avec vous mais peut-être qu'à Paris, ils ne se rendent pas bien compte de la situation.

JUSTIN (soupire puis)
Est-ce que vous avez vu Sinwah récemment ?
Je ne reçois pratiquement plus rien d'elle en ce moment et je me demande si elle reçoit mes lettres...

GENEVIÈVE
Oh ne vous inquiétez pas, elle va bientôt vous écrire.
Non, je ne l'ai pas vue mais j'ai rencontré Antoine, hier. Il vient de rentrer de Pokhara et il a été lui rendre une petite visite.
Il paraît qu'elle va bien, qu'elle reçoit beaucoup de visiteurs.

JUSTIN (riant)
Plus de problèmes de bagarre ?

GENEVIÈVE (ouvrant de grands yeux)
Ben j'espère, hein !
De toute façon j'irai la voir demain, je dois lui apporter quelques victuailles.

JUSTIN (reconnaissant)
Merci ! C'est vraiment sympa !

GENEVIÈVE
Aujourd'hui, je vous ai apporté du pain, des fruits et du fromage.
Et aussi de la lecture fraîche.

JUSTIN
Génial !
J'vais faire de la salade niçoise alors !

GENEVIÈVE (hilare)
De la lectuRE !
Je vous ai rapporté des magazines de France.
Vous voyez, j'pensais à vous, même là-bas !
(sérieuse)
D'ailleurs j'ai hésité à aller au Mans pour voir vos parents.

JUSTIN (ouvrant de grands yeux)
Wow !

GENEVIÈVE
Mais je n'ai pas osé. Je vous avoue que j'ai eu peur d'y aller.

JUSTIN (souriant)
Je comprends ça !
Ne vous inquiétez pas !
Je trouve que vous faites vraiment tout ce que vous pouvez et je vous en remercie énormément.

GENEVIÈVE
C'est bien naturel !

JUSTIN
Non, ne croyez pas ça !
Franchement, j'pensais pas que les gens pouvaient être aussi sympas, pris un par un comme ça.
J'ai pas mal de visite avec le petit truc d'Antoine, eh ben pour un enfoiré, je rencontre vingt amis potentiels.
C'est sympa comme pourcentage, hein ! Ça remonte le moral à propos de l'espèce humaine !

GENEVIÈVE
Ah ben alors est-ce que je peux vous dire une chose en amie ?

JUSTIN (souriant)
Ben oui, bien sûr.

GENEVIÈVE
Je crois qu'il faudrait y aller mollo sur le valium, vous avez vraiment pas l'air en forme...

JUSTIN (sourire triste)
Oui, je sais mais quand j'en prends, je ne suis plus ici, je ne suis nulle part, alors...

GENEVIÈVE
Ben oui mais n'oubliez pas que vous sortirez un jour, peut-être bientôt, vous n'en savez rien.
Tâchez de vous garder en bonne santé, c'est tout.


182 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Un homme d'une cinquantaine d'années attend devant le portail. Il est barbu, les cheveux courts, il fait les cent pas. Justin arrive au portail, pas trop stoned pour une fois. Il porte un sweat-shirt noir et un pantalon de coton. C'est lui qui interpelle le visiteur.

JUSTIN
Oui, hello !?

L'homme l'aperçoit et vient vers lui, il va passer la chaîne pour serrer la main de Justin entre les barreaux. Le garde lui barre le chemin et lui fait signe de rester derrière la chaîne.

L'HOMME (accent scandinave)
Hello ! My name's Ian, you don't know me but I saw a note at the post office so I decided to come and see you.

JUSTIN
Thanks Ian! I'm Justin.

L'HOMME
Since when are you here?

JUSTIN (soupirant)
Soon one year...

L'HOMME (hilare)
So you're not exactly justin huh ? Ah ah ah...

JUSTIN (pas amusé, sourire forcé)
Yessss... what can I do for you then ?

L'HOMME
No actually I came to tell you how lucky you are.

Justin regarde l'homme en écarquillant les yeux.

L'HOMME
Yes, you see, I came to Nepal after a long trip I'm taking around the world. I've never traveled before and I thought I'd do that before I die.

JUSTIN (qui ne comprend vraiment pas ce que lui veut ce type)
Alright... But how is that making me lucky ? Looks to me like you're the lucky one so far !

L'HOMME
Yes, well, you see, the doctors have diagnosed me with a general cancer, that's why I say I’m traveling before I die.

JUSTIN
Shouldn't you be in hospital getting some treatment ?

L'HOMME
Yeah, that's what everyone is telling me. What's the point ? I'll die anyway ! I might as well use whatever energy I've got left and do what I like.

JUSTIN
Sure, I can dig that but what about the pain ?

L'HOMME
I've got a prescription with which I can buy shots of morphine whenever it becomes necessary.
One day, when it'll become unbearable, I'll just double the dose, somewhere in the mountains.

JUSTIN (impressionné)
I admire you for having these guts, man !
Yeah, you're right, I guess being sick is worse than being jailed...

L'HOMME
Even where you are, there's life and it's precious.
Think of that when you feel down and depressed.
That's what I came to tell you.
(souriant)
First I thought I'd bring you some cigarettes but then...
I'm sure you can understand why I didn't...

JUSTIN (sincèrement touché)
I'm not sure I can appreciate life in jail so easily but I'm sure impressed by your visit, man...
What can I say...? Best luck to you... Have a great trip !
And I sure hope we'll meet again one of these days or in another life.
Thanks for taking the time to tell me all that ! I won't forget it, that's for sure !

183 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

À l'extérieur de la prison, une moto arrive devant le portail. Son pilote arrête le moteur, met les clés dans sa poche, gare la moto sur la béquille et enlève son casque en descendant de
l'engin. C'est Antoine. Il sort quelques affaires des sacoches de la moto : des sacs en plastique contenant de la nourriture, des livres et des lettres, et il se dirige vers le bâtiment administratif. Derrière les barreaux, assis sur son tabouret, le nagi s'adresse à l'un des gardes postés dehors.

LE NAGI
S-T: Encore une visite pour l'étranger ! Ça n'arrête pas !

LE GARDE
S-T: Et à chaque fois, on lui apporte quelque chose ! Il a de la chance !

LE NAGI (suspicieux)
S-T: On s'demande comment il arrive à connaître autant de gens !

LE GARDE
S-T: Qu'est-ce qu'il fait de toute cette nourriture qu'on lui apporte ?
Il peut pas tout manger quand même !

LE NAGI
S-T: Il partage avec son boy et le peintre à moitié fou là, Viktor !

LE DEUXIÈME GARDE (riant)
S-T: J'aimerais bien qu'il partage avec moi aussi !


184 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Dehors le soleil brille. Il fait encore un peu frais. Justin, toujours hirsute, porte toujours son sweat-shirt noir quand il arrive devant le portail derrière lequel l'attend Antoine.

JUSTIN (heureux mais visiblement stoned)
Putain, Antoine ! Ah qu'est-ce que je suis content de te revoir ! T'as bonne mine !
Hé ! Bonne année !

ANTOINE (riant)
Tu devrais plutôt dire joyeux nouvel an chinois !
J'suis désolé, j'suis parti plus longtemps qu'prévu...
J'pensais revenir fin janvier mais bon, j'ai été retardé.
Dis donc, je suis drôlement content de te revoir aussi mais par contre toi, dis donc, t'as pas très bonne mine !
Qu'est-ce qui t'arrive ?

JUSTIN (pâle sourire)
Oh rien, trop de valiums, j'en ai marre, c'est tout.
(se ressaisissant)
Alors t'as vu Sinwah ? Geneviève m'a dit ça hier !
Comment va-t-elle ? T'as des nouvelles ?

ANTOINE (neutre)
Ben oui, elle va bien. Elle peint, elle cuisine.
Elle reçoit pas mal de visites, apparemment...
Le coup de mes petites affiches a l'air d'avoir bien fonctionné pour elle.

JUSTIN (souriant)
Pour moi aussi ! T'es un ange d'avoir fait ça avant de partir !
Ça n'a pas arrêté ! Des gens de toute sorte, tous très sympa, wow, ça fait plaisir !

ANTOINE
Tant mieux, si ça peut t'aider.
Dis moi, faut qu'j'y aille là, j'ai un fournisseur de tissus à voir, j'suis juste venu t'apporter deux trois trucs et le courrier.
M'enfin j'reviens t'voir plus longtemps très bientôt. Tu m'excuses, hein ?
Tiens, y'a une lettre de Sinwah, d'ailleurs.

JUSTIN (enthousiaste)
Ah ben cool ! Ça fait trois semaines que je n'avais rien, dis donc !
J'me demande c'qu'ils en font entre Dilli-Bazaar et ici !?

ANTOINE (souriant)
Ah ben peut-être qu'elle a autre chose à faire qu'à t'écrire, hein !
Elle m'a dit qu'elle passait beaucoup de temps à discuter au portail.

JUSTIN (un peu douché)
Ah bon !?

ANTOINE (souriant toujours)
Non, j'déconne, bien sûr qu'elle pense à toi ; la preuve, elle m'a demandé de passer la voir après être venu te voir.
Alors tu es toujours aussi amoureux ? Même après plusieurs mois de séparation ?

JUSTIN
Bien sûr ! C'est ma femme, Sinwah !
On s'est vus à Noël, elle te l'a dit ?

ANTOINE
Oui oui, il paraît que c'était assez court ?

JUSTIN
J'ai encore l'empreinte de ses lèvres dans la tête !

ANTOINE (souriant)
Bon, il faut qu'j'me sauve.
(malicieux)
Je dis à Sinwah que tu l'aimes, comme d'habitude ?

185 - EXTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - ALLÉE PISSOTIÈRE

Justin est dans l'allée qui se trouve entre deux bâtiments et dont l'un des murs sert de pissotières.
Justin est en train de pisser contre le mur, au fond, en bout de ligne, à côté d'autres prisonniers. Il fait beau et le soleil qui brille irise les jets de pisse. Le mur en scintille. Un jeune type vient se mettre à côté de Justin, sort ses accessoires et commence à pisser tout en inclinant la tête pour regarder vers la braguette de Justin. Justin sent son regard, tourne la tête vers le type qui redresse la sienne en décochant un grand sourire niais, voir lubrique, à Justin. Sans la moindre hésitation, Justin se tourne vers lui et lui pisse dessus. L'autre s'enfuit, la braguette ouverte en poussant des cris stridents. D'autres prisonniers rigolent bruyamment.

186 - EXTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR - SORTIE DE L'ALLÉE PISSOTIÈRE

Justin, un vague sourire satisfait sur les lèvres, sort de l'allée en finissant de rattacher sa braguette. Un nagi s'approche de lui.

LE NAGI (pointant son doigt en direction du portail de la prison)
You ! Visit ayo ! Go door !

JUSTIN (souriant)
Have visit ? Ok thanks !


187 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL

Une très jeune blonde d'environ 19 ans se tient devant le portail. Elle a les yeux verts, très mutins, et ses cheveux lui tombent sur les épaules. Elle porte un T-shirt blanc, assez moulant, sans soutien-gorge. Son jean délavé est déchiré aux genoux et une multitude de bracelets indiens multicolores cliquette à ses poignets.

Elle s'adresse à Justin avec un très fort accent américain. Justin tient un carton de pâtisserie entre ses mains.

LAYLA (pétillante)
Hi dude ! I'm Layla. Got your address from a notice on the wall of my hotel in Thamel.

JUSTIN (un peu surpris par l'apparition)
Thanks for coming ! Yeah, one of my friends posted these bills.

LAYLA
Does it work ? You got many visitors ?

JUSTIN
Yeah ! Quite a few actually ! People are better than I thought.

LAYLA (avec une moue de mépris)
They're mostly Christians, I guess ?

JUSTIN
Oh no ! Far from it, I see mostly people like you or me.
Sometimes they're even in a worse situation than me, like that guy who had a terminal cancer and he decided to have a last trip 'round the world instead of sticking to his doctor.
And he still takes the time to come and tell me that, man, isn't that something !? I love that guy !

LAYLA (hochant la tête)
Yeah, that's touching...

JUSTIN (souriant)
Nah ! It's better than touching, it's a way of life.
(petite pause pensif)
Anyway... Are you here for long ?

LAYLA
I don't know... Until my visa expires, I guess. I'll go back to India later.

JUSTIN
You're traveling around Asia too ?

LAYLA
Yeah well, just hanging around you know, getting high and the like...

JUSTIN (souriant)
Yeah I know ! I miss it !

LAYLA
What do you miss most in here ?

JUSTIN
My girlfriend.

LAYLA (avec un sourire soudain)
Sex, you mean ? I brought you what you need, then !

JUSTIN
No, not just for sex... (pause) What do you mean ? What did you bring ?

LAYLA
Yesterday, when I saw the ad on the wall, I tried to figure out what a guy like you would need most.
I didn't know if many people came to see you, didn’t know anything about how well... or bad you're being treated in here, so just in case, I brought you some food.
You like cakes ?

JUSTIN (souriant)
Yeah sure !

LAYLA
I brought you brownies.

JUSTIN (mystérieux)
Special brownies ?

LAYLA (regardant Justin avant de répondre)
Nah, straight ones but I could make them special next time, if you like ?

JUSTIN
Sure, that'd be great, man !

LAYLA
No prob...
Then I thought what else could a dude want in jail and I figured sex is… like second choice after food, right ?

JUSTIN (amusé)
I guess dope comes second after food, really.

LAYLA (déçue)
So, what about sex ?

JUSTIN (haussant les épaules)
Make it third then, but I guess it's better to avoid thinking of sex if you can avoid it, I mean, what can you do about it in a place like that, huh ?

LAYLA (malicieuse)
Have a good wank ?

JUSTIN (rigolant)
Yeah well, that needs a bit of privacy and here...

LAYLA (bombant la poitrine, provocatrice)
Do you like the way I look ?

JUSTIN (matant les seins de la fille à travers le coton)
Yeah, sure !
(relevant les yeux, un peu embarrassé)
But don't boil me up like that, man ! I've got a girlfriend already anyway.

LAYLA (souriant malicieusement)
I like the way you look, I'd love to fuck you if you were out of here !

JUSTIN (refroidi)
So basically you came here to show me your tits ?

LAYLA
Well, I'd come inside if they'd let me in.
(riant)
Can you get me inside ?
I've always had that fantasy to spend the night in a men’s jail, helpless...

JUSTIN (qui ne s'étonne plus de rien)
I can ask the chief nagi, if you want ?

LAYLA
Who's he ?

JUSTIN (souriant, montrant trois nagis assis dans leur fauteuil, prenant le soleil à l'extérieur)
He's right behind your back ! The guy with the blue jeans.

LAYLA
Oh !? He's the main guy, in here ? I thought he was just some employee.

JUSTIN
Nah ! He's the boss. Why ? You met him already ?

LAYLA
Yeah, I had to show him the stuff I brought you.

JUSTIN (montrant son carton de pâtisserie)
Oh so that's why I got this so fast ?

LAYLA
Yeah, he made no trouble with these but he kept the book to check, he said.

JUSTIN (souriant)
You brought me some reading ?

LAYLA (toujours allumée)
Yeah. I thought sex was something a guy would miss in jail, so I went through the bookshops in Thamel, trying to find some porn stuff.
I figured they wouldn't let you have any real porn, so I picked a sex education book instead.

JUSTIN (s'esclaffant)
Oh great ! I guess I need to revise the topic since I've been locked in here for so long !

LAYLA
No, it's not so bad actually. It's got real photos and all the positions, it's pretty good.

JUSTIN (riant)
So that guy kept it, huh ?

LAYLA
Yeah, he said he'll check it first and then you can have it. You tell me what you think of it, ok ?

JUSTIN (plutôt indifférent)
Ok. Sure.

Layla n'a visiblement pas terminé. Elle s’allume une cigarette, en passant d'un pied sur l'autre.

LAYLA (hésitant)
In fact...
Ok, I might as well tell you about my idea. Call it sick if you want but hey, what can I do, I need your help here...

JUSTIN (intrigué)
What ? Go ahead !

LAYLA (ne parvenant pas à rester sérieuse)
When you return the book to me, could you make sure all the pages are stuck together?
I thought that'd make a cool piece of art, you know… a sex education book all sticky with inmates’ cum. Would be far out, no? What d’you think ?

JUSTIN (riant)
You've been having too much magic mushrooms, man ! It's pretty sick !
But I know someone in Dilli-Bazaar - that's the jail I was in before - who would gladly do that for you.
His name's Simon, he's a kiwi.

LAYLA (intéressée)
He’s into sex ?

JUSTIN (riant)
Simon !? Totally, man !
You want me to tell you a couple of stories about him ?

LAYLA (intriguée)
Yeah, sure.

JUSTIN
Well, first, he managed to injure the chief nagi with his cum !

LAYLA (haussant les sourcils)
What ?

JUSTIN (riant)
He came all over the toilets floor and next thing you know, the chief nagi slipped in it and injured his ankle ! We all loved him for that !

LAYLA (riant)
Yeah, I bet ! Sounds like a cool guy.

JUSTIN
Cool ? Hmm, maybe not that cool.
He told us about his trips to Seoul.
He loves fucking Korean girls.
He said the ceiling's pretty low in Seoul because it's pretty cold in winter.
Anyway, here he is fucking that girl who sits on top.
They get so wild, the girl bumps higher and higher.
Finally she hits her head on the ceiling and she starts bleeding.
Simon said he carried on fucking her even though her blood was dripping on his chest.

LAYLA (regard lubrique)
Wow ! That's hot ! I gotta meet this guy !

JUSTIN
Sure, meet him but don't drink in the same cup as him.

LAYLA
Why ?

JUSTIN
Because he loves mixing his cum with some vitamin syrup and he drinks it as an appetizer.

LAYLA (surprise)
He drinks his own cum ?

JUSTIN (soupirant)
See !? I guess that's what happens when a convict thinks of sex too much.
Better focus on love coz if they can jail your body, they can't lock your soul in !

LAYLA
What about the other guys ? Any other one like that Simon ?

JUSTIN
Well, there's Ralph. He's a young dude your age. He's never fucked in his entire life, he got caught before.
Well now his dream's to rape the first girl instead of making love to her.
So I'd say... jail's not exactly the best place to develop a healthy libido...

LAYLA (rêveuse)
I dunno...
I'd love to take that guy's virginity while he thinks he's raping me !
Wow ! Sounds hot !

188 - EXTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - FONTAINE
Miracle ! Justin se lave ! Il est à la fontaine, torse nu, les cheveux pleins de shampoing. À ses pieds, il y a un sceau rouge dans lequel il puise de l'eau avec une casserole en plastique rouge pour se rincer les cheveux. Ses gestes sont rapides. Il fait encore assez froid et il a la chair de poule.

Il s'empare de son savon et se frotte avec. C'est difficile de se laver les fesses avec un short. On finit sur un gros plan de Justin, regardant furtivement à droite et à gauche d'un air gêné, les deux mains devant dans le short, en train de se nettoyer rapidement les parties.

189 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS
Taranath est assis sur son matelas, il tend le livre de cul à Justin, qui s'en empare en souriant. Justin est resplendissant de propreté. Ses cheveux ont été taillés courts, il est rasé, on le dirait prêt à prendre le train.

JUSTIN
Wow ! Thanks !
(avec un clin d'oeil)
I had to wait a long time for that one !
(s'esclaffant)
About three weeks...

TARANATH (détournant les yeux)
Yes, well... You're not supposed to have this kind of book in here, you know.
(regardant Justin avec un sourire en coin)
Ok, I might as well tell you...
You know what I did with that book ?

JUSTIN (haussant les sourcils)
No, what ?

TARANATH (jubilant de son bon coup)
Money !

JUSTIN (de plus en plus surpris)
How !?

TARANATH
I've rented it to the other nagis, by the day !

JUSTIN (éclatant de rire)
Ah ! That's something Layla will really like to hear !
I should do the same with the guys in my room !

TARANATH
No, don't! I can trust the nagis but not the other guys !
(changeant de sujet et de ton)
So my friend, are you ready !?
It's the big day tomorrow ?
I want to wish you good luck.

JUSTIN (passant sa main sur son menton)
Thanks ! Yeah ! It's tomorrow morning.
That's why I shaved.


190 - EXTÉRIEUR - MATIN - RUE DE KATMANDOU

Un minibus est garé devant un bâtiment administratif. Justin est menotté lorsqu'il descend du minibus qui l'a conduit chez le préfet. Deux gardes l'encadrent sur le trottoir, le trio grimpe les quelques marches de l'entrée alors que le minibus part se garer ailleurs.

191 - INTÉRIEUR - MATIN - BUREAUX DU PRÉFET - COULOIR
Geneviève et l'avocat marchent dans un couloir en direction d'un banc sur lequel attendent Justin et ses deux gardiens. Justin les regarde arriver en souriant.

GENEVIÈVE (souriante)
Bonjour Justin ! Comment allez-vous, aujourd'hui ? Pas trop l'trac ?

JUSTIN
Ça va...

GENEVIÈVE
En tout cas, je vous annonce que votre dossier a été retrouvé !

JUSTIN
Ah tiens ! Et où donc ?

GENEVIÈVE
Oh dans les bureaux des douanes.
C'est votre avocat qui est allé les chercher ce matin même, si j'ai bien compris.

JUSTIN (ricanant)
Quelle heureuse coïncidence !

GENEVIÈVE
Avez-vous vu madame Roux ?

JUSTIN
Non, elle est là ?

GENEVIÈVE
Oui bien sûr. J'ai rendez-vous avec elle.
D'ailleurs, je dois vous laisser.
(Elle pose sa main sur l'épaule de Justin.)
Tenez bon, ne vous laissez pas intimider.
À tout à l'heure !

Elle continue son chemin dans le couloir, suivie du petit avocat.

192 - INTÉRIEUR - MATIN - BUREAU DU PRÉFET
Justin, toujours encadré par ses deux gardiens, est introduit dans le bureau du préfet. Le bureau est assez richement décoré et meublé d'anciens meubles coloniaux britanniques. Le préfet est assis de façon plutôt relaxe sans être débraillée dans un fauteuil large et confortable. Il porte l'habit népalais et le petit chapeau débile. Il porte également des lunettes fumées, style colonel chilien. Les portraits du roi et de la reine sont accrochés derrière lui, plus grands que d'habitude. Devant lui, son bureau en bois, style colonial, est immense et encombré.

Il fait assez sombre dans la pièce, le soleil n'entre qu'à travers des rideaux épais.

Devant le bureau du préfet, tout le monde est debout. Au fond, il y a madame Roux qui fait un petit signe d'amitié à Justin qui entre et qui sourit pour y répondre. À côté d'elle, l'avocat tient son cartable comme s'il contenait un trésor... peut-être le fameux dossier. Il s'adresse au préfet en népalais lorsque Justin entre, il termine sa phrase, le préfet hoche la tête et se tourne vers la porte. Geneviève, à côté de l'avocat, regarde Justin entrer sans trop savoir quelle posture adopter. Les gardes viennent se placer à côté d'elle et se tiennent raides, Justin se tient entre eux.
Il fait un signe de tête au préfet et dit:

JUSTIN
Good morning, Sir.

Le préfet ne répond pas. Il attrape une liasse de papiers sur son bureau et s'y plonge un instant. Enfin, il relève la tête:

LE PRÉFET (montrant le dossier)
It says here that your arrest took 18 hours at the airport.
This could explain why it took us so long to get this file, don't you think ?
The custom officers don't seem to have kept such an excellent memory of you....
May I ask why you acted this way ?

JUSTIN
As you know, I wasn't on my own. My girlfriend and wife to be was with me... I...
In fact that's the whole point of me being here today... you see, I'm not here to ask your forgiveness for me but for her, I'm here to ask you to help me put things straight.
My girlfriend is a Chinese from Hong Kong, she had never traveled before meeting me. If it wasn't for me, she wouldn't be here today.... I mean, you know Asian women, they're ready to follow their men anywhere.... I feel responsible for her being here in jail. I just want her out. I don't want to carry on living with the idea that she suffers because of me. So I came to ask you to put her fine on mine. Her parents are poor anyway and there's no way they could pay such an amount of money. My parents are a bit richer so if you could just release her, I'll try to pay both fines myself. Do you think it is possible ?

Un silence s'installe dans la pièce, le préfet regarde Justin avec un drôle d'air, se demandant si c'est un piège ou si Justin a simplement perdu la tête. Puis on entend Geneviève renifler, ce qui attire l'attention de tout le monde. Elle fait un vague geste d'excuse en sortant un mouchoir de son sac. Elle s'essuie les yeux.

LE PRÉFET (froidement)
I will make a global decision for all gold smuggling cases as soon as I will have seen all the persons involved in this case.

193 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Antoine, toujours habillé de couleurs chatoyantes, parle à Justin derrière les barreaux. Il sourit.

ANTOINE
Alors qu'est-ce que tu as encore été inventer chez le préfet ?
Pourquoi t'as dit ça !? T'es fou !?

JUSTIN (avec un petit sourire)
Arrête ! C'était juste du protocole, cette entrevue !
Sa décision, au préfet, elle est prise depuis longtemps !
M'enfin s'il voulait bien se laisser attendrir, ça m'arrangerait bien.

ANTOINE
C'est là où je ne te suis plus...

JUSTIN
C'est bien toi qui m'a parlé d'évasion, une fois, à Dilli-Bazaar, non ?

ANTOINE
Ben oui et alors...

JUSTIN
Tu t'rappelles qu'on avait conclu qu'on ne pouvait pas à cause de Sinwah ?
(riant)
Eh ben voilà, s'il laisse filer Sinwah, on aura le champ libre... si j'ose dire.
(s'assombrissant)
Mais il la laissera pas partir, j'ai bien vu son air... C'est un enculé c'type-là, il a pas d'coeur.

ANTOINE (riant)
Ah ben bravo !
En tout cas, j'peux t'dire que ça a marché avec les gens du consulat, ils étaient tout attendris eux, surtout Geneviève !

JUSTIN (haussant les épaules)
Ben ouais, si y'avait qu'eux, je serais pas là !
(avec un pli amer)
Hélas...

194 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR
Justin est en train d'écrire une lettre. Son boy approche. Il tient un verre de thé. Justin lève les yeux et sourit en prenant le verre.

JUSTIN
Danebat Sati
(S-T: Merci, mon pote)

Le boy a un sourire servile et un ronronnement comme De Funès dans "Le grand restaurant". Il se retire. Justin sort deux valiums de sa poche et les prend avec une gorgée de thé. Puis il va se remettre à sa lettre quand Bijay arrive.

BIJAY (enjoué, tendant la main)
How are you my friend ?

JUSTIN (souriant)
Pretty good and you ?

BIJAY
I just heard your birthday is coming soon, is it ?

JUSTIN (vaguement)
Yeah, on the 5th of next month. What's to celebrate anyway, huh ?
The fact that I'm here since more than a year now ?

BIJAY
But your friend is going to celebrate with you ! Aren't you happy ?

JUSTIN (surpris)
My friend ? What do you mean ?
(espoir soudain, oeil allumé)
Sinwah ? Is Sinwah coming for my birthday ?

BIJAY (mystérieux)
I don't know if it is your girlfriend, but Taranath told me there will be a surprise for you.

195 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Justin, accroché aux barreaux de la grille, est en fin de discussion avec Layla, habillée encore une fois de façon aguichante et transparente. Layla tient le bouquin d'éducation sexuelle à la main. Elle le lève en s'en allant. On remarque un jeune mec blond, aux cheveux mi-longs, aux yeux verts et taches de rousseur, qui s'approche doucement, la besace au côté ainsi qu'un sourire sympathique aux lèvres.

LAYLA
And thanks for the sticky pages, man ! Bye !

JUSTIN (s'esclaffant)
You're very welcome ! Take care !

Alors qu'il va tourner le dos à la grille pour s'en aller, Justin croise le regard du mec blond qui lui sourit en disant.

MARK (fort accent australien)
Are you Justin ? Sinwah's friend ?

JUSTIN
Yeah. Have you got any news from her ? Is she alright ?

MARK
Oh yeah, she's fine.
By the way, sorry, I'm Mark.

JUSTIN
Hi Mark ! Thanks for coming.
Say, do you know if she's getting my mail coz I haven't had anything from her for quite a while actually...
I'm a bit worried...

MARK (le regard fuyant un peu)
Nah, she's ok, I swear.

JUSTIN (surpris)
When did you see her last time ?

MARK
Oh just this morning.

JUSTIN
You go there often ?

MARK
Yeah, I used to go and visit Gregory, you know, I'm an Aussie just like him.
Then he told me about your girlfriend next door and I went to see her too.
She's a really nice person.

JUSTIN
Yeah, she is. Did she tell you to come and see me ?

MARK
(sortant un paquet de biscuits de sa besace)
Yeah, actually, she made some cookies.
She gave me two bags and she told me to bring you one.

JUSTIN (sourire jaune)
Wow, is that a sign of anything between you two or something ?

MARK (piqué au vif)
What do you mean ?

JUSTIN (le regardant droit dans les yeux)
Look, being behind bars makes things simple.
She doesn't write, she sees you everyday and she cooks for you ?
See.. that's enough to make me feel jaleous.
Wouldn't you if you were me ?

MARK
I'm sorry...

JUSTIN (le coupant)
Don't be ! There isn't much I can do but I guess there isn't much you can do either.

MARK
But we're just friends !

JUSTIN (sourire triste)
That's all these bars would allow, I guess, yes...

Justin regarde soudain Mark et éclate d'un rire grinçant, un peu dérangé.

MARK
What ?

JUSTIN (hésitant brièvement à lui dire sa pensée)
Nothing ! It's just that perhaps you should have come earlier...
Nah, never mind, it doesn't change anything anyway...
(changeant soudain d'idée)
I'm sorry but I won't make it very easy on you man... Can you transmit a message to her ?

MARK
Yeah... sure...

JUSTIN (avec un petit sourire)
Tell her that I love her... and thanks for the cookies !

196 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Justin apparaît dans la salle qui mène au portail, mais au lieu d'aller s'accrocher aux barreaux comme d'habitude, le nagi de garde se lève de son tabouret et ouvre la porte. Justin sort et passe entre les gardes sans qu'ils ne bronchent.
Dehors, Antoine, un sourire rayonnant sur les lèvres, se lève de son tabouret où il était assis, en compagnie de Geneviève et de Taranath, et se dirige vers Justin, les bras écartés.

ANTOINE
Joyeux anniversaire !

Justin et lui s'étreignent. Ils s'embrassent.

ANTOINE
C'est mon cadeau. Un quart d'heure dehors, en liberté avec nous ! Ça te plaît ?

JUSTIN (radieux)
Vous êtes géniaux ! Merci !

Geneviève se lève pour aller embrasser Justin.

GENEVIÈVE
Joyeux anniversaire !
Ah ça n'a pas été facile, vous savez !
Ça fait des semaines que votre ami Antoine est sur ce coup-là avec le directeur de la prison !
Quel rabat-joie celui-là !

Ils vont s'asseoir à côté de Taranath qui sourit à Justin.

TARANATH
Happy ? You have very good friends ! You are a very lucky man !

JUSTIN
Yeah I know ! They’re the best ! And thanks to you too, by the way.

TARANATH
No problem... Happy birthday !
(tendant un paquet de beedees à Justin avec un petit sourire en coin)
Here's your present !

JUSTIN (lui faisant un clin d'oeil et un grand sourire)
Oh thanks ! You know my taste so well !

GENEVIÈVE (ouvrant un carton à gâteau posé sur un tabouret)
Antoine, can you cut the cake, please ?

Antoine s'occupe du gâteau tandis que Geneviève cherche dans un grand sac en plastique posé près de sa chaise. Elle en tire un gros sac rempli de cookies.

GENEVIÈVE
Ça, ça vient de Sinwah qui vous souhaite un heureux anniversaire.
Elle a dit qu'elle vous écrirait bientôt.

Antoine, toujours occupé à faire les parts du gâteau, montre, d'un mouvement de tête, une grande malle en bambou, posée près de Justin.

ANTOINE
Tiens j't'ai rapporté cette malle des Philippines !
(tendant une assiette pleine à Taranath qui se soulève pour la prendre)
J'parie qu't'as tout un tas d'bazar maintenant.
Tu pourras tout ranger là-dedans, le jour de ton départ.

GENEVIÈVE (tendant une peinture enroulée et fermée d'un ruban)
Tenez, Sinwah m'a donné ça pour vous aussi.
Ça fait un moment qu'elle est dessus.

Justin dénoue le ruban et déroule la peinture pendant que Geneviève prend sa part de gâteau des mains d'Antoine. La peinture est très belle. Ça représente un dragon et un phoenix chinois.

JUSTIN (impressionné)
Wow ! Elle peint de mieux en mieux !

Il enroule la peinture pour pouvoir prendre son assiette, puis il va s'asseoir près d'Antoine. Geneviève a posé sa part de gâteau sur sa chaise et elle sert du coca-cola dans des gobelets en plastique. Elle les sert dans le même ordre qu'Antoine et ses parts de gâteau.

ANTOINE
Et toi, ton livre, ça avance ?

JUSTIN
Pff, tu parles ! Non ! J'ai bien bossé pendant une semaine et puis plus rien...
Je me fais chier moi-même tellement j'suis nul ! Aucune volonté, incapable de me tenir à ce que je me suis fixé, complètement irresponsable, je me fiche de tout, j'pourrais finir clochard sous un pont que ça m'dérangerait pas plus que ça...
Ah la la ! J'me demande bien pourquoi j'suis né en tant qu'être humain, tiens ! Y devait y avoir une pénurie ou quelque chose comme ça !

ANTOINE (riant)
Bah, c'est dommage pour ton bouquin, tu devrais continuer.
Enfin, tu pourras toujours reprendre plus tard...

JUSTIN
Ouais...
(plus bas)
Dis-moi...
Mark, ça t'dit quelque chose ?

ANTOINE (surpris)
Non, qui c'est ?

JUSTIN
Un mec qui va voir Sinwah un peu trop souvent, j'crois.

ANTOINE (souriant)
T'es jaloux ?

JUSTIN (simplement)
Oui.

ANTOINE (prenant son verre des mains de Geneviève)
Merci !
(à Justin)
Tu veux que j'me renseigne ?
De toute façon, qu'est-ce que tu veux qu'il arrive en prison ?

JUSTIN (prenant son verre)
Merci !
(à Antoine)
Perdre son amour platonique et c'est tout c'qui m'reste !
Ce mec-là, il peut aller la voir tous les jours ! Pas moi.

ANTOINE (avec un regard lourd)
Oui, enfin, plus toi...

JUSTIN (hochant la tête)
'tain ouais, j'aurais mieux fait d'rester là-bas...

ANTOINE
Allez, t'en fais pas ! Sinwah, elle tient à toi plus qu'à n'importe qui !

JUSTIN (gravement)
Ben moi aussi... Jusqu'à maintenant, j'trouvais ça naturel, à présent ça m'inquiète...

197 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR
Justin est allongé sur son lit. Il lit, sans trop d'attention, un numéro du Nouvel Observateur, tout en fumant une cigarette. La lumière du soleil, par la fenêtre ouverte, éclabousse ses pieds. De temps en temps, Justin baisse son journal et souffle la fumée de sa cigarette en direction des rayons de soleil qui éclaire le nuage jusqu'à ce qu'il se dissolve lentement. Justin, en secouant son journal, s'amuse à animer la fumée, il lui fait faire des tourbillons, de brusques mouvements dans la lumière. Il pose son journal et s'allonge, la tête vers la lumière. Il place sa cigarette devant sa bouche, à la limite du rayon de soleil et il souffle doucement pour que la fumée parte dans la lumière en ligne droite. Puis, il place sa cigarette à la base du rayon de soleil et il lui fait faire de petits cercles avec la main. Un tourbillon de fumée s'élève lentement dans la lumière.

Soudain, on entend des voix montant dans l'escalier qui mène au dortoir. Justin arrête son manège et prête l'oreille. Oui ! Ces voix s'expriment en anglais !

VOIX 1 (on reconnaît celle de Simon)
Fuck yeah, man !

VOIX 2 (on reconnaît celle de Ralph)
t'was so funny man ! You should have seen his face, all opened and bleeding ! Ah ah ah !

Justin a un mouvement de panique. Il jette sa cigarette par la fenêtre et reprend sa position de lecture. Il est caché du reste du dortoir par sa tenture.

Robert, Simon et Ralph font leur entrée dans le dortoir. Ils portent leurs sacs. Des nagis suivent avec leur matelas et le reste de leurs affaires.

ROBERT
Hey guys ! Check this out ! Is this a five stars hotel or what ?

SIMON
Fucking hell ! Man ! This is luxury !

RALPH
Good ! At least we've got plenty of space in here !

ROBERT
I'll take that corner over there !

SIMON (jetant son matelas devant une fenêtre ce qui soulève un nuage de poussières)
I'll take the windo... fuck ! Look at all that fucking dust, man !

Robert s'approche du fond du dortoir où Justin est toujours caché. Au moment où Robert va passer la tête pour voir ce qui se trouve derrière la tenture, celle de Justin, à quatre pattes sur son matelas, apparaît.

JUSTIN
Hi, guys ! Welcome home !

ROBERT
Hey ! Justin ! Nice to see you again, mate !

Justin s'assoit en tailleur au pied de son lit. Il serre la main de Robert.

JUSTIN
What the fuck are you guys doing here !?

SIMON
Oh there was a fucking riot, man !

ROBERT
That's a long story ! We got a general fight last night ! So they moved us all away this morning...

JUSTIN
Shit ! What happened ? Any injured ?
How are the others ?

ROBERT
We're all ok. But some Nepali got injured...
It just started between two guys but in the end everyone was fighting.
We don't even know why...
Too much pressure, I guess...

SIMON (s'approchant pour lui serrer la main)
Nice place you've got, man ! Any fucking chicks around here ?

JUSTIN (riant)
A ten-year-old and a seven-year-old. But sorry, they belong to the chief nagi.

RALPH (serrant la main de Justin)
Hi guy ! What do you mean ?

JUSTIN (évasif)
Oh you'll see, you'll see !
So you've been beating the hell out of the nagis or what ? What started the fight ?

RALPH
Nothing special, really.

ROBERT (regard noir)
Except I had to stop you from hitting that guy on the head with your brick !

RALPH (encore remonté)
Yeah, why did you have to do that, man ?
I would have got him real good !

ROBERT (haussant les épaules, à Justin)
So you're the only white dude in here, then ?
Where's Eddie ?

JUSTIN
They put him in the jail next door. I haven't seen him since.

SIMON
I guess that's where they fucking sent Michael, Greg and Carlos too...
So you were alone all that fucking time ?
I guess you must be fucking happy to see us, then ?

JUSTIN
Nah, I wasn't alone ! There's Viktor, a Russian guy. He's here since ten years.

SIMON, RALPH (ensemble)
Ten years !

SIMON (ouvrant de grands yeux)
Gee...sus !

RALPH (se cachant le visage)
Fuck ! We're doomed man !

ROBERT (retournant s'occuper de ranger ses affaires)
What is he in here for ?

JUSTIN
Murder. It's not the same.

Ralph installe son matelas à côté de celui de Robert et Simon le sien à côté de Ralph. Ils laissent beaucoup d'espace entre leurs matelas, à part Justin et son boy, il n'y a plus guère que trois autres prisonniers népalais dans la salle.

ROBERT (sortant son réchaud d'un carton)
It's pretty quiet in here, is it always like that ?

JUSTIN
Yeah, at this hour, most guys are at the cotton factory next door. That's why it gets so dusty...

ROBERT (montrant son réchaud)
Where do we cook ? Here ?

JUSTIN (montrant le couloir dehors)
Nah, in that room in the back. But for noodles, you just cook them here.

ROBERT
Isn't it too smokey ?

JUSTIN
I've got two windows, it's fine.

ROBERT
Two windows ? You lucky bastard !

JUSTIN (s'escalaffant)
Yeah, it's real luxury !
Hey, check this out !
(se tournant vers son boy qui regarde la scène, l'air abruti, allongé sur son lit)
Krishna ! Come here !

Krishna se lève avec son sourire de bon chien. Justin tire quelques roupies de sa poche. Il montre quatre doigts.

JUSTIN (les doigts tendus devant le visage)
Tchai ayo ? Four glasses !

Krishna fait un signe de tête avec un sourire pour indiquer qu'il a compris, puis il s'en va en emportant le verre sale que Justin a oublié sur le bord de sa couche.

JUSTIN
That's Krishna, my personal slave.
You can get yours too for five rupees a day ! Isn't that a real bargain ?

SIMON (ricanant)
He's probably reporting whatever you do and whenever you have a wank as well !

JUSTIN
The entire jail also maybe but anyway, you'll see, it's better than Dilli-Bazaar. Some people have a brain in here.

SIMON
Can we get some fucking dope around here ?

JUSTIN (riant)
From the visitors. Not too hard to get.
I'm having whiskey coke and charass hamburger every now and then...

RALPH
Can you get any valiums ?

JUSTIN
Yeah, from the medicine nagi, as usual. I'll show you.
(à Robert)
Where's Dawa ?

ROBERT (soupirant)
Next door.
I told Greg to carry on with the swearing lessons....

JUSTIN (nerveux)
And Sinwah ? Did you see her ?

ROBERT (vaguement)
Not much. I saw her going to the shop time to time. Just say hello.
How is she ?

JUSTIN (embarrassé)
She's alright, I guess...

ROBERT
Greg could have told you more coz his cousin Mark came to see him and he's visiting her too, I think...

198 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR
Deux équipes de prisonniers s'entraînent de chaque côté d'un filet de volley-ball. Viktor et Justin marchent côte-à-côte, longeant les bâtiments centraux de la prison. Viktor est toujours vêtu de guenilles, Justin porte un jean noir et un t-shirt rouge sans manche. Leurs thongs soulèvent de la poussière à chaque pas. La balle rebondit devant Viktor qui se penche pour la ramasser et la relancer aux joueurs. Soudain, une porte s'ouvre devant Justin et Viktor. Un fou, nu et décharné, en sort en tirant d'une main le boulet qu'il a à la cheville. De l'autre, il brandit en gueulant un bâton dans la direction des deux Blancs qui font un saut en arrière.

JUSTIN (effrayé, prêt à déguerpir)
Fucking hell !

VIKTOR (le retenant par le bras)
Don't worry, my friend ! He crazy but he no can run !

Le fou les a déjà oubliés ; en braillant, il brandit son bâton dans la direction des joueurs de volley.

VIKTOR
So you happy now ? Have friends same room ?

JUSTIN (le regardant)
You say nothing, ok ? But I prefer they are not same room as me.
I don't know why. I feel more free without them...

VIKTOR (regardant Justin à son tour)
I understand. You see ? Me no come your room now.
After wife dead, I don't want see people. Just have one friend.

JUSTIN
The friend who came here with you ?

VIKTOR (triste)
Yes, he also artist. He make music ! Beautiful music.

JUSTIN (doucement)
You didn't kill him, did you ?

VIKTOR (secouant la tête)
I don't know. Me eat many magic mushrooms with my friend... Maybe I don't remember ? Possible ! I don't know.

JUSTIN
Even have magic mushrooms, if you kill your friend, you can remember. I don't believe you did it.

VIKTOR (presque fâché)
I kill, I no kill, what difference !? He dead now ! He no more make beautiful music !

JUSTIN (regardant Viktor avec un éclair de compréhension dans les yeux)
Yeah ! But you remember his music and you also artist, so you can paint his music for him now.
You understand what I mean ?

VIKTOR (avec un vrai sourire)
Me also think same same you !
(tendant sa grosse main à Justin)
I think you and me, good understand !

JUSTIN (serrant la main de Viktor)
Some day, I will write your painting !

VIKTOR (riant)
Ok, and one day me paint your book also !

JUSTIN (visiblement touché)
Thanks, mate !
If one man's soul can forgive another man's soul, then God should be ashamed not to do the same.
(pour lui-même, avec un petit hochement de tête)
And that should include family too...

VIKTOR (souriant amicalement)
No thank you ! Me, you, same same.
(pointant un doigt vers sa tête)
Too much like life inside but not very much like life outside...

Alors que Viktor et Justin sont sur le point de tourner au coin du bâtiment, un nagi en débouche. Il s'arrête devant Justin.

LE NAGI
You go nagi room ! Number One want see you.

JUSTIN
Does he ? Ok !
(à Viktor)
Sorry, mate, I'll catch you later.

Justin disparaît au coin du bâtiment.

199 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DEVANT LE DORTOIR DES NAGIS
Justin est à quelques pas de l'entrée du bâtiment des nagis, lorsque Taranath en sort. Il aperçoit Justin et s'arrête sur place. Justin le rejoint.

JUSTIN
Hello ! How are you ?
A nagi told me to come and see you ?

TARANATH
You like surprises, don't you ?

JUSTIN (avec un sourire)
Kind of... since my birthday !

TARANATH (avec un sourire)
Would you like to see your girlfriend today ?

JUSTIN (les yeux écarquillés)
What !?

TARANATH
Yes ! She'll be there to see you at four o'clock.

JUSTIN
Wow ! That's great ! Thanks !
How do I look ?

TARANATH (riant)
I don't know but you have about an hour to get ready.

JUSTIN
Ok, I better rush ! Thanks a lot !

Justin s'en va vers son dortoir à grands pas mais en passant devant le dortoir de Viktor, celui-ci l'appelle.

VIKTOR (haussant la voix)
What happening ?

JUSTIN (fébrile, ralentissant mais ne s'arrêtant pas)
Sinwah is coming to visit me ! I better get ready !

VIKTOR
Ok, I see you later !

200 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Justin est assis sur un tabouret, à la même place qu'à Noël. On le sent angoissé, tendu; c'est à se demander s'il est vraiment content que Sinwah vienne le voir. Il ne s'est pas donné la peine de se raser, on se demande même ce qu'il entendait par "getting ready" car il porte les mêmes vêtements qu'auparavant dans la cour.

Devant lui, le guichet est bouché du même panneau de bois qui s'ouvre soudainement sur une Sinwah bronzée, jolie comme tout. Elle a l'air en pleine forme. Justin, qui allait s'obliger à sourire, se retient, comme ébahi de la pêche et de la bonne mine de Sinwah.

SINWAH (le dévisageant, l'air étonnée)
Hello Justin ! Wow ! You don't look so good !
Is there something wrong ?

JUSTIN (regardant Sinwah profondément dans les yeux)
Bonjour, mon amour !

Il pose sa main devant lui, bien en évidence, mais Sinwah ne fait aucun mouvement pour la prendre.

SINWAH (toujours enjouée)
Aren't you surprised to see me ?

JUSTIN (hésitant)
Yes... How come ?

SINWAH (sur le même ton)
I've been moved to Central Jail too !

JUSTIN
When ?

SINWAH
Just yesterday !
I heard they moved all the guys from the men jail too ?
Are they with you ?

JUSTIN
Not all of them, just Robert, Simon and Ralph.

SINWAH
You must be happy !
It's better to have some company.

À ce moment, Viktor apparaît derrière Justin. Il se penche vers Sinwah.

VIKTOR (avec un grand sourire)
Hello, Sinwah !

SINWAH (souriante et gaie)
Hello, Viktor ! How are you today ?

JUSTIN (à Viktor, ricanant en montrant son tabouret avec un rien d'humeur)
You don't want to sit here with me also ?

VIKTOR (ignorant Justin)
I'm fine !

Viktor sort un rouleau de papier qu'il cachait derrière son dos et le tend à Sinwah. C'est la gardienne qui se tient près d'elle qui s'en empare.

VIKTOR
I make painting for you.

SINWAH (enthousiaste)
Wow ! Thank you ! Next time I make one for you too ! I promise !

VIKTOR
Ok ! I must go now. Bye bye, Sinwah !

SINWAH (levant la main en signe d'adieu)
Bye bye ! Thank you !

Elle repose sa main devant elle, machinalement.

JUSTIN (lui prenant la main)
Jesus ! Everybody is in love with you !
(sortant une feuille de papier de sa poche)
Here !
They told me so late that you came, I only had time to write you a poem, I didn't have time to shave, sorry.

SINWAH (retire sa main et prend le papier en se rembrunissant)
Why you say that ?
Viktor is just being nice. He's in the same boat as us.

JUSTIN (qui regarde son poème passer inaperçu)
Yeah I know, he's a good guy actually.
But not everybody is in the same boat as us....

SINWAH
What do you mean ?

JUSTIN (attrapant à nouveau la main de Sinwah)
I mean I'm worried... I don't receive any letters from you for weeks sometimes.

SINWAH (vague)
I know, I've been busy painting and cooking.
Did you get my cookies ? Do you like them ?

JUSTIN
(regardant la main de Sinwah qu'il tient tout en la caressant du pouce)
I like them a lot...
but so does Mark.

SINWAH (retirant sa main)
Oh yes ! He told me about you being all jaleous and unfriendly with him...
What's the matter with you ?
(s'emportant apparemment)
And what's that you said at the prefect's office ?
Why ? What do you think you're doing ?
Are you mad ?

JUSTIN (à voix basse, la gorge serrée)
I was trying to get you out.
(avec un regard complice)
I can't try anything myself as long as you're here.

SINWAH (le visage fermé)
Oh so you didn't do it just because you're in love with me, right ?

JUSTIN (la regardant avec effarement)
... no.

SINWAH (le regardant avec un nouveau sourire enjoué)
Good ! I don't want you to miss a chance to get out just because of me.

JUSTIN (avec défi)
Why ? Don't you deserve it ?

SINWAH (quittant enfin son faux air enjoué)
I don't know... I'm confused.

JUSTIN (d'une voix blanche)
Confused about Mark, right ?

SINWAH
How do you know ? I don't know anything myself !
Except that one day, I found that you were gone and that I was alone and desperate.
Mark is just a nice guy. He came to see me, he tried to make me feel better.
(désespérée)
I don't know...

JUSTIN (se levant, pâle et tendu)
I can understand. But try to understand me also.
(montrant le portail à sa droite)
I've seen girls at that gate too, but I'm not confused...
I never stopped loving you.
So, let me know when you see clear coz me, I don't want to see that !
I just cannot stand it...
(s'en allant soudain)
Bye !

SINWAH (voix off)
Justin !

Le nagi de garde referme la porte derrière Justin et s'adressant à son collègue en poste au portail, il dit en rigolant:

LE NAGI
S-T: On dirait bien qu'il y a de l'eau dans le gaz !

201 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR
Justin gît sur son lit. Vêtu d'un t-shirt à manches longues et de son jean noir, il dort tout habillé. Il est barbu et sa peau est luisante. Ses affaires traînent un peu partout autour de lui. C'est le seul qui dort. Il doit être une heure de l'après-midi.

Simon et Ralph sont en train de faire une partie de backgammon et Robert est en train de lire. Krishna est assis en tailleur sur son lit, il reprise un vêtement.

Un nagi entre et se dirige vers le fond du dortoir. Il se rend compte que Justin dort et il s'adresse à Robert.

NAGI (montrant Justin du doigt)
Sati ! He, visit ayo !

ROBERT (jetant un coup d'oeil par dessus son livre)
So ? Am I suppose to give a fuck ?

NAGI
He, visit ayo ! Go go !

ROBERT (posant son livre et se redressant)
Alright ! You want me to wake him up ?
Why don't you just say so ?

Le nagi s'en va. Robert se lève et se penche vers le lit de Justin.

ROBERT
Hey ! Justin ! Get up, man ! You've got a visit.

Justin ne fait pas un mouvement.

ROBERT (plus fort)
Fuckin' hell ! Justin ! Get the fuck up, man !

Justin ne bronche pas.

ROBERT (se mettant à le secouer)
Oh for Christ sake ! Justin ! Are you dead or what !?

JUSTIN (s'éveillant)
Hmmm...?

ROBERT
Get the fuck up, man ! You've got a visitor at the gate !

JUSTIN (sans ouvrir les yeux)
Oh fuck ! Don't wanna go...

ROBERT (le secouant à nouveau)
Last warning, man !

JUSTIN (se dressant difficilement)
Ok, ok ! Whoever that is, they better bring me some dope then !

ROBERT
Don't you think you've got to take it easy a little ?

JUSTIN (les paupières lourdes)
Pff ! What for, man !? What for ?
What day is it anyway ?

ROBERT
Let me ask you something, man, how did you like Viktor's work ?

JUSTIN
What work ?

ROBERT
Alright so you see what I mean, man ?
You got to stop that valium shit !
You really don't know what Viktor did, yesterday ?

JUSTIN (surpris)
No, what did he do ?

ROBERT (sidéré)
He was right in front of you all afternoon and you didn't see a thing ?

JUSTIN (mollement impatient)
No ! I tell you I don't know what you're talking about !

ROBERT (montrant les dimensions d'une affichette avec ses mains)
He's done your portrait on a paper that was at least big like that !
It took him hours !

JUSTIN (intéressé soudain)
My portrait ?!
Shit ! I didn't see a thing !
You're kidding me !?

ROBERT (secouant désespérément la tête)
Actually I thought you were kidding !
Go see him if you don't believe me !

202 - EXTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR
Justin sort de la pièce qui mène au portail. Il sort de sa visite, les mains chargées de deux bouteilles de Coca-Cola et d'une boîte de hamburger. D'un pas assez mal assuré, il se dirige vers le dortoir de Viktor.

203 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE VIKTOR
Viktor est assis au pied de son lit devant un chevalet en bois, il est en train de dessiner au fusain lorsque Justin arrive.

VIKTOR
Hey my friend !
How are you today !?

JUSTIN (tendant une des bouteilles à Viktor)
I'm alright. You want coke ?

VIKTOR
No, me no like imperialist products !

JUSTIN (ouvrant une bouteille sur le coin d'un lit et la tendant à Viktor avec un petit sourire mystérieux)
You smell first... maybe you like...

Viktor renifle le goulot de la bouteille, ses yeux s'agrandissent lorsqu'il comprend à quoi le coke est mélangé. Justin ouvre l'autre bouteille.

VIKTOR (souriant)
Ah ! This imperialist product I like !

JUSTIN (trinquant)
Cheers, mate !

VIKTOR
Yes ! Cheers !

Ils boivent. Le coke est chaud et ça mousse dans les bouteilles.

VIKTOR (avec un air satisfait)
Me long time no have this !
Very good !

JUSTIN (montrant la boîte de hamburger)
You like hamburger ?

VIKTOR (va pour dire non puis se ravise)
This also special hamburger ?

JUSTIN (riant)
Yes ! Very special !

Il se rapproche de Viktor pour ouvrir discrètement la boîte.

JUSTIN
Look.

Il soulève le pain et la viande. Dessous, un gros bout de hashish noir est caché. Justin le prend et referme le hamburger. Le bout de shit toujours dans sa main, il coupe le hamburger en deux et en donne la moitié à Viktor. Puis il détache deux bons morceaux de hash du bout qu'il vient de trouver. Il met le reste dans sa poche.

JUSTIN (montrant les deux morceaux de hash dans sa main)
You like this also ?

VIKTOR
Too much dangerous. Everybody smell smoke !

Justin sourit, place un morceau de hash dans sa bouche et mord dans sa moitié de hamburger.

JUSTIN (souriant finement)
What smoke ?

Il donne l'autre morceau de hash à Viktor.

VIKTOR (prenant le morceau de shit)
Can eat also ?

JUSTIN (souriant)
Sure ! No problem... Just little bit slow coming up but very good also !

Viktor met le morceau de shit dans sa bouche et mord dans son hamburger.

JUSTIN (riant)
Spicy huh ?

VIKTOR (faisant la grimace)
Not very good !

JUSTIN
Oh don't worry, very good coming very soon ! Wait...
(pause machouillage)
Hey, Robert say, you make painting of me yesterday ? Really ?

VIKTOR (avalant sa dernière bouchée de hamburger)
Yes. Yesterday you sleeping.
Me come your room and make drawing.
You want see ?

JUSTIN (les yeux brillants)
Of course, Viktor ! Show me, please !

Viktor va chercher son carton à dessin posé le long du mur et l'apporte devant Justin. Il l'ouvre et en sort une grande feuille de papier à dessin. La propreté du papier immaculé contraste avec le dénuement du dortoir et des vêtements de Viktor.

Viktor pose la feuille à plat sur le lit. Le dessin représente l'enceinte de la prison à droite. À gauche il y a un îlot où Viktor s'est lui-même représenté, assis en tailleur, peignant à un chevalet. Entre la prison et l'îlot coule une rivière sur laquelle flottent, pêle-mêle, quelques livres, des dessins de petits Népalais laids et une guitare. Dans l'enceinte de la prison, le corps de Justin semble s'allonger et sa tête, démesurée, occupant la plupart de l'espace, passe par-dessus les murs et regarde Viktor dessiner en souriant. Derrière Justin, un petit Népalais grimaçant et accroupi, reconnaissable à son petit chapeau ridicule, est en train de chier dans un coin de la prison.

JUSTIN (qui commence à être un peu affecté par l'alcool et le shit)
Wow ! This is really good, man !
How long did it take to make it ?

VIKTOR (qui perd peu à peu son inhibition naturelle)
3, 4 hours.... You like ?

JUSTIN
Oh yes, it's fucking great, man !
(riant)
I cannot believe it ! I didn't see you make it !

VIKTOR
You too much take pill ! No good !
Me your friend so I speak.
You too much eat pill !
You more careful please !

JUSTIN (avec un hochement désabusé)
Yeah, I know ! What to do in Katmandu ?

204 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Simon est à quatre pattes sur la couche de Justin, en train de fouiller ses affaires. Il trouve rapidement la cachette de valiums, mais ce n'est pas ce qu'il cherche. À cause de la tenture de Justin, il ne peut pas surveiller l'entrée et ne voit pas Justin arriver, porteur du dessin de Viktor qu'il a enroulé. Justin le surprend sur le fait.

JUSTIN (surpris et indigné)
Fuckin' hell !...

Simon sursaute. Il saute du lit et retourne sur le sien. Justin pose son dessin ainsi qu'un genou sur le lit, pour mieux regarder ce que Simon fouillait.

JUSTIN (se remettant debout)
Fuckin' hell Simon, you were trying to steal my dope, weren't you !?
(se tournant et s'avançant vers Simon, à genoux sur son lit comme un gosse pris en faute)
You stupid jerk ! If you need something, you come and ask ! We share ! We don't rip each others off ! Got it, cunt !

Alors que Justin s'avance toujours vers Simon, celui-ci se dresse d'un bond sur son lit, brandissant une brique qu'il sort d'on ne sait où.

SIMON (hystérique)
Don't fuck with me, man ! I wasn't fuckin' stealing !

Justin, sidéré, s'arrête sur place. Sa colère est retombée pour faire place à la surprise. Il regarde Simon droit dans les yeux. Ce qu'il y voit, c'est le regard d'un animal pris au lacet.

JUSTIN (d'une voix calme)
Jesus, Simon, life's not like that, man ! Relax !

SIMON (brandissant toujours sa brique, criant toujours mais moins hystériquement)
I wasn't fuckin' stealing !
You think you're a fuckin' nagi or something ?

Justin jette un regard d'incrédulité vers Robert qui observe la scène, flegmatique depuis le début.

JUSTIN (à Robert)
Can you believe this guy ?

ROBERT (soupirant)
Nothing can surprise me anymore !
Did he take anything ?

Simon se rasseoit et pose sa brique à côté de lui.

JUSTIN (haussant les épaules)
I had nothing except valiums.
(ayant une idée soudaine, il tire le reste du morceau de shit de sa poche)
But now I do !

Il montre le bout de shit à Simon.

JUSTIN
You see that, cunt ?

Il coupe le bout en deux, en donne la moitié à Robert et avale l'autre moitié.

JUSTIN (acide, à Simon)
Get some yourself !
And go to hell...

Robert n'a pas avalé son morceau. Doucement, il le coupe en deux et en donne la moitié à Simon, sans regarder Justin.

JUSTIN (abasourdi)
I don't understand anything around here anymore.

SIMON (mâchant son shit avec un air de provocation)
Yeah...

ROBERT (regardant doucement Justin)
Why ? We keep on sharing...

JUSTIN (mécontent, montrant Simon qui n'a fait qu'une bouchée de son morceau de shit)
I got that, but let him steal ?
I disagree !

ROBERT (logique)
Simon is mad. Don't you know that ?
And the same is going to happen to you if you keep on taking all these valiums.

JUSTIN (agacé)
Simon's mad !?
I can act crazy just as well, man !
I can even have him move to Viktor's room if I get to it, but I won't because I'm not like that.
I don't let myself be turned into a complete bastard !
(se tournant vers Simon)
So I'd like to get the same sort of respect from you, cunt !
Keep your fucking madness away from my stuff, get it ?

SIMON
Fuck you !

JUSTIN (menaçant)
I'm serious ! Don't fuckin' push me...

Simon reprend sa brique mais reste assis.

ROBERT (se redressant sur son lit)
Keep cool, dudes !
Simon, if you wanna beat the hell off anyone, you should start with the Nepali !
(s'adressant à Justin avec un drôle d'air)
And you better don't get too friendly with them...

JUSTIN (se renfrognant)
I found my way to survive here, in peace, long before you guys came around, remember ?
So I'd like to keep it that way if that's not asking too much !

Simon repose sa brique et se lève pour quitter la salle.

SIMON (se retournant pour hurler)
I fucking hate everybody anyway, so you might as well count me as a Nepali too !

Il sort sous les regards atterrés de Robert et de Justin.

JUSTIN (à Robert)
What the fuck happened to him ? He wasn't THAT bad in Dilli-Bazaar !?

ROBERT (plus calmement)
Oh yeah, you don't know, don’t you ?

JUSTIN (intrigué)
What ?

ROBERT
Well you know him, he's always stoned as hell and he doesn't make a secret of it.
So anyway, the Christians from Dillaram ended up learning about it.
Somehow they found Simon's address in New Zealand and they took on themselves to write to Simon's dad and tell him all about his son.

JUSTIN (écoeuré)
Fuckin' bastards !
I hate those fucking Christian goody doers !

ROBERT
Wait !
Simon's dad received the letter. He reads it and he gets a heart attack... straight there !

JUSTIN (les yeux exhorbités)
He's dead ?!

ROBERT
Apparently not, but it'd be better for him coz apparently he's half paralysed now.

JUSTIN (atterré)
Oh my God !
(posant une main sur son propre front)
Wow !
WOW !

ROBERT (d'un air entendu)
So what's a little piece of dope, huh ?

JUSTIN (le regardant tristement, droit dans les yeux)
Yeah, correct. I get it...
(pause, puis montrant l'issue par où Simon est sorti)
I just wish he would ask, though.

ROBERT (écartant les paumes de ses mains)
Well, he's Simon, you know him...
He doesn't give a fuck about anything anymore, what can you do ?
You won't change him...

JUSTIN (pratique)
Hum yeah, I guess I'll just have to find another place to hide my stash then...

ROBERT (acquiescant)
Yup, or eat everything straight after you get it.

JUSTIN (soupirant)
I don't believe this place and what it turns us into !

Il pause un instant pour regarder Robert.

JUSTIN (avec un vague sourire)
You're not doing too bad actually !

ROBERT (surpris)
Really !? You think so !?

JUSTIN (surpris de la réaction de Robert)
Yeah ! Really !
You keep cool and you don't even take anything for that !
That's quite admirable, I'd say.

ROBERT (avec un sourire dubitatif)
Why, thanks !
Actually, it might not show but I could really do with a pint of gin and tonic !

205 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - SALLE DE PING PONG
C'est le début de l'après-midi, la salle de ping-pong est inondée d'une lumière tamisée par les grilles qui bouchent les fenêtres longues et basses. Dans la salle, une demi-douzaine de personnes, des Népalais, sont accroupis contre les murs et regardent le match que se disputent Justin et un prisonnier assez court sur jambes mais large d'épaules. Le type est très bronzé et ses yeux luisent de jeunesse et d'énergie. C'est un excellent joueur mais Justin se défend bien. Le jeu va bon train et les deux joueurs sont déjà assez essoufflés. Les smashs sont envoyés et amortis aussi bien d'un côté que de l'autre, la balle frôle le filet et souvent les amortis de Justin oblige son adversaire à plonger pour récupérer juste derrière le filet.

On finit par comprendre que l'adversaire de Justin est tellement bon qu'il contrôle totalement le jeu, c'est toujours Justin qui perd la balle par sa maladresse. L'autre le fait jouer, il se met à son niveau, comme un entraîneur le ferait et Justin est complètement pris dans le jeu. Il s'exclame bien haut lorsqu'il perd la balle, se frappe le crâne de sa raquette et graduellement se comporte de façon de plus en plus bizarre, de plus en plus extrême. Il fait tellement de bruit que les prisonniers commencent à affluer dans la salle de ping-pong. Bientôt, Robert, Ralph et Simon viennent s'aligner contre le mur. Les cris de Justin se transforment en hurlements de rage lorsqu'il rate la balle, même s'il garde le sourire. Il se met à courir à droite et à gauche après la balle, il est en nage, frappe la balle de plus en plus fort, en casse une, c'est à lui l'envoi mais la balle n'en finit pas de frapper le bord de la table, il s'énerve, parvient à faire un envoi correct, récupère la balle sur la droite mais continue à courir vers le mur, emporté par son élan, il le frappe de l'épaule et ça le renvoie vers la table où il rattrape la balle de justesse mais l'envoie n'importe où avant d'aller frapper l'autre mur de l'épaule. L'autre renvoie la balle, Justin court, rate la balle mais continue vers l'autre mur qu'il percute de plein fouet, il tombe, se relève pour se précipiter vers l'autre mur sur lequel il pose un pied, il retombe sur le sol, se relève et repart en sens inverse en gueulant:

JUSTIN
I can fly ! Look at that ! I can fly !

Il saute, essayant cette fois de poser les deux pieds sur le mur, y parvient, retombe lourdement sur une jambe, se casse la figure. Il s'est fait mal au genou mais il se relève et marche vers la table de ping-pong en boîtant.

JUSTIN (à son adversaire)
Come on !

L'autre regarde dans la direction de Robert qui lui fait discrètement signe que non. Le joueur pose sa raquette sur la table.

LE JOUEUR (à Justin)
Me tired now ! Ok ? Tomorrow play again !

JUSTIN (frappant si fort sur la table avec le côté de sa raquette qu'elle se brise)
No ! Come on !
(regardant sa raquette)
Oh shit !

Se retournant soudain, il jette violemment sa raquette contre le mur derrière lui. Robert s'approche de Justin. Il lui entoure l'épaule de son bras et l'attire doucement vers la sortie.

ROBERT (parlant à Justin comme on parle à un malade)
I think you had enough for today, don't you agree ?

JUSTIN (éteint)
No ! I just need another raquette (racket). Do you have one ?

ROBERT (l'entraînant toujours vers la sortie)
Yeah, come on man, let's get it !

Ils sortent de la salle de ping-pong, suivis de Simon et Ralph. Au moment où Justin est frappé par le soleil, il s'écroule, retenu tant bien que mal par Robert d'un côté, puis par Ralph qui lui attrape l'autre bras.

RALPH (gêné)
Wow ! What happened to you, mate !?

SIMON
He's fuckin' out of his mind, that's what it is !

JUSTIN (se redressant)
Why !? What's going on ?

ROBERT (se dirigeant vers un muret de briques protégeant un arbuste)
Come, let's sit over there.

JUSTIN (souriant, l'air perdu)
I'm alright, mate ! No problem ! Look !

Il se dégage de ses camarades et essaie de sauter sur le muret de briques. Visiblement, il ne sent pas son genou mais celui-ci ne répond plus et Justin s'affale sur le muret, se raclant le tibia.

Il sent la douleur et s'asseoit sur le muret en se tenant la jambe et en grimaçant.

JUSTIN (comme revenu à lui)
Ah fuck !

ROBERT
Jesus ! Man ! You better go and lay down...

JUSTIN
I'll be ok.

RALPH (montrant la salle de ping-pong)
I think you've done enough in there for today.

JUSTIN (surpris)
What do you mean ?
(se tournant vers Robert)
What does he mean ? What did I do in there ?

ROBERT (atterré)
You don't remember what just happened in the ping-pong room?

JUSTIN (ricanant, perdu)
No ! I swear, I just remember scratching my leg on those bricks, why ? What happened ?

ROBERT (d'un air abattu)
Never mind, mate, you don't wanna know anyway...

Derrière eux, du bâtiment des nagis, sort un Népalais qui s'avance vers le groupe. Il s'arrête devant Justin.

LE NAGI
You Justin ?

JUSTIN
Yes...

LE NAGI
Number One want see you.

JUSTIN
Now ?

LE NAGI
Yes. You go now.

Justin se lève et grimace de douleur.

JUSTIN
Fuck, my leg hurts but my knee is even worse... How come !?

206 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DES NAGIS
Justin entre en boîtant dans le dortoir de Taranath. Celui-ci, le visage fermé, est assis sur le tabouret qu'occupe Justin d'habitude. Il est adossé contre son propre lit, ce qui force Justin à rester debout. À peine Justin est-il en face de Taranath que celui-ci demande:

TARANATH
What do you think you're doing ?

JUSTIN
What do you mean ?

TARANATH
In the ping-pong room, what happened to you ?

JUSTIN (souriant en écatant les mains)
I'm sorry, I wasn't there !

TARANATH (fronçant les sourcils)
What do you mean ? Someone saw you !

JUSTIN (souriant toujours)
I mean, I really don't remember what happened. I know it sounds strange but I don't.
Ask Robert, he was there. I wasn't.
I tried to ask him what happened but he said it's better I don't know.

TARANATH (qui n'en revient pas)
Where were you, then ?

JUSTIN (riant)
I don't know ! Out of my mind, I guess... that's what Simon said.

TARANATH
And what makes you this way ? What did you take ?
Do I have to double check your visitors ?

JUSTIN
No, it's just the valium I'm getting from the medicine room.

TARANATH
The sleeping pills ?
You're only allowed two per day !
How could they have this effect ?

JUSTIN (souriant)
Well, I keep them and then, when I feel depressed, I take ten at once.
It kinda wipes the day off.

TARANATH (plissant les lèvres)
No wonder you can't remember what you're doing, then !
(pause)
Fine, starting from today, you can come here every evening and get one sleeping pill from me.
And you'll have to take it in front of me. Is that ok ?

JUSTIN (soupirant)
Ok...

207 - INTÉRIEUR - SOIR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Robert, Ralph et Simon discutent, assis en rond sur le lit de Simon. Krishna dort déjà. Justin entre, pâle, dos courbé, en traînant les pieds, une main dans la poche.

RALPH (qui fait face à la porte et voit Justin entrer)
Hey Justin, did you hear that ?

ROBERT (bas)
Maybe we shouldn't tell him...

JUSTIN (sans le moindre entrain)
What's up, dudes ?

SIMON (avec un petit sourire en coin)
Did you get your valium yet ?

JUSTIN (tirant la main de sa poche et montrant le petit cachet blanc)
Yup.

ROBERT
I thought you had to take it in front of Number One ?

JUSTIN (levant les sourcils d'un air fatigué)
Yeah, well... I have to put it in my mouth in front of him, that's all.

SIMON (ricanant assez méchamment)
Good for you, man ! You gonna need all you have tonight !

JUSTIN (piqué)
You mean, you haven't stolen them yet ?
(haussant les épaules et tournant ostensiblement la tête vers Robert)
Why ? What's supposed to make me eat them all ?

Robert baisse la tête.

RALPH (l'air grave, ému)
Robert saw Perkins from the British consulate... looks like the prefect is going to give us all five years.

JUSTIN (à Robert)
Did he say anything about Sinwah ?

SIMON (fixant Justin)
Yeah, he said she doesn't give a fuck about you !

Justin hausse les épaules en lui jetant un coup d'oeil méprisant.

ROBERT
He just said that he was going to see her after me, to tell her the bad news.

JUSTIN (sonné mais cynique)
Great ! So now we know we'll never get out of here !
Not in our normal state of mind at least...
(pause alors que les autres acquiescent gravement)
Strange... it feels as if I knew it already...
(se secouant un peu)
Anyone for valium then ?
(ironique)
They're almost not chewed !

208 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Justin est seul dans le dortoir, il est en train d'écrire un début de lettre mais visiblement son esprit vogue ailleurs, il a même fait des petits dessins, très serrés, très noirs, sous les quelques phrases qu'il est parvenu à rédiger. Les yeux dans le vide, sa tête, sur l'oreiller, oscille légèrement de droite à gauche comme rythmée par une marche funèbre intérieure.

Krishna arrive et, avec son bon sourire servile, tend quelques lettres à Justin, faisant signe qu'elles viennent de dehors, oui, merci, on s'en doutait.

Justin prend les lettres et passe les enveloppes en revue pendant que Krishna quitte la salle. Une lettre de Sinwah retient immédiatement son attention. Il pose les autres et décachette celle de sa bien-aimée, les yeux brillants.
Il se cale bien à l'aise sur son oreiller qu'il a redressé et, prenant la lettre à deux mains, il commence sa lecture.
Aussitôt, on devine que c'est au premier mot, son visage s'allonge, son regard se fait grave et son front se plisse. On remarque l'accélération de ses pupilles lisant les lignes aussi vite qu'elles le peuvent et au fur et à mesure, son visage se creuse. Il tourne rageusement les pages. Il se redresse parfois avec un sursaut plein de colère, mais s'affaisse aussitôt de tristesse. Finalement, il est arrivé au bout de la lettre, son visage et son regard fixé loin dans un endroit sombre, marquent sa souffrance. Il s'allonge de tout son long, raide comme un bout de bois. Il laisse tomber son bras à son côté, à droite, tenant toujours la lettre entre ses doigts. Il ferme les yeux, semble arrêter de respirer. Soudain il crispe à la fois son poing sur la lettre et ses paupières closes. Un son étranglé et bref qui ressemble à un cri de souffrance parvient à se frayer un chemin dans sa gorge serrée. Il reste ainsi un moment, tout raide, tout crispé, retenant sa respiration, comme si on lui passait la roulette sans anesthésie. Enfin, il se décrispe un peu, se retourne, se met à genoux et se recroqueville sur lui-même, la tête dans l'oreiller, le visage dans les mains. Il se balance ainsi d'avant en arrière en gémissant doucement.

Puis brusquement il se redresse à genoux et levant le visage au plafond, il gueule:

JUSTIN (levant les mains comme une imploration)
Et j'fais quoi maintenant ?

Justin s'assied en lotus sur son lit et tire le livre à reliure de cuir. Il l'ouvre et en fait tomber une lame de rasoir. Il a juste le temps de poser le livre dessus qu'un nagi entre dans le dortoir.

LE NAGI (gueulant à la porte)
Justin, gate !

JUSTIN (qui ne pourrait pas être dérangé à un plus mauvais moment)
I don't wanna go ! Tell them I'm sick !
Tell them to come later !

LE NAGI (s'approchant, intrigué)
No ! You go now !
Is consulate people !
Very important !

JUSTIN (excédé, fatigué, vidé, plus envie de jouer)
Yeah I know ! Me stay here five years !
Tell them: "Allez vous faire foutre !" for me.

LE NAGI (s'approchant du lit de Justin, insistant imperturbablement)
You go now ! Very important !
They no waiting !

Il avance la main pour tirer Justin par le bras.

JUSTIN (voyant qu'il ne se dépêtrera pas du bonhomme)
Oh merde !
(les larmes aux yeux, au nagi qui ne comprend pas)
Gotta say last goodbye, huh ?
Ok, ok !
(dégageant son bras)
Leave me ! I'm coming then...

Il se lève et suit le nagi.

209 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - PORTAIL
Madame Roux est à la porte. Elle attend Justin en faisant les cent pas, elle semble nerveuse. Justin s'approche du portail sans se presser, en traînant les pieds.

Il s'accroche aux barreaux, écoeuré, on dirait qu'il va être malade.

JUSTIN (voix morne)
Ah c'est vous ! Ça va ?

Madame Roux arrête ses cent pas en entendant la voix de Justin. Elle le regarde, l'air inquiet et ne dit rien.

JUSTIN (des sanglots dans la voix, yeux mouillés)
Vous avez choisi de me dire laquelle d'abord ?
Sinwah ou les cinq ans d'prison ?

MADAME ROUX (le regardant gravement, bien droit dans les yeux)
Ça vous dirait de sortir d'ici ?

JUSTIN (sans comprendre)
De toute façon, sans elle...
(retenant ses larmes)
Vous connaissez Mark, vous ?
Ben elle m'a laissé tomber pour lui.
En prison !
Comment c'est possible, ça, hein !?

MADAME ROUX
Et si je vous disais que vos parents ont accepté de payer votre caution ?

JUSTIN (comme paralysé)
Ah.

MADAME ROUX (nerveuse)
Allez préparer vos bagages.
J'ai fait venir la voiture consulaire pour vous emmener chez moi. Ici vaut mieux s'méfier...
Déjà, j'ai été obligée d'appeler le préfet tout à l'heure parce que le directeur de la prison voulait un backchish pour vous laisser sortir !

JUSTIN (toujours figé, a-t-il seulement entendu ?)
Ah.

MADAME ROUX (inquiète)
Allez-y, vaut mieux pas trop tarder des fois qu'ils changent d'avis.
C'est des vrais bandits, ces gens-là !

Justin hoche la tête une fois et fait demi-tour. Il sort, la tête basse, du même pas traînant avec lequel il est entré.

210 - EXTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - COUR
Justin sort, livide, de la salle du portail. À peine est-il dans la cour que des larmes se mettent à couler sur son visage. Des sanglots secouent tout son corps mais aucun son ne sort de ses lèvres, à tel point qu'il est obligé de se plier en deux en se tenant le ventre d'une main et le visage de l'autre. Puis il se redresse et, cassé de temps en temps par un sanglot qui lui monte des tripes, il presse le pas pour revenir vers son dortoir. Ses mouvements sont un peu raides.
Simon le remarque et s'approche de lui.

SIMON (ne sachant pas quel bout prendre Justin)
What's up, man !?

Justin s'arrête brusquement sur place et, sans tourner la tête vers Simon, il décoche, la voix brisée.

JUSTIN (livide de haine)
You were right about Sinwah.
(se tournant pour regarder Simon)
Happy ?

Simon va pour répondre quelque chose, mais Justin le laisse planté là et reprend sa marche vers le dortoir. Simon le suit machinalement. À quelques mètres derrière Simon, on aperçoit Viktor qui a tout observé. Lui aussi se met en route vers le dortoir de Justin.

211 - INTÉRIEUR - MATIN - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE JUSTIN
Justin est devant son lit. Il a posé sa malle en osier, le cadeau d'Antoine, sur le bord du lit et, mornement, il est en train d'y empiler ses livres. Simon s'est allongé sur son lit et a pris un livre. Il ne lit pas vraiment, il observe Justin du coin de l'oeil. On voit bien, à son regard ironique, qu'il se demande quelle mouche a bien pu encore piquer Justin.

Il lui adresse la parole au moment précis où Viktor apparaît à la porte du dortoir. Viktor voit tout de suite ce que Justin est en train de faire. On dirait que ça lui coupe les jambes. Il pose une épaule contre le mur et reste là, grave mais sans émotion.

SIMON (voix off)
Hey Justin ! So she finally left you, huh ?
(pause)
What do you think you're doing, man ?

JUSTIN (sans regarder Simon, d'un ton mécanique)
Fuck off, Simon !

SIMON
Jesus ! Stop telling me to fuck off, man ! I'm just asking !

JUSTIN (même ton)
Fuck off, Simon !

SIMON (se dressant sur son lit, levant les yeux au ciel)
Jesus ! What are you packing up for anyway !?

Il se lève. Justin ne répond pas. Il a terminé de ranger ses livres. Il attrape son matelas et le soulève. C'est là qu'il a rangé les dessins de Sinwah. On y découvre aussi le tournevis qu'il a volé chez le menuisier. Justin reste comme paralysé devant les dessins, l'oeil rond. Il ne peut en détacher son regard. Il ne bouge plus, on dirait qu'il ne respire plus.

Simon s'est approché juste à côté de Justin.

SIMON (regardant les dessins)
Ah forget that bitch, man ! She's not worth it !

Sans dire un mot, Justin s'empare tout naturellement du tournevis et d'un geste brusque mais calme, l'enfonce soudain dans le cou de Simon, droit dans la carotide et le retire du même geste sec et déterminé. Immédiatement un jet de sang lui éclabousse la figure alors que Simon plaque sa main sur la plaie en faisant un pas en arrière, les yeux exhorbités, la bouche ouverte comme s'il allait crier. Il s'évanouit et tombe sur le sol, le sang giclant de son cou en bouillons réguliers. Justin le regarde, les yeux mornes, en essuyant machinalement le sang sur son visage. Il a l'air calme. On dirait que la crise est finie, on dirait qu'il est apaisé mais il est ailleurs.

Lentement, il quitte Simon des yeux et, le tournevis toujours à la main, il regarde Viktor qui, lui, est toujours debout à la porte, immobile. Ils se regardent gravement. Justin écarte et laisse retomber ses bras d'un geste las et désabusé. Le tournevis tombe à terre. Viktor hoche doucement la tête, avec un gentil sourire de compréhension qui semble dire à Justin de ne pas s'en faire, qu'il n'est pas tout seul, qu'il sera là.

Justin lui renvoie son hochement de tête, il ne sourit pas mais son regard est moins perdu. Il s'asseoit sur le bord de sa malle. Il attend qu'on vienne le chercher en regardant les soubresauts de Simon qui agonise. Une mare de sang s'élargit sur le sol. Il n'ôte pas ses pieds lorsqu'elle les atteint.

212 - INTÉRIEUR - JOUR - CENTRAL JAIL DE KATMANDOU - DORTOIR DE VIKTOR.
Justin est complètement dans les vapes. Ses cheveux et sa barbe le font ressembler au Christ. Il habite maintenant dans le trou à rats, juste à côté de Viktor. Il est enchaîné. Des poèmes sont accrochés partout de même que les toiles de Viktor tapissent son coin; des poèmes rouges et noirs.
Exemple en cas de gros plans:
Lorsque nu, courbatu, décharné
J'eus soulevé comme un rideau mes paupières,
Que la brûme de mon rêve, en lambeaux disloqués
Se fut enfin enfuie en vapeurs délétères,
Je m'assis lourdement solitaire accablé
Sur un sable brûlant dont chaque grain me blesse.
Comme longuement frappé d'un soleil tropical
Tout en moi souffre, gémit et craque de détresse,
De stridents hurlements sans fin, ballets de caresses
De rasoirs, déchirent et déchiquettent. L'affreux mal
S'élève ondule, monte comme une vague, m'enserre,
Empoigne étreint arrache étrangle et jette à terre.
Le chagrin en torrent m'étouffe, m'écrase et me retient
La haine de ses ongles mord et crispe mes muscles écorchés,
Mon sang circule l'acidité d'une violence insensée,
Le poids de l'amertume martèle et pilonne ne laissant rien
Que ce cri inhumain délirant qui tournant sous mon crâne
Cisaille et me saigne tant que tout espoir en moi se fane.
Ma mère, toi qui jadis m'accusais d'irrespect
Pour l'honneur et l'âme de la gente féminine
Quand contemplant des corps sur du papier glacé
Comparant aux flammes leur souplesse féline
Je rêvais fiévreusement d'amours légendaires,
Que penses-tu aujourd'hui de mon cruel calvaire ?
Je ne vois autour de moi que ruines et poussières,
L'horizon qui rougeoie s'assombrit lentement,
Ma vie n'est qu'un recul, un pas devant, cinq derrière!
Dois-je continuer à vivre aussi sombrement ?
J'ai tout perdu, tout! Et jusqu'à mes illusions!
Dieu, pour quelles certitudes rugissent encore les lions ?
Par terre, le portrait que Viktor avait fait de Justin a été déchiré en deux. Viktor est en train d'en faire un autre. Justin, comme la première fois, ne remarque rien. On regarde ce que Viktor peint. C'est le même décor que pour le premier portrait, mais dans la prison, prenant tout l'espace, il y a un albatros aux longues ailes lourdes dont l'oeil pointe désespérément vers le ciel. D'une certaine manière, et avec les rayons du soleil qui passent par la fenêtre ouverte, une drôle d'impression de confort et de paix émane à la fois du tableau et du coin de Viktor et de Justin, un peu comme une île déserte. On est chez eux. On n'est nulle part. Le temps n'existe plus.
- FIN -